Chapitre 5

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Brysen Caseneuve

J'ai essuyé le bar d'un coup de chiffon et me suis accoudée face à Beau. Il m'a souri et a pris ma main dans la sienne. Le bar était calme en journée mais Barry avait eu des choses à régler en ville et il avait donc laissé le bar sous ma surveillance et celle de Nash, son barman. Travailler m'avait permis de faire abstraction de la mort de Destinée et d'avancer. Un pas après l'autre. De panser chaque blessure une par une et de respirer un peu mieux. Mes crises d'angoisse avaient diminué de fréquence depuis que j'allais voir la psychiatre de la ville. Je parvenais désormais à canaliser ma douleur et ma détresse en pensant à ma mère ou à Beau. Ce dernier habitait toujours chez moi et nous avions réussi à trouver un équilibre. Précaire soit, mais un équilibre quand même. Cependant, plus le temps passait et plus Beau se faisait fuyant. Le soleil de juillet illuminait le ciel et pourtant les rires et les sourires de l'été restaient planqués. Toute la ville faisait son deuil. Tout le monde pleurait Destinée Stanford. Les cours avaient cessé à l'université et quelques élèves venaient de rentrer au bercail. Quelques vacanciers un peu perdus échouaient ici avant de repartir en voyant la mort hanter les lieux. Dans une quinzaine de jours, les cours seraient finis pour tout le monde et la ville grouillerait de touristes. C'était pour cette raison que le père de Beau avait insisté pour faire la fête d'hommage de Destinée la semaine suivante. Son deuil n'appartenait qu'à nous et les touristes devaient être accueillis par des gens joyeux et non malheureux comme des pierres.

-Ca va ? M'a demandé Beau en lâchant ma main.

J'ai hoché la tête avant de m'emparer de son verre vide et de me retourner. J'ai ouvert le robinet et rincé son verre avant de me figer quand des doigts ont frôlé mon omoplate. Je savais que c'était les siens et pourtant un malaise m'a saisi. J'ai secoué les épaules pour m'extraire de sa caresse et j'ai pivoté. Beau m'a fixé d'un œil hagard. J'ai croisé ses yeux et ai souri à l'homme qui venait d'entrer dans le bar. Je me suis décalée pour prendre la commande du nouvel arrivant en tentant d'oublier ce que me procurait les mains de Beau sur moi. Chaque soir, depuis une semaine maintenant, Beau embrassait mon tatouage avant de fermer les yeux et de s'endormir blotti contre moi. J'avais cru que c'était passager. Que nous nous raccrochions tous les deux à quelque chose. Moi à lui, lui à moi. Moi à ses bras, lui à mon tatouage. Puis, ses caresses s'étaient faites tendres et personnelles et je m'étais surprise à les attendre, à les désirer et à les aimer. Je nous avais entendu nous répandre en soupirs et tremblements, en fuite et en pleurs. Mais nous n'en avions pas parlé. Comme si taire ce qui se passait dans la nuit ne lui donner aucune raison d'exister. Comme si rien n'avait changé alors que tout avait changé. J'avais observé son visage se calmer à ma vue et j'avais senti mon cœur le chérir un peu plus, jour après jour et j'avais alors fui ce sentiment que je ne pouvais pas éprouver. Nous étions chamboulés, faibles, c'est ce qui nous faisait ressentir un désarroi pareil et un besoin d'être avec l'autre.

-Qu'est-ce que je vous sers ? Me suis-je entendu débiter alors que mes pensées vagabondaient.

L'homme s'est appuyé nonchalamment sur le bar et j'ai détaillé son menton carré, ses joues mal rasées, ses lèvres pleines et ses yeux émeraudes. Il a haussé un sourcil devant mon observation et j'ai suivi des yeux ses doigts passer dans ses cheveux avant de le regarder dans les yeux.

-Qu'est-ce que tu as à me proposer ? A-t-il demandé d'une voix de velours en prenant un air décontracté.

J'en ai presque rigolé intérieurement. Qu'il ne se fatigue pas. Je ne ressentais plus rien depuis un mois et demi. C'était comme si mon cœur s'était arrêté de battre pour ce genre de choses depuis que ma meilleure amie était morte. Ou peut-être estimais-je que je ne méritais pas d'aimer sans elle ? J'ai tourné la tête et croisé le regard ombrageux de Beau. Et mon cœur a tambouriné comme un fou dans ma cage thoracique. J'ai posé mes mains sur ma poitrine comme pour retenir mon organe de se sauver à toutes jambes. J'ai inspiré et frémi. J'ai reculé et me suis cogné au meuble derrière moi. Depuis combien de temps me cachais-je ainsi la vérité ? Mon cœur ne s'était pas éteint quand Destinée était morte. Il battait tout simplement pour une personne bien précise. Et il refusait de se sentir attirer par une autre personne que celle qu'il avait choisi. Je ne savais pas vraiment quand est-ce que c'était arriver mais c'était arriver et il avait fallu que je me retrouve face à un garçon mignon tout à fait mon genre pour comprendre que j'avais donné mon cœur à mon meilleur ami sans même m'en rendre compte. Pourtant, au fond de moi, je ne ressentais pas mon corps s'enflammer ou chaque parcelle de mon corps criait son nom. Je ne l'aimais pas comme une dingue. Je faisais un transfert et je le savais. Comme je l'avais fait au départ de mon père. Et Beau en était toujours la cible. Sauf que cette fois-ci, c'était plus fort. Plus indispensable et plus mordant. J'ai freiné des quatre fers dans ma réflexion. Je ne pouvais pas tomber amoureuse de mon meilleur ami. Je ne pouvais pas faire ça à Destinée. Je ne pouvais pas nous faire ça. Je n'en avais pas le droit. J'ai fermé les yeux et ai emprisonné ces pensées honteuses au fond de mon esprit quand la voix de l'homme m'a fait sursauté.

Rescue MeWhere stories live. Discover now