Noir

By FannyBaridon

110 2 0

Une série de corps sont retrouvés sans vie aux quatre coins de Tokyo, les victimes n'ont en commun que d'être... More

Chapitre 1 - La rivière
Chapitre 2 - Rendez-vous
Chapitre 3 - Le Noir
Chapitre 5 - A l'intérieur du géant
Chapitre 6 - Le dossier jaune

Chapitre 4 - Le spectacle de marionnettes

9 0 0
By FannyBaridon

La lumière jouait, passait ses doigts opalins dans des rideaux de voile léger. Dehors, l'air blanc et cotonneux offrait un aperçu du froid saisissant les rues. Glacial, comme en montagne, lourd comme en plein été, humide, encombrant les bronches du brouillard citadin, l'air passait par une fenêtre tout juste ouverte. La vitre butait de temps à autre contre l'entrebâillement en plastique dernier cri, double vitrage, pour empêcher que l'extérieur ne s'invite et que les scènes de la vie de famille ne puissent s'échapper. Comme un souffle, le froid l'ouvrit plus encore, faisant voleter le rideau en lin, glissant à son tour, de ses pieds, sur un lit défait et brûlant.

Les doigts de Jun caressèrent machinalement les draps couleur crème. Un confort qu'il ne retrouvait qu'ici, loin des hôtels de luxe, des appartements dans les quartiers chics, de la soie, du lin ou du coton indien. Non, rien n'était comparable à cette petite pièce qu'il avait appris à connaître par cœur. Ses cheveux tombaient en cascade désordonnée sur ses yeux à moitié clos. Les larmes de sommeil déposées sur ses paupières déformaient la lumière en cristaux, semblables à un kaléidoscope diaphane. Combien de temps cela faisait-il qu'il n'avait pas été aussi bien dans un endroit, combien de temps avait-il passé loin de ce lit ? Une éternité selon lui, quelques semaines pour le calendrier posé sur la table de nuit. A côté, un verre d'eau, des pilules contre le mal de crâne, un polar dont les pages étaient cornées à force de relecture et un petit coffre ouvragé. Caché à l'intérieur, des bagues, des colliers et une alliance qu'il avait fini par haïr. S'en rappelant, il roula sur le dos.

Les yeux ouverts sur cette immensité grise, Jun observa le plafond, se concentrant sur le reste. Une odeur d'œufs, de brioche et de femme, le parfum de Nina, imprimé et comme incrusté dans les draps. Il était naturel, pas besoin de vaporisateurs aux odeurs insistantes et entêtantes, elle sentait bon les fleurs, la crème et les fruits. Jun passa sa main sur son visage, cette obsession devait cesser. Se redressant doucement, il recroquevilla sa jambe gauche sous la droite, celle-ci pendant sur le rebord du lit, le bout de ses orteils nus touchant le parquet chaud. Il gratta son torse, priant pour que le sommeil glisse le long de sa peau et échoue au sol, le laissant tranquille. Un coup d'œil à sa montre, il avait dormi près de neuf heures mais ça ne lui suffisait pas. le Noir avait drainé son énergie, il y repensa fugacement. Ce type hier... Il éprouvait une telle solitude, un tel désespoir, Jun n'aurait pas pu rester seul, il n'aurait pu l'évacuer et encore moins dans une chambre d'hôtel aux relents d'adultère et de drame. Ici, l'ambiance était tout autre et il pouvait déjà le sentir. C'était comme des doigts, fins, aux ongles parfaits glissant doucement le long de son crâne pour lui masser les tempes et le relaxer : une main sur son visage le délassant. Il avait besoin d'une clope et ce serait parfait.

Ses vêtements reposaient au sol en tas, il n'avait pas pris la peine de les plier, de les ranger, et Jun glissât sa main dans ses poches pour en tirer un paquet froissé. Lorsqu'il voulut sa cigarette, il se rappela qu'il n'avait pas le droit de fumer ici, et finalement ne mit pas feu au bâtonnet blanc, le gardant sur ses lèvres.

Des bruits de cuisine percèrent à travers la porte ouverte et il regarda à nouveau sa montre, il était bien tard pour se préparer un repas... soupir... Un sourire sur ses lèvres, quelques minutes de plus et il y irait.

Le Noir avait beau transcender les humains et les murs, pour en retirer leurs sentiments, il se trompait parfois. Dans cette chambre il ne vit que le portrait de cette famille : quatre personnes aux sourires ravis, encadrés de bois clair, leurs rires poussés quelques années auparavant, l'odeur de gaufres et les fêtes de noël où la table s'agrandissait et était garnie de mets succulents. Il n'apercevait pas au travers de tous ces signes la preuve d'un drame silencieux. Il ne se demandait pas pourquoi Jun avait sa place ici, pourquoi la présence paternelle faisait si peu partie de tous ces souvenirs, pourquoi les murs ne résonnaient plus de cris de conflits depuis des années. Jun se faisait si souvent diriger par cet intrus qu'il tirait parti de sa confusion et sourit légèrement apaisé, comme à chaque fois. Les résidus de poudre avaient quitté ses doigts, le souvenir de cet entrepreneur solitaire se faisait de plus en plus ténu. Pour une fois il était tranquille, et il en profita.

Dans la cuisine la longue silhouette de Nina s'activait à préparer un repas frugal, pris entre deux rendez-vous. Elle pensait à ses dossiers qui ne la quittaient jamais à tel point que le bureau de son mari en était rempli, et finalement, elle s'était réapproprié la pièce. Elle avait une conférence audio d'ici une heure, il n'était pas question de perdre du temps à manger, elle devait encore se remaquiller et s'habiller en conséquence. Son apparence, ses beaux yeux bleus d'un métissage russe et sa taille fine lui attiraient nombre de contrats, mais elle n'était pas dupe, c'était le jeu et elle en tirait profit. Elle se pencha à droite, attrapa la bonite séchée dans un sac en plastique et fit glisser l'omelette sur une assiette propre. L'apparence comptait, dans tout ce qu'elle faisait.

Nina sentit des mains se glisser le long de sa taille, dans son dos et une étreinte, un visage brûlant se nicher dans son visage, aucun sourire n'étira ses lèvres. La jeune femme avait bien changé.

- Tu viens de te réveiller ?

Jun ne répondit que d'un murmure éraillé, sa voix distordue par une nuit passée à l'extérieur. D'un geste rapide, se voulant discret, elle s'extrait de l'étreinte désespérée du jeune homme et attrapa la sauce bulldog. Elle faisait mine de se concentrer alors qu'elle pensait déjà au moyen de le mettre dehors. C'est du moins ce que pensait Jun. Il passa sa main dans ses cheveux et les ébouriffa. Ils avaient bien poussé ses derniers temps, atteignant la boucle d'oreille Noire accrochée à son lobe droit. Il ne soupira pas, gagné par ce que le Noir tirait de cette pièce.

- Tu te prépares à manger ? Demanda Jun, une affection rare dans la voix et Nina fit glisser l'assiette sur le plan de travail jusqu'à lui

Il comprit immédiatement. C'était pour lui, bien sûr, des œufs, de la sauce et du riz, Nina ne mangeait rien d'autre que de la salade et de la soupe, préoccupée jusqu'à la névrose par sa ligne. Il saisit le plat encore chaud et le déposa à côté de lui, ce n'était pas le plus important, il aurait donné n'importe quoi, n'importe quel repas pour profiter d'elle, de son sourire, absent depuis si longtemps. Son mutisme lui arracha un sourire faible et désespéré. Il alluma enfin la cigarette qu'il avait glissée dans son pantalon, remit à la hâte, la braguette toujours ouverte. Nina lui jeta un regard avant de se reporter à son propre repas, soupe faite avec l'eau du riz de Jun, du nashi et du chou, se souvenant que la veille lors d'un repas de travail, elle avait trop mangé à son goût, aussi aujourd'hui, c'était régime. Lorsque l'eau se mit à bouillir, elle se tourna vers Jun qui l'observait et croisa les bras.

- J'ai une vidéo conférence dans une heure.

Jun regarda sa montre.

- Compris, je serai parti, je n'ai pas beaucoup d'affaires de toutes façons.

Un silence, et Jun tira une bouffée sur sa cigarette. La nicotine fit son chemin dans son corps, le détendant. Il avait le droit de fumer dans le salon, c'était une grande pièce, l'odeur ne restait pas incrustée dans les meubles. Le canapé blanc, comme quasiment tout le reste du mobilier, dominait la pièce de son immensité. Il était familial, avait dû accueillir des soirées films, les premières confessions des garçons à leur mère, les st valentin romantiques, un verre de vin rouge à la main. Comme dans un cliché de famille parfaite, on reproduit ce qu'on pense être le témoignage d'une vie admirable pour cacher à quel point on est souillé par le vice. Le Noir ne voyait pas tout ça, se méprenant, s'accrochant au parfum de sublime. Quelle ironie ! ce n'était pas un super pouvoir, juste une plaie dont la douleur se réveillait lorsqu'elle était infectée.

Jun souffla la fumée en l'air, Nina la regarda avec envie, comme une petite fille, elle passa sa main dans le creux de son coude, presque gênée.

- Laisse-moi tirer une taffe dessus.

Le jeune homme sourit, des mots, enfin, qui n'avaient rien d'une question d'organisation. Un frisson parcouru son dos et un sourire glissa sur ses lèvres.

- Je pensais que tu avais arrêté de fumer ?

- Je pensais que tu avais arrêté de jouer au chien policier.

Le sourire de Jun tomba, amèrement et l'illusion que le Noir avait créée en lui sembla exploser. Nina était dure, selon elle, c'était ses racines russes qui lui avaient appris à se battre pour ne pas être mangée, qui l'avaient conduite à être sans arrêt en combat. Elle ne retirait ses gants de boxe qu'au moment d'aller se coucher, à l'extrême limite du sommeil. Personne ne devait voir à quel point elle était faible, à quel point elle jonglait avec des quilles de bric et de broc pour maintenir cette famille à flot. Les jumeaux n'avaient pas à subir les conflits des parents, ils devaient penser qu'ils étaient chéris, et que tout leur serait offert dans cette vie. Elle reproduisait un schéma aux coins flous. Quand se rendraient-ils compte que depuis longtemps, leur univers merveilleux n'était qu'un parterre de fleurs fanées ? Bientôt elle-même décatirait et alors elle perdrait cette beauté qui empêchait les gens de voir le monstre caché en elle. Et ce n'était pas avec Jun qu'elle prendrait des pincettes. Enfuis-toi semblait-elle lui dire, lâche cette vie qui n'en est plus une pour toi. Est-ce que tu vas continuer à te glisser dans tout ce qui pourrait te détruire ? D'abord cette relation avec elle, puis ce poste de consultant qui l'approchait à chaque intervention plus près de l'abîme. Si tu veux te briser, vas-y, continue, mais ne fais pas de moi l'outil de ta chute se disait-elle. Ainsi, elle pensait le repousser, le dégoutter, mais il revenait à chaque fois et elle aimait ça. Nina se trouvait plus immonde encore de masquer un sourire à chaque fois qu'elle le trouvait derrière sa porte, suppliant de le débarrasser du mal que lui faisaient ces enquêtes. C'était un combat, celui qui l'entraînerait au plus profond entre elle et son travail, un jeu d'influence qu'elle partageait avec un ennemi invisible. Elle avait déjà entendu parler de l'inspecteur Kurokawa mais n'en dessinait que les contours flous. A chaque fois que Jun en parlait, lui venait au fond de la gorge une amertume au goût de jalousie.

L'embrasser ou le briser, l'étreindre ou le mettre à genoux, au final, Jun était la seule chose sur laquelle elle avait réellement de l'influence. Lorsqu'elle vit son sourire se déchirer, un profond sentiment de satisfaction grimpa le long de son dos, elle se redressa.

- Je ne suis le chien de personne.

Bien sûr, pensa-t-elle sans laisser apparaître le moindre signe de son ironie. Elle prit sa soupe, éteint la plaque électrique et fit glisser son repas hypocalorique dans un bol. Toujours debout, se faisant face, aucun d'entre eux n'eut l'idée de s'asseoir sur le canapé. Il appartenait à la famille, à la vie d'apparence, pas à cette comédie qu'ils jouaient à présent.

- Peu importe, ce boulot te fais du mal. Dit-elle, cherchant à apaiser la discussion.

- Peut-être, mais c'est tout ce que j'ai.

Une vague de colère submergea Nina alors même qu'elle voulait lui balancer sa soupe à la figure, brûlante et lui hurler « Et moi ? ». Elle était là à chaque fois, comme une mère, comme une amante, comme une bouée de sauvetage et il lui crachait à la figure qu'elle n'était rien. Jun savait aussi être dur.

- Prends tes affaires alors, vas les retrouver.

Jun mit un temps à comprendre sa phrase. Peut-être était-il allé trop loin, mais il ne bougea pas. Leur relation était... Indescriptible, depuis le début. Nina était magnifique, énervée, ses sourcils fins se fronçaient sur ses yeux ronds et bleus. Ils étaient soulignés de quelques rides discrètes, seuls indices sur son âge, son visage poupin traduisait une enfance tardive. Lorsque la colère s'emparait d'elle, sa peau se parait de chair de poule, frémissait, semblait plus attirante encore. Jun avait envie de la prendre par la taille, de l'attirer à lui, de dévorer cette peau, qu'elle le repousse, qu'il revienne à l'attaque, qu'elle cède, non sans combattre, que ses mains se glissent sur sa poitrine et qu'il l'attire dans la chambre, seule vraie pièce où il voyait sa place ici. Bien sûr, il ne fit rien, petit à petit, le Noir s'accrochait à l'animosité de Nina dans laquelle aucune attirance ne perçait la couche de colère. Il se décala du plan de travail, se pencha pour attraper une cuiller, frôla son amante, sa peau, profitant de son parfum enivrant et se redressant, il porta des morceaux de l'omelette à ses lèvres. Nina le regardait dans les yeux, la colère grimpant le long de sa colonne. Il ne l'avait pas écoutée et se délectait à présent de ce qu'elle regrettait déjà. Jamais elle n'aurait dû faire quelque chose pour lui, elle en avait honte à présent, elle avait tendu le flanc, regrettant même de l'avoir accueilli cette nuit, de le laisser démêler le nœud attaché à son pied. Jun ne dit mot, concentré à la regarder, il ne fit même pas attention au goût de l'omelette, elle aurait pu y glisser du piment qu'il ne l'aurait pas remarqué... elle aurait dû se disait-elle.

- Tu ne m'as pas entendu ? Si je ne suis rien pour toi, quitte l'appartement, retourne voir tes supérieurs. J'ai autre chose à faire que te regarder manger.

Plus qu'avant, Jun perçût la colère de Nina, elle enrageait et sans le Noir qui s'accrochait pas à son dos, il aurait souri. Mais au contraire, (de ça), il sentit l'envie de lui faire du mal, il avait besoin que ça explose.

- Autre chose à faire ? Quoi ? Gerber le peu de riz que tu bouffes ? Essayer des tenues hors de prix pour te persuader que tu appartiens à ce monde ? Donner le sein à tes jumeaux ? Ou te taper des jeunes comme m-

Jun n'eut pas le pour exploser finalement au sol. Et voilà que l'omelette gisant au sol ressemblait désormais à leur relation, informe, baveuse, repoussante. Jun sourit alors. Nina voulait le frapper, aussi fort qu'elle le pouvait, il le sentait, elle voulait le griffer, le mordre pour avoir ainsi exposé tous ses travers indicibles. Ces derniers ne devaient pas exister, et si personne n'en parlait, ils ne ne vivaient pas. Jun, ce salaud, se pointait en pleine nuit, exigeait de la douceur et venait lui vomir sa haine alors qu'elle-même ne pouvait se décider à donner un nom à leur relation. Amour, haine, attirance, dégoût. Elle voulait le frapper, avec une envie persistante, comme un besoin de le briser, le piétiner, mais aussi de le ramasser ensuite et de le bercer. Un tel sentiment n'était pas normal, elle n'était pas normale, il s'agissait d'un combat de monstre, cherchant qui serait le plus repoussant.

Nina vit un sourire sur le visage de Jun lorsqu'il reprit sa cigarette, quel enfoiré pensat-elle. Elle attrapa le bâtonnet blanc et tira une bouffée, seul objet de son fantasme à ce moment, voulant assouvir un autre de ses vices, contradiction à son image parfaite. Elle recracha la fumée qui gravit les quelques centimètres d'air séparant ses lèvres, rebondies et roses de colère du plafond avant de s'y étaler, disparaissant presque. Aucun mot entre les deux amants, juste un jeu de regards. Il savait qu'elle n'était pas aussi parfaite qu'elle voulait le faire croire et elle connaissait le secret de ses humeurs. Elle ignorait tout du Noir, de la façon dont il entrait en contact avec Jun, de sa façon de l'utiliser, mais elle avait compris au fil des années qu'il se nourrissait de son environnement, rendant son hôte d'autant plus manipulable.

- Ne reviens plus. Dit-elle alors, gardant pour elle la cigarette.

- Tu dis ça à chaque fois.

- Et tu es toujours derrière ma porte quand tu as besoin d'un câlin pour apaiser tes peurs d'enfant.

Jun rit et attrapa son tee shirt pendu à ses hanches pour l'enfiler puis referma sa braguette.

- Me comparer à un enfant ne fait qu'accentuer ta perversion.

- Je n'ai pas de leçon à recevoir d'un dandy de supermarché vendant son corps en tête de gondole contre un toit pour la nuit.

Jun sourit, mais la remarque l'avait touché, Nina laissa la fumée glisser le long de ses lèvres en cascade dense, fière, son torse se redressa, sa poitrine se gonfla sous son chemisier de tailleur immaculé. Plus un mot dans l'appartement, juste un tressaillement, Jun accepta sa défaite pour l'instant et dépassa Nina pour aller prendre son blouson en cuir sur le porte manteau du salon. Dans cette grande pièce, le Noir ne trouva plus que des signes d'une vie théâtralisée. Il sentit la haine envers un mari, la tromperie, l'attrait pour l'argent, les sourires galvaudés et cette pulsion de destruction qui ne se tarirait jamais, tant que cet univers serait encore sur pied. Nina ne bougea pas d'un pouce, fumant en regardant par la baie vitrée du salon. Dehors, Tokyo, cette ville dans laquelle elle avait grandi mais qui ne lui appartenait pas, Tokyo où elle avait vendu sa carrière, sa vie pour une poignée de belles robes, de restaurants luxueux. Finalement était-elle vraiment meilleure que Jun ? Elle l'entendit se préparer derrière elle.

Nina avait envie de le bercer à présent. C'était le jeu qu'elle jouait avec lui, mais ne fit rien, les bras croisés, sa cigarette bientôt finie, elle le vit prendre son casque de moto, traînant au sol, proche de la porte avec ses chaussures qu'il mit dans un calme qui l'énervait. N'était-il pas aussi hors de lui qu'elle l'avait été ? C'était ça son secret n'est-ce pas ? Sa faculté à s'imprégner de tout et de rien, du soleil qui rayonne et de la pluie qui tombe, des pleurs et des rires ? L'envie de le cajoler et de le nicher contre sa poitrine, dans son cou, entre ses jambes disparut. Ses doigts se crispèrent sur sa cigarette. Petit enfoiré. La porte claqua.

Jun devait s'enfuir, partir le plus loin possible de cette porte avant que Nina ne se décidât à sortir pour l'insulter encore. C'était parfaitement son genre, lorsque ses crocs s'attachaient à une proie, elle ne le lâchait plus et Jun était fatigué de subir ces mouvements d'humeur. Le Noir... Il n'y avait qu'avec Nina qu'il était aussi rapidement influencé. Jun avait pensé, plus jeune que sans cette faculté, lui et la jeune femme auraient pu former un couple normal mais à présent il savait que c'était faux. Deux poupées brisées ne peuvent jouer ensemble. Leurs cordes rongées s'entremêlent, leurs bras mités tombent à chaque contact, leurs faces décrépies ne font que gâcher la représentation, leur interprétation. Jun n'avait qu'un monstre d'ombre sur le coin de l'épaule et rien ne changeait son sourire creusé de rouille. Ce n'était pas sa faute.

Parfois il se prenait d'affection pour lui, parfois il le haïssait. Incapable de nouer des relations qui n'étaient pas teintées de fiel, Jun traînait dans les rues comme toujours. Sa bécane était garée à quelques mètres de l'appartement, de cette barre d'immeuble qu'il connaissait par cœur, ordre de Nina, de peur que son mari absent la moitié de l'année ne remarque quoi que ce soit. Il n'était pas contrariant, elle lui manquait déjà. Il sourit, quel Roméo corrompu il faisait. Il était tiré d'une fable pour effrayer les enfants. Faites attention sinon vous finirez comme lui. Finalement, cette image qu'il donnait correspondait à celle qu'il se forgeait. Pas question d'en déroger, c'était celle qui lui allait le mieux.

Tout acteur a besoin de repos, de trouver une façon de se déconnecter, et lui ne pouvait pas, chaque rue hurlait son nom : le Noir venait s'accrocher à ses sentiments, à cette peur dans les ruelles sombres, à cette joie dans les bars ouverts, tout était bon, rien ne le laissait tranquille. Il avait envie de danser puis de pleurer la seconde suivante, comme un schizophrène, dont les sentiments chuchotaient, l'appelaient. Jun vit la nuit tomber sur Tokyo, tôt, l'automne était arrivé, et l'air était frais. A cet instant, Il ne voyait qu'un endroit capable d'accueillir sa fatigue mais la porte venait de se refermer sur lui. Il n'avait plus rien à cet instant.

Son portable vibra dans sa poche. Bien sûr, il lui restait la justice factice d'un monde qui se riait de le balader à droite et à gauche.

« Demain, huit heures. Apporte le café et tu auras peut-être une promotion. »

Un léger sourire sur les lèvres de Jun. Pff.... Le lendemain hein ? Il lui restait le temps de glisser le long des routes jusqu'à oublier sa fatigue.

Continue Reading

You'll Also Like

PÊCHÉS MIGNONS By 💗

Mystery / Thriller

395K 1.1K 17
Lemon 🍋 Attention contenus malsains et scènes de 🔞
Enfermés By manon2828

Mystery / Thriller

727K 52.6K 37
Ils sont six. Âgés de 15 à 25 ans. Tous différents. Ou presque. Ils ont un lien. Tous enfermés dans une maison par un psychopathe. Ne pouvant pas en...
Scène de Crime By ㅇ

Mystery / Thriller

310K 54.1K 53
Aicha Grey, agent à l'unité de recherche et des investigations criminelles est chargée d'enquêter sur une affaire qui remonte il y'a un peu plus de 5...
11.6K 406 46
Mia, une jeune parisienne de dix-neuf ans se retrouve, un soir, accidentellement mêlée à la plus dangereuse organisation criminelle du pays. Entre co...