***pdv Nabil
J'ai mal à la tête. Genre grave. On y est pas allez avec le dos de la cuillère en même temps hier. On a commencé la défonce laaaaargement avant le concert. Et fini bien après. Ca pèse. 27 ans, je suis plus le même. Dire qu'à 20 ans j'étais frais comme un gardon matin midi et soir, toujours une gaule d'enfer, même avec trois résoi et 10 grammes de C dans les pattes. J'ouvre les yeux. OK c'est pas mon appart ça. C'est beaucoup trop girly. Il y a des meubles, des guirlandes lumineuses, une housse de couette à fleurs. Chaud. J'aime bien la zouz mais elle est tendue quand même.
Elle s'appelle Colette. Allez savoir pourquoi j'ai craqué en Thaïlande. Elle allait partir et j'ai senti comme une pointe de regret. Alors je lui ai donné rendez-vous à notre concert au Show Case. J'ai jamais fait un truc aussi naze de toute ma vie, courir après quelqu'un dans un aéroport. Pourtant, tout se passait bien jusqu'à là. J'étais tombé sur la seule meuf française assez perchée pour ne pas connaître PNL. Et assez chelou pour ne pas poser de questions perso. Je suis sûr qu'au fond elle m'a pris pour un dealer pendant toutes les vacances et que ça a dû la faire mouiller grave de s'encanailler avec un bad boy. Si elle savait. Bref, j'ai niqué à l'œil pendant deux semaines, sans les inconvénients de la vie dans les tours, où tout le monde est au courant de tout, tout de suite, des vraies commères. Un onze contre un ragot, ils vendraient reup et reum pour savoir qui se tape la voisine du 6ème. Là-bas, tout ce qui se passe à la Full Moon reste à la Full Moon. Je pouvais me taper une bourgeoise sans me faire juger par l'intégralité du tiéquar. Mais j'ai craqué. Avec ses maladresses d'handicapé et sa manière de parler, tellement cucul. Et Ashour, ce connard de fleur bleue qui me répétait sans cesse qu'elle était « spéciale ». Tellement dép celui-là. Pourtant j'ai vu d'autres tepu à mon retour aux Tarterêts, mais je pensais sans arrêt à elle. Elle m'a trotté dans la tête, elle et ses petits seins et ses petits hauts à fleurs de bourgeoise. J'ai presque eu envie qu'elle ne vienne pas au Show Case à un moment, ça aurait été beaucoup plus simple. Finalement, j'étais content de la voir débarquer, même si elle m'a tapé un caprice de dessous les fagots à la seconde où elle m'a vu. Je veux dire, j'étais vraiment content de la voir, comme ça m'était pas arrivé depuis longtemps.
Et voilà que je fais quelque chose que je ne fais JAMAIS d'habitude. Je dors chez elle. Genre, même lit, même pièce, toute la nuit. Mon portable indique 11heures. Merde. Elle est pas dans le lit. Je me redresse, enfile mon caleçon et sors de la pièce. Un petit salon aussi chichiteux que la chambre, ambiance New Girl un peu, cette série de merde qu'Ashour m'a forcé à regarder un jour. Quel PD.
- Ya du café chaud si tu veux, me dit Colette affalée sur le canapé, l'air aussi fraîche que moi, en train de mater la Maison France 5.
Du café. Et pourquoi pas des croissants. Complètement psycho.
- Et je suis descendu à la boulange aussi.
Oh merde. Elle se prend pour ma daronne ou quoi ? Elle porte un vieux jogg dégueu et un tee shirt trop large. Zéro effort.
- T'es descendu comme ça ?
Elle me jette un regard furax.
- Alors toi t'as le droit de te balader en jogg dans tous tes clips mais moi c'est trop pour descendre au coin de ma rue ?
Je capitule, pas envie de répondre.
- Je vais y aller, dis-je.
De nouveau un regard furibond.
- Tu tires ton coup et tu te casses ?
Pas envie de répondre. Je ramasse mon tee-shirt qui traine sur le dossier du canapé.
- T'attends même pas ton frère ?
J'ai un flash où je revois sa grosse colloc pendu au bras de Tarek et s'enfermer en gloussant dans sa chambre. C'est quoi son nom déjà ? Fleur ? Margueritte ? Elles ont toutes les deux des prénoms de ieuv. Stéphane Thébaud continue de seriner que le taupe et le gris sont les couleurs de la saison à la téloche. C'est ce PD d'Ashour qui est fan de l'émission. On la regarde quasi tous les samedis matin. OK. J'attrape un croissant et me glisse contre le jogg en pilou pilou de Colette. Finalement ca va pas être si terrible.
La colloc débarque quelques minutes plus tard alors que j'étais en train de tater le terrain pour tirer un petit coup matinal. Elle est en culotte rose et sans soutif. Pas pudique la zoulette. Elle s'effondre sur Colette en soupirant. Ok, fais comme si j'étais pas là. Tranquille.
- Ooooh je suis éclatée...
- Il dort encore Tarek ?
- Avec ce que je lui ai mis
Je rêve ou elle parle de mon frangin là ?
- Avec tout le respect que je lui dois, hein Nabil, mais on a ken toute la nuit comme des gros sales.
Et Colette qui se marre. Je grogne et répond pas. Elles me font chier là. Tarek débarque une heure plus tard, Petit Renaud est en train de gouter des trucs pas hallal pour deux sous, sous l'œil affable d'un chef sudiste. C'est trop. Non seulement elles ont pris le monopole de la télécommande mais en plus elles sont bien trop occupées à discuter entre elles pour me prêter attention. Tarek sort enfin de la chambre, caleçon et lunette de soleil.
- Yo frère, grogne-t-il en me posant une main sur l'épaule.
- Yo.
Il a pas l'air au top. Il s'effondre aux côtés de la coloc qui pousse un petit cri de satisfaction. Putain je l'aime pas elle. Heureusement on va pouvoir triquard maintenant qu'il est réveillé.
- Tu me fais chauffer un café avec beaucoup de sucre ma petite Rose ?
Je rêve. Putain je rêve...
*pdv Colette
Qui eut cru que la journée se passerait aussi bien ? Qui eut cru qu'un jour, nous, simples provinciales, accueillerions deux pointures du rap français sur notre canapé (et préalablement dans nos lits) et qu'on materait la téloche tout l'aprèm, tous ensemble ? Nabil n'est pas particulièrement réveillé je pense. Il n'est pas loquace (je veux dire, encore moins que d'habitude) et semble ronchon. Par contre, une autre paire de manche pour Tarek. C'est la toute toute première fois que je le vois aussi heureux. Littéralement métamorphosé le type. Il a passé deux semaines à me faire la gueule en Thaïlande, à me toiser du regard en ne daignant pas m'adresser un mot, même pour me demander le redbull, et voilà que soudainement, il se transforme en gai luron. Grand sourire, prévenant au possible... je suis limite jalouse de Rose. Parce que décidemment Nabil grogne. Contre moi. Et je n'aime pas ça. Déjà, ce matin, il a voulu se trisser au saut du lit comme un salop, et maintenant il ne fait même pas l'effort d'être agréable.
On en était là, quand soudain, se passe la chose la plus surprenante du monde qui me fait totalement oublier la ronchonnade de Nabil. Je vous ai parlé de ce garçon, celui qui m'a brisé le cœur. Celui qui après m'avoir fait miroiter monts et merveilles, m'a dégagé comme Jean Pierre Pernaut du JT de France 2.
Donc, mon téléphone sonne. J'ai beau avoir effacé son numéro depuis des lustres pour ne pas (plus) avoir à regretter les texto de fins de soirées arrosées, je le connais par cœur. Mon estomac atteint des profondeurs insoupçonnées. Pourquoi est-ce qu'il m'appelle ? Je reste figée. Je fixe l'écran de mon portable. Qu'est qu'il me veut. QU'EST-CE QU'IL ME VEUT ?? grosse panique, le battant à 5000. Je jette un regard à Rose ;
- C'est Louis.
Elle hausse le sourcil. Nabil me fixe.
- Ben répond, dit-il, un peu agressif.
Trop tard. Appel manqué. Tarik, loin du drame intérieur qui se joue en moi, éclate de rire à une gaffe du grand bêtisier de D8. Et Louis rappelle. Je me rue sur mon téléphone et quitte la pièce en trombe. J'ai les mains qui tremble et je me cogne au chambranle de la porte de ma chambre.
- Allo ?
- Salut Colette !
Sa voix. La dernière fois que je l'ai entendu, c'était pour dire qu'il me quittait. « Je te quitte » m'avait-il dit. Et il avait tourné les talons. C'était devant notre fac, juste après nos partiels de fin d'année.
- Comment tu vas ?
Impossible de répondre. Les sons ne sortent plus de ma bouche. Ce jour-là, il faisait beau et chaud. Le lendemain, je prenais mes billets pour la Thaïlande.
- Colette ? Tu m'entends ?
- Oui oui...
- Je venais aux nouvelles.
- Ben... ca va...
- Ca te dirait qu'on aille prendre un verre un de ces jours ?
Oh, comme il y va.
- Je... Oui, enfin, oui je...
- Super, ce soir, à 19h au café Flore?
- Oui je...
- A tout à l'heure !
Et il raccroche. Je me laisse tomber sur mon lit. Je n'en reviens pas, Louis m'a appelé. Comment je vais m'habiller ? j'ai la gueule de bois et rien à me mettre. Je suis moche et fatiguée. Je crois que je vais pleurer. Nabil entre dans la chambre. Il n'a pas l'air jouasse.
- Alors, il va bien Louis ? demande-t-il, un peu narquois.
- Je sais pas...
Je réalise que je n'ai pas demandé.
- Ok, amuse-toi bien en tout cas, salut.
- Tu t'en vas ?
- T'as pas besoin de moi non ?
Avant que je n'aie pu répondre, il sort de la chambre. Il attrape son blouson et se dirige vers la porte.
- Tu viens Tarek ?
- Oui j'arrive.
Merde, il va se barrer comme ça... Je n'ai toujours pas de numéro de téléphone ni rien.
- Attends, continue le frangin, j'ai un truc ... euh, Rose j'ai pas oublié un truc dans ta chambre ?
Je rêve où Tarek a rougi ? je rêve où il est genre... penaud ?
- Quoi ? demande Rose, en train de zapper sur un documentaire animalier.
- J'ai euh... j'crois que j'ai oublié un truc dans... dans ta chambre quoi, répète Tarik, de plus en plus gêné.
- Ben va voir, je sais pas moi.
- Putain, mais viens avec moi, me fous pas l'archouma comme ça.
Ca la fait enfin réagir. Elle lève un regard surpris vers Tarik et obtempère. Il ferme soigneusement la porte derrière eux. Silence polaire dans le salon, Nabil allume une clope en regardant un phoque tenter d'échapper à une orque affamée.
- Tu crois qu'ils vont ken ? demandé-je pour briser la glace.
- Ben non.
OK, pas de second degré.
- Tu sais, Louis...
- Je m'en bats lék de ce bâtard.
- Oui, ben sache que c'est rien du tout.
- Bats lék j'te dis, j'en ai péta d'autres des zouzs aussi, depuis mon retour.
- Ah...
Je sais ce à quoi je m'attendais. A ce moment-là, Tarek sort de la chambre, il a le sourire aux lèvres. Je ne parle pas de Rose. Et moi j'ai le cœur en mille morceaux. Nabil s'en va, sans un regard.