Rescue Me

By fripamure

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Il parait qu'un jour, on s'en remet. Qu'on recommence à rire, à respirer comme si on n'avait jamais enduré la... More

Prologue
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12

Chapitre 5

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By fripamure

Brysen Caseneuve

J'ai essuyé le bar d'un coup de chiffon et me suis accoudée face à Beau. Il m'a souri et a pris ma main dans la sienne. Le bar était calme en journée mais Barry avait eu des choses à régler en ville et il avait donc laissé le bar sous ma surveillance et celle de Nash, son barman. Travailler m'avait permis de faire abstraction de la mort de Destinée et d'avancer. Un pas après l'autre. De panser chaque blessure une par une et de respirer un peu mieux. Mes crises d'angoisse avaient diminué de fréquence depuis que j'allais voir la psychiatre de la ville. Je parvenais désormais à canaliser ma douleur et ma détresse en pensant à ma mère ou à Beau. Ce dernier habitait toujours chez moi et nous avions réussi à trouver un équilibre. Précaire soit, mais un équilibre quand même. Cependant, plus le temps passait et plus Beau se faisait fuyant. Le soleil de juillet illuminait le ciel et pourtant les rires et les sourires de l'été restaient planqués. Toute la ville faisait son deuil. Tout le monde pleurait Destinée Stanford. Les cours avaient cessé à l'université et quelques élèves venaient de rentrer au bercail. Quelques vacanciers un peu perdus échouaient ici avant de repartir en voyant la mort hanter les lieux. Dans une quinzaine de jours, les cours seraient finis pour tout le monde et la ville grouillerait de touristes. C'était pour cette raison que le père de Beau avait insisté pour faire la fête d'hommage de Destinée la semaine suivante. Son deuil n'appartenait qu'à nous et les touristes devaient être accueillis par des gens joyeux et non malheureux comme des pierres.

-Ca va ? M'a demandé Beau en lâchant ma main.

J'ai hoché la tête avant de m'emparer de son verre vide et de me retourner. J'ai ouvert le robinet et rincé son verre avant de me figer quand des doigts ont frôlé mon omoplate. Je savais que c'était les siens et pourtant un malaise m'a saisi. J'ai secoué les épaules pour m'extraire de sa caresse et j'ai pivoté. Beau m'a fixé d'un œil hagard. J'ai croisé ses yeux et ai souri à l'homme qui venait d'entrer dans le bar. Je me suis décalée pour prendre la commande du nouvel arrivant en tentant d'oublier ce que me procurait les mains de Beau sur moi. Chaque soir, depuis une semaine maintenant, Beau embrassait mon tatouage avant de fermer les yeux et de s'endormir blotti contre moi. J'avais cru que c'était passager. Que nous nous raccrochions tous les deux à quelque chose. Moi à lui, lui à moi. Moi à ses bras, lui à mon tatouage. Puis, ses caresses s'étaient faites tendres et personnelles et je m'étais surprise à les attendre, à les désirer et à les aimer. Je nous avais entendu nous répandre en soupirs et tremblements, en fuite et en pleurs. Mais nous n'en avions pas parlé. Comme si taire ce qui se passait dans la nuit ne lui donner aucune raison d'exister. Comme si rien n'avait changé alors que tout avait changé. J'avais observé son visage se calmer à ma vue et j'avais senti mon cœur le chérir un peu plus, jour après jour et j'avais alors fui ce sentiment que je ne pouvais pas éprouver. Nous étions chamboulés, faibles, c'est ce qui nous faisait ressentir un désarroi pareil et un besoin d'être avec l'autre.

-Qu'est-ce que je vous sers ? Me suis-je entendu débiter alors que mes pensées vagabondaient.

L'homme s'est appuyé nonchalamment sur le bar et j'ai détaillé son menton carré, ses joues mal rasées, ses lèvres pleines et ses yeux émeraudes. Il a haussé un sourcil devant mon observation et j'ai suivi des yeux ses doigts passer dans ses cheveux avant de le regarder dans les yeux.

-Qu'est-ce que tu as à me proposer ? A-t-il demandé d'une voix de velours en prenant un air décontracté.

J'en ai presque rigolé intérieurement. Qu'il ne se fatigue pas. Je ne ressentais plus rien depuis un mois et demi. C'était comme si mon cœur s'était arrêté de battre pour ce genre de choses depuis que ma meilleure amie était morte. Ou peut-être estimais-je que je ne méritais pas d'aimer sans elle ? J'ai tourné la tête et croisé le regard ombrageux de Beau. Et mon cœur a tambouriné comme un fou dans ma cage thoracique. J'ai posé mes mains sur ma poitrine comme pour retenir mon organe de se sauver à toutes jambes. J'ai inspiré et frémi. J'ai reculé et me suis cogné au meuble derrière moi. Depuis combien de temps me cachais-je ainsi la vérité ? Mon cœur ne s'était pas éteint quand Destinée était morte. Il battait tout simplement pour une personne bien précise. Et il refusait de se sentir attirer par une autre personne que celle qu'il avait choisi. Je ne savais pas vraiment quand est-ce que c'était arriver mais c'était arriver et il avait fallu que je me retrouve face à un garçon mignon tout à fait mon genre pour comprendre que j'avais donné mon cœur à mon meilleur ami sans même m'en rendre compte. Pourtant, au fond de moi, je ne ressentais pas mon corps s'enflammer ou chaque parcelle de mon corps criait son nom. Je ne l'aimais pas comme une dingue. Je faisais un transfert et je le savais. Comme je l'avais fait au départ de mon père. Et Beau en était toujours la cible. Sauf que cette fois-ci, c'était plus fort. Plus indispensable et plus mordant. J'ai freiné des quatre fers dans ma réflexion. Je ne pouvais pas tomber amoureuse de mon meilleur ami. Je ne pouvais pas faire ça à Destinée. Je ne pouvais pas nous faire ça. Je n'en avais pas le droit. J'ai fermé les yeux et ai emprisonné ces pensées honteuses au fond de mon esprit quand la voix de l'homme m'a fait sursauté.

-Alors ?

J'ai ouvert les yeux et fixé Beau. Mon cœur a battu un instant des ailes puis est retombé inerte. Je me suis tourné vers le nouvel arrivant.

-Tout est derrière moi...

Je me suis accoudée au bar.

-A moins que vous ne cherchiez autre chose... Ai-je murmuré en baissant la voix.

Un tabouret a crissé et j'ai compris que Beau sortait. Il avait compris ce que je m'apprêtais à faire et il n'était pas d'accord. Cependant, il respectait mon choix.

-Guide-moi ma belle. A soufflé l'homme.

J'ai posé mon torchon et suis sortie de derrière le bar. J'ai suivi le couloir et ai poussé la porte du débarras. Une minute plus tard, deux mains m'empoignaient les épaules, me retournaient. La bouche de l'étranger s'est écrasée sur la mienne et j'ai attrapé la boucle de la ceinture de cet homme que je ne recroiserais jamais. Mon corps était en manque. D'attention, d'amour... Et si je l'avais écouté, j'aurai foncé dans les bras rassurants et réconfortants de Beau et je voulais l'éviter à tout prix. Les doigts de l'inconnu ont serré mes hanches et les larmes me sont montées aux yeux. Je me haïssais pour ce que j'étais en train de commettre. Mais c'était plus fort que moi. J'avais besoin de me sentir sale, brisée, souillée, abîmée... J'étais coupable. Et aujourd'hui, j'étais doublement coupable. J'étais une traitresse, une voleuse et je méritais d'être profanée comme une malpropre dans ce débarras. Les larmes ruisselaient comme des millions de morceaux de moi qui se désagrégeaient à chaque fois que je commettais l'irréparable. Je n'aimais pas cet inconnu. Il ne m'aimait pas non plus. Tout ce qu'il voulait c'était mon corps et je lui offrais comme si cela n'avait pas d'importance. J'ai fermé les yeux et ai laissé la douleur, la souffrance et la tristesse m'envahir. La culpabilité s'est invitée au spectacle et je me suis recroquevillée sur moi-même. Coupable. J'étais coupable.

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J'ai poussé la porte d'entrée et ai rejoint ma mère au salon. Comme tous les soirs, elle m'attendait. Assise dans son fauteuil, une tasse de thé à la camomille dans une main et une autre prête pour moi sur la table basse, la télévision allumée, elle m'attendait. Je me suis laissée tomber sur le canapé et ai pris ma tasse.

-Dure journée ? A-t-elle demandé.

J'ai hoché la tête et ai fixé d'un air absent la télévision. Ma mère s'est levée et ai venu s'asseoir près de moi.

-Tu sais que je serai toujours là, pas vrai ? Tu peux tout me dire, mon amour...

Je me suis blottie contre elle et ai laissé sa chaleur m'envahir.

-Beau n'est pas rentré, Bry.

Je me suis redressée.

-Quoi ?

-Il m'a dit qu'il avait besoin d'un peu de temps pour faire le point. A-t-elle répondu.

J'ai bondi sur mes pieds.

-Où tu vas ? A-t-elle demandé en sachant pertinemment la réponse.

Je me suis retournée, étonnée qu'elle pose la question.

-Le chercher !

Ma mère a souri et a hoché la tête.

-Prenez soin de l'un et l'autre, mes chéris... A-t-elle chuchoté doucement alors que je quittai à grand pas la pièce.

J'ai bondi en bas de mon porche et ai démarré la voiture de ma mère. Et j'ai roulé. La nuit était oppressante pour certains mais pour moi, elle était un refuge. Le noir est reposant. Il fait tomber les masques, réveille la peur, garde tes secrets... J'ai arrêté la voiture près de celle de Beau et ai ouvert ma portière. Je l'ai entendu soupirer avant de le voir.

-Rappelle-moi de jamais venir ici pour te fuir.

J'ai plissé les yeux.

-Tu ne peux pas te cacher de moi Beau St Gray...

Il s'est redressé et ses yeux ont croisé les miens. Je suis grimpée sur son capot et il m'a tiré près de lui sur le toit de sa voiture. Je me suis assise à ses côtés et j'ai observé les lumières de la ville.

-C'est si beau... Ai-je soufflé.

-C'est toi qui est belle.

Je me suis tournée vers lui et j'ai retenu mes pleurs.

-Non.

Sa main a serré une des miennes.

-Non. Je suis laide... Salie, abîmée...

Un silence pesant a retenti et il m'a fait pivoter vers lui.

-Pourquoi tu fais ça, Brysen ?

J'ai baissé les yeux car je savais qu'il avait compris ce que j'essayais de faire. Ses doigts ont frôlé ma mâchoire et ses genoux ont cogné les miens.

-Tu es belle. Tellement belle. Tu as ce petit sourire quand tu es fière de toi... Tes yeux pétillent quand tu as fait une super blague. Tes lèvres esquissent la plus belle des moues quand tu crois que personne ne te regarde... Et tu es magnifique. Un point c'est tout. A-t-il répliqué.

Je savais que je pleurais mais je m'en fichais. J'en avais besoin. Beau m'a soulevé et m'a fait s'asseoir sur ses genoux. J'ai enroulé mes jambes autour de lui et il m'a serré dans ses bras. Rassurant. Réconfortant.

-J'ai une bien meilleure idée si tu veux ne jamais oublier la douleur, la souffrance, la tristesse... et un jour la renaissance...

Je me suis éloigné et ai croisé les yeux sombres de Beau.

-De quoi tu parles ? Ai-je soufflé.

Je l'ai vu frémir en sentant mon souffle contre son visage. Il a farfouillé et a posé entre mes mains un bout de papier. J'ai froncé les sourcils.

-Un dessin ?

J'ai relevé les yeux vers lui. Il me regardait amusé et je l'ai cogné dans l'épaule.

-Explique-moi au lieu de te marrer ! Ai-je lancé, mi-triste, mi-amusée.

Beau a inspiré.

-Quand tu te sentiras faible, anéanti, coupable, honteuse... Je veux que tu complètes ce dessin. Et un jour, tu seras prête à le porter...

J'ai fixé le peu qui était dessiné et j'ai retenu mon souffle. Une fleur fanée se flétrissait sur elle-même. Des pétales étaient tombées mais certaines prenaient le vent et flottaient sans vraiment savoir où aller. Puis, au fur et à mesure qu'elles s'éloignaient, elles paraissaient de plus en plus belles. J'ai relevé les yeux vers Beau et ai embrassé son front, puis sa joue, puis tout ce que je pouvais atteindre car mon cœur recommençait à faire des siennes. Ce que je ressentais était trop fort. Je n'arriverai jamais à cesser de le ressentir. J'aimais Beau. J'aimais tellement cet homme que j'en avais mal. Ses mains ont emprisonné mes joues et j'ai tenté de calmer mon souffle trop rapide. J'ai senti ses lèvres flirtaient avec les miennes, nos peaux se frôlaient puis s'éloignaient et même si nous n'aurions pas dû, je crois qu'on aurait aimé avoir le droit d'aller plus loin. On en mourrait d'envie. Mais sa main a glissé sur mon épaule et ses doigts ont caressé mon tatouage et on a ouvert les yeux. Destinée. Un rempart. Insurmontable. Une montagne escarpée. Infranchissable. Et notre amour pour elle. Invincible.

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Je fixai mon mur comme si celui-ci allait me donner des réponses. Je n'osais plus dormir tellement mon subconscient était noir. Après la vision à répétition de la mort de ma meilleure amie, des images de trahison m'avaient envahi. C'était violent et je sombrais. Un peu plus chaque jour, je m'éloignais de la surface. Après être remonté, je sombrais à nouveau. Mon cœur me trahissait, révélait ce que je désirais le plus depuis toujours et je n'étais pas prête à l'assumer. Je n'avais jamais été prête. J'étais seule. La solitude avait toujours fait partie de moi. Cela avait commencé avec mon père et son abandon. La sensation de ne pas être assez bien pour qu'il reste. Puis, la rancœur de Destinée il y a quelques années avant son rejet complet lors de son suicide. Et Beau qui fuyait un peu plus chaque jour... Etais-je si abîmée ? Etais-je si cabossée ? Le lit a grincé et j'ai sursauté.

-Bry ? Tu es gelée !

J'ai frissonné en sentant ses mains sur moi. J'aurais dû le rejeter il y a longtemps. Mais j'étais trop égoïste. Tout le monde autour de moi s'en allait, mourrait... et pourtant je m'accrochais de toutes mes forces à lui. Je ne savais plus où j'en étais. Je ne savais plus rien. Avant mon avenir était tout tracé et j'avais remonté la pente de l'abandon de mon père, mais ça... Je savais que je ne m'en remettrai pas. Quelque chose avait cassé au fond de moi et je partais en vrille... Et ma mère l'avait senti. Et Beau aussi. J'avais vu ses yeux changer. De remplis d'amitié et de confiance, ils étaient devenus sombres. Hantés par mon fantôme passé. Ils étaient devenus obscurs, remplis d'inquiétude et de soutien. Remplis de peur.

-Bry ?

Il m'a délicatement retourné vers lui et j'ai vu ses larmes.

-Beau ! Pourquoi... Ne pleure pas ! Me suis-je écriée.

J'ai pris son visage en coupe et mon cœur a raté un battement. Beau m'a sondé à travers ses yeux humides et j'ai senti la tristesse m'envahir.

-Ne te perds pas, Bry. Ne commets pas la même erreur... Je t'en prie. A-t-il soufflé.

J'ai repris mon souffle et j'ai tenté de me raccrocher à quelque chose. N'importe quoi. Et comme d'habitude, c'est lui qui m'est apparu. Beau.

-Parle-moi.

J'ai entendu son murmure et j'ai agrippé ses bras.

-Pourquoi tout le monde me fuit, Beau ? Je devrais être malheureuse et me remémorer les bons moments que j'ai passé avec Destinée et pourtant... Seule la solitude me fait face.

Je l'ai entendu soupirer.

-Personne ne te fuit Bry. Moi, je ne te fuis pas... Et ce que tu ressens en ce moment, c'est bien de la tristesse mais... le départ de Destinée te rappelle celui de ton père... et tu en as tellement souffert... Tu as le droit de souffrir Bry. Tu ne peux pas être forte pour tout le monde. Tu as le droit de pleurer, de t'effondrer, de souffrir... Personne ne t'en voudra tu sais ?

Ses mots ont éteint un instant la douleur mais celle-ci est revenue au galop, m'écrasant de tout son poids.

-Bry ?

J'ai ouvert les yeux dans l'obscurité et j'ai croisé ses yeux. Ma bouche s'est ouverte en une question muette quand ses doigts ont frôlé mes lèvres.

-Je t'aime.

Beau a laissé les mots flotter dans l'air et j'ai suffoqué. Il ne pouvait pas. Il n'avait pas le droit. On n'avait pas le droit. Je n'avais pas le droit. J'ai bondi hors du lit et me suis précipitée hors de la pièce. Le lit a grincé derrière moi et Beau a crié mon nom. J'ai dévalé les escaliers, tentant de voir où j'allais à travers ma vision trouble. Je n'avais pas le droit d'oublier Destinée, de faire comme si la vie continuer. J'avais cru en être capable mais c'était au-dessus de mes forces. Je ne pouvais pas aimer Beau. Il ne pouvait pas m'aimer. Je n'avais pas le droit d'être heureuse si Destinée n'était pas avec moi. Je n'avais pas le droit. Une main s'est refermée sur mon bras et j'ai hurlé.

-Lâche-moi ! On n'a pas le droit ! Elle est morte ! Comment peut-on continuer à avancer ? Elle est morte !

-Bry ! Calme-toi...

J'ai à peine senti mon dos cogner contre la porte. Beau a arrêté de marcher et j'ai enfoui mon visage dans mes mains. De gros sanglots m'ont échappé. Un raz de marée m'a envahi. Je n'étais pas de taille.

-Brysen, s'il te...

-Tais-toi ! Ai-je crié en glissant au sol comme une poupée de chiffon.

-Brysen ! Ma chérie ! Mon bébé ! A crié ma mère en arrivant dans la pièce.

Elle s'est jetée au sol et m'a serré contre elle en me berçant.

-Ca va aller mon amour, ça va aller... Respire mon ange, respire...

J'ai enfoui mon visage dans le cou de ma mère et j'ai pleuré. Encore et encore. Et j'ai touché le fond.

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Beau était parti. Le lendemain de ma crise, Beau avait disparu. Ma mère avait pris rendez-vous avec la psychiatre de la ville encore plus souvent que prévu. Tout le monde avait cru que j'allais bien et pourtant, je n'allai pas bien. La psychiatre avait dit que c'était normal. J'étais en deuil et ma phase de déni avait laissé la place à celle de la colère, de l'impuissance, de la culpabilité et mes excès de panique, de larmes et de douleur étaient normaux. Et pourtant, quand ma mère avait expliqué ma crise à ma psychiatre, j'avais vu l'inquiétude passer sur les traits de cette femme. J'avais tenté de joindre mon meilleur ami. Encore et encore. En vain. Beau était injoignable. J'avais cru entendre ma mère chuchoter au téléphone avec lui hier soir mais je n'étais plus sûre de rien.

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Je rangeai les verres dans le placard réservé à cet effet quand la porte de l'entrée du bar tinta. Je me retournai, espérant voir les beaux yeux de Beau. Mais ceux que je croisais étaient rieurs et plein de jugement. L'inconnu de la dernière fois. Le gars du débarras. J'ai piqué un fard, honteuse.

-Qu'est-ce que tu me proposes aujourd'hui ? A-t-il soufflé en s'appuyant sur le bois.

-Lisez la carte et dites-moi. Ai-je répliqué.

-Oh... La gentille minette s'est transformée en tigresse. Hilarant !

J'ai relevé le menton et l'ai fusillé du regard. Je me suis détournée mais sa main a saisi mon poignet. Je me suis dégagée et lui ai montré la sortie du doigt.

-Sortez ! Maintenant !

L'homme a ricané et a levé les mains.

-On se calme louloute, je voulais juste...

-Sors d'ici, sale connard ! A tonné sa voix.

Tout mon corps a frissonné en le voyant. Son t-shirt était de travers, son jean rapiécé et ses rangers défoncées et pourtant il était si mignon. Mon cœur a raté un battement et j'ai senti mes poils se hérissaient. Beau a attrapé l'inconnu par sa veste et l'a poussé vers la sortie.

-Magne-toi ! A-t-il grogné.

Je me suis empressée de contourner le bar pour venir m'agripper à mon meilleur ami. Beau a baissé les yeux vers moi et ils sont passés de la colère à la tristesse et la tendresse.

-Ne m'abandonne plus jamais, Beau. Je suis tellement désolée... Ai-je murmuré.

Ses mains se sont refermées sur mes reins et j'ai fermé les yeux.

-Bry...

J'ai rouvert mes paupières.

-Quoi ?

-Ce qui s'est passé il y a deux jours... Je le pensais.

J'ai senti tout son être s'éloigner.

-Je t'aime aussi Beau. Tu es mon meilleur ami et tu ne me laisses jamais tomber... Je t'aime pour ça.

Mon meilleur ami a reculé puis m'a de nouveau serré contre lui.

-Ouais... Je t'aime Bry. A un point que tu ne peux pas imaginer...

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QUELQUES JOURS PLUS TARD

J'observai les gens entrer dans la salle. Tout le monde embrassait tout le monde. Tout le monde répétait désolé mais n'en pensait pas un mot. Cela me donnait envie de vomir. Madison n'avait pas voulu venir. Elle m'avait dit avoir des problèmes avec ses parents et je crois qu'elle était encore dans le déni, persuadée que sa sœur allait réapparaitre. J'ai essuyé mes mains moites sur ma robe rouge avant que d'autres saisissent les miennes.

-Ca va, chérie ?

Ma mère a remis derrière mon oreille une mèche de cheveux et a souri. J'en ai esquissé un moi aussi mais cela l'a fait grimacé alors il ne devait pas être si bien réussi...

-J'irai mieux quand cette mascarade aura pris fin.

-Beau te cherche des yeux depuis tout à l'heure. Sa mère ne le lâche pas. Je crois qu'il attend que tu viennes le sauver...

J'ai hoché la tête et ai embrassé ma mère.

-Ca va aller maman. Promis...

Je l'ai entendu soupirer lorsque je suis entrée dans la salle principale de la cérémonie. J'ai tout de suite repéré Beau. Il discutait par de grands gestes avec sa mère, près du buffet. Je me suis glissée entre les invités et soudain, je me suis figée. Ma peau s'est enflammée et j'ai senti le poids de son regard. Beau ne se détachait pas de moi. Et j'aimais ça. Tellement que cela en était malsain. J'ai mordu ma lèvre inférieure et ses yeux se sont agrandis. J'ai suivi des yeux son corps moulé dans un costume trois pièces. Ses muscles ressortaient et ses yeux semblaient plus sombres. J'ai épousseté une poussière imaginaire et me suis placée près de lui. Il a enroulé un bras autour de ma taille et je me suis appuyée contre lui. Sa mère a cessé de parler et m'a fixé méchamment.

-Brysen. M'a-t-elle salué.

-Madame St Gray, ravie de vous voir ce soir.

Elle a esquissé une sorte de grimace en fixant la main de son fils sur ma hanche. J'ai souri en glissant mes doigts entre les siens.

-Je suis navrée pour toute cette souffrance. A ajouté la mère de mon meilleur ami.

-Merci beaucoup. Et d'autant plus merci à vous que d'organiser cet hommage...

La mère de Beau s'est crispée.

-Destinée comptait beaucoup pour Beau, c'est la moindre des choses.

-Evidement. Ai-je conclu.

Madame St Gray m'a dévisagé et a enfin fais un geste vers la salle.

-J'ai du monde à voir, bonne soirée les enfants.

-Bonne soirée, madame.

-Ouais, c'est ça, bonne soirée maman...

Elle s'est éloignée d'une démarche distinguée et digne des marches royales les plus caricaturées qui existaient. Beau m'a tourné vers lui.

-Salut belle inconnue... A-t-il soufflé.

-Salut beau brun ténébreux...

Beau a souri d'un air taquin et m'a fait tourner sur moi-même.

-Cette soirée va être un calvaire... A-t-il soupiré.

-Pas si on s'éclipse en douce comme on en a le secret... Ai-je rigolé en retournant dans ses bras après mon tour de danse.

Beau m'a souri d'un air tendre avant de me faire pivoter vers un nouvel arrivant.

-Gerald. La saluait Beau.

Le père de Destinée n'était que l'ombre de lui-même. Son teint grisâtre faisait peur et ses yeux injectés de sang témoignaient d'une insomnie. J'ai ouvert les bras et le père en deuil m'a serré contre lui.

-Bonsoir les enfants. Comment allez-vous ? A-t-il demandé.

Je me suis reculée et ai souri comme je pouvais à celui qui avait remplacé mon père après le départ de ce dernier. Beau a passé un bras sur mes épaules et a demandé à son tour des nouvelles des Stanford. Gerald a baissé les yeux et c'est avec son regard rempli de larmes qu'il nous a couvé du regard en répondant que plus rien n'allait et que ses filles lui manquaient. Je l'ai de nouveau serré contre moi, incapable d'articuler un mot face à la détresse de cet homme que j'aimais et respectais tant. Ma mère nous a rejoint et a pris le relais pour consoler Gerald et c'est donc apaisée et sûre que ma mère lui ferait du bien que je me suis faufilée avec Beau sur la terrasse extérieure. Il m'a tendu un verre volé au bar et je l'ai vidé en une fois. On s'est regardé et Beau est reparti chercher une bouteille. On a siroté seuls pendant une bonne heure, tentant de nous remémorer nos meilleurs souvenirs. Ce n'est que lorsqu'une musique macabre retentit que l'on daigna rejoindre l'hommage. Le père de Destinée était trop mal en point pour dire quoi que ce soit mais sa mère empoigna le microphone et se tourna vers la foule.

-Merci d'être tous là... Je ne sais pas vraiment quoi dire. Certains jours sont plus durs à vivre que d'autres. On le sait. Mais survivre au jour de la mort d'un enfant... Si jeune... C'est horrible. C'est grotesque d'imaginer que cela peut arriver. Et pourtant cela m'est arrivé... Je sais que certains d'entre vous la jugent, la détestaient, l'aimaient, l'admiraient... Mais c'était mon bébé. Mon enfant. Et qu'elle soit partie avant moi me hantera pour toujours. A jamais. Je n'ai pas su détecter qu'elle allait mal et c'est d'autant pire que tous les jours, j'imagine que j'aurai pu l'empêcher...

Toute ma tristesse est remontée à la surface et c'est comme écrasée par tout un monde que je me rattrapais au mur. La douleur remontait, agressive, brûlante et vengeresse dans ma gorge. La pièce se flouta, les visages connus devinrent étrangers et la lumière fit place à l'ombre. Mais un cri me sortit de ma transe. La voix de Beau me coupa la respiration.

-Arrête ! Arrête de faire semblant ! Rien que cette cérémonie est une mascarade ! Tu as toujours détesté Des ! Toujours ! Criait Beau.

Son père se tenait auprès de la mère de la défunte. Mon sang ne fit qu'un tour avant que je comprenne la portée de ses mots. Les visages se déformèrent. De la colère, de la tristesse gagnèrent tous les traits et je m'élançai vers l'auteur de ces sentiments qui n'avaient pas leur place ici. Je m'agrippai à son bras et Beau se dégagea.

-La moitié des gens présents ici se foutaient bien de Destinée Stanford. Ils sont là uniquement pour la notoriété et le fric ! La plupart d'entre vous ne la connaissait même pas ! Ajouta-t-il.

-Beau... Arrête ça... Ce n'est pas le moment. Lâchai-je.

Mon meilleur ami me regarda.

-Pourquoi Brysen ? Est-ce qu'il y aura un instant où ce sera le bon moment ? Où mes mots seront moins blessants ?

J'ai dévisagé l'inconnu qui me faisait face. Nous étions ensemble il y a cinq minutes et son regard ne ressemblait en rien à celui qui me faisait face.

-Beau... Ai-je murmuré.

-Quoi ? Tu veux que je me taise ? Qu'est-ce qui t'arrive Brysen ? Serais-tu rentrée dans leur mascarade ?

-Beau ! Cesse immédiatement ! A tonné son père.

Beau s'est retourné vers son père et la mère de Destinée et a ricané.

-Tu aimerais bien, pas vrai ?

-Beau, je sais que tu es malheureux mais... Ai-je commencé en m'approchant.

-Tu ne sais rien de moi, Bry !

J'ai reculé comme s'il m'avait frappé.

-Tu crois savoir ce qui est bon pour moi mais tu te trompes ! Tu me fais du mal ! Tu brises tous les gens autour de toi Brysen ! Regarde dans quel état je suis ! A-t-il répliqué en s'approchant de moi.

J'ai senti ma lèvre inférieure trembler et je l'ai repoussée du plat de la main.

-Je te déteste Beau ! Comment oses-tu ?

Mon meilleur ami m'a regardé et la détresse dans ses yeux à mes mots m'a complétement retourné l'estomac.

-Beau... Arrête... A soufflé ma mère.

Mes larmes ont coulé avant même qu'il n'en rajoute une couche.

-Tu as raison de me détester. Comme moi j'en ai de te détester...

J'ai recouvert ma bouche de ma main et j'ai sangloté devant tous ces gens que je ne connaissais pas.

-Tu brises tous ceux qui t'approche, Beau. Ca suffit ! A crié son père.

Beau m'a regardé, espérant un démenti de ma part comme je le faisais depuis si longtemps mais ses mots m'ont frappé de nouveau en plein visage et je n'ai pas pu supporter une seconde de plus son regard. J'ai tourné les talons et j'ai fui.

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J'ai frôlé du bout des doigts le muret accidenté de la route de l'entrée de la ville. Des bandeaux jaunes quadrillaient encore la zone. Mais peu importe. J'ai regardé le fond du précipice, les arbres brisés, les branches arrachées, la terre retournée, les pierres amoncelées en bas... J'ai levé mon visage vers le ciel en cherchant une étoile qui brillerait plus fort que les autres. Mais le ciel à demi-obscurcit ne me parlerait pas cette nuit. D'épais nuages masquaient tout. Je me suis retournée vers la route et les marques noires de dérapage de la voiture. J'ai laissé les larmes gagner mes yeux et mon cœur devenir lourd comme une pierre. J'ai battu des paupières. Une seconde. De la peur. Le flou. Deux secondes. De la douleur. Des cils trempés qui se rabattent. Trois secondes. De la tristesse. Une larme qui coule. Quatre secondes. Une froideur soudaine. Un cœur qui se brise pour la centième fois en quelques semaines. Cinq secondes. Une décision sans retour possible. Une autre larme qui dévale ma joue. Six secondes. La vitre descend. Mon pas qui crisse sur le sol. Sept secondes. L'air dans ses cheveux. Un sanglot étouffé. Huit seconde. Une larme qui glisse sur sa peau. Mes genoux qui touchent les graviers. Neuf secondes. La résignation. Ma détresse. Dix secondes. Je vous aime.

Et le noir.

Un noir profond.

Un noir silencieux.

Un noir pesant.

L'infini.

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