Chicago, Jour J - 3
Je ne me lasse pas de la contempler. Elle est si belle, ainsi abandonnée dans son sommeil. Je pourrais rester là des heures. Malheureusement, je sais que ça ne va pas durer. Même si je n'ai pas fréquenté Cassie depuis dix ans, elle reste toujours la même. Et si je ne me trompe pas, le réveil sera difficile. Elle va regretter, se mettre en rogne et éviter toutes formes de confrontations. Je savoure son contact encore quelques minutes puis je me glisse hors du lit. En m'habillant, j'observe son appartement avec une certaine curiosité. À la base, Nick m'avait informé que le bâtiment abritait les bureaux de diverses entreprises. Aujourd'hui, le rez-de-chaussée est reconverti en librairie et Cassie a racheté le premier et le second étage. Pour l'instant, elle n'utilise que le premier et je reconnais qu'elle en a fait un endroit convivial et chaleureux.
Sans bruit, je passe dans le coin-cuisine. Je fouille les placards et rassemble les ingrédients pour lui cuisiner une omelette au bacon, comme elle adore. Pendant que j'y suis, je lui presse quelques oranges en accompagnement.
Cuisiner m'a toujours aidé à réfléchir. Et là, tout de suite, c'est ce dont j'ai besoin. Passer la nuit contre Cassie était mémorable. Coucher avec elle était encore mieux. À l'idée qu'elle partage le lit d'un autre, je me sens capable de tout casser. Et dire qu'elle doit se marier bientôt. Nick a raison. Elle risque de faire la plus grosse connerie de sa vie. On ne trompe pas son fiancé si on l'aime réellement.
En mettant la table, je décide de tout tenter pour la convaincre de renoncer à ce projet absurde. Je refuse de passer le reste de ma vie sans elle. Est-ce que ça signifie que j'ai des sentiments pour elle ? Surement. Depuis toujours ? Peut-être bien. Est-ce que ça signifie que je l'aime ? Putain, j'en sais foutre rien !
— Oh merde, se lamente une voix dans mon dos.
Je soupire. Cassie vient d'émerger et elle ne semble pas irradier de bonheur. Pour un peu, je me vexerais. D'habitude, les filles sont plus que ravies de se réveiller auprès de moi.
— Debout jolie marmotte ! J't'ai préparé le p'tit déj'.
Elle se lève en grognant et en me jetant des regards assassins.
OK. Ça s'annonce super !
Je la vois partir en direction de la salle de bains et claquer la porte après un dernier coup d'œil plein de rancœur. Elle revient quelques minutes plus tard, toujours de sale humeur et s'attable au bar. En silence, je m'assois en face d'elle et commence à manger. J'ai peur de faire une gaffe, un faux pas. Elle repousse son assiette, brusquement.
— On n'aurait pas dû faire ça !
Je fais mine de ne pas comprendre où elle essaie d'en venir.
— Quoi ? Manger de l'omelette au bacon ? Ne me dis pas que t'es devenue végétarienne ?
Ma fausse mine ahurie ne lui arrache pas un seul sourire.
— Coucher ensemble ! assène-t-elle difficilement, comme si c'était une injure.
Je m'incite à la patience.
— Déjà, Cassie... On n'a pas couché ensemble.
Elle me dévisage comme si j'étais monstrueux.
— Alors ça... c'est dégueulasse !
Je soupire et compte jusqu'à trois dans ma tête pour ne pas la tuer. Nick n'apprécierait pas.
— C'était bien plus que ça, poursuis-je, agacé. On a fait l'amour. Je ne veux pas passer pour un abruti romantique, mais ce qu'il y a eu hier soir était bien plus qu'un coup de baise à la va-vite. Et ne le nie pas, tu sais que j'ai raison.
Elle ne répond rien, brusquement fascinée par le contenu de son assiette. Elle semble si perdue que je me sens fondre.
— Cass ?
Elle relève la tête me permettant de croiser ses sublimes yeux.
— Donne-moi une chance.
Elle fronce les sourcils ne semblant pas comprendre. Merde, je ne parle pourtant pas chinois.
— Une chance de quoi ?
— Une chance d'être avec toi.
Elle ouvre la bouche prête à gober tous les insectes volants qui passent.
— Mais Logan... Je vais me marier.
— Et alors ? Un mariage, ça s'annule.
— Dans trois jours.
Cette fois c'est mon tour de faire des yeux ronds comme des soucoupes.
Putain, trois jours ! C'est plutôt short comme timing !
Je réfléchis à toute vitesse. Nick aurait quand même pu me prévenir. J'ai l'air malin, maintenant. Je hausse les épaules, tentant d'afficher une attitude décontractée.
— Ça me donne deux jours, pas vrai ?!
Elle vide la moitié de son jus d'orange avant de répliquer machinalement :
— Deux jours pour quoi ?
— Pour te faire changer d'avis, annoncé-je d'un air décidé.
Elle blêmit et me fixe, terrifiée. Je dois mal interpréter. Pourquoi Cassie aurait-elle peur de moi ? Ridicule.
— Hors de question.
— Oh allez, Cass ! Ne joue pas les dégonflées.
Elle se lève pour débarrasser et mettre nos assiettes dans le lave-vaisselle. Je m'empresse de la coincer contre le plan de travail et butine tendrement sa nuque. Elle se retourne espérant m'éviter, mais je capture aussitôt sa bouche dans un baiser torride. Je n'accepterai aucun refus.
— J'vois pas où est le problème.
— Tu n'vois pas où est...
Elle émet un rire cassant qui me déplait fortement.
— Le problème c'est que j'ai un fiancé que je suis censée épouser dans trois jours, Logan. C'est quelqu'un de formidable et je l'ai trompé avec toi. Voilà le problème.
Elle me repousse et s'éloigne vers la salle de bain. Je la rappelle.
— Moi ce que je trouve bizarre, c'est que tu dises que c'est quelqu'un de formidable...
Elle soupire d'énervement et revient s'accouder au bar.
— Et qu'est ce qu'il y a de mal ? Il l'est vraiment.
— Oh, mais j'en suis sûr. Seulement à ta place, n'importe quelle fille aurait dit « je l'aime, Logan » !
Se rendant compte elle-même de sa bévue, elle pose une main devant sa bouche, ses yeux reflétant une panique sans nom. Je me penche sur le comptoir face à elle et saisis sa main.
— Cass, où est ton fiancé ?
— Euh... Il est à New York pour affaires. On se rejoint dans les Hamptons pour le mariage.
— C'est ce qui s'appelle un mec empressé, raillé-je plus pour moi que pour elle.
Elle se renfrogne et retire sa main.
— Je travaille autant que lui. Et tu es très mal placé pour dire ça. Il me semble que toi aussi, tu voyages sans cesse.
— Peut-être, mais ce n'est pas moi qui suis fiancé.
— Évidemment si tu es de mauvaise foi, je n'ai aucune chance.
Je reprends ses mains dans les miennes et cherche son regard.
— S'il te plait. Donne-moi ces deux jours. Considère ça comme ton enterrement de vie de jeune fille.
Ce que je ne lui dis pas, c'est que durant ce temps, je tenterai tout pour la convaincre. Je sais que je suis doué à ce jeu-là. Je l'ai déjà fait cent fois. Seulement aujourd'hui, l'enjeu est plus important. Je tiens profondément à Cassie.
— Je ne suis pas sûre que s'envoyer en l'air soit une bonne façon d'enterrer sa vie de jeune fille.
Je lui adresse mon sourire de tueur et joue ma carte maîtresse.
— Il n'y a rien de mieux !
Devant son air pincé, je retrouve vite mon sérieux.
— Allez Cass... Tu n'as qu'à voir ça comme un défi que je te lance.
— Un défi ? répond-elle, plus méfiante que jamais.
— Exactement. Consacre-moi ces deux journées et ensuite, si tu le désires toujours, va à ce foutu mariage, samedi !
À son air désespéré, je me sens légèrement coupable. Il est évident que ma présence la perturbe. Puis je me rappelle qu'elle doit en épouser un autre dans trois jours et ma mauvaise conscience s'évanouit. Il y a trop en jeu pour que je fasse les choses en douceur.
— Très bien, se résigne-t-elle.
Je savoure ma première victoire en cachant mon sourire dans ma tasse de café. Cassie n'a jamais résisté à un défi. Et ça, depuis son plus jeune âge. Je l'entends pousser un soupir à fendre l'âme comme si elle venait de pactiser avec le diable.
— Mais ne crois pas que ça sera facile.
— Ça va plutôt être le combat de ma vie !
— Et je sens que je regrette déjà ma décision, grince-t-elle.
J'adopte un air faussement surpris, histoire de la torturer encore un peu.
— Attends ! Tu veux dire que tu seras tout à moi et rien qu'à moi durant deux longues et merveilleuses journées ?
— Pas la peine de t'enflammer.
Je lui souris avec voracité. J'ai hâte de lui faire l'amour dans chaque mètre carré de cet appart. J'utiliserai tous les moyens possibles pour qu'elle oublie son abruti de fiancé en moins de deux ! Tous les coups seront permis. Après tout, je joue ma vie... Et la sienne, par la même occasion.
— Bon, quel est le programme ?
— Va te préparer. Je t'accompagne à la galerie et ce midi, je t'emmène déjeuner dehors.
Elle me regarde surprise avec une légère pointe de regret avant de tourner les talons. Je retiens un sourire amusé. Qui aurait cru que Cassiopée Doyle puisse avoir des pensées dépravées, au levé le matin. Certainement pas moi. Mais je ne m'en plaindrai pas.
On a été les meilleurs amis du monde trop longtemps. Aujourd'hui, ce n'est plus ce que je souhaite. Ou plutôt, je désire bien plus. Et une fois que j'aurais résolu les malentendus entre nous, je n'aurai plus qu'à la convaincre que je suis le mec parfait pour elle.
Trop facile !
Ouais ou pas. Car Cassie n'est pas n'importe quelle nana. Ça remet tout en perspective. En dehors du fait que je suis fou d'elle, j'ai quelques atouts dans ma manche : je suis prêt à tout pour que ça marche entre nous. Et je la connais par cœur. Rajouté à cela, le fait qu'elle me désire, ça démarre pas trop mal, notre histoire. Il me reste plus qu'à faire en sorte que ses sentiments pour moi s'intensifient. Faire en sorte qu'elle m'aime plus que lui.
Ouais, bien sûr ! Ça va être du gâteau en deux jours !