Nantis

By FlorieC

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La jeunesse dorée, tel est le surnom qu'on leur donne. Il existe une rumeur qui sous-entend qu'on ne naît pas... More

[SAGA 1] L'arrogance des gens meilleurs
Chapitre 1 : If it makes you happy
Présentation : Noah Khan
Chapitre 2 : Take me as I am
Présentation : Ellie Lefevre
Chapitre 3 : Don't stop the party
Chapitre 4 : Too late
Chapitre 5 : Losing your memory
Présentation : Ethan Franck
Chapitre 6 : She drives me crazy
Chapitre 7 : Secrets
Chapitre 8 : Highway to hell
Chapitre 9 : How I needed you
Chapitre 10 : Miss misery
Chapitre 11 : Me and the devil
Présentation : Anna Joly
Chapitre 12 : Know your enemy
Chapitre 13 : Little talks
Chapitre 14 : You're not alone
Chapitre 15 : Love the way you lie
Chapitre 16 : Bad romance
Chapitre 17 : Teenage dream
Chapitre 18 : Don't wake me up
Chapitre 19 : My medicine
Chapitre 20 : Shut up and let me go
Chapitre 21 : Wicked Game
Présentation : Gabrielle Gallien
Chapitre 22 : Last Christmas
Chapitre 23 : Winter
Chapitre 24 : Let it be
Chapitre 25 : Happy New Year
[SAGA 2] L'éternité à tes pieds
Chapitre 1 : Bad day
Présentation : Jared Greggs
Chapitre 2 : The last to know
Chapitre 3 : When she believes
Chapitre 4 : Losing my religion
Présentation : Lucas Gallien
Chapitre 5 : Take control
Chapitre 6 : If you leave me know
Chapitre 7 : Stay
Chapitre 8 : Only if you run
Chapitre 9 : Just tonight
Chapitre 10 : Never let me go
Chapitre 11 : Fix you
Chapitre 12 : Damn you
Chapitre 13 : This is war
Présentation : Ruben Greggs
Chapitre 14 : Apologize
Chapitre 15 : Gives you hell
Chapitre 16 : Never say never
Chapitre 17 : Skinny love
Chapitre 18 : Alone
Présentation : Christelle Wertheimer
Chapitre 19 : Don't be a stranger
Chapitre 20 : We are young
Chapitre 21 : One Day
Chapitre 22 : Dark on fire
Présentation : Borja Escobar
Chapitre 23 : Like a virgin
Chapitre 24 : Better Together
Chapitre 25 : Happy Birthday
[SAGA 3] Dans la cour des grands
Chapitre 1 : The funeral
Chapitre 2 : Pursuit of Happiness
Chapitre 3 : Dark Paradise
Chapitre 4 : I want to break free
Chapitre 5 : A drop in the ocean
Chapitre 6 : Enjoy the silence
Chapitre 7 : Help
Chapitre 9 : Eye of the tiger
Chapitre 10 : Come back home
Chapitre 11 : Mirror
Chapitre 12 : Heartless
Chapitre 13 : Someone like you
Chapitre 14 : If I needed you
Chapitre 15 : You're not sorry
Chapitre 16 : Burn it down
Chapitre 17 : How you remind me
Chapitre 18 : Wrecking ball
Chapitre 19 : Just give me a reason
Chapitre 20 : Can you feel the love tonight
Présentation : Gautier Lantez
Chapitre 21 : People help the people
Présentation : Yanis Perrin
Chapitre 22 : Yesterday
Chapitre 23 : Hot and cold
Chapitre 24 : Kiss me
Chapitre 25 : Only wanna be with you
[SAGA 4] La réponse des faibles
Chapitre 1 : Collide
Chapitre 2 : The lonely
Chapitre 3 : Another love
Chapitre 4 : Protect me from what I want
Présentation : Ophélie Joly
Chapitre 5 : Big big world
Chapitre 6 : Don't lie
Chapitre 7 : Undisclosed desires
Chapitre 8 : You and I
Chapitre 9 : Another day in paradise
Chapitre 10 : Just can't get enough
Chapitre 11 : Sirens call
Chapitre 12 : Too close
Chapitre 13 : Love me again
Chapitre 14 : Demons
Chapitre 15 : You are the one that I want
Chapitre 16 : Sober
Chapitre 17 : What doesn't kill you
Chapitre 18 : Too many friends
Chapitre 19 : Monster
Chapitre 20 : Broken crown
Chapitre 21 : He is my son
Chapitre 22 : Talk to me
NANTIS EN LIVRES PAPIER !
Chapitre 23 : Try
Chapitre 24 : Everybody's Got To Learn Sometime
Chapitre 25 : Wonderful life
NANTIS en livres ♥

Chapitre 8 : I don't want to be

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By FlorieC



Le ciel était trop bleu, les gens trop bien habillés et la bonne humeur qui résidait dans l'air avait une saveur de déjà-vu. Ethan Franck poussa un soupir en regardant tout autour de lui. Lui, sa famille et Gabrielle étaient arrivés tôt ce matin pour célébrer le mariage de son cousin dans un des nombreux châteaux de la Loire. Trois heures de TGV pour pique-niquer dans un coin paumé à côté d'un fleuve, songea le garçon en observant ses parents faire la bise à tout le gratin bobo de gauche qui était, en réalité, sa propre famille.

Le garçon lança un rapide coup d'œil à Gabrielle. La jeune fille avait relevé ses longs cheveux blonds en une tresse torsadée qui lui faisait une sorte de couronne dans laquelle elle avait ajouté de fausses marguerites. Un sourire se dessina sur ses lèvres tandis que son regard bifurqua vers son corps pour continuer son introspection. Gabrielle portait une robe légère, bleu turquoise, et dos nu qui s'harmonisait parfaitement avec son teint pèche et ses longues jambes se terminaient sur des escarpins. La jeune fille semblait tout à fait à l'aise dans sa tenue, puisqu'elle avait une démarche gracieuse qui contrastait avec celle d'Ethan. Le garçon détestait porter des smokings serrés qui le faisaient ressembler à un pingouin.

— Pourquoi tu me regardes ainsi ? L'interrogea Gabrielle, ce qui le fit soudainement sortir de ses pensées.

— Oh rien, murmura-t-il en relevant son regard vers elle, Tu es très belle... Comme toujours.

— On n'est plus ensemble Ethan, tu n'as pas besoin de te forcer à me faire des compliments.

Ils s'arrêtèrent tous les deux de marcher pour s'observer un instant, puis ils furent interrompus par Stéphane Franck qui venait de s'emparer de son fils par les épaules :

— Alors les enfants, ça se passe bien ? Quel temps magnifique ! Ça fait du bien un bon bol d'air frais, n'est-ce pas ? Loin de la pollution parisienne !

— Oui, c'est très agréable, lui répondit Gabrielle, Merci encore de m'avoir invitée !

— Aucun problème, tu es la petite-amie de mon fils, tu fais presque partie de la famille maintenant.

— Papa, l'interrompit Ethan, blasé, Tu es obligé de faire semblant même quand il n'y a personne d'autre que nous pour t'entendre sortir ce genre de conneries ?

Stéphane fronça des sourcils, d'un air vexé, pas vraiment ravi de se faire remettre à sa place ainsi, et Gabrielle baissa la tête, mal à l'aise. Elle songea que le mot « connerie » était tout de même un peu fort venant de sa part. Après tout, ils avaient quand même été en couple pendant quatre ans et elle était persuadée qu'il y avait une part de vérité là-dessous. Stéphane et Catherine la considéraient presque comme leur fille, et inversement pour ses parents envers Ethan. D'ailleurs, leurs deux familles étaient encore très proches l'une de l'autre, malgré leur séparation récente.

— Enfin peu importe, reprit donc Stéphane en se tournant vers Gabrielle, Dommage que tes parents n'aient pas pu nous rejoindre !

— Oh vous savez pour qu'ils viennent quelque part, il faut les prévenir presque un an à l'avance, répondit la jeune blonde, Ils sont débordés.

— Oui, je me doute bien, avec un père député, ce n'est pas toujours facile, hein ?

Stéphane s'était retourné vers son fils, attendant un acquiescement qui ne vint pas, et il bifurqua son regard vers le château pour changer de conversation :

— Vous avez vu votre chambre pour cette nuit ?

— Non, pas encore, lui répondit Ethan, Mais je suppose que tu as dit à Antoine de me mettre dans la même que Gabi ?

— Bien sûr ! Rétorqua-t-il sans même remarquer le reproche dans sa voix, Ça n'aurait pas été crédible sinon !

— Merci, ironisa son fils.

— Ce n'est pas grave Ethan, l'interrompit Gabrielle en posant une main sur son épaule, Je pense qu'on va être capables de dormir ensemble sans se sauter dessus.

— Et même si vous le faites, ce n'est pas moi qui vous blâmerait, commenta Stéphane en faisant un clin d'œil à son fils.

— Papa, souffla le garçon, blasé, Je t'ai déjà dit que j'avais une copine !

Son père leva les yeux au ciel tel un incompris et les quitta sans rien ajouter de plus, tandis que la jeune blonde se retourna vers Ethan pour continuer :

— Oui, une copine qui te trompe avec ton meilleur ami.

— Je n'ai pas de preuves que Anna l'ait vraiment fait, lui fit-il remarquer.

— Pourtant, tu as toujours été persuadé du contraire.

— Je sais, marmonna le garçon, vaguement, Mais non, en fait, je ne sais pas. Avec tout ce qu'il lui arrive en ce moment, je me dis que je me suis peut-être emporté pour rien. Les gens ont raison au final, je crois que je suis parano.

— Alors qu'est-ce que tu fais de tous ses messages que tu as retrouvés sur le portable de Noah ?

— Ils sont amis, ils ont le droit de s'envoyer des textos, argumenta Ethan en se retournant vers elle.

— Alors pourquoi elle aurait planqué ce portable dans le tiroir de sa chambre si elle n'avait rien à cacher ? Et pourquoi Noah était dans sa chambre lorsque tu as débarqué avec Ophélie ?

Ethan ne trouva rien à rétorquer à cela et il se frotta les joues avec ses mains comme pour se réveiller.

— Je n'en sais rien Gabi ! Ok ? Je n'en sais strictement rien ! Mais je doute, c'est tout.

— Tu ne devrais pas, l'arrêta-t-elle, Ça crève les yeux qu'Anna est amoureuse de lui. Tout le monde le voit, sauf toi.

— Tu sais, ce n'est pas toujours ce qui crève les yeux qui est la vérité, murmura-t-il songeur, Certaines vérités sont plus cachées qu'on ne le pense.

Gabrielle ne voulut pas répondre, car elle savait à quoi il faisait allusion, mais Ethan continua, la voix dure :

— Comme toi et Noah, par exemple. C'était loin de crever les yeux, mais putain ça m'a crevé autre chose, tu peux me croire.

— Je ne sais plus quoi faire pour m'excuser, marmonna la jeune fille, honteuse, Si tu savais comme je m'en veux.

— Pour commencer, essaye déjà d'arrêter d'accuser Anna de ce que toi, tu as fait.

— Hey Ethan, ne retourne pas la situation ! C'est toi, je te signale, qui m'a demandée de l'aide pour te venger de ce qu'elle t'avait fait. C'est toi qui a toujours cru qu'elle t'avait trompé. Je ne t'ai jamais emmené dans cette voie, moi !

— Oui je sais, rétorqua Ethan après un instant, Excuse-moi... C'est juste que je ne sais plus quoi penser. J'ai l'impression qu'Anna n'est pas entièrement sincère, mais une partie de moi tient encore à elle. Je ne veux pas me comporter comme Noah et la blesser. Et franchement, en ce moment, elle n'a vraiment pas besoin de ça.

Ils continuèrent à marcher en silence jusqu'au château pour rejoindre Catherine Franck qui discutait avec sa sœur à l'entrée. Les deux jeunes saluèrent la femme d'une quarantaine d'année, affublée d'un chapeau qui faisait bien trois fois sa tête, complimentant sa tenue rose bonbon affreusement laide, et s'éclipsèrent pour pénétrer dans le château.

— J'avais oublié les gouts vestimentaires de ta tante, pouffa Gabrielle lorsqu'elle fut sûre que personne ne pouvait les entendre, Elle me surprendra toujours !

— Oui moi aussi, l'assura le garçon, Pourtant, ça fait bientôt dix-huit ans que je la connais !

— Oh mais oui ! S'exclama soudainement Gabrielle en se retournant vers lui, C'est bientôt ton anniversaire ! Qu'est-ce que tu as prévu de faire ?

— C'est l'année de notre majorité à tous, les grosses soirées, on va en avoir toute l'année. Je pense que je ferai une petite soirée en privé, juste entre nous.

— C'est une bonne idée, lui assura la belle blonde, Les soirées au Palace commencent sérieusement à m'ennuyer, ces derniers temps.

Ethan esquissa un sourire dans sa direction, ne pouvant être plus d'accord avec elle, et ils montèrent tous les deux l'imposant escalier de marbre pour rejoindre leur chambre pour la nuit. Le mariage commençait à quatorze heures, il leur restait donc deux bonnes heures pour installer leurs affaires et grignoter un apéritif avant le début des festivités. Arrivés dans le couloir, Antoine Franck passa à vive allure devant eux, l'air affolé, et Ethan retint son cousin par le bras en s'exclamant :

— Hey voilà notre marié ! Alors, tu ne dis même pas bonjour à ta famille ?

— Ethan ! S'exclama le garçon, ravi, en serrant son cousin dans ses bras, Désolé, je ne vous avais pas vu avec Gabi, je suis tellement stressé ! C'est de la folie depuis quelques mois. Alors comment tu vas ?

— Pas trop mal.

Antoine se retourna vers Gabrielle, l'observa de bas en haut, et murmura, impressionné :

— Waouh, tu es toujours aussi belle ! Tu es sûre que tu ne veux pas m'épouser à la place d'Andréa ? Allez, dis oui, je t'en supplie !

— Non c'est la mienne, rétorqua Ethan en s'emparant de la jeune fille par la taille.

Puis il joignit à sa remarque un rire pour ne pas paraître trop possessif avant que son cousin n'ajoute tristement :

— Et bien, tu en as de la chance.

— Ce n'est pas un peu bizarre de dire ça le jour de son mariage ? L'interrogea Gabrielle, stupéfaite, C'est censé être le plus beau jour de ta vie.

— Tu parles, c'est plutôt le début d'un cauchemar...

Les deux jeunes froncèrent des sourcils d'un air ahuri et Antoine enchaina en les attrapant par le poignet pour les entrainer avec lui dans une pièce du château.

— Venez, il faut que je vous parle.

Sans rechigner, Ethan et Gabrielle le suivirent, inquiets, et le marié referma une large porte en bois derrière eux. Antoine était un homme déjà imposant pour son âge, des épaules carrées et bien dessinées venaient encadrer son corps de nageur. Ses cheveux étaient bruns et très courts, mais les traits de son visage étaient fins, comme ceux d'Ethan. On avait d'ailleurs souvent l'impression que sa tête de gentil garçon n'allait pas vraiment avec son corps d'athlète. En l'observant ainsi, Ethan espéra intérieurement ne pas lui ressembler lorsqu'il sera plus grand. Pourtant, avec le rugby qu'il pratiquait depuis le lycée, son corps commençait déjà à s'affermir et ses muscles se dessinaient sur son torse, lorsque son visage, lui, ne se décidait pas à évoluer pour le moment.

Antoine les observa un instant un silence, puis il enchaina d'une voix ferme :

— Je ne veux pas me marier.

— Quoi ?! Explosèrent les deux jeunes à l'unisson.

— Je ne veux pas, c'est tout, reprit Antoine dont l'angoisse se lisait à travers le visage, Je n'aime pas Andréa. Je me fiche complètement de cette fille !

— Attends, bégaya Ethan, pris au dépourvu, Tu veux dire que tout ça c'est... C'est un mariage arrangé ?!

— Oh j'hallucine, souffla Antoine, blasé, On dirait que le ciel vient de te tomber dessus ! Bien sûr que c'est un mariage arrangé ! Tu pensais que ça n'existait plus ce genre de truc ?

— Pour être franc, oui, marmonna son cousin en l'observant, mal à l'aise, Depuis le lycée, tu sors avec Andréa. Je pensais que c'était sincère.

— C'était sincère comme l'est un amour de dix-sept ans ! S'exclama Antoine en se passant les mains sur son visage, Nos parents se connaissaient bien, ils nous ont fait nous rencontrer et ils paraissaient tellement heureux quand on est sortis ensemble, alors on a continué, sans se poser de questions. Et puis, tout est allé si vite. J'ai eu vingt quatre ans et ils m'ont poussé à officialiser ma relation. Je n'ai pas réfléchi sur le coup et, maintenant, je me dis que je vais passer le reste de ma vie avec la seule fille que j'ai toujours connue. Et si quelqu'un me correspondait mieux dehors ? Et si je passais à côté de quelque chose de plus fort juste parce que j'ai arrêté de chercher après la première relation que j'ai eue ?

Ethan et Gabrielle se jetèrent un coup d'œil en biais. C'était ce genre de questions qui les avait poussés à la rupture, il y avait quelques mois de cela.

— Andréa est une fille géniale, mais j'ai tellement peur de passer à côté de quelque chose de plus fort, de plus grand...

— Tu sais, c'est normal de stresser avant ton mariage, tenta de l'apaiser la belle blonde, Tout le monde se pose ces questions. Mais tu l'as dit toi-même. Tu n'as pas réfléchi au moment de lui proposer ta main, c'était forcément sincère.

— Oh je ne sais pas Gabi, souffla Antoine en se laissant tomber sur le fauteuil derrière lui, J'ai l'impression que je vais tout gâcher si je l'épouse aujourd'hui. Je ne me sens pas prêt pour fonder une famille. Je ne l'aime pas assez pour lui sacrifier l'intégralité de ma vie.

Ne sachant quoi répondre à cela, Ethan et Gabrielle restèrent silencieux, tandis qu'Antoine se tenait le crane entre ses mains, réfléchissant à son terrible dilemme, jusqu'à ce que son cousin ne vienne l'interrompre dans ses pensées :

— Tu ne penses pas sérieusement à annuler le mariage ?

— Si je ne le fais pas aujourd'hui, alors quand ? Murmura-t-il, le regard dans le vide.

— Tu n'es pas sérieux... Souffla Ethan, estomaqué, Devant toute notre famille ? Mais ils vont te renier complètement ! Tu en as conscience au moins ?

— Ouais... Et ça sera peut-être la meilleure chose qui pourra m'arriver. Je ne veux plus qu'ils me contrôlent, comme ils l'ont toujours si bien fait.

Ethan déglutit péniblement et Antoine ajouta en se relevant enfin de son fauteuil :

— Ce que je veux vraiment, c'est une relation comme tu as avec Gabrielle. Vous êtes tellement amoureux, ça se voit que votre relation est sincère. C'est ça que je veux. Mon propre choix et pas ce que veulent mes parents.

Antoine Franck s'approcha du jeune couple et continua, en posant ses deux mains sur les épaules de son cousin :

— Tu es tellement courageux, Ethan. Reste comme tu es et ne les écoute jamais. Ne te fais pas bouffer comme moi. Ta vie t'appartient, ne leur laisse pas croire qu'ils peuvent décider à ta place. S'ils ne le font pas maintenant, alors ils n'y arriveront jamais. Crois-moi.

Ethan se décomposa lentement. Pourquoi ce conseil semblait-il arriver trop tard ? S'interrogea-t-il, paniqué. La réponse était pourtant évidente... Il n'avait pas beaucoup hésité pour inviter Gabrielle au mariage à la place d'Anna, simplement parce que ses parents le lui avaient imposé. Il avait eu l'impression que ce choix avait été le meilleur à faire étant donné les circonstances, mais, en réalité, ce choix avait seulement été le plus facile. Ethan n'avait pas eu envie de bousculer son entourage en leur imposant une personne qu'ils n'avaient pas encore acceptée. En effet, la famille Franck était plutôt traditionnelle. Malgré le fait qu'ils rejetaient profondément une quelconque influence religieuse, aucun divorce à ce jour venait ternir le beau portrait de famille et les mariages se déroulaient toujours très tôt. C'étaient les deux seuls leitmotivs pour se faire accepter comme un véritable Franck... Et Ethan réalisa, à l'instant, que tout se déroulait pour qu'il en devienne un parfait exemple.

***

— Non, Belen, tu ne peux pas écrire ça de cette manière, déclara Ruben en reposant la composition d'histoire qu'avait écrite la jeune fille sur le bureau de sa professeure de danse, Quand on te lit, on voit clairement que tu prends partie pour le bloc occidental.

— C'est normal, murmura-t-elle sans comprendre, C'est eux qui ont gagné.

— C'est plus complexe que cela, renchérit Ruben, La guerre froide est une longue période de l'histoire et les Etats-Unis ne sont pas toujours sortis victorieux. Ils ont décliné eux-aussi, l'Europe est née au même moment. Tu dois porter le point de vue d'un historien, tu ne peux pas juger l'Histoire.

— Mais la Russie a quand même perdu ?

— Non l'URSS, rectifia Ruben, Et puis les Etats-Unis ne sont pas les sauveurs démocrates que tu décris dans ta composition. Dans les faits, ils ont soutenu des dictatures en Amérique Latine pour être sûr que ces pays ne tombent pas dans le bloc communiste. Ils ont fait la guerre au Vietnam au prix de plusieurs milliers de vies. Le monde n'est pas blanc ou noir.

— Ce n'est pas au programme ça, souffla Belen, fatiguée, Tu en demandes trop Ruben.

— Non, j'essaie juste de te faire voir au-delà du simple conflit idéologique. Ce n'est pas qu'une guerre sur un mode de vie. Il y avait des enjeux économiques derrières et politiques, bien sûr.

— On ne nous demandera pas ça au brevet, cracha la jeune fille, énervée, en reprenant sa feuille, Mais seulement de raconter ce qu'il s'est passé et, la réalité, c'est que les communistes ont perdu face aux démocrates !

— Alors comment tu expliques qu'après la seconde guerre mondiale, le parti communiste ait été le premier parti de France pendant des années ? L'interrogea Ruben.

— Oh tu me soules, souffla la jeune fille en se laissant tomber sur sa chaise, On peut arrêter ?

Ruben jeta un coup d'œil à sa montre, puis bifurqua son regard vers elle. Il n'avait fait qu'une heure de soutien à la place de leurs deux heures hebdomadaires du samedi midi, mais Belen semblait épuisée.

— Ça s'est mal passé la danse ? L'interrogea Ruben, inquiet.

— Je me suis fais mal à la cheville, marmonna la jeune fille sur sa chaise, Rien de grave.

— Tu ne devrais pas trop forcer à ton âge, la mit-il en garde, Ça pourrait avoir des séquelles pour plus tard. Ne tente pas le diable...

— T'es toujours chiant comme ça ou t'as juste grandi trop vite ?

— Hey Belen ! S'exclama le garçon, vexé, Je fais tout ça pour t'aider, alors ne te montre pas désagréable s'il-te-plait !

— Désolée, je suis fatiguée.

— Ouais, je crois qu'on va arrêter là pour aujourd'hui, de toute façon, tu n'es pas concentrée, donc ça ne sert à rien.

Sur ce, Ruben se releva de sa chaise et rangea ses affaires dans son sac à dos Eastpak gris taupe. Puis il fit glisser la fermeture éclaire, tandis que Belen attrapa ses cahiers et sa trousse pour les mettre dans son sac de sport.

— Il y a quelqu'un ? Entendirent-ils soudainement en bas.

— Borja ! S'exclama Belen, paniquée, en reconnaissant la voix de son grand-frère.

— Mais qu'est ce qu'il fait là ? L'interrogea Ruben en chuchotant.

— Hey ! Entendirent-ils de nouveau, Belen, tu es là ?

Des pas dans l'escalier se firent soudainement entendre et Ruben se retourna vers la jeune fille, les yeux exorbités de stupeur :

— Merde, qu'est-ce qu'on fait ?

— Cache-toi ! Siffla Belen en dernier recours.

Le garçon lança un rapide coup d'œil autour de lui, puis se faufila sous le bureau d'Angèle Evain. Il retint son souffle en entendant la porte s'ouvrir et Borja pénétra dans la pièce en enchainant :

— Putain Belen, tu pourrais répondre !

— Qu'est-ce que tu fais là ? Murmura sa jeune sœur pour toute réponse, Et qu'est-ce qu'il t'est arrivé ? Enchaina-t-elle, hébétée, en voyant la lèvre doublée de volume de son grand-frère.

— Je te cherchais, figure-toi ! Ça fait une heure que ton cours est terminé. Et puis, toi, qu'est-ce que tu fais là ? L'interrogea-t-il, Tu es toute seule ?

— Oui ! S'empressa-t-elle de répondre, ce qui ne sonnait pas très naturel, Je faisais mes leçons.

— Tes leçons ? Répéta Borja, dubitatif, Pourquoi ?

— C'est plus calme ici.

— Ta prof est au courant que tu squattes son bureau pour ça ? Enchaina-t-il, sceptique vis à vis de l'explication.

— Oui, bien sûr, je n'aurais pas eu les clefs sinon, lui fit-elle remarquer.

Borja resta silencieux un instant, jetant un coup d'œil dans la pièce, et Belen enchaina :

— Et toi, tu n'as pas répondu à ma question... Qu'est-ce qu'il t'est arrivé ? Tu es tout amoché.

— Rien de grave, je suis tombé en skate, répondit vaguement le garçon.

— Bien sûr, commenta Belen, Ton skate, il s'appelle Jared ?

Au nom de son grand-frère, Ruben, qui était toujours accroupi sous le bureau, eut un sursaut de surprise et sa tête tapa violemment contre le bois, tandis qu'il étouffa un cri de douleur.

— C'était quoi ça ? Interrogea Borja.

— Euh rien, je n'ai rien entendu moi, répondit Belen, mal à l'aise, en maudissant l'abruti sous le bureau.

— Si, j'ai entendu un coup.

— Oh ça ! Pouffa la jeune fille, amusée, Non, c'est le planché qui craque. J'ai dû faire un mouvement brusque, c'est tout.

— Belen... Tu es bizarre, marmonna Borja en observant sa sœur qui frappait le sol de son pied pour faire du bruit, Pourquoi tu bouges comme ça ?

— Non rien, l'arrêta la jeune fille en s'immobilisant, J'ai faim. On va manger ?

— Dis-moi la vérité, la coupa-t-il, Tu mens très mal.

— Toi aussi « Monsieur je suis tombé en skate », lui fit-elle remarquer, cinglante.

— Ce n'est pas Jared qui m'a fait ça ! Explosa-t-il, Fous-moi la paix avec ça ! Et puis, pourquoi il m'aurait frappé, après tout ?

— Pour défendre Ruben, répondit-elle du tact au tact, J'étais là la dernière fois. Tu ne t'en souviens déjà plus ?

— Jared n'est jamais revenu depuis et il ne reviendra pas, lui assura-t-il, Ce connard voulait juste me faire peur. Il n'est pas aussi rancunier. Cette histoire est dernière nous maintenant, donc peut-on juste passer à autre chose et ne plus jamais en parler ?

— Mais Ruben est...

— Stop ! L'interrompit-il pour ne pas lui laisser le temps de finir, Je ne vois même pas pourquoi ce nom est évoqué dans notre discussion.

— Parce que...

— Parce que rien, la coupa-t-il à nouveau, Ce type n'existe pas pour moi, ni pour toi d'ailleurs.

Ruben se mordit la lèvre inférieure, s'empêchant de ne pas se relever pour dire à ce petit con tout ce qu'il pensait de lui. Comment Borja osait-il dire qu'il n'existait pas après tout ce qu'il lui avait fait subir ? Voir un mec se faire tabasser sans rien dire ne pouvait pas sortir si facilement de la mémoire, songea Ruben, exaspéré par la manière qu'il avait de toujours faire comme si rien ne le touchait.

— Bref, enchaina Belen, mal à l'aise, On y va ?

Bien sûr, la jeune fille voulait absolument que son frère se réconcilie avec Ruben, donc il n'était pas dans son intérêt que la conversation aille plus loin.

— Oui, allez viens, rétorqua Borja.

Ruben entendit des bruits de pas s'éloigner du bureau et il poussa un soupir, soulagé que la torture soit terminée.

— Tu ne fermes pas la porte à clef ? Entendit-il soudainement.

— Euh non pas grave, bégaya Belen en refermant la porte.

— Si, ferme-la à clef, rétorqua Borja, Ce quartier craint et ta prof te fait confiance. C'est plus prudent.

Non ! Songea Ruben, paniqué à l'idée de se faire enfermer ici.

— Mais Angèle va revenir bientôt, tenta la jeune fille, prise au dépourvue.

— Elle doit avoir son propre jeu de clef, allez ferme et on en parle plus.

Le garçon, toujours accroupi sous le bureau, sentit son cœur se serrer dans sa poitrine lorsqu'il entendit les clefs tourner dans la serrure. Et merde, songea-t-il en se laissant tomber sur le sol dépité. Et pour ne pas aggraver la situation, le bureau était au premier étage et Belen n'avait pas de portable... Résigné, Ruben sortit finalement de sa cachette et regarda tout autour de lui. Il se rua sur le bureau et attrapa un agenda ouvert à côté du téléphone. Angèle Evain avait bien dû laisser son numéro quelque part. Il le trouva après avoir tourné quelques pages et sortit son portable de sa poche pour l'appeler.

— Oui ? Entendit-il après quelques sonneries dans le vide.

— Oh mon Dieu merci, souffla-t-il, soulagé.

— Ruben ? Reconnut Angèle, Qu'est-ce qu'il t'arrive ?

— Ce serait un peu long à expliquer, mais je suis enfermé dans votre bureau.

Un simple « Ah » lui parvint au bout du fil et il enchaina, précipitamment :

— Je suis vraiment désolé de vous déranger, mais est-ce qu'il y a moyen que vous veniez m'ouvrir ?

— Belen ne peut pas ? Elle a les clefs.

— Mais elle n'a pas de portable. Je ne peux pas la joindre et elle vient juste de partir. Je ne sais pas quand elle reviendra.

— Le problème Ruben, c'est que j'ai des cours à donner au conservatoire tout l'après-midi et je ne peux vraiment pas revenir en banlieue maintenant, lui avoua Angèle, mal à l'aise, Je suis désolée, mais je ne serais de retour qu'en début de soirée.

— Oh merde, souffla-t-il, désespéré, en se laissant tomber sur la chaise derrière lui.

— Est-ce que tu peux joindre quelqu'un qui viendra chercher les clefs pour toi ? L'interrogea Angèle, Il n'y a pas de problème pour que je sorte cinq minutes les lui donner. Il faudra juste que vous veniez me les rendre tout de suite après.

— Personne ne voudra faire l'aller-retour dans Paris, souffla Ruben, pas vraiment convaincu par le plan.

— Tu trouveras bien quelqu'un qui aura pitié de toi ! Plaisanta Angèle.

Qui ? S'interrogea Ruben en silence. Il n'avait pas parlé à ses parents depuis sa fuite avec Jared. Son frère avait le permis, mais pas de voiture, Anna n'avait ni l'un ni l'autre, et il était hors de question qu'il appelle Borja pour lui venir en aide... Puisqu'il était, d'ailleurs, la raison même de son enfermement.

— Ah si, j'ai peut-être une idée, reprit-il finalement, Je vous tiens au courant.

— D'accord, bonne chance Ruben et si jamais tu ne trouves pas et que tu restes enfermé dans mon bureau, n'hésite pas à donner un coup de main, il faut trier les dossiers qui sont sur...

— Je vais trouver, la coupa-t-il, puisque l'idée de trier des feuilles tout l'après-midi ne l'emballait guère, Merci quand même.

Puis il raccrocha son téléphone et sélectionna un nouveau numéro.

— Salut beau gosse, entendit-il après un instant, Qu'est-ce que je peux faire pour toi ?

— Salut Gautier, lui répondit Ruben en esquissant un sourire, Tu risques de me trouver bizarre, mais je vais avoir besoin de ton aide.

— Dis toujours.

— Je suis enfermé dans le bureau d'une prof de danse, faudrait que tu viennes me libérer.

— Euh, comment tu as réussi à t'enfermer dans le bureau d'une prof de danse ? Bégaya le garçon, hébété.

— Ce serait un peu long à t'expliquer, mais j'aurais tout le temps de le faire pendant le trajet si tu veux bien venir me chercher. Tu as le permis ?

— Oui depuis quelques mois, lui assura Gautier, Allez, envoie-moi l'adresse par SMS.

— Il faut d'abord que tu ailles chercher les clefs au conservatoire par contre.

— Oui envoie-moi tout ça.

— Oh merci, putain, souffla Ruben, soulagé, Tu me sauves la vie !

— Mais je n'ai pas encore mis mes conditions, l'arrêta-t-il.

— Quelles conditions ?

— Trois diners ? Proposa Gautier.

— Sérieux ? Souffla Ruben, hébété, Tu vas passer ton aprem en voiture dans Paris, parce que je suis assez con pour me faire enfermer dans une pièce et toi, tu veux me revoir ? Tu ne sais pas dans quoi tu t'embarques en me fréquentant !

— Et bien, tu m'en donnes une assez bonne idée aujourd'hui, lui rétorqua le garçon, amusé, Tu me fais rire comme mec. J'ai l'impression qu'il t'arrive toujours des merdes.

— Et encore, tu ne connais pas ma meilleure amie, ironisa le garçon, Elle me bat dans ce domaine.

— Et bien, je suis pressé de la rencontrer aussi alors, ça mettra un peu d'ambiance dans ma vie.

Et pour le coup, il serait servi avec leur duo, songea le garçon en silence.

— Ravi que tu puisses t'amuser de nos malheurs, ça en fera au moins un, commenta Ruben.

— Allez envoie-moi l'adresse, reprit Gautier, Je fais au plus vite !

— Merci.

Ruben raccrocha son téléphone en esquissant un sourire. Il connaissait Gautier depuis peu, car ils n'avaient partagé qu'un repas un soir en sortant du lycée, mais il sentait au fond de lui que cette rencontre ne s'arrêterait pas là. Pour une fois depuis plusieurs mois, il avait enfin l'impression que la vie lui souriait à nouveau. Adieu l'homo refoulé des quartiers et bonjour celui bien dans ses baskets, songea-t-il en s'arrêtant, réalisant que, si Anna l'avait entendu parler ainsi, elle l'aurait probablement trucidé pour cette expression ridicule. Mais peu importait, Ruben avait le sentiment que Gautier l'accepterait comme il était vraiment et, d'un côté, il était temps.

***

Les chaises blanches étaient installées dans le parc du château et une grande allée rouge venait diviser en deux parties distinctes la cérémonie de mariage. Du côté droit, la famille d'Antoine Franck, du côté gauche, celle de sa petite-amie et future épouse, Andréa Chauvin. Installé au troisième rang, Ethan lança un rapide coup d'œil à Gabrielle. La jeune fille semblait anxieuse et il posa sa main sur la sienne pour lui éviter de trembler.

— Tout va bien se passer, lui assura-t-il, confiant.

— Et si ton cousin ne vient pas ? Chuchota-t-elle à son oreille, Ce serait tellement gênant d'être là à regarder la mariée et de ne rien pouvoir faire.

— La seule personne pour qui ça sera vraiment gênant, ce sera Andréa, rétorqua-t-il en murmurant à son tour, Donc arrête de stresser pour rien.

— Mais...

— Je connais mon cousin, ajouta Ethan, Il n'aura pas le cran de tout annuler au dernier moment.

— Pourtant, il avait l'air de savoir ce qu'il voulait. Ou, du moins, ce qu'il ne voulait pas, c'est-à-dire, sa future femme.

— Oui et il a aussi dit qu'on formait un beau couple alors qu'on ne sort même plus ensemble, lui fit remarquer le garçon, Est-ce qu'on peut vraiment se fier à son jugement ?

— Merci d'insinuer toutes les trente secondes que ça serait une plaie de sortir avec moi, grinça Gabrielle, furieuse, en se retournant vers l'allée principale.

Ethan voulut répondre, mais une musique se mit soudainement à retentir dans les hauts parleurs installés pour l'occasion et il bifurqua à son tour son regard vers le début de l'allée. Les deux jeunes mariés venaient de faire leur apparition et ils avançaient sur le tapis. Suivant les autres invités, Ethan et Gabrielle se levèrent pour les applaudir.

Le garçon put observer son cousin serré dans son smoking trois pièces. Antoine avait le regard dur et la mâchoire crispée. Il n'avait pas l'air d'aller mieux que tout à l'heure. Andréa, quant à elle, était radieuse. Une petite rousse aux cheveux lisses, peau blanche parsemée de taches de rousseurs, et yeux noisette en amende. Elle n'était pas spécialement jolie, mais Ethan devait reconnaître qu'elle avait beaucoup de charme. Andréa lui faisait d'ailleurs un peu penser à Esther... A l'exception que cette dernière était une vraie connasse, contrairement à Andréa qui semblait être la bonté incarnée comparée à l'autre peste qui lui servait partiellement d'amie.

Sortant de ses pensées, Ethan se réinstalla avec le reste des invités sur sa chaise et suivit la cérémonie sans d'autre commentaire. Il détestait ce genre d'évènement ridicule qu'on osait qualifier de rituel, coupant une vie en un « avant » et un « après ». Pourtant, sa famille était loin d'être dans les clichés religieux, car comme toute bonne famille bobo de gauche, la religion était proscrite de leur état d'esprit. Un mariage civil en bonne et dû forme, dans une République une et laïque, telle faisait le bonheur de la famille Franck.

— Maintenant, reprit le maire de la ville, affublé de son écharpe aux couleurs de la France, Nous allons passer au consentement.

— Oh mon moment préféré, murmura Catherine en serrant la main de son fils dans la sienne.

— Et s'il dit non ? Lui souffla Gabrielle dans son autre oreille.

— Ta gueule, Gabi.

Vexée, la jeune fille fit une moue boudeuse et elle se retourna vers le couple de futurs mariés. Elle observa un instant Andréa et eut pitié pour elle. Cette pauvre fille de vingt-quatre ans, folle amoureuse d'un homme qui se fichait d'elle, se résuma la belle blonde, tristement. Et alors qu'Andréa pensait vivre le plus beau jour de son existence, elle était, en réalité, en train d'appuyer sur le bouton play du futur cauchemar qu'allait devenir sa vie. Délaissée, probablement trompée, et détestée par son propre mari. Voilà ce qui l'attendait pour ses vingt prochaines années de vie de couple. Le pire dans tout ça, c'était qu'elle l'ignorait encore et souriait de toutes ses dents blanches, rendant l'instant encore plus cruel.

— Si quelqu'un veut s'opposer à cette union, qu'il le dise maintenant ou se taise à jamais.

Un silence pensant s'installa dans l'assemblée. Gabrielle fronça des sourcils, elle ignorait que ce genre de phrase clichée et vieillotte existait encore. Elle aurait aimé, d'ailleurs, se lever, leur dire de tout arrêter, et de ne pas donner de faux espoirs à cette pauvre fille qui n'avait rien demandé. Mais elle ne le fit pas. Probablement parce qu'elle était un peu comme cette pauvre fille, finalement. Peut-être qu'Andréa n'était pas si idiote, peut-être savait-elle dans quoi elle s'embarquait aujourd'hui ; une vie de mensonges. Comme s'il y avait réellement des surprises dans leur monde. N'était-ce pas le destin qui l'attendait elle aussi, après tout ? S'interrogea Gabrielle. Et, pourtant, malgré ce constat, sur ses lèvres fines étaient dessinées le même sourire que celui d'Andréa. Un sourire de faux semblant qui ne les quittait jamais vraiment. Un sourire qu'elles avaient appris toutes les deux à leur naissance et qu'elles allaient conserver toute leur vie. Voilà pourquoi elle ne se leva pas à cet instant précis. Elle acceptait cette pitié, puisqu'elle la ressentait pour elle-même.

— Mademoiselle Andréa Julie Chauvin, acceptez-vous de prendre pour époux Monsieur Antoine Stéphane Franck, le chérir, dans la richesse comme dans la pauvreté, dans le bonheur comme dans l'adversité et ce, jusqu'à ce que la mort vous sépare ?

— Oui, je le veux, répondit la jeune fille sans une once d'hésitation.

— Monsieur Antoine Stéphane Franck, acceptez-vous de prendre pour épouse Mademoiselle Andréa Julie Chauvin, la chérir, dans la richesse comme dans la pauvreté, dans le bonheur comme dans l'adversité et ce, jusqu'à ce que la mort vous sépare ?

Antoine avala sa salive avec difficulté et plongea son regard dans celui de sa future femme. Une détresse à peine perceptible put se lire dans ses yeux et Andréa comprit de suite. Du bout des lèvres, elle murmura doucement :

— Ne fais pas ça.

— Je ne peux pas, s'excusa-t-il, tremblant.

Et ses lèvres avaient si peu bougé au moment où il prononça ses mots que le maire les interrompit soudainement :

— Pardon ? Nous n'avons rien entendu. Voulez-vous que je répète la question ?

Antoine resta de nouveau silencieux et Ethan blêmit soudainement, serrant dans son poings les plis que faisait son pantalon.

— Oh non, souffla-t-il.

— Pourquoi pas ? Murmura Gabrielle à ses côtés, Il ne voulait pas, il te l'a dit.

— Mais il ne peut pas faire ça, pas aujourd'hui !

— Chéri, tu sais ce qu'il se passe ? L'interrogea Catherine, inquiète.

— Ethan, il ne s'agit pas de ta vie, lui fit remarquer Gabrielle.

— En quelque sort, si.

La belle blonde l'observa un instant, sans comprendre, et elle entendit le maire continuer :

— Très bien, je vais donc répéter la question... Monsieur Antoine Stéphane Franck, acceptez-vous de prendre pour épouse Mademoiselle Andréa Julie Chauvin, la chérir, dans la richesse comme dans la pauvreté, dans le bonheur comme dans l'adversité et ce jusqu'à ce que la mort vous sépare ?

Antoine lança un regard désespéré à l'assemblée qui s'était réunie ici rien que pour lui. La deuxième fois était encore plus cruelle que la première et son silence ne venait qu'alourdir l'atmosphère déjà pesante.

— Enfin réponds ! S'exclama soudainement Catherine, ce qui fit sursauter son fils.

— Ethan, en profita Gabrielle pour accaparer de nouveau son attention, Pourquoi tu dis que ça te concerne ? Qu'est-ce qu'il se passe ?

— J'ai peur.

— De quoi ?

— De ce qu'il va faire, murmura Ethan, les yeux dans le vide, S'il est capable de ne pas leur obéir, je vais me sentir obligé de faire pareil.

— Hein ? Mais qu'est-ce que tu racontes ?

— Non, répondit finalement la voix d'Antoine en arrière fond.

L'intégralité de l'assemblée poussa un « Oh » de stupeur, bien qu'en réalité, tout le monde s'était attendu à cette réponse. Le maire enchaina alors qu'Andréa semblait à deux doigts de l'évanouissement :

— Pardon jeune homme, mais... Vous refusez de vous engager à cette personne ?

— Oui, je refuse qu'Andréa devienne ma femme, reprit Antoine après avoir pris une bouffée d'air frais, Je suis désolé que vous vous soyez tous déplacés, mais je ne veux pas de ce mariage. Merci tout de même pour le déplacement.

— PARDON ?! S'offusqua soudainement un vieil homme en se relevant de sa chaise au premier rang.

Ethan reconnut de suite son oncle, le père d'Antoine, et ses célèbres sautes d'humeur.

— Qu'est-ce que c'est que ce bordel ?! Fils, tu vas me faire le plaisir de retirer ce que tu viens de dire et d'épouser cette fille ! On n'a pas dépensé tout ce fric pour rien !

— Désolé papa, mais il n'y a pas que l'argent qui compte.

— Et moi ? Bégaya Andréa qui osa enfin ouvrir la bouche, Qu'est-ce que tu fais de moi ? Je ne compte pas peut-être ?

— Je suis désolé, répéta-t-il en plongeant son regard dans le sien, Mais tu savais, toi aussi, que ça ne marcherait pas entre nous.

Antoine se tourna vers l'assemblée et son père, qui venait de se rassoir sous peine de faire une crise cardiaque, et il enchaina à l'attention des deux familles réunies dans le parc :

— Je sais ce que vous pensez... Que je prends peur et que je m'enfuis lâchement. Vous avez peut-être raison. Si j'avais été réellement courageux, j'aurais fait ça plus tôt, en effet. Mais qu'est-ce que vous voulez que je vous dise ? Il était préférable que je prenne cette décision, maintenant, plutôt que dans une vingtaine d'année, lorsque je serai comme tous les membres de cette fabuleuse famille, à mépriser la vie que j'ai eue et que je n'ai jamais voulue. Je sais ce que vous vous dites tous... Que j'ai gâché ma vie en faisant ça, n'est-ce pas ? Je n'en sais rien, peut-être bien. Mais quitte à me tromper, je préfère vivre ma vie plutôt que celle que vous voulez m'imposer.

Il bifurqua ensuite son regard vers son jeune cousin sous l'assemblée médusée et il ajouta à son attention :

— Il n'est jamais trop tard.

Ethan avala sa salive et se leva soudainement de sa chaise. L'ensemble des invités se retournèrent vers lui, stupéfaits, et Catherine s'exclama, surprise :

— Mais chéri, qu'est-ce que tu fais debout ?! Rassis-toi tout de suite ! Tout le monde te regarde !

— Gabrielle n'est plus ma petite-amie.

— Quoi ? Bégaya sa mère à ses côtés, Mais qu'est-ce que tu nous fais là ? Rassis-toi !

— Non, je n'ai pas fini, la coupa Ethan, tandis que Gabrielle sentit tous les regards se tourner vers elle.

Mal à l'aise, elle baissa la tête et le garçon enchaina, malgré les plaintes de sa mère :

— Si je l'ai amenée ici et vous ai fait croire qu'on était toujours ensemble, c'est parce que mes parents me l'ont demandé. Ils avaient peur de votre réaction si vous appreniez que je n'étais plus avec la parfaite Gabrielle Gallien.

— Ethan ! S'exclama Stéphane fermement, Arrête tes conneries et assis-toi.

— Oui, arrête, souffla la belle blonde à ses côtés, Pourquoi tu fais ça maintenant ?

— Mais j'ai quelque chose à vous dire sur la parfaite Gabrielle, enchaina le garçon imperturbable, Si on a rompu, c'est parce qu'elle m'a trompé, deux fois.

La jeune fille se tassa dans son siège, cachant son visage de ses mains. Elle ne s'était encore jamais sentie aussi humiliée. Mais que lui prenait-il, bon sang ?

— Une fois avec mon meilleur ami, l'autre fois avec un crétin de comédien de mon lycée. Et si je vous avoue tout ça aujourd'hui, c'est parce que je me fiche de ce que vous pouvez bien penser. Ma vraie copine, elle n'est pas aussi belle et riche que Gabrielle, sa famille est loin d'être parfaite et elle n'a aucune réputation. Vous ne l'aimeriez pas, mais...

L'assemblée resta incrédule face à lui, attendant la suite, et Ethan se tourna vers son cousin qui l'observait un sourire aux lèvres. Il ajouta à son attention :

— Mais quitte à me tromper, je préfère vivre ma vie plutôt que celle que vous voulez m'imposer.

***

Jared Greggs hésita quelques secondes face à la porte d'entrée, puis il se décida à appuyer sur la sonnette. Désormais, il était trop tard pour faire marche arrière. Après un court instant, Mathieu Devis, l'homme à tout faire de la maison se planta devant lui et marqua un sursaut de surprise.

— Jared ?!

— Mes vieux sont là ?

— Dans le salon, oui.

— Tous les deux ? S'étonna Jared, Étonnant que mon père soit là un samedi après-midi.

Ne sachant quoi répondre à cela, Mathieu lui ouvrit la porte pour que le garçon puisse pénétrer dans leur immense demeure du septième arrondissement, à proximité du musée d'Orsay.

— Boris ? Béatrice ? Interrogea-t-il tout en réalisant à quel point ils s'étaient bien trouvés tous les deux.

Car ces deux prénoms ne pouvaient pas être plus insupportables que mis cote à cote.

— C'est Jared, enchaina le garçon en pénétrant dans le salon.

Surpris, son père releva le nez de son journal et sa mère de l'écharpe qu'elle était en train de tricoter.

Béatrice l'interrogea, cinglante :

— Depuis quand tu nous appelles par nos prénoms ?

— Depuis que je ne vous considère plus comme mes parents, répondit leur fils, tout aussi sèchement.

— Et bien, c'est sympathique comme entrée en matière, ironisa Boris en reposant sur la table basse du salon le journal qu'il venait de plier en deux, Que nous vaut cette visite, fils ? Toi et ton frère n'avez plus d'argent ?

— Récupérez Ruben, cracha-t-il de suite car il n'avait pas envie de tourner autour du pot.

— Pardon ? Souffla Béatrice, hébétée.

— Récupérez Ruben, répéta Jared avec un sanglot dans la voix, même si le garçon était persuadé que sa mère avait très bien entendu la première fois.

Mais, bien sûr, Béatrice voulait probablement le torturer. Comme si ce n'était pas déjà assez difficile pour lui d'avoir à faire ça, songea-t-il en retenant du mieux qu'il pouvait les larmes qu'il avait envie de verser. Il savait que Ruben le détesterait pour ce qu'il allait faire, son frère allait même probablement le haïr, mais il était temps de se rendre à l'évidence. Il avait vingt ans, Ruben dix-sept et il n'était pas capable de subvenir à ses besoins. Jared avait conscience qu'ils ne pourraient pas rester éternellement chez la famille Joly et qu'il était temps qu'ils apprennent à savoir où était leur limite. Deux adolescents ne pouvaient pas vivre seul à Paris, c'était un fait que Jared avait toujours su, mais qu'il avait préféré ignorer. Peu importait pour lui, au final, puisqu'il n'avait jamais rien eu à perdre. Pas d'études, pas de vrai travail, pas d'attaches particulières à sa famille. Mais pour Ruben, c'était différent. Il ne pouvait pas infliger à son frère ce que lui avait subi. L'abandon de sa famille et l'absence de cadre pour poursuivre ses études. Jared savait que si Ruben ne rentrait pas chez eux maintenant, il terminerait comme lui, et il ne souhaitait ça pour rien au monde. Il avait été égoïste pendant trop longtemps et il était temps qu'il remette les choses à leur place.

— Tu veux que Ruben revienne à la maison ? Interrogea Boris en fronçant des sourcils.

— Oui, il a besoin de vous. Je ne suis pas assez fort pour m'occuper de lui.

Béatrice esquissa un sourire de satisfaction, probablement ravie qu'il en ait fait la constatation par lui-même. Pour une fois que son fils ainé se montrait réaliste, songea-t-elle, soulagée.

— Et toi ? Le questionna Boris en se relevant de son épais fauteuil en velours pour se mettre face à lui, Tu veux revenir ?

— Non, grinça-t-il entre ses dents, Moi, je n'ai plus rien à attendre de vous. Mais pour Ruben, il y a encore de l'espoir.

— Ça c'est sûr que pour toi, on a laissé tomber, ironisa son père.

— Tu vois Jared ? Enchaina Béatrice, Tu as bientôt vingt-et-un an et tu es encore un adolescent inconscient qui agit sur des coups de tête. Tu as fui avec ton frère, il y a trois semaines, pour jouer au héros et, maintenant, tu es incapable d'assumer ta décision !

— Je l'assume, puisque je suis ici pour vous dire de le récupérer, lança-t-il, sèchement.

— Tu parles que tu l'assumes ! C'est surtout que tu ne veux plus t'en occuper ! Tu es tellement égoïste d'un côté, ça ne m'étonne pas.

Les poings de Jared se serrèrent rageusement tandis qu'il essayait de garder son calme. Bien sûr il avait envie de leur dire que leur fuite était entièrement de leur faute à eux, mais il se retint. Il devait penser à Ruben avant tout, lui faire récupérer sa vie, et après, il pourrait les mépriser sans relâche.

— S'il-vous-plait, reprit-il alors que les larmes brouillaient sa vue tant il haïssait les mots qu'il était en train de leur dire, Reprenez-le à la maison.

— Pourquoi ? L'interrogea Boris, cinglant, Alors dis-le. Assume. Dis que tu ne veux plus de ton frère.

— Non, ce n'est pas ça, murmura-t-il, les lèvres tremblantes de rage, Je pense juste à son avenir.

— Arrête, tu ne penses à rien d'autre qu'à toi, le coupa Béatrice, Tu veux juste t'en débarrasser pour continuer à trainer et faire la fête. On te connait Jared.

Tellement mal, avait-il eu envie de leur répondre, mais il garda le silence. En réalité, il savait ce qu'il devait dire. S'il assumait sa faute, ses parents – par pur esprit de contradiction – feraient tout pour récupérer Ruben et prouver à Jared qu'il avait eu tort de partir avec lui. Leur désir de vengeance envers l'ainé passerait avant leur réticence pour l'homosexualité du cadet. C'était une évidence qui lui faisait mal au cœur, mais qui était bien réelle.

— Oui, murmura-t-il en une grimace de douleur tant ça lui déchirait le cœur, Oui, j'en ai marre de devoir m'en occuper.

— Ah voilà ! S'exclama Boris en esquissant un sourire, Enfin, on en vient au vrai problème.

— Alors, vous allez le reprendre ? Les interrogea Jared qui priait pour que cette séance de torture se termine au plus vite.

— Bien sûr, lui répondit sa mère, Nous sommes ses parents.

— Et vous ne lui direz rien à propos de son homosexualité ? Vous le laisserez vivre comme il veut ? S'assura toutefois Jared.

— Ça, on verra.

— Non ! Les coupa le garçon, Promettez-le.

— Qu'est-ce que ça peut te faire ? Siffla Béatrice, Tu n'en veux même pas de ton petit-frère !

Se retenant de ne pas lui en foutre une, Jared sentit qu'il serait bientôt incapable de retenir ses larmes et il ne voulait pas se montrer si faible devant ses parents. Tant pis, songea-t-il après tout. Ruben aurait probablement des moments difficiles à passer par rapport à ses parents et son homosexualité, mais ce ne serait que quelques mois, au moins jusqu'au bac. Après, il reviendrait et ils pourront tous les deux mettre cette histoire derrière eux. Bien sûr, Ruben lui en voudra surement, au début, mais il finira par comprendre. Il était un garçon intelligent, il comprendrait forcément.

— Ouais, t'as raison, cracha-t-il, Je m'en fiche.

Jared tourna des talons et entreprit de quitter le salon, mais son père le retint par le bras :

— En fait ! Où est-ce que vous avez dormi avec Ruben pendant tout ce temps ? J'ai fait une recherche dans son lycée et personne ne le savait... J'espère que tu ne l'as pas emmené dans ta banlieue de merde !

— Non, l'arrêta Jared en dégageant son bras de son étreinte, On était chez une amie à lui.

— Et vous avez participé au frais au moins ? Interrogea Béatrice, inquiète, Je détesterais qu'on pense que mes fils sont des squatteurs.

— Oui, on a participé.

— Et avec quel argent ? Questionna Boris, sceptique.

— Le mien.

— Et on préfère ne même pas savoir d'où il vient, ironisa son père en levant les yeux au ciel.

— Surtout que vous le savez déjà.

Ses parents restèrent sans voix et le garçon en profita pour sortir. Se ruant dans la rue, il apprécia le vent frais sur son visage et laissa finalement ses larmes couler le long de ses joues.

Ruben allait le haïr, il le savait, mais il n'avait pas vraiment eu le choix. Et Anna ? S'interrogea-t-il ensuite en essuyant ses joues mouillées par les larmes, Qu'allait-elle penser ? Lui en voudrait-elle aussi ? Bien sûr, songea-t-il en se demandant pourquoi il y réfléchissait. Car à elle non plus, il ne pouvait pas dire la vérité, puisqu'il était persuadé qu'elle dirait tout à Ruben. Et puis, après tout, qu'est-ce qu'il venait faire là, lui ? Se questionna-t-il, résigné. Il n'était rien d'autre qu'un petit con de vingt ans qui s'était accroché à son petit-frère et sa meilleure amie pour se donner une raison d'exister. Si c'était triste en soit, c'était surtout pathétique au possible.

***

La musique battait son plein à l'intérieur de l'appartement des Lefevre. L'alcool coulait à flot dans les verres et dans les veines de la vingtaine de jeunes, entassée dans le salon, et une forte odeur de marijuana planait dans les airs. Quelle idée brillante d'organiser une telle soirée dans le domicile de ses parents, songea Noah, impressionné par le culot de sa meilleure amie. Il était évident qu'Ellie cherchait simplement à faire chier ses paternels et, vu comment tournait la soirée, il ne douta pas une seule seconde sur le fait qu'elle y parviendrait avec brio.

Noah tira une taffe sur son joint et souffla la fumée dans les airs en se laissant tomber contre le mur derrière lui, juste à côté d'un couple complètement ivre qui s'emballait, sans même se rendre compte que tout le monde pouvait les voir, ou peut-être en avaient-ils pleinement conscience, mais s'en fichaient éperdument.

— Khan, entendit-il rire, Tu es complètement défoncé !

C'était si vrai qu'il n'arrivait même pas à savoir d'où provenait le son, bien qu'il reconnût la voix espiègle d'Ellie Lefevre. Soudainement, la jeune fille colla ses lèvres à son oreille et la lui chatouilla du bout de la langue. Noah réussit à la saisir pour la mettre face à lui et il put la dévorer des yeux, malgré sa vision trouble à cause de la drogue. Ellie portait un large débardeur noir qui laissait apparaître son soutien-gorge sur les côtés et un short en jean déchiré aux ourlets. Ses cheveux étaient tressés sur le côté et un fin trait d'eyeliner venait relever ses yeux, bleu foncé.

— Salut, toi, susurra-t-il en esquissant un sourire.

Noah vit la jeune fille pouffer de rire. Comme on pouvait s'en douter, elle était tout aussi défoncée que lui et le garçon n'avait encore jamais vu ses pupilles aussi dilatées.

— Hey beau gosse, murmura-t-elle en se mordillant la lèvre inférieure.

— Doucement ma belle, l'arrêta Noah lorsqu'elle avait voulu poser ses lèvres sur les siennes, Il y a plein de gens du lycée ici et on doit garder notre relation secrète.

— Oh oui, se remémora-t-elle, résignée, en s'éloignant d'un pas, Alors que dis-tu d'aller dans ma chambre maintenant ?

— Ça, je ne dis pas non.

Profitant du tumulte de l'appartement, ils s'engouffrèrent rapidement dans la pièce plongée dans le noir. Ellie referma la porte derrière eux pour être tranquille et Noah se laissa tomber sur le lit en fermant les yeux. Il n'avait jamais été aussi bien depuis longtemps.

Soudainement, il sentit une secousse sur le lit et devina qu'Ellie venait de sauter sur le matelas. Quelques secondes plus tard, les lèvres de la jeune fille venaient se poser sur les siennes et il la serra contre lui, profitant de ce moment de tendresse.

— Quand est-ce que tu reviens au lycée El' ? L'interrogea Noah entre deux baisers, Tu me manques, si tu savais. Ce n'est pas pareil sans toi.

— Je sais, susurra la jeune fille en recollant ses lèvres aux siennes tandis que le garçon venait de passer au-dessus de son corps, Bientôt.

— Lundi ? L'interrogea-t-il en continuant ses baisers, Je t'en prie, dis oui ! Ne me laisse pas seul avec Ethan et sa clique !

Ellie esquissa un sourire, malgré les baisers de Noah. Elle enchaina, curieuse, lorsqu'il lui laissa enfin le temps de respirer :

— Comment ça se passe en ce moment ? Ethan est toujours avec Anna ?

— Ouais.

— Et Gabi ?

— Jalouse à en crever, répondit Noah en plongeant dans son cou.

— Et toi ?

Surpris, le garçon arrêta ses caresses subitement et se releva du lit pour pouvoir lui faire face.

— Comment ça ?

— Toi ? Répéta Ellie qui venait de s'assoir en tailleur sur le lit, Toi par rapport à Ethan et Anna ?

— Je ne vois pas le rapport.

— Arrête ! S'exclama la jeune fille, exaspérée, Tu m'as dit que tu l'aimais bien. Je veux juste savoir ce que tu en penses.

— Je n'en pense rien.

— Oh, mais tu ne penses jamais rien, putain ! Reprit Ellie en se laissant tomber sur le lit, T'es chiant. Pourquoi tu ne dis jamais ce que tu penses ?

— Parce que je ne pense pas à elle, répondit Noah, D'ailleurs, si tu tiens vraiment à le savoir, je l'ai traité de « bouboule » pas plus tard qu'hier, donc pas sûr qu'elle me reparle avant longtemps !

Ellie s'arrêta surprise devant lui avant de répéter, hilare :

Bouboule ?!

Noah ne mit pas longtemps à exploser de rire à son tour et se laissa retomber sur le lit d'Ellie pour rejoindre la jeune fille qui se tenait les côtes.

— Bouboule ? Répéta-t-elle encore en tentant de retrouver son calme, Mais pourquoi ? C'est horrible !

— Je sais, pouffa Noah, Je ne sais pas ce qu'il m'a pris, c'est sorti tout seul en plus.

— Oh putain, j'imagine tellement sa tête quand tu as dû lui dire ça !

— Et encore, non, tu ne l'as pas vu... Avec celle d'Ethan trop offusquée en prime.

Ils rirent de nouveau, conscient que les trois joints précédents agissaient sur leur système nerveux, puis se calmèrent enfin, s'allongeant de tout leur long dans le lit de la jeune fille pour observer le plafond.

— Merci pour le fou rire, enchaina Ellie, Je n'avais pas rigolé comme ça depuis la mort de mamie.

— De rien, murmura Noah en posant un baiser sur son front, Mais tu peux surtout remercier Anna.

Ils pouffèrent de rire à l'unisson, puis la jeune fille se releva soudainement de son lit pour rejoindre son bureau.

Noah l'interrogea, sceptique :

— Qu'est-ce que tu vas faire encore ?

— Une nouvelle expérience ! S'exclama Ellie en sortant une boite noire d'un tiroir du meuble, Je voulais l'essayer avec toi !

Incrédule, Noah l'observa se rapprocher et ouvrir la boite devant lui où une dizaine de comprimés blanc reposait à l'intérieur :

— Qu'est-ce que c'est ? L'interrogea le garçon, bien, qu'au fond, il connaissait déjà la réponse.

— C'est du diéthylamide de l'acide lysergique.

— Ellie... Souffla-t-il, blasé.

— Oui, on appelle ça aussi du LSD, précisa la jeune fille, amusée.

— El' putain ! Tu as déjà touché à ses merdes ?!

— Non jamais justement... Enfin pas encore.

— C'est quoi la connerie ?

— Mais quoi No' ? Tu as dit que tu étais d'accord pour qu'on foute nos vies en l'air ! Qu'on s'amuse ! Qu'on profite de la vie ! Allez, il faut bien qu'on essaye au moins une fois ! On va juste se taper un bon délire, rien de grave.

— Rien de grave ? Répéta-t-il, sceptique, Je ne pense pas que le LSD soit recommandé en accompagnement d'antidépresseurs et de tranquillisants ! Tu veux vraiment crever d'une overdose ?

— Mais non, relax, le calma la jeune fille en déposant sa main sur sa poitrine, Je ne prends pas mes médicaments.

— Oh cool, c'est censé me rassurer ? Ironisa le garçon, perplexe.

— Noah, ne fait pas le relou, s'il-te-plait.

— Mais tu es sûre que tu as besoin de ça en ce moment ? Insista le garçon, Tu es dans une mauvaise période, je ne veux pas te voir sombrer à cause de ces merdes. Ça arrive trop souvent et tu le sais bien... N'est-ce pas ?

— La seule chose dont j'ai besoin, en ce moment, c'est de m'amuser, rétorqua-t-elle, vexée qu'il la considère encore comme une malade.

D'ailleurs, comme à peu près tout son entourage. Elle qui pensait qu'il était différent.

— Foutre ta vie en l'air, ce n'est pas foutre ta santé en l'air, lui fit remarquer Noah, Je ne veux pas participer à ça.

La jeune fille le fusilla du regard et s'empara d'un comprimé sous son air réprobateur.

— Repose ça !

— Non.

— Repose ça, je t'ai dit !

Derechef, Ellie l'enfonça dans sa bouche et attrapa la bouteille de bière posée sur sa table de chevet pour le faire passer plus facilement.

— Oh putain, grinça Noah en se laissant tomber sur le lit.

— Maintenant, soit tu me suis, soit tu te casses d'ici, enchaina Ellie en lui tendant un comprimé, Parce que, moi, je suis là pour déconner, pas pour réfléchir.

— Ça j'avais remarqué ! Ironisa le garçon, sèchement, Allez, donne !

Noah s'empara du comprimé dans sa main et le posa sur sa langue. C'était vraisemblablement une mauvaise idée, mais il n'avait pas envie de passer pour le rabat joie de service. Il savait que ce n'était pas réellement le moment pour Ellie de déraper, mais de toute manière elle avait déjà avalé le comprimé. Que lui restait-il à faire ? Entre s'amuser à son tour et la regarder délirer toute seule, son choix avait vite été pris.

Noah tendit sa main pour qu'elle lui donne la bouteille et avala un peu de la boisson pour faire passer le comprimé. Au goût des bulles dans sa bouche, le garçon recracha le liquide illico et s'écria, dégoûté :

— Alcool !

— Oh oui pardon, s'excusa Ellie, confuse, J'oublie tout le temps. Tu as recraché le comprimé aussi ?

— Non, répondit Noah en s'essuyant les lèvres avec dégoût, De l'eau, s'il-te-plait.

La jeune fille se pencha vers l'avant pour attraper sa bouteille d'eau qui reposait toujours près de son lit, à côté d'une bassine en cas de mauvaise cuite, et lui tendit pour qu'il puisse enfin avaler son comprimé.

— Putain ! Cracha-t-il en reposant la bouteille sur le lit, Tu me fais vraiment faire n'importe quoi !

— C'est pour ça que tu m'aimes, non ? Ironisa la jeune fille en l'embrassant sur les lèvres, Allez, viens ! Enchaina-t-elle ensuite en se relevant du lit, On va rejoindre la fête.

— Ça agit vite ton machin ? L'interrogea Noah en se relevant pour la suivre dans le salon.

— Vingt minutes, une demi-heure, je crois, ça dépend des personnes.

Noah et Ellie rejoignirent le salon et s'installèrent sur le canapé où une dizaine de jeunes faisait un jeu d'alcool. Le garçon s'enfonça dans les coussins moelleux et sentit sa tête partir en arrière. Le comprimé de LSD n'allait manifestement pas l'arranger. D'un regard en biais, il observa sa meilleure amie qui se proposait pour rejoindre la partie. Ellie avait déjà tellement bu et fumé, il ne comprenait même pas d'où elle trouvait la force nécessaire pour continuer à boire ainsi. Depuis qu'il la connaissait, sa meilleure amie avait toujours tendance à repousser ses limites de plus en plus loin. C'était précisément pour cette raison qu'elle se retrouvait dans des situations infernales. Heureusement qu'il avait toujours été là pour la protéger... Enfin, pas toujours justement, songea-t-il avec regret.

— C'est quoi le jeu ? Interrogea Ellie en s'installant sur les genoux de Noah, car elle se trouvait trop serrée sur le canapé.

— Un jeu de dés, répondit Esther, qui avait l'habitude d'animer ce genre d'activités à la con.

— On boit à quel nombre ?

— A tous, rétorqua la jeune rousse en lançant les deux petits cubes qu'elle tenait dans la main.

Noah s'arrêta, incrédule, et l'observa attraper une bouteille de vodka après avoir fait le numéro cinq.

Il interrogea Ellie, perplexe :

— Mais quel est l'intérêt du jeu alors ?

— Je ne sais pas, lui répondit-elle en lançant à son tour les dés.

Ellie ne prit pas la peine de regarder le nombre qui était tombé. Elle attrapa simplement la bouteille que venait de lui tendre Esther et la porta à ses lèvres sans se poser davantage de questions. Tant pis, songea Noah, Il n'était pas en état de comprendre le but du jeu à cet instant précis.

Ellie reposa la bouteille sur la table, la vodka chaude passant douloureusement le long de son œsophage. Le liquide ne remonta pas et elle le prit pour une victoire personnelle, vu son état d'alcoolémie.

— Pourquoi Gabi et Ethan ne sont pas venus ? L'interrogea Noah en nouant ses bras autour du ventre de la jeune fille.

— Ils avaient autre chose de prévue, je ne sais trop quoi, je n'ai pas tout compris.

— Ils sont tous les deux ? S'étonna le garçon.

— Ouais, je crois qu'Ethan m'a dit qu'Anna travaillait, ce soir.

Noah ne répondit pas et reposa sa tête sur le dossier du canapé en fermant les yeux. Doucement, il commençait à sentir ses sens se brouiller et des picotements lui chatouiller les jambes. La sensation n'était pas désagréable et il laissa tranquillement l'effet de la beuh et du LSD agir en lui, Ellie sur ses genoux. Il n'aurait souhaité être nulle part ailleurs.



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