"Can we start it all over again this morning?
I lost all my defenses this morning
Won't you show me the way it used to be?"
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Le soleil se lève à peine sur Bloomington. L'aube éclaire de sa lueur encore timide les rues vides du centre-ville. Le Village Deli de la rue Kirkwood est quasi désert. Seuls quelques travailleurs du week-end prennent leur petit-déjeuner dans le Diner ouvert H24. Je profite du calme en sirotant un café bien installé sur une banquette, loin du bruit et de l'agitation de la soirée. Je ne peux m'empêcher de repenser à cette fille, ce que je déplore. J'aurais dû être plus dur avec elle dès le début, ça m'aurait évité de la laisser dans une situation encore plus inconfortable. J'essaie encore de déterminer pour quelle raison je me suis laissé entraîner dans cette partie. Elle a du caractère, c'est indéniable. Malgré tout, elle se mentait à elle-même, ça se voyait comme le nez au milieu de la figure.
Une ombre furtive me sort de ma rêverie, c'est juste un passant qui remonte le trottoir en mode zombie matinal mal réveillé. Je partage son état et y remédie par une gorgée de mon café bien noir. Quand soudain, on frappe à la vitre, juste à côté de moi. Je sursaute et manque avaler de travers. Je me tourne et mes yeux ont du mal à s'accoutumer au contre-jour qui camoufle le visage de la piétonne arrêtée là, jusqu'à ce qu'elle colle son nez sur la glace pour mieux m'observer à l'intérieur et à ce moment, je la reconnais.
— Pincez-moi je rêve.
C'est elle, c'est cette fille.
— Toi ! C'est toi ! l'entends-je crier alors que la vitre étouffe pourtant sa voix.
Et elle fait déjà demi-tour vers la porte d'entrée. Le restaurant semble soudain se rétrécir, je me sens pris au piège. Elle déboule dans le hall, les cheveux en bataille, la gueule enfarinée, une bretelle de sa robe pend négligemment sur son épaule et la demoiselle marche pieds nus, ses sandales à la main. Elle a repris du poil de la bête visiblement, car elle se précipite à ma table et s'invite de son propre chef en se laissant tomber sur la banquette en face de moi. Un duel de regards démarre aussitôt... de son côté. Pour ma part, je reprends du café et contemple les quelques voitures qui circulent. Elle ne dit rien, je suis plus que certain pourtant qu'elle n'apprécie pas le fait que je l'ignore. Après de longues secondes, je me résous à jeter un œil à mon invitée surprise et là... je la retrouve le nez plongé dans le menu.
— Qu'est-ce que tu veux ? dis-je pour accélérer les choses.
— Des pancakes à la myrtille et au sirop d'érable.
— Non pas ça. Qu'est-ce que tu me veux ?
— Je viens de te le dire : des pancakes !
— Quoi ?
— Écoute, tu t'es engagé à être mon lot de consolation, et pour l'instant, ton rôle ne se résume qu'aux trois premières lettres du mot. Alors si monsieur n'est pas capable de satisfaire mon appétit sexuel, tu auras au moins la décence de m'offrir le petit-déjeuner et de calmer ma faim, c'est un peu la moindre des choses, non ?
— Je ne te dois rien.
— C'est quoi ce raffut dans mon restau ? assène la voix de la vieille Parks, propriétaire du Village Deli. Qui est cette jeune fille ?
— Oui, tiens, Ash, déclare-t-elle en appuyant bien sur mon prénom. Comment je m'appelle, toi qui a pris la peine de te renseigner sur la question ?
Elle me regarde un sourire victorieux aux lèvres à l'idée de me confronter à ma goujaterie. Je passe ma langue sur mon piercing et lâche un soupir amusé, qu'elle interprète comme une acceptation de ma défaite. Désolé de te décevoir, encore.
— Miss Parks, je vous présente Sky, présentement à la recherche d'un partenaire sexuel.
J'appuie fortement sur les deux derniers mots pour que toute la clientèle entende. Je vois aussitôt la jeune fille s'enfoncer sur sa banquette, et j'aperçois le feu à ses joues juste avant qu'elle ne se cache derrière son menu.
— Pourquoi...
— Tu croyais que personne n'entendait ton amie à la soirée ?
Elle plaque le menu sur la table.
— Non, je veux dire pourquoi vous devez toujours parler aussi fort pour évoquer ce sujet !
— Celui de ton partenaire sexuel ?
—Chut !
— Bon Ash, si tu as été assez bête pour passer à côté de ce joli brin de fille, tu vas lui préparer le petit-déjeuner qu'elle te demande. Ça te changera un peu de te comporter pour une fois en gentleman ! Allez, fissa !
— Ouais, vous voulez dire que ça va lui filer de l'urticaire, murmure Sky de manière à ce que je sois le seul à l'entendre. Attends, tu bosses ici ?!
— Pourquoi crois-tu que je ne t'ai pas chassée dès ton irruption ici ?
Elle éclate de rire à s'en rouler sur la table.
— Quoi ?
— Toi, t'as dû fâcher le karma ! Non seulement tu vas m'inviter à déjeuner, mais en plus tu vas devoir me le préparer ! Si ça, ce n'est pas un rendez-vous romantique Monsieur-je-ne-veux-pas-d'engagement !
— Ce n'est pas l'engagement que je fuis, ce sont les complications et tu en es une belle, dis-je en me relevant pour partir en cuisine.
Je suis affairé derrière le bar à préparer les pancakes de mademoiselle qui s'est installée au comptoir sur un tabouret, épiant chacun de mes faits et gestes. Je suppose que de me voir avec mon tablier recouvert de graisse noué à la ceinture et mon vieux bandana sur le front pour tenir mes cheveux lui offre un tableau dont elle peut allégrement se moquer.
— Pourquoi tu travailles ici ?
— Si tu poses la question, c'est que tu n'as jamais eu à gagner de l'argent par toi-même.
— Je l'avoue. Je pensais que tu étais étudiant en fait.
— Aussi...
— C'est... admirable je trouve.
— Je suis ravi de passer du ressentiment à l'admiration à tes yeux. Tiens, voilà tes pancakes.
— T'as été radin sur les myrtilles. Mais je suppose que je pouvais m'y attendre venant de toi...
— Nous y voilà.
— Écoute Ash, j'ai bien conscience que je ne corresponds pas à ton type de conquêtes. Appelle-moi prude, romantique ou fille à papa et je n'aurais sans doute pas assez d'arguments pour te contredire. Mais je voudrais mettre les points sur les i : hier soir, je n'ai pas relevé un défi lancé par des étudiants bourrés que je connais à peine, j'étais sincère. Je ne suis peut-être pas cette fille qui peut s'oublier le temps d'une nuit, céder à l'imprévu et faire fi des conséquences, mais je voulais le devenir. Je veux être une nouvelle moi.
— Si tu veux une séance de psy, on peut se réinstaller sur les banquettes.
Elle me jette un regard sans équivoque.
— Je t'explique que même si je m'y suis mal prise, moi non plus je ne voulais pas de complications.
— Dis la fille qui me harcèle sur mon lieu de travail pour mettre les points sur les i et quelques pancakes.
Elle baisse le nez vers son assiette, consciente que je n'ai pas tort quant à son comportement contradictoire. Elle poursuit son déjeuner silencieusement, sans doute n'a-t-elle rien à ajouter à ses explications ou bien juge-t-elle qu'elles soient déplacées ? Alors que je prépare d'autres commandes, mon regard se pose régulièrement sur elle. L'étincelle qui animait son visage pendant notre joute, hier soir, a disparu. Éteinte par la fatigue ? Ou par les regrets ? Je m'approche pour récupérer son assiette vide, et alors que je ne devrais pas, je ne peux m'empêcher de lui glisser :
— Quand tu veux changer, tu devrais t'assurer que cela fait de toi une meilleure personne.
— Je ne comprends pas... Toi-même c'est ton quotidien, cette insouciance, ce détachement... Loin des problèmes.
— Présentement, il n'y a qu'un comptoir de cuisine qui me sépare de mes problèmes.
Elle grimace gentiment à ma pique, ce qui lui redonne un peu d'éclat.
— Et puis je n'ai jamais prétendu être une bonne personne. Je peux te débarrasser ?
Elle m'observe en silence, me sondant avec insistance de ses deux yeux gris. Je n'avais pas remarqué hier soir leur nuance bleutée. La vitrine derrière laquelle se dévoile un ciel azur s'assortit parfaitement à leur couleur, je trouve alors qu'elle porte bien son prénom.
— Oui, merci. C'était très bon.
Elle me tend alors la main. Un sourire franc aux lèvres. Je ne sais pas si c'est la nourriture ou la conversation, mais elle n'a jamais semblé aussi radieuse. Ni hier soir, ni dans la chambre, ni même sous l'impulsion de la colère ce matin. Elle m'offre un nouveau visage qui étrangement me détend. Je serre sa main, très protocolairement.
— Adieu, Ash.
— Adieu, Sky.
Finalement, c'est une égalité.