De retour dans la chambre de Thomas, assise en tailleur sur le lit, mon cerveau tente d'assembler un puzzle selon un modèle auquel les pièces ne correspondent pas. Elles ne s'emboîtent pas, elles se détruisent les unes les autres à force d'essayer.
J'essuie une larme qui s'est échappée de mes yeux, avant d'entendre la porte s'ouvrir lentement en grinçant, créant un malaise de quinze secondes. Un visage qui m'est encore inconnu apparaît alors. Une femme d'une trentaine d'année, grande brune aux traits déjà très prononcés s'approche de moi avec un sourire aux coins des lèvres.
Il s'agit sans doute de la mère de Thomas, Madame Flint. Elle s'avance vers moi avec une démarche gracieuse, presque féline. Quelque chose de rassurant se dégage de cette femme, me rassurant immédiatement. Doucement, elle s'assoit à côté de moi, sans un mot.
— Bonjour Samantha. Comment te sens-tu ? Me demande-t-elle gentiment en se mettant face à moi.
Sa main droite vient se poser doucement sur mon épaule. Dans ses yeux, je ne lis que de la tendresse et de l'amour, chose que je n'avais pas vu depuis très longtemps dans les yeux de ceux qui me côtoyaient. Hormis avec Madame Henoch, qui se comportait avec moi comme la mère dont j'ai toujours rêvé.
Rien que de penser à elle, un nœud se forme dans mon estomac et je baisse les yeux. Les larmes perlent aux coins de mes yeux et je me retiens de pleurer dans un effort presque surhumain. Elle me pense morte et je ne peux m'empêcher de trouver cela terriblement égoïste de la part d'Aoile.
Pourquoi n'a-t-elle pas pensé que ma mère adoptive pourrait être de mon côté ? Certes, elle ne croirait pas à cette histoire de Banshee et de créatures surnaturelles, mais elle finirait bien par admettre que j'ai raison en me voyant en action...non ? Finalement, je sors de mes pensées pour répondre à Madame Flint, qui attend sa réponse.
— À dire vrai, je suis confuse. C'est...c'est difficile à digérer, j'avoue en passant ma main dans mes cheveux.
La trentenaire ne répond pas, se contente de me regarder dans les yeux. Elle pose son autre main sur ma joue et je remarque que ses eux sont brillants, comme si elle allait pleurer. Elle a l'air de voir quelque chose en moi, comme les grands-parents lors des soirées de famille, ou les très vieilles connaissances qui ne nous ont pas vus depuis des années.
J'avais souvent eu ce regard, les membres de mes anciennes familles cherchant toujours un point commun entre moi et mes parents adoptifs. J'envie Thomas pour être tombé sur une femme aussi chaleureuse dès le départ. J'aurai adoré que ma première famille d'accueil soit aussi gentille.
Malheureusement pour moi, ma première famille d'accueil ne m'a prise que pour toucher des allocations familiales. Avec trois enfants, ils avaient des tarifs réduits sur beaucoup de chose, ainsi que l'aide de l'Etat.
Je ne peux pas dire qu'ils m'aient mal traités, mais je n'étais pas aussi choyée que Thomas semble l'être. Et puis de toute façon, la famille entière est morte quelques semaines après mon arrivée, dans un accident de voiture auquel j'ai miraculeusement survécu.
— Tu as les mêmes yeux que ton père, murmure-t-elle pour elle-même.
Devant cette confession, je perds tous mes moyens. Que dire à cette femme qui semble avoir connu mes parents biologiques ? Enfin, plus spécifiquement mon père, vu qu'elle n'a pas mentionné ma mère.
A-t-elle eu une relation quelconque avec mon père, raison pour laquelle ses yeux lui seraient restés en mémoire ? Parfois, je me demande vraiment où mon cerveau va chercher ce genre d'explications.
Pourquoi est-ce qu'une personne ne se souviendrait d'une autre que s'ils avaient été amants ? Je suis vraiment niaise parfois... Devant ma surprise, Madame Flint émet un rire léger qui réchauffe mon petit cœur meurtri.
J'aimerai rire avec elle, mais le souvenir récent de tout ce que je viens d'apprendre pèse encore trop sur mon cœur. J'ai encore du mal à tout assimiler parfaitement, oubliant sans doute quelques détails. Probablement parce que je n'ai pas envie de me souvenir, en fait.
— Vous avez connu mon père ? Vous.... Vraiment ? Et il était comment, Madame Flint ? Il ressemblait à quoi ? Vous avez travaillé ensemble, ou quelque chose du genre ?, je lui demande, éberluée.
La brune sourit et retire sa main de mon visage dans un éclat de rire. Visiblement, elle s'attendait à ce que je pose toutes ces questions parce qu'elle prend le temps d'y réfléchir, tout en fouillant dans sa poche pour quelque chose qui pourrait m'aider. Est-ce une photo ? J'aimerai que ça soit une photo, mais l'espoir est si mince... Mais non.
Elle se contente de sortir une petite gravure dans du métal, qui représente un serpent. Le même serpent qui orne mon poignet, sauf que celui-ci n'est pas monté sur un bracelet. Emerveillée, je touche la gravure du bout des doigts, une larme s'échappant de mes yeux. Mon père et Madame Flint se sont connus et il lui a laissé ça.
— Appelle moi Elyane, Madame Flint ne me rajeunit vraiment pas ma chérie ! Ce que tu vois, c'est le symbole des Banshees. Un serpent, le symbole de la renaissance, de l'immortalité. Chez nous, on pense que les Banshees vivent pour toujours, au-delà de la mort. Quand à ton père... C'était un sacré numéro ! Oui, je l'ai connu, c'est mon rôle. Je suis... une sorte de conseillère pour les Banshees. Exactement comme Thomas. Sauf qu'il est encore en entraînement et il est plus têtu qu'une mule à jeun ! Enfin bref. Ton père était celui que je devais conseiller. C'était un Banshee talentueux tu sais, s'exclame-t-elle.
Malgré toutes les informations que sa réponse me donne et le mal de crâne que cela me provoque, je la rejoins rapidement dans son fou-rire. Visiblement, Thomas a de qui tenir au niveau de l'humour...
Elyane semble être une mère exceptionnelle, un peu comme... Mon cœur se serre à nouveau et je baisse rapidement la tête avant de fondre en larmes devant Elyane. Pour penser à autre chose, je me concentre sur les révélations que cette dernière m'a faites.
Mon père était donc... "un" Banshee ? Est-ce possible qu'un homme puisse...? Je n'ai lu cela nulle part ! Rapidement, mon cerveau recherche dans mes connaissances ce qu'Elyane entend par "conseillère pour Banshees", mais je suis incapable de mettre un nom, ou même une légende là-dessus. Il faut croire que mes connaissances en matière de légende soit loin de leurs réalités, dans laquelle je viens d'être plongée.
— Vous êtes quoi au juste ? Je demande, perdue et curieuse.
Le fou-rire de la trentenaire s'arrête et elle devient sérieuse. Son visage se serre tandis qu'elle consulte mon regard, comme pour chercher une sorte d'approbation. Elyane se met en mouvement, arrêtant de me regarder.
Je sens qu'elle hésite, alors je l'encourage d'un faible sourire. Elle fait quelques pas avant de se tourner à nouveau vers moi. J'esquisse un mouvement de recul tandis qu'elle bloque mes poignets avec ses mains.
Ses yeux sont devenus entièrement blanc. Mon cœur rate un battement tandis que ma gorge devient sèche. En la fixant dans les yeux, je vois des images défiler. Ce sont des visages inconnus, des gens en train de mourir.
Je peux voir la frayeur dans leur yeux, entendre leur dernier cri le déchirer les tympans, ressentir la paralysie de leurs corps. J'entends leurs dernières paroles, le bruit de la foule derrière eux. Je ne sais pas où ils sont, mais c'est comme si j'y étais aussi.
Leurs vêtements, leurs sentiments, tout semble si réel... Et j'oublie, quelques instants, que je suis en sécurité dans la chambre de Thomas. Alors j'essaye de partir, mais quelque chose me retient.
Je crie, je pleure, je me débats contre la poigne ferme qui me retient. Et je cligne des yeux, découvrant le regard aussi affolé que le mien d'Elyane Flint. Je détourne rapidement le regard, incapable d'en supporter plus. Mon cœur est au bord de mes lèvres, je vais vomir. Madame Flint semble blessée par mon comportement, mais ne dit rien.
— Je suis une Oracle, Samantha. Dans mes yeux, une Banshee peut y voir ce que je lui offre, tandis qu'une autre créature y verra ce qu'elle désire. Pour être plus précise, je t'ai fait voir ce que je voulais que tu vois. Ce à quoi tu es liée, que tu le souhaites ou non. Alors que si j'avais tenté de faire cela à Aoile....mauvais exemple. Elle m'aurait probablement tuée. Si j'avais essayé de faire ça à Thomas, il y aurait sans doute vu des milliers de dauphins, reprend la trentenaire, d'un ton qui se veut rassurant.
Je soupire et m'allonge sur le lit, rompant tout contact visuel entre moi et Madame Flint. Une Oracle. Le genre d'Oracle qui donne des prophéties sur la fin du monde, ou plutôt comme celle qui a prédit à Œdipe qu'il allait tuer son père et se faire sa mère ?
Un gémissement sort de ma gorge tandis que je repousse cette image immonde de mon esprit. J'essaye d'éloigner les dernières images de toutes les morts que j'ai vus, pour ne pas vomir sur le lit de Thomas. C'est une épreuve, mais j'y parviens. Mais c'est trop. Les révélations d'Aoile, celles-ci... C'est trop. Mon cerveau n'en peut plus. Il n'a plus envie d'en apprendre plus.
— Et moi qui pensais avoir tout entendu... Mon père est une Banshee, vous et Thomas êtes des Oracles, mon ancien proviseur était un Sebek et tout le monde parle d'Aoile comme si c'était une mercenaire. , je grimace, exténuée.
Madame Flint semble surprise de ma réponse. Elle fronce les sourcils, fait la moue quelques instants avant de me regarder droit dans les yeux.
— Aoile ne t'a pas dit ce qu'elle était ?
Je cligne des yeux. C'est vrai que lorsqu'on y pense, Aoile ne m'a jamais vraiment parlé de ce qu'elle pouvait être. Et vu la réaction d'Elyane, je me doute que mon amie est aussi une créature. Simplement, je ne sais pas laquelle. Mais il y a quelque chose au fond de moi qui me supplie de ne pas lui demander. Comme si cela allait la blesser. Et je n'ai pas envie de lui faire du mal.
— Non. Je ne lui ai pas demandé. Je...c'est un peu comme si je le savais déjà, mais sans le savoir. Quand je la regarde, c'est presque comme si je savais qui elle était et ce qu'elle était. Mais je ne m'en souviens pas, j'explique.
La jeune femme hoche la tête, sans me donner plus d'explications. Je pense qu'Aoile n'aimerait pas non plus que ce soit quelqu'un d'autre qui me dise ce qu'elle est. Elle le fera, en temps voulu. J'en suis sûre.
Mais je ne compte pas la presser pour le lui demander. De toute façon, j'ai besoin de dormir, pour me réveiller chez Madame Henoch, dans mon lit blanc. Les Banshees, les Sebeks, les Oracles... Que dois-je attendre de plus ? Aoile a raison, je réagis extrêmement bien à tout cela !
S'en ai même étrange, c'est presque comme si quelque part, je m'attendais à ce que cela m'arrive. Comme une sorte de pressentiment. Ma folie, mon accident, peut-être que ce n'était pas dans ma tête au final. Un rire jaune sort de ma gorge, brisant le silence. Cette fois c'est sûr, je deviens folle.
Madame Flint secoue la tête, sans un mot, avant de s'installer à mes côtés sur le lit. Elle regarde les posters, avant d'en pointer un du doigt. Il s'agit d'une image plus grande que les autres, représentant un mammifère nageant sous l'eau, tandis qu'un bateau de pêcheurs flotte au-dessus de lui, occupé par un vieil homme portant un bob jaune. Au centre de l'image, un énorme "NON À LA PÊCHE DES DAUPHINS" est écrit en lettres majuscules. Elle attire mon attention dessus, jusqu'à ce que je fronce les sourcils pour lui demander de s'expliquer.
— Tu vois Sam', tu es comme le dauphin du poster. Tu nages dans une eau qui ne t'es pas familière et de dangereux pêcheurs sont après toi. Mais tu es un dauphin très rare Samantha, très spécial. Et comme tous les dauphins, tu n'es pas seule. Tu peux compter sur les autres membres de ton clan, comme Thomas, moi ou Aoile, m'explique-t-elle.
Après ses explications, je me mords la lèvre inférieure, touchée par tant de bonté. Son bras droit s'enroule autour de mes épaules et elle me serre contre elle tendrement. Incapable de tenir plus longtemps, oppressée par toutes les révélations qui m'ont été faite, je fonds en larme dans ses bras, plongeant mon visage dans son tablier de cuisine qui sent la vanille.
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Hello ! Bienvenue dans un second chapitre de révélations ! Thomas, un Oracle ? Le père de Sam, une Banshee ? On ne s'y attend pas vraiment, pas vrai ? En effet les Banshees sont souvent décrites comme des femmes, mais je trouve plus sympa d'avoir des Banshee des deux sexes ^^
Les Oracles : bonnes ou mauvaises ? Jusque là, tout ce qu'on a vu des deux, c'est qu'ils ont un humour douteux, qu'ils sont très accueillants et que les yeux deviennent entièrement blanc pour montrer des visions. Donc, bon ou mauvais ? Suspens...
La révélation des "pêcheurs" qui en ont après notre petit "dauphin spécial" qu'est Sam... Qui sont-ils ? Que veulent-ils ? Pourquoi sont-ils après Sam ?Elyane Flint, le personnage un peu "maternel" pour Sam. Elle a connu son père parce qu'ils étaient liés tous les deux : est-ce que cela veut dire que Thomas et Sam sont liés ? Mmmmmh... théories, théories...
Ne vous en faites pas, Samantha ne va rester chez les Flint encore longtemps. Normalement, le prochain chapitre sera synonyme de départ pour elle. Mais vers où ? Dans quel but ? Suspens...Qu'avez-vous pensé du chapitre ? Qu'attendez-vous de la suite ?