Chapitre 3 - Le Noir

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 Les lumières, électriques, criardes, se reflétaient sur le casque noir. Les néons de couleur bleue, blanche, jaune, ou rouge trouvaient un nouvel écran à leur agressivité. Des gouttelettes d'une pluie fugace glissaient entraînées par la vitesse de la moto. Elles dégringolaient sur des épaules robustes bien que fines, parées de cuir : un blouson hors de prix qui avait fait la fierté de Jun pendant un temps. Maintenant ce n'était plus qu'un vêtement comme les autres. Quand il l'avait vu dans le magasin d'équipement pour motards, il avait craqué, comme une lycéenne. Il régnait dans la petite boutique une chaleureuse sûreté. Ici on vendait des protections et les clients se sentaient immédiatement rassurés, laissant dans ce lieu la trace de leur apaisement. Peut-être grâce à ça, les gérants du magasin venaient de se trouver un habitué, qui reviendrait presque toutes les semaines pour sa dose de calme.

Aujourd'hui, ce blouson avait perdu cette odeur de cuir neuf, du magasin et sentait seulement la pluie. Il n'y avait plus de sûreté en son sein, plus de calme, juste une chaleur pour son corps, plus rien pour son esprit.

A grande vitesse, Tokyo ne ressemblait à aucune autre, les routes étaient peuplées des taxis des couche-tard et des bennes à ordure. Oui, la nuit, tout était différent. Bientôt le jour pointerait ses premiers rayons et tout se métamorphoserait, encore.

Pourtant, une villa était allumée comme jamais, en bleu, puis blanc, et à nouveau bleu. Jun sut qu'il était arrivé, que sa destination se dressait devant lui. Imposante, la villa avait deux étages dans le plus pur style japonais. Le jeune homme se stoppa, et de ce qu'il était capable de voir sur l'instant, tout était déjà assez glauque. Il gara sa Honda VFR 800 noire n'importe comment. Les places de parking à Tokyo étaient chères et il n'était pas question qu'il paie quoi que ce soit de plus pour les beaux yeux de son Lieutenant Salaud. C'était connard ? Peu importe. Arrêtant le moteur, Jun considéra l'immense portail devant ses yeux, il retira son casque et siffla : c'était quelque chose !

Le propriétaire des lieux était manifestement riche et avait quelque chose à garder loin du regard des simples gens. Était-ce tout simplement sa propriété ou plutôt quelque chose de plus sombre, de plus personnel ?

Une fine bruine emplissait maintenant l'air et les couleurs des gyrophares donnaient l'impression d'un brouillard compact, lourd. De part et d'autre de la villa, s'activaient des âmes en uniformes, dressant des cordons ou tentant de renvoyer vers leur lit des voisins curieux voire inquiets. D'autre s'habillaient de combinaisons en in-tissé donnant à leur silhouette des formes incongrues. Le sol glacé s'était terni, d'une blancheur immaculée, il avait été transformé en une bouillie maronne et infâme, conférant à la scène une ambiance de film noir des années « cinquante ». Le bruit assourdissant des conversations se faisait plus ténu à chaque pas en direction de la maison, comme si en son sein, seul le silence était permis. Jun avait appris à remarquer ainsi les scènes de crime. En présence d'un mort, les gens chuchotent, se retiennent, comme s'il pouvait encore les entendre.

« Eh vous ! »

Les bottes montantes de Jun ne se stoppèrent pas, quelque chose l'appelait à l'intérieur de ce nid grouillant. Mais la logique des hommes n'avait rien à faire de celle des ressentis et un policier se dressa devant lui, suintant de fierté derrière son uniforme. Les yeux du jeune homme se levèrent sur lui.

- Ce périmètre n'est pas autorisé aux civils !

Ce n'était pas une question, une invitation à clarifier la situation : non, c'était un « dégage », plus poli. Alors qu'il allait répondre, une voix s'extirpa de la maison. « Eh ! » Puis des pas, couvrant par leur bruit dans la gadoue les voix, les sirènes. Une longue silhouette, en costume blanc et noir, une pince cravate maintenant tout ça en place dans un carcan sévère, s'approcha. Pour se protéger, il portait un parapluie transparent laissant entrevoir un visage fatigué, des yeux fins, presque rieurs et des lèvres pincées dans un sourire contrit. Cet enfoiré de Kurokawa...

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