Assis seul, dans un fauteuil dans le hall de l'entrée, j'attendais l'arrivée de ma « cliente » avec pour seule compagnie, une photo d'elle sur mon téléphone que Nick m'a gracieusement envoyé sans même prendre la peine de me dire autre chose que « Tiens. Tu te débrouilleras avec ».
Même si le portrait d'une femme d'environ quarante ans me sert de distraction, mon esprit lui ne cesse de me rejouer la scène de cette fin d'après-midi.
Mes lèvres touchant celles de Nick. Moi fuyant le bar et Nick n'essayant même pas de me rattraper. Au fond, je m'en fous. Je suis content qu'il soit resté derrière. Je l'aurais certainement frappé s'il avait tenté quoi que ce soit. Ce type est un danger, je le sais maintenant et j'en prends conscience même si j'ai essayé de me leurer en me disant que malgré tout, y'avait un côté sauvable. Rien n'est sauvable. Il mérite de brûler en enfer, lui et mon baiser avec.
Putain. Je me sens minable. Plus j'y pense et plus j'ai cette envie folle de me précipiter aux toilettes pour me désinfecter la bouche. Pourtant, comme un con, je reste vautré dans mon fauteuil et j'attends.
J'attends qu'une dame ayant certainement l'âge de ma mère vienne me tenir compagnie.
Cougar.
Je la vois alors arrivée à travers l'énorme porte d'entrée et son regard vient de suite soutenir le mien. Elle sait qui je suis avant même que l'on ait eu le temps d'échanger. Génial, je me suis déjà fait vendre. J'adore.
À la manière dont elle me regarde, j'ai des frissons. Je devine qu'elle attend quelque chose de cette soirée. Je le sais.
« Tu dois être Tobias, c'est ça ?
— Tout à fait. Je suis enchanté de faire votre connaissance Madame... ?
— Oh tu peux m'appeler Éléonore. »
C'est un joli prénom au moins. Elle aussi est pas mal conservée pour son âge même si l'abus de parfum devrait définitivement être prohibé. J'ai les narines en feu.
« Donc... Nick t'a expliqué ce que j'attends ?
— J'espérais justement que vous puissiez éclairer ma chandelle.
— Tu sais, je suis une femme un peu seule, je viens souvent dans cet hôtel dîner avec des amies. Un petit peu de compagnie ne me ferait pas de mal. »
S'il suffit juste d'entretenir la conversation avec deux ou trois femmes, ça, c'est dans mes cordes.
« Dans ce cas, je suis votre homme !
— Je savais que je pouvais compter sur Nick ! D'ailleurs, ce dernier n'est-il pas présent ? »
J'ai envie de lui rire au nez et de lui dire que mon « patron » m'a abandonné pour la soirée.
« Il est... indisposé, vous m'en voyez navré si sa présence vous manque.
— Non, non ! Tu es tout aussi charmant que lui ! Je ferais avec. Je compte donc sur toi, Tobias. »
Cassez-moi un bras ou je ne sais quoi, mais sortez-moi de là, par pitié.
Éléonore m'attrape le bras et nous nous dirigeons alors vers le restaurant de l'hôtel.
« Détends-toi mon petit, je ne vais tout de même pas te manger... même si je ne suis jamais contre un petit dessert. »
Prends sur toi Tobias. Prends sur toi. Il ne s'agit que d'une soirée. Une soirée seulement.
Une fois à la table où sont réunies un petit groupe de trois dames du même âge, Éléonore fait les présentations tandis que son auditoire n'a d'yeux que pour moi.
Je me sens comme une crevette pleine de mayonnaise que l'on regarde tendrement avant de se l'engloutir.
Dis-moi Nick, est-ce ça le travail d'un escorte ?
« Et si tu allais nous chercher d'autres assiettes Tobias ? »
En plus, je dois faire le garçon de table, non, mais c'est une blague.
Partout où mon regard se perd, je vois la même chose. Des riches qui se goinfrent et qui s'en mettent plein la panse tandis que le petit monde continue de tourner sans eux. Tandis que certains ne connaîtront jamais ce genre de choses. Ce luxe-là.
« Tobias ? Tobias c'est bien toi ?! »
Une voix m'interpelle. Une voix familière me rappelant une autre vie.
Je me retourne et remarque que Carl se tient juste là, derrière moi, une assiette à la main.
« Hé mec ! Je suis content de te voir... même si je ne t'ai presque pas reconnu avec le costard. Sympa ! T'as trouvé un boulot à l'hôtel ? »
Si seulement.
« Ah...euh...Non.
— Ne me dis pas... »
Ses yeux s'arrondissent et sa voix descend d'un ton tandis qu'il s'approche de moi.
« Tu bosses pour Nick ?
— On peut dire ça... Et toi ? Qu'est-ce que tu fais là ? »
Changement de sujet. Je n'ai clairement pas envie de parler de Nick, ni même d'entendre parler de lui en fait. Ce soir, Nick n'est pas là et quelque part, même si je suis coincé, je me sens libéré d'un certain poids.
« J'avais rendez-vous avec ma mère et ses amies. Tu sais le train-train habituel.
— Ah ouais ? Vous êtes à quelle table ? »
Il se retourne et pointe la table d'Éléonore en me disant que cette dernière était... Justement sa mère.
Merde. Dans quoi ce bouffon de Nick m'a-t-il embarqué ?
« Ahaha...
— Et toi ? Ton travail de la soirée est où ? »
Au même endroit, mon gars. Au même endroit.
« Au fond de la salle là... »
Je ne peux clairement pas lui dire que sa mère s'est offert le service d'un escorte ayant l'âge de son fils.
« Bon bah... Je devrais te laisser bosser alors.
— Ouais... »
Je me sens terriblement gêné. Je suis obligé de mentir à Carl. Il a toujours été mon seul ami et là, je viens de lui mentir effrontément sans même m'en cacher.
Putain, cette histoire commence déjà à me casser les couilles. Je devrais me tirer.
Je vais me tirer. Tant pis. Je ne peux pas continuer à faire ça. C'est humiliant à souhait et je ne veux pas que Carl soit mêlé à ça.
Je pose l'assiette dans un coin de la table et me précipite en dehors de la salle. Au même moment, une main m'agrippe par la cravate et me plaque contre le mur.
« On peut savoir où tu vas ? »
Nick.
« Qu'est-ce que tu fous là ?
— J'ai posé ma question en premier. Où est-ce que tu vas Tobias ? Tu fuis la queue entre les jambes déjà ?
— Dis-moi... tu le savais ? Tu savais qu'Éléonore est la mère de Carl ?
— Je le savais, oui. Et alors ? Qu'est-ce que ça peut te foutre ?
— Tu l'as fait exprès ?
— Arrête de jouer la victime. Elle ne te demande même pas de baisser le pantalon. Y'a de quoi de mal de tenir compagnie à un petit groupe de dames ? Arrête de nous faire l'ado frustré et mal dans sa peau. Assume un peu.
— Je peux pas.
— Comment ça "tu peux pas" ?
— Je peux pas, c'est tout. On parle de la mère de Carl, putain !
— Et ? Je vois pas le rapport.
— T'imagines comment il va le vivre lui quand il va savoir ?
— C'est un bonhomme... C'est bon, on s'en torche les fesses de son avis.
— Bah pas moi, figure-toi. »
Alors que je m'apprête à me défaire de son emprise, il la ressert et va même jusqu'à m'attraper le bras et m'entraîne dans les toilettes pour hommes avant de vérifier que les cabines soient vides.
« Bon, écoute-moi bien débile de première. C'est TON job de faire ce que je te demande de faire ! C'est pas compliqué ! Tu vas là-bas, tu te sors la tête du cul, tu souris, tu rigoles, tu bouffes comme un porc et tu rentres !
— Non. Pas envie.
— Tu sais quoi ? Là tout de suite j'ai qu'une envie moi, c'est de te mettre mon poing dans la gueule.
— Bah je te retiens pas. Fais-le si ça te fait plaisir. J'aurai au moins une bonne excuse pour me tirer de là.
— Tu vois je croyais que cette aprèm, on passait un bon moment, qu'on arrivait presque à s'entendre, mais en fait... Je me suis complètement gouré sur ton compte.
— C'est plutôt à moi de dire ça ! T'as pas confiance c'est ça ? T'avais peur que je prenne mes jambes à mon cou alors t'es venu voir si j'étais sage ? Tu te pointes, tu m'agresses et tu me menaces... Tu crois quoi ? Qu'on va être potes ?
— Tu m'en veux parce que je t'ai embrassé. Tu t'es tiré comme un chaton effrayé dès que...
— Ferme juste ta putain de gueule !
— Quoi ? Alors c'est ça qui te met mal à l'aise ? T'en fais des tonnes pour rien !
— C'est vrai que c'est tellement plus facile pour toi de dire ça ! Parce que t'es un... »
Avant même que je n'eus le temps de finir ma phrase, ni même de penser au mot que j'allais dire, Nick m'attrape par le col et m'embrasse pour la seconde fois de la journée. C'était pas un petit bisou rapide, qui arrive par accident comme celui dans le bar, non. Là il était long. Je l'ai sentie. Long, pressant, chaud.
Et le pire dans tout ça ? C'est que je ne me suis pas débattu.
Pas tout de suite. Non.
Le pire dans tout ça, c'est que j'ai aimé ça.
« Petit frustré va ! »
Il s'écarte, se léchant la lèvre supérieure, tout sourire et fier de lui. J'ai envie de l'encastrer dans le mur d'en face, mais au lieu de ça, je me retrouve comme un con, les bras le long du corps.
Je suis furieux. Pas contre lui, mais contre moi-même.
« Bouge ton cul et va bosser ! Quand tu rentreras, on continuera peut-être ce que l'on a commencé. »