Je le savais. Avant même d'entrer dans ce club, avant même de croiser son regard et d'attraper son stylo, je le savais.
Je savais que j'allais me faire avoir et que tout ça n'était qu'une farce. Nick est Nick et rien ni personne ne le changera. Il parvient à ses fins par des moyens qu'il vaut mieux ignorer et tout satisfait de lui qu'il est, il s'en va en nous laissant patauger dans notre propre merdier.
Nick est Nick et on ne le changera pas.
« Laisse-moi récapituler. Je suis venu à toi à l'école et tu m'as donné l'adresse d'un club bidon, m'attirant jusque dans un coin sombre pour me faire signer un bout de papier duquel je ne lirais pas une ligne d'une parce que je n'y voyais strictement rien et de deux, parce que j'étais trop désespéré pour le faire, pour attendre. Tu as entièrement profité de la situation à ton avantage.
— Finalement, même dans l'idiotie, il peut y avoir de l'espoir. Tu résumes assez bien.
— Je devrais te coller mon poing dans ta jolie petite gueule.
— Tu devrais, c'est ce que je ferais moi à ta place, mais tu ne le feras pas. Parce que tu sais que tout ceci... C'est entièrement de ta faute. Je veux dire... Sérieusement mec ? T'aurais pu attendre, calculer les risques et réfléchir, mais non. Tu t'es précipité vers moi comme un noyé se précipite vers sa bouée.
— Sauf que tu n'es pas ma bouée. Tu es plus ce poids que j'ai à la cheville et qui m'entraîne vers le fond. Vers une mort certaine.
— Rassure-toi, je ne te tuerais pas et rien de ce que je propose ne mets ta vie en danger. C'est juste que ça ne va pas être une partie de plaisir pour toi.
— Rien dans cette relation malaise que nous avons n'est une partie de plaisir pour moi.
— À force de te faire avoir, tu apprendras de tes erreurs. »
Je suis en colère c'est vrai, mais pas contre lui.
Contre moi-même. J'ai été con. J'ai plongé tête baissée, car au moment le plus désespéré de ma vie, quand je pensais avoir absolument tout perdu, je l'ai aperçu, là, dans un coin. Si, à cet instant précis, Nick n'avait pas été dans mon champ de vision, peut-être que les choses auraient été différentes.
« Néanmoins, tu prends ça avec beaucoup plus de calme que je ne pensais ! Tu ne me demandes même pas à voir le contrat ?
— Non. »
Parce que même si je m'en veux à mort, une partie de moi semble lui faire soudainement confiance. Je ne serais pas un gigolo de la première heure et rien de ce que je ferais ne mettra ma vie en danger.
Donc tant qu'à être son toutou pour une modique somme d'argent... J'accepte.
« C'est comme ça que tu as piégé Nathan aussi ? Avec un bout de papier ?
— Nathan ? Je ne sais pas ce que tu as entendu Tobias, mais Nathan n'a jamais été piégé. Il a continué de son plein gré. Je te l'ai dit, non ? L'attrait de l'argent. Je ne vais pas m'en plaindre, il s'en sort plutôt pas mal. Un peu coincé au début, mais une fois la première nuit faite... Un vrai champion. C'est une relation gagnant-gagnant.
— Il est hors de question que je reste !
— Tu me dois cinq nuits mon coco. Donc si j'étais toi, je ne me croirais pas sortie d'affaire aussi rapidement.
— Et si je refuse ? Si je refuse d'être ton larbin ?
— Alors il y a une clause qui stipule qu'à tout moment, tu me dois le double de la somme que je te verserais plus des intérêts. Sachant tous les deux que t'es complètement à sec, je ne vois pas comment tu pourrais compenser. »
Il s'arrête au beau milieu du chemin pour se retourner vers moi et me sort alors :
« Sauf si tu comptes payer en nature... Là, c'est négociable.
— Quand j'ai dit que je ne voulais pas faire la pute, c'est valable pour toi. Si tu crois, ne serait-ce qu'un instant, que je suis attiré par ce bord là, tu te trompes. Et quand bien même je le serais, tu n'es pas du tout mon genre de type !
— Tu sais Tobias, les plus grandes choses se font dans le noir. Tu ne seras même pas obligé de me voir. Tu me sentiras passer, c'est tout. »
Rien que de l'entendre me parler ainsi me donne une nouvelle fois des frissons.
Nick me fait peur. Il semble avoir un côté sombre prononcé, prêt à sauter sur n'importe quelle occasion pour me faire je ne sais quoi, et rien que d'y penser, j'ai envie de prendre mes jambes à mon cou.
Mais étrangement, cette autre partie, celle qui croit un tant soit peu à lui, est curieuse. Curieuse de voir jusqu'où il pourrait aller. Il est connu pour être beau parleur et si ce n'est qu'un chien qui aboie sans mordre, alors je n'ai aucune raison d'être effrayé.
« Où est-ce qu'on est au juste ?
— Chez le tailleur. On vient chercher ta tenue de bal Cendrillon.
— Si je suis Cendrillon, ça fait de toi ma Marraine la bonne fée ? »
Un petit rire lui échappe.
« Si seulement. Disons que je suis plus le carrosse qui se transforme en citrouille après minuit. Tu comprendras avec le temps. Allez, entre. »
La boutique n'était pas très grande et sentait le vieux. Le renfermé. À peine avions-nous mis un pied à l'intérieur qu'un homme, d'une trentaine d'années, brun sortit d'un coin pour venir à notre rencontre.
« Oh, mais qui vois-je ! Nick ! Ça fait longtemps ! »
Il lui fait au moins quatre fois la bise si ce n'est plus avant que ce dernier, me pointe du doigt silencieusement.
« Un nouvel ami ?
— Disons ça comme ça. Tu as reçu le message de Rachel ?
— Oui bien sûr ! Je vais voir ce que je peux faire pour m'occuper de son cas.
— Merci Mario. »
Mario. Comme le plombier du jeu vidéo ?
Drôle de nom.
Mario m'attrape par le bras et m'entraîne avec lui dans ce qui semble être une cabine d'essayage, me tournant autour comme s'il m'inspectait. Il a cette même façon lubrique que Nick de regarder les gens et de les détailler ce qui me met particulièrement mal à l'aise.
« Tu n'es pas un cas désespéré, ça va ! Je pourrais certainement faire quelque chose de toi. Bon, enlève-moi cette veste ridicule et ce pantalon de rue.
— Ça s'appelle un "jean" au cas où vous seriez resté trop longtemps dans votre boutique des années 30.
— À poil, j'ai dit ! »
Oui papa.
« Tu vas me mettre ça, et puis cette veste et cette chemise iront très bien et... Ah oui n'oublie pas la cravate. »
Il me balance le tout dans les bras et referme le rideau derrière lui.
« Si tu as besoin, je suis là !
— Promis Nick si tu passes ne serait-ce que ta tête dans la cabine, je t'en mets une ! »
N'y pense même pas mon gars.
« Tu sais faire un nœud de cravate au moins ?
— Je vais me débrouiller. T'occupes !
— Je te préviens, je te laisse pas sortir si t'as la dégaine d'un pingouin.
— Je t'emmerde ! Si je veux ressembler à un pingouin ou un phoque, c'est mon souci !
— C'est moi qui te paye trou duc ! »
Ah oui. Vu comme ça...
« Bon, file-moi un coup de main alors, je m'étrangle plus qu'autre chose. »
Je sors de la cabine tandis que Mario me regarde avec de gros yeux ébahis.
« Quoi ?
— Oh mon dieu... Un costume vous fait un homme ! Splendide !
— Mouais... passable. »
Connard. T'es juste jaloux que j'aie plus de chic que toi, c'est tout. Que veux-tu ? C'est mon côté « beau gosse » qui ressort de temps en temps.
« Bon, fais-moi voir cette cravate. C'est pas compliqué pourtant. »
Je me surprends à le regarder, concentré, me faire un nœud de cravate. Je ne sais même pas pourquoi, mais sur l'instant, Nick m'a semblé... différent.
« Voilà. Tu sais je préfère enlever les vêtements des gens que les habiller.
— Merci. »
Est-ce que je ressemble à quelque chose au moins ? Je n'en sais rien. Je dois me fier aux regards qu'ils me lancent tous les deux depuis cinq minutes et c'est tout.
« Maintenant, on peut aller boire un verre !
— Attends, attends... Je ne sors pas comme ça !
— Pourquoi pas ?
— Je ressemble à...
— À mon garde du corps. Allez, amène ton petit cul. Merci Mario !
— Hâte de pouvoir retravailler pour toi ! »
Garde du corps ? Et puis quoi encore ? T'as vu la vierge pour croire qu'on allait faire une parodie de « Bodygard » ?