Chapitre 4 - Le spectacle de marionnettes

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La lumière jouait, passait ses doigts opalins dans des rideaux de voile léger. Dehors, l'air blanc et cotonneux offrait un aperçu du froid saisissant les rues. Glacial, comme en montagne, lourd comme en plein été, humide, encombrant les bronches du brouillard citadin, l'air passait par une fenêtre tout juste ouverte. La vitre butait de temps à autre contre l'entrebâillement en plastique dernier cri, double vitrage, pour empêcher que l'extérieur ne s'invite et que les scènes de la vie de famille ne puissent s'échapper. Comme un souffle, le froid l'ouvrit plus encore, faisant voleter le rideau en lin, glissant à son tour, de ses pieds, sur un lit défait et brûlant.

Les doigts de Jun caressèrent machinalement les draps couleur crème. Un confort qu'il ne retrouvait qu'ici, loin des hôtels de luxe, des appartements dans les quartiers chics, de la soie, du lin ou du coton indien. Non, rien n'était comparable à cette petite pièce qu'il avait appris à connaître par cœur. Ses cheveux tombaient en cascade désordonnée sur ses yeux à moitié clos. Les larmes de sommeil déposées sur ses paupières déformaient la lumière en cristaux, semblables à un kaléidoscope diaphane. Combien de temps cela faisait-il qu'il n'avait pas été aussi bien dans un endroit, combien de temps avait-il passé loin de ce lit ? Une éternité selon lui, quelques semaines pour le calendrier posé sur la table de nuit. A côté, un verre d'eau, des pilules contre le mal de crâne, un polar dont les pages étaient cornées à force de relecture et un petit coffre ouvragé. Caché à l'intérieur, des bagues, des colliers et une alliance qu'il avait fini par haïr. S'en rappelant, il roula sur le dos.

Les yeux ouverts sur cette immensité grise, Jun observa le plafond, se concentrant sur le reste. Une odeur d'œufs, de brioche et de femme, le parfum de Nina, imprimé et comme incrusté dans les draps. Il était naturel, pas besoin de vaporisateurs aux odeurs insistantes et entêtantes, elle sentait bon les fleurs, la crème et les fruits. Jun passa sa main sur son visage, cette obsession devait cesser. Se redressant doucement, il recroquevilla sa jambe gauche sous la droite, celle-ci pendant sur le rebord du lit, le bout de ses orteils nus touchant le parquet chaud. Il gratta son torse, priant pour que le sommeil glisse le long de sa peau et échoue au sol, le laissant tranquille. Un coup d'œil à sa montre, il avait dormi près de neuf heures mais ça ne lui suffisait pas. le Noir avait drainé son énergie, il y repensa fugacement. Ce type hier... Il éprouvait une telle solitude, un tel désespoir, Jun n'aurait pas pu rester seul, il n'aurait pu l'évacuer et encore moins dans une chambre d'hôtel aux relents d'adultère et de drame. Ici, l'ambiance était tout autre et il pouvait déjà le sentir. C'était comme des doigts, fins, aux ongles parfaits glissant doucement le long de son crâne pour lui masser les tempes et le relaxer : une main sur son visage le délassant. Il avait besoin d'une clope et ce serait parfait.

Ses vêtements reposaient au sol en tas, il n'avait pas pris la peine de les plier, de les ranger, et Jun glissât sa main dans ses poches pour en tirer un paquet froissé. Lorsqu'il voulut sa cigarette, il se rappela qu'il n'avait pas le droit de fumer ici, et finalement ne mit pas feu au bâtonnet blanc, le gardant sur ses lèvres.

Des bruits de cuisine percèrent à travers la porte ouverte et il regarda à nouveau sa montre, il était bien tard pour se préparer un repas... soupir... Un sourire sur ses lèvres, quelques minutes de plus et il y irait.

Le Noir avait beau transcender les humains et les murs, pour en retirer leurs sentiments, il se trompait parfois. Dans cette chambre il ne vit que le portrait de cette famille : quatre personnes aux sourires ravis, encadrés de bois clair, leurs rires poussés quelques années auparavant, l'odeur de gaufres et les fêtes de noël où la table s'agrandissait et était garnie de mets succulents. Il n'apercevait pas au travers de tous ces signes la preuve d'un drame silencieux. Il ne se demandait pas pourquoi Jun avait sa place ici, pourquoi la présence paternelle faisait si peu partie de tous ces souvenirs, pourquoi les murs ne résonnaient plus de cris de conflits depuis des années. Jun se faisait si souvent diriger par cet intrus qu'il tirait parti de sa confusion et sourit légèrement apaisé, comme à chaque fois. Les résidus de poudre avaient quitté ses doigts, le souvenir de cet entrepreneur solitaire se faisait de plus en plus ténu. Pour une fois il était tranquille, et il en profita.

NoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant