Tea & Coffee : Le Crime du Da...

By Brizzzz

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Nous sommes en 1892. Le 19ème siècle touche à sa fin et l'empire colonial britannique s'étend dans le monde e... More

Avant-propos
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Épilogue

Chapitre 1

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By Brizzzz

29 juillet 1892

C'était en 1892, le XIXe siècle touchait à sa fin et l'Empire Colonial Britannique s'étendait dans le monde entier. En Inde, de nombreux chemins de fer avaient été construits à travers tout le pays pour permettre un commerce et un passage rapide entre les différentes villes.

Les Campbell, issus d'une petite gentry ambitieuse, composée d'un père et de ses deux filles, avaient fait fortune dans le négoce du thé et passaient, depuis, des jours paisibles à Londres où leur entreprise paraissait florissante aux yeux de tous. Depuis un an, elle était même cotée à la bourse de Londres et rejoignait les plus grandes entreprises de négoce de l'époque. Tout ce à quoi pensaient les Campbell dès lors, c'était donc de s'étendre encore plus afin de satisfaire leurs actionnaires et de maintenir leur commerce à flot.

Dans le but de faciliter leurs échanges commerciaux, Mary Campbell, la fille aînée, était sur le point de se marier avec Sir Alexander Butler, dont l'appellation « Sir » n'existait uniquement que parce qu'il avait décidé d'acheter prochainement le titre de Baronnet. C'était le fils unique d'un Lord anglais extrêmement riche, lui-même fils de Marquis, expatrié depuis plusieurs années et détenant la majorité des terres cultivables au nord du Bengale.

Célia Campbell, la cadette, âgée alors d'à peine vingt ans, entreprit donc un long voyage avec sa famille de Londres jusqu'à Darjeeling, chez les Butler, où le mariage devait avoir lieu.

Sa mère était morte depuis quelques années, ce qui avait rendu son père, Harold Campbell, inconsolable. Il avait vieilli prématurément et sa santé se dégradait de jour en jour. Souffrant depuis peu de goutte et devenant légèrement cardiaque, avec son asthme qui se réveillait de surcroît, de tels déplacements étaient fortement déconseillés. Mais cette union était une aubaine et la meilleure chose pouvant arriver à Mary et, lui aussi, faisait donc parti de ce voyage, qui débuta par un long trajet en bateau de Dover jusqu'à Bombay, en empruntant dans l'ordre, la Manche, l'Atlantique puis la Méditerranée et enfin la Mer Rouge avant l'Ocean Indien. C'était donc très long.

Après quelques problèmes techniques au niveau du canal de Suez qui les cloua pendant trois jours à quai, le long trajet prenait fin après presque de trois semaines. Célia, qui avait sans arrêt le mal de mer, en était soulagée. Une journée de plus sur ce transport et elle se jetait à l'eau. Au matin du dernier jour de bateau, la jeune femme sortit donc de son lit où elle était restée une bonne partie de la matinée. Encore un peu malade, elle se dirigea vers le grand miroir de la pièce.

Célia n'était pas la plus belle femme du monde, mais elle avait ses charmes : un corps un peu maigre comparé à celui de sa sœur bien robuste, mais en bonne santé un visage doux, quoi que son nez semblait un peu trop large. Heureusement, il s'accordait parfaitement avec ses grands yeux ouverts et ses sourcils bruns épais.

Passant de son miroir vers sa malle, la jeune femme enfila une longue jupe verte qui fit ressortir ses beaux yeux noisettes qu'elle noua avec une ceinture sur sa fine taille et un chemisier blanc avec un col à jabot, puis, coiffa rapidement ses cheveux noirs très épais en chignon et, enfin, fignola sa coiffure avec de petites pinces et un grand chapeau fourni qu'elle accrocha avec une épingle.

Une fois préparée, elle sortit sur le pont, derrière la première des quatre cheminées. Là, elle rencontra sa sœur aînée, toujours accompagnée par son fiancé, Sir Alexander, qui fumait son gros cigare nauséabond.

« Bonjour Célia, lui dit Mary lorsqu'elle la vit. Le capitaine a annoncé que l'on arriverait d'ici trente minutes. Tes affaires sont prêtes ?

— Cela fait deux jours qu'elles sont prêtes, répondit Célia qui commençait à avoir mal au cœur.

— Très distinguée », répliqua Alexander sans laisser passer la moindre expression sur son visage.

Célia fixa le grand homme qui ne détourna pas son regard du port de Bombay que l'on pouvait enfin apercevoir à l'horizon. Elle leva les yeux au ciel et décida de ne pas répondre à son attaque. Il faisait exagérément chaud et elle se sentait trop faible pour riposter.

« S'il vous plaît, ne vous chamaillez pas encore, demanda Mary sur un ton agacé. Vous serez bientôt de la même famille. Il faut vraiment que vous commenciez à vous entendre tous les deux. »

Mary était une femme de vingt-quatre ans à la beauté réputée et aux yeux gris, de la même couleur que ceux de sa mère. Pourtant contre toute attente, elle accepta la demande en mariage d'Alexander, bien qu'il fut plus âgé qu'elle de dix ans.

Lui aussi était bien loti. C'était un homme d'une rare beauté, gravement entachée par le fait qu'il ne souriait que très peu. Ses cheveux noirs ondulés lui tombaient un peu en dessous des oreilles et sa barbe habilement taillée en forme de rouflaquettes cachait joliment sa mâchoire un peu trop anguleuse. En plus d'un agréable visage, sa silhouette, mince mais vigoureuse, s'accordait parfaitement à son allure de beau ténébreux et c'était sans gêne que le monde se plaisait à le complimenter sur son physique.

Il était parfait.

Toutefois, la plus jeune sœur ne l'aimait pas beaucoup, quoi qu'elle avait un petit faible pour ses yeux d'un bleu très profond et intelligents — voire fourbes selon les dires de Célia. Froid et calculateur, elle ne comprenait pas l'engouement de Mary pour cet être.

Sa sœur et lui s'étaient tous les deux rencontrés dans un restaurant renommé de Londres et, bien que leur mariage fut on-ne-peut plus précipité par leurs familles respectives qui virent toutes deux un moyen d'améliorer leurs échanges commerciaux, Mary en était ravie. Désespérément tombée amoureuse de cet homme, elle était très excitée par cette union. De son côté, Célia était plus sur ses gardes. Lorsqu'ils se fiancèrent, elle était en déplacement chez sa tante. Nul doute que si elle en avait eu l'occasion, elle aurait parlé de sa crainte à sa sœur quant au fait qu'Alexander serait suffisant pour faire son bonheur. Cependant, la voyant aussi heureuse, Célia ne lui avait jamais rien dit et se contenta de les regarder de loin, en les critiquant silencieusement, mais non sans affirmer son désaccord face à cette future union. Le bonheur de Mary n'empêchait pas Célia de se disputer constamment avec son fiancé, quoi qu'elle restait relativement courtoise envers lui en présence de sa sœur. Tous les deux avaient un caractère bien trempé et se ressemblaient beaucoup sur plusieurs points. Par conséquent, tels deux aimants de même pôle, ils se repoussaient l'un et l'autre.

Célia était très intelligente et indépendante, c'était peut-être ce qui rebutait le plus Alexander. Depuis que le père de cette dernière, Mister Harold Campbell esq, était tombé malade, c'était elle qui s'occupait principalement de l'entreprise. Elle la dirigeait d'une main de fer, laissant très rarement le futur époux s'approcher de ses actions commerciales, ce qui, bien entendu, énervait passablement le fiancé. La compagnie Campbell était d'ailleurs la source principale de leurs constantes disputes. Les Butler n'étaient pas des rigolos et Célia les empêchait ardemment de mettre leur nez dans leurs affaires, déjà à cause d'un manque de confiance évident envers eux, mais également de son entêtement à toujours vouloir tout faire seule. Et c'était là le moindre de ses défauts. Son zèle, son égoïsme et sa rudesse avaient également sérieusement entaché sa réputation de « femme à marier ». Ne lui déplaise, elle aimait son indépendance.

Voyant que sa sœur était sérieuse lorsqu'elle disait que leurs chamailleries l'agaçaient, Célia leva un peu la tête et la regarda droit dan les yeux.

Mary était plus grande qu'elle... et même très grande pour son époque, contrairement à Célia qui demeurait assez petite. Cette dernière n'arrivait même pas à l'épaule d'Alexander, lui aussi très grand. Sur ce point-là, les fiancés s'étaient bien trouvés.

« Désolée Mary, je te promets de faire un effort, lança sans conviction la plus jeune des sœurs.

— Moi aussi, Darling », lui fit son fiancé, marqué par son traditionnel inexpressif visage.

Mary redressa son chapeau sur ses beaux cheveux blonds tressés. Passant une main sur sa robe violette qui comprimait son ample poitrine, elle enleva la cendre laissée par le cigare d'Alexander.

« Je vais retourner à notre cabine pour aller voir père. Tu viens avec moi, Célia ?

— Non je vais rester un peu ici », répondit-elle en prenant de grandes inspirations pour calmer son estomac qui commençait à faire des siennes.

Mary repartit et Célia resta un moment avec Alexander qui finissait de fumer. Elle appuya ses mains contre la barrière de métal peinte en blanc et observa l'horizon.

La mer était houleuse et faisait tanguer le bateau. Le ciel anormalement gris annonçait de l'orage. On était encore en été en Inde et la saison des pluies n'était donc pas terminée, pourtant, il faisait terriblement chaud.

« Votre sœur a raison, fit le bel homme à côté d'elle. Il va falloir que l'on fasse un point sur nos différends, à commencer par l'entreprise.

— S'il vous plaît, pas aujourd'hui... »

Ignorant ce que Célia venait de lui demander, il continua d'insister.

« Il faut que vous me laissiez participer un peu plus à vos transactions. Bientôt, j'aurais moi aussi mon mot à dire là-dessus. Consentez au moins à ce que je jette un œil sur les comptes.

— C'est mon père qui s'occupe des comptes. Allez donc lui demander. Mais je ne promets pas non plus un oui de sa part.

— Bon, parlez-moi un peu de cet achat en Chine au moins.

— Ce n'est pas le moment Sir Alexander. »

Cette fois, passablement agacé, il fronça les sourcils.

« Et dites-moi quand ce sera le moment, Célia ?

— Oh mon Dieu, je vais être malade. »

La jeune femme mit une main devant sa bouche et se précipita à l'intérieur du bateau. Alexander, resté en plan, jeta son mégot dans l'eau et secoua la tête.

« Décidément, très distinguée. »

Le visage habituellement blanc et parsemé de tâches de rousseurs de Célia prit soudain une teinte anormalement rouge.

« Comment cela, une semaine ? » cria-t-elle.

Le bateau était à l'arrêt. Il y avait quelques minutes, il avait accosté dans le port de Bombay entre un bateau de pêche et un cargot. La plupart des passagers étaient déjà sortis, mais Mary n'avait pas fini de faire ses bagages et rangeait ses toilettes dans une immense malle en bois peint. Il y en avait cinq en tout, pour son mariage, elle avait acheté assez de robes pour vêtir la moitié de Londres, or il n'en restait plus qu'une à remplir. Cela ne serait pas chose aisée, la dernière malle ouverte était déjà pleine à craquer.

« Célia... Darjeeling n'est pas la porte à côté », lui dit gentiment Mary.

La plus jeune des sœurs, agacée, claqua la malle d'un coup sec. L'employée du bateau, qui se trouvait non loin d'elle, releva le couvercle et continua à placer les vêtements à l'intérieur en poussant de toute ses forces pour tasser le tout.

« Donc, nous allons devoir passer encore une semaine dans un train ? demanda Célia qui appréhendait très mal ce nouveau trajet en transport.

— Alexander nous a déjà pris les billets. Tu vas voir, il parait que c'est très agréable comme voyage. »

Célia n'était pas convaincue. Non pas qu'elle n'ait jamais pris le train, la jeune femme faisait souvent des déplacements à travers l'Angleterre pour les affaires, cependant, jamais le trajet ne durait pas plus de d'un jour et demi et c'était déjà bien trop long pour elle.

D'ailleurs, c'était assez étrange pour une femme d'affaire qui travaillait dans le négoce du thé de n'être jamais allée plus loin que la ville de Dover. Il faut pourtant comprendre que Célia était très jeune et n'avait pas encore eu le temps ni l'occasion de voyager plus loin. De plus, la plupart de ses accords avec les clients et fournisseurs se faisaient à Londres même. C'était, en quelque sorte, l'avantage de vivre dans la capitale, car Célia n'était pas patiente et les transports représentaient, en soi, une perte de temps. Enfin, il fallait bien que la jeune femme commence à se déplacer un peu plus loin que l'Angleterre, elle aspirait à ouvrir une filiale en Chine et serait donc obligée de voyager plusieurs fois par an le moment venu, du moins dans les premiers mois pour rechercher des cultivateurs qui passeraient un contrat avec l'entreprise. Pourtant, c'était décidé, elle ne prendrait plus le bateau, car ce transport fut de loin la pire chose qu'elle ait eu à endurer.

Les affaires de Mary étaient enfin rangées. Après plusieurs minutes, les deux femmes quittèrent enfin la pièce. Célia jeta un dernier coup d'œil sur la magnifique suite dans laquelle elle et sa famille avaient fait le trajet. Spacieuse et très bien décorée, elle était digne des plus grands hôtels londoniens. Auparavant, elle avait déjà voyagé en première classe, mais jamais dans de telles conditions de confort et de luxe.

« La famille Butler est vraiment très riche », se dit-elle.

Pendant qu'elle contemplait une dernière fois ce lieu maudit dont elle ne vit la véritable beauté qu'une fois le bateau accosté, les employés du paquebot s'occupèrent des nombreuses malles de Mary. Puis, les deux sœurs se dirigèrent vers le pont principal. Le père de Célia, Harold, et Alexander les attendaient.

« Qu'est ce qui vous a pris autant de temps ? demanda le vieil homme un peu bougon.

— Mary rangeait ses affaires, papa, répondit Célia.

— Le train part dans deux heures et nous ne sommes pas encore à la gare. Tu n'aurais pas dû prendre autant de vêtements, Mary. Dépêchez-vous !

— Détendez-vous, Mister Campbell. Nous y seront à temps, dit le fiancé sans affiché la moindre expression sur son visage. Si cela permet à Mary d'être aussi jolie alors elle peut prendre autant de vêtements qu'elle désire. »

Mary se mit à rougir, flattée par sa remarque. Célia quant à elle, leva les yeux au ciel. Tout ce débordement de bons sentiments lui filait la nausée. Comme elle ne fut pas discrète, Alexander remarqua son mépris.

« Vous avez peut-être quelque chose à ajouter, Miss Campbell ? demanda le bel homme à la sœur de sa fiancée.

— Pas du tout Sir Alexander. Je suis juste heureuse de voir combien vous vous occupez des affaires de Mary. Vous êtes tellement attentionné. »

Remarquant son sarcasme que Mary ne vit pas, Harold décida de changer de sujet.

« La voiture est arrivée, allons-y maintenant. »

Suivit de près par de jeunes indiens à la peau sombre, coiffés de turbans colorés qui transportaient leurs bagages, ils s'approchèrent vers le fiacre tandis que les employés hissèrent les lourdes malles sur le toit.

Alexander tendit sa main à Mary pour l'aider à monter. Avec une grâce presque divine, elle agrippa délicatement son poing et franchit la petite marche en métal devant la porte. Puis Harold entra en grognant, comme les veilles personnes qui font un effort sur-humain.

Vint le tour de Célia.

Par courtoisie plus que par plaisir, le beau fiancé lui montra sa main, mais Célia ne la lui toucha pas et entra dans le fiacre, ignorant Alexander de la manière la plus impolie du monde. Étrangement, cela fit s'inscrire sur sa mine sévère et atrocement pâle un sourire en coin. Célia le remarqua bien quand il monta dans la voiture à son tour et elle prit ce signe comme un acte de pur dédain. Néanmoins, cette fois, elle ne lui en tiendrait pas rigueur, elle l'avait un peu provoqué.

Au bout de plusieurs minutes, l'équipage partit du port pour se rendre à la gare. Les fous rires des passants devant cet étrange attelage qui transportait deux fois son volume en malles et en sac n'égaya en revanche pas plus les visages ternes de ses passagers et le silence régna en maître durant tout le trajet.

Le Darjeeling-Express était un train majestueux. Ses huit wagons noirs impeccables mesurant chacun plus de vingt mètres et prolongés à l'avant par une locomotive immense aux roues scintillantes en faisait sans conteste le plus beau train du pays. Ses grandes fenêtres devaient rendre les cabines lumineuses, bien que Célia s'inquiéta sur le fait qu'elles pouvaient aisément laisser passer quelqu'un à travers. À Londres, les fenêtres de trains ne s'ouvraient pas totalement. En revanche, ici, il suffisait de coulisser la vitre pour les ouvrir en grand. Cela avait l'air un peu dangereux pour Célia qui ne s'en retrouva pas rassurée.

Le train partait de Bombay et son itinéraire le faisait passer par plusieurs grandes villes intérieures dont Poona, Aurangābād, Nagpour, puis il rejoignait directement Allāhābād avant de longer le Gange jusqu'à Patna où il traversait le fleuve avant de terminer à Darjeeling. C'est à cette ville que la famille se rendait, les Butler habitaient là-bas depuis longtemps et on avait décidé d'y marier Mary et Alexander, contre l'avis de Célia qui détestait voyager.

Autour du train, les gens grouillaient. Toutes les classes sociales et toutes les nationalités étaient réunies. Il y avait bien sûr des Indiens, mais Célia put entendre quelques Français parler entre-eux et, évidemment, beaucoup d'Anglais. La plupart prenait d'ailleurs le train et il y avait un monde fou qui montait à bord Darjeeling Express. Ce n'était pas pour rien qu'il était aussi grand, car, de toute évidence, il était très utilisé.

Affamé par ce long trajet en fiacre, Célia acheta une galette de pain aux épices à un jeune enfant et y mordit à pleines dents en faisant tomber quelques miettes sur sa jolie poitrine. Elle balaya les résidus de son chemisier et se tourna tranquillement vers le train, lorsqu'elle aperçut Alexander qui la regardait d'un air dédaigneux.

Cet homme était vraiment son pire cauchemar. Jamais elle ne pourrait s'entendre avec lui.

Au bout du compte, le fiancé détourna ses yeux bleus des siens et monta dans le train, laissant les employés s'occuper de ses bagages.

« Célia, fit Mary à sa jeune sœur. Il faut que je te le dise.

— Quoi donc ? demanda-t-elle en mâchant son pain.

— Je sais ce qu'Alexander va m'offrir comme cadeau de mariage, répondit-elle toute excitée.

— Vu ta tête j'imagine que c'est un beau cadeau ?

— Il s'agit d'une sculpture de Sir Arthur Cammeron. Tu te rends compte, elle vaut plus de 30 000 Livres. Il pense que je ne suis pas au courant alors, silence !

— Vraiment ? Comment l'as-tu su ? fit Célia en souriant.

— Ma bonne amie Lady Vermouth a un neveu qui est antiquaire. C'est lui qui a vendu la statuette à Alexander la semaine dernière. Elle est dans la grosse valise noire, dit Mary en pointant du doigt une malle verrouillée par un cadenas. Il garde toujours la clé dans sa poche de pantalon.

— C'est une excellente nouvelle », lâcha la jeune femme face à la bonne humeur de son aînée.

À ce même moment, Mary fut bousculée par un jeune homme, un plus petit qu'Alexander et portant un chapeau haut-de-forme. Célia ne vit pas clairement son visage, car il était tourné vers sa sœur. Il s'excusaplatement auprès de Mary et monta dans le train. C'était un insignifiant détail, pourtant Célia ne put s'empêcher de regarder l'homme d'un air étrange. Il y avait quelque chose qui émanait de lui que la jeune femme trouva dérangeant.

Finalement, elle se ressaisit puis erra un moment sur le quai pour acheter un journal. Toutefois, elle en fut empêchée par Alexander qui descendit du train et pria les jeunes femmes d'entrer immédiatement, car ils allaient quitter la gare d'ici quelques minutes.

Toute la famille prit donc place dans leur cabine respective. Celles de Célia et de Mary étaient attenantes et identiques, sauf que leurs dispositions avaient été inversées. Les jeunes femmes étaient impressionnées par autant de luxe dans un si petit endroit. Les murs étaient recouverts d'un bois foncé vernis, de la même couleur que les autres meubles et le sol d'une moquette verte unie très douce, s'accordant parfaitement à l'ambiance de la chambre. Elles contenaient un lit simple et une petite table sur laquelle un vase était posé. Séparé par un mur fin, il y avait une petite salle de bain comprenant les toilettes et un bidet accompagné d'un petit meuble d'appoint. Les autres pièces de mobilier étaient : une commode en acajou, un fauteuil en bois recouvert de velours vert et un placard, spacieux mais malheureusement insuffisamment grand pour la quantité faramineuse d'affaires que Mary avait apportées. Harold dut exiger à sa fille de ne prendre qu'une petite partie de sa garde robe dans le train, l'autre resterait dans les malles et serait entreposée à la bagagerie durant la totalité du voyage.

Célia contempla avec admiration sa cabine pendant plusieurs secondes. Elle fut dérangée par les voix d'une employée mais surtout celle de Mary qui n'arrivait pas à se mettre d'accord sur les robes qu'elle allait devoir apporter en cabine. Étant toujours sur le pas de la porte, Célia secoua la tête et s'enferma dans sa chambre pour défaire sa malle.

Elle décida de rejoindre son père peu de temps après pour l'aider à s'installer. Célia s'avança donc vers l'arrière du train en passant par le couloir exigu reliant les deux wagons. Sa chambre ressemblait beaucoup à la sienne si ce n'était qu'elle était plus grande et disposait d'un lit double et d'un petit salon muni d'un canapé avec une table basse pour prendre le thé. Il avait également une vraie salle de bain avec une petite baignoire d'appoint et cela, Célia en était jalouse. Enfin, elle se ressaisit en se rappelant qu'Alexander avait payé le voyage pour eux et qu'elle devait se contenter de ce qu'on lui donnait.

Observant alors son père se reposer dans son fauteuil, Célia se mit à soupirer.

Mister Harold Campbell avait été un très bel homme dans sa jeunesse malgré sa petite taille, mais la vieillesse n'avait joué en sa faveur. Maintenant, il était obèse et goitreux avec des joues ayant tendance à tirer vers le rose dès qu'il faisait le moindre effort que sa barbe grise n'arrivait à cacher entièrement Il faut dire que depuis la mort de sa femme, Catherine Campbell, Harold avait perdu le goût de vivre. Après une longue dépression mêlée à un penchant pour la bouteille et à une addiction préoccupante au jeu, il avait pourtant finit par s'en sortir, son entreprise et lui en mauvais état, certes, mais bien vivant. Mister Harold Campbell esq était donc à présent un vieux monsieur de soixante ans passés aux cheveux blancs et bouclés, malade et fatigué.

Sa femme et lui avaient eu leurs deux filles très tardivement, et chacune d'entre elle fut alors considérée comme un don du ciel, même si Harold aurait préféré avoir un fils. Qu'à cela ne tienne, Célia remplissait parfaitement ce rôle. Il en était même fier, car il se retrouvait beaucoup en elle. Si Mary ressemblait trait pour trait à sa mère, la cadette avait surtout pris du côté de son père, quoi qu'elle soit évidement bien plus belle en comparaison. Ils avaient tous les deux le même nez épais et les mêmes yeux noisettes ainsi qu'un joli sourire qui s'accentuait pas deux petites fossettes discrètes au-dessus des lèvres.

Tandis que la jeune femme mettait les affaires d'Harold dans son placard, il s'avachit encore plus sur son siège, déjà exténué par ce voyage qui ne faisait que commencer. Ce n'était pas le rôle de Célia de ranger les vêtements de son père d'habitude, pourtant Alexander avait bien insisté sur le fait qu'il avait assez de serviteurs dans son manoir de Darjeeling et que la famille n'avait pas à s'embarrasser d'un employé, le personnel du train étant largement suffisant. Mais voilà, Harold, tout comme sa fille, n'aimait pas que des inconnus viennent mettre le nez dans ses affaires personnelles.

Tout le monde était enfin installé et le chef de gare siffla le départ. Célia ouvrit la fenêtre de sa chambre quand elle y retourna et regarda le train s'éloigner de l'édifice. Quelques mendiants tentèrent une dernière fois de récupérer l'aumône parmi les passagers du train, puis, la locomotive prit de la vitesse et ils disparurent de la vue de la jeune femme.

Il ne se passa alors pas une minute après la sortie de Bombay, qu'on toquait déjà à la porte de Célia.

« Miss Campbell, votre père et Mary vous attendent au wagon restaurant pour une tasse de thé. »

Elle reconnut aisément la voix grave d'Alexander et ne put s'empêcher de lancer une réplique grinçante.

« Mon Dieu, mais je ne suis éloignée de vous que depuis seulement quelques minutes et vous désirez encore m'infliger la torture de votre compagnie ? »

En l'absence de sa sœur, elle avait tendance à être très véhémente envers son beau-frère.

Le bel homme ne répondit pas tout de suite. Néanmoins elle l'entendit soupirer bruyamment.

« Bien Célia, je vous propose une trêve. Je ne parlerai plus de la compagnie avec vous avant la fin du mariage. En échange, je ne veux plus de remarques cuisantes comme vous savez si bien les faire. Si vous ne le faites pas pour moi, faites-le au moins pour votre sœur.

— Une trêve ? Qu'allez-vous faire alors ? Agiter un drapeau blanc et j'oublierai nos disputes durant quelques jours ?

— Je n'ai pas de drapeau blanc, mais je peux utiliser mon mouchoir si vous le désirez. »

Elle leva les yeux au ciel et décida de l'ignorer.

« Célia, reprit Alexander, si vous sortez de votre cabine, vous pourriez voir que j'agite vraiment mon mouchoir blanc. »

Intriguée, elle ouvrit la porte et vit le ridicule petit tissu voleter à chaque coup de main du bel homme au visage toujours aussi impassible. Et, pour la première fois depuis qu'elle le connaît, il la fit sourire.

« Fort bien. Pas de discussion sur mes transactions et j'enterre la hache de guerre jusqu'au mariage. »

Elle lui tendit la main et Alexander rangea son mouchoir avant de la lui serrer.

« Miss Campbell, c'est un réel plaisir de faire des affaires avec vous.

— Ne poussez pas trop Alexander », rétorqua la jeune fille devant le sarcasme évident de ce dernier.

Le principe du thé au wagon restaurant n'était pas pour le plaisir de boire réellement du thé, mais seulement pour être vu parmi tous les passagers fortunés. Quand Célia arriva avec Alexander, Harold et Mary Campbell discutaient déjà avec un couple pour le moins étrange. L'homme, d'une soixantaine d'années, portait une grande moustache qui remontait en boucle sur ses pommettes. La femme, beaucoup plus jeune que lui avait un air très hautain et était vêtue d'une longue robe en velours rouge remonté d'un col en fourrure. Il faisait presque 30°C dans le wagon, pourtant, elle était habillée comme en hiver.

« Célia, Sir Alexander, vous voilà enfin, dit le père. Laissez-moi vous présenter le colonel Hanz Lewis et sa ravissante jeune épouse, Miss Élisabeth Lewis.

— Sir Alexander et moi nous connaissons déjà, répondit l'homme à la moustache. Nos demeures sont voisines. Comment va votre père, Alexander ?

— Il va très bien colonel. C'est un réel plaisir de vous revoir et, j'ajouterai, si joliment accompagné », dit-il en lançant un petit regard à sa belle épouse.

Miss Lewis lui sourit et Alexander lui baisa la main. Célia s'assit sur une chaise à côté de son père, suivit par le bel homme qui se mit en face. La théière était déjà sur la table avec les tasses en porcelaine de Chine. Toutefois, elle commanda un café.

« J'ai appris que vous allier vous marier, reprit le colonel. Cette charmante personne qui vous accompagne ? »

Voyant qu'il s'adressait à elle, Célia eut un frisson dans le dos. Encore heureux que ce n'était pas elle qui allait se marier avec ce détestable personnage.

« Non colonel, vous vous trompez, fit remarquer Harold. Sir Alexander est fiancé à ma fille, Mary, qui est à côté de moi. Célia est ma cadette.

— Pardonnez mon mari pour cette erreur, dit Élisabeth. J'avais pour ma part tout de suite deviné que Miss Campbell était la future mariée. J'ai l'œil pour ce genre de choses.

— Ma femme a toujours eu des dons de détectives », continua le colonel.

Élisabeth gloussait à cause du compliment de son mari. Célia, qui trouvait sa voix déjà insupportable, n'était pas vraiment friande de son rire non plus.

« Hanz, racontez-leur l'histoire du chandelier, continua-t-elle en ricanant.

— D'accord, Darling, répondit le colonel Lewis un sourire jusqu'aux oreilles. Tenez, la dernière fois un chandelier en argent avait disparu de notre maison. Elle a tout de suite deviné que le responsable était notre écuyer. Vous vous rendez compte ? Il était à mon service depuis des années, jamais je ne l'aurais soupçonné. Mais voilà que ma petite Beth arrive dans ma vie et elle réussit immédiatement à le démasquer. »

Se disant, Hanz posa une main sur l'épaule de sa femme qui continuait de ricaner bruyamment. Célia, qui était très intriguée par cette histoire, prit enfin la parole.

« Vraiment ? déclara-t-elle. Qu'est-ce qui vous a amené à cette conclusion. ?

— Je le savais, c'est tout », répondit la détestable femme.

Célia marqua une pause, pas très sûre de ce qu'elle venait d'entendre.

« Attendez, dit-elle sous le choc, vous me dites que vous avez fait arrêter un homme au service de votre époux depuis de nombreuses années juste parce que vous avez eu une intuition ? »

Alexander la regarda fixement en lui faisant les gros yeux. Visiblement, ce n'était pas quelque chose qu'elle devait dire à voix haute.

« Ce que veux dire ma fille, reprit Harold, c'est que vous devez indiscutablement avoir un don phénoménal pour réussir à démasquer un criminel ainsi.

— Tout à fait, fit Élisabeth avec sa voix hautaine. Appelez cela, l'instinct policier ! »

Un homme portant un chapeau haut-de-forme derrière elle se mit à glousser. Le colonel Lewis se retourna et s'adressa à celui qui avait commis l'affront de rire de sa femme.

« Vous avez quelque chose à ajouter jeune homme ? »

L'intéressé se retourna avec un grand sourire et fixa le vieil homme avant de poser sa tasse de thé sur la table devant lui.

« Pas du tout monsieur. Je suis moi-même détective et l'intuition prend une part importante dans mon métier. »

L'homme se leva et prit la main d'Élisabeth.

« Peut-être qu'un jour, je pourrai avoir besoin de vous dans mes enquêtes, Mylady. »

Il baisa sa main et la belle femme lui sourit. Célia secoua la tête et fixa Miss Lewis. Elle était tellement bête qu'elle ne se rendait même pas compte qu'il se moquait d'elle.

« J'en serais très heureuse, répondit la belle femme. Monsieur...

— Hughes, Oscar Hughes, pour vous servir. Veuillez m'excuser mais je dois retourner dans ma cabine. »

Il enleva son chapeau et fit une révérence un peu maladroite qui fit comprendre à Célia qu'il ne devait être issu d'une famille riche, quoique ses vêtements montraient qu'il avait fait fortune d'une manière ou d'une autre.

« Mesdames. »

Son regard s'attarda sur Célia qui reconnut l'homme qui avait bousculé Mary un peu plus tôt, puis il attrapa sa canne au pommeau doré et se dirigea vers le wagon-lit.

C'était un homme élégant qui ne devait pas avoir trente ans. Oscar avait de beaux grands yeux verts ouverts avec des cheveux châtains courts en bataille et une peau halée qui lui conférait des allures un peu hispaniques. Il était richement habillé d'une veste noire en velours ornée de fil d'or et d'un pantalon en soie fine, chic mais pas tape-à-l'œil.

Célia était trop absorbée par la stupidité de l'épouse du colonel pour y faire réellement attention. Elle engloutit sa tasse de café d'une traite pour passer ses nerfs.

« Quelle délicieuse personne, dit Miss Lewis dès qu'il disparut. Nous devrions l'inviter à dîner ce soir, Hanz. »

Elle avait beaucoup appuyé le son de sa voix sur le mot « délicieux » ce qui arriva aux oreilles de ses interlocuteurs comme un sifflement désagréable de serpent.

« Tu as bien raison, Élisabeth. »

Il se tourna vers Harold.

« Vous devriez également venir avec nous, Mister Campbell.

— J'accepte avec plaisir votre invitation, colonel. Maintenant, veuillez nous excuser à notre tour, nous allons retourner nous aussi dans notre cabine. »

La petite famille et Alexander se levèrent en même temps et saluèrent le couple avant de sortir du wagon restaurant.

Dans la suite de Sir Alexander, bien plus grande que celles de Célia et Mary réunies, tous se mirent se mit à éclater de rire.

« My God ! Il est encore plus bête que la dernière fois que je l'ai vu, dit Alexander dont les larmes lui sortaient des yeux.

— Vous vous rendez compte ? Elle était persuadée que Mister Hughes était sérieux, reprit Harold.

— Messieurs, continua Mary qui riait de vive voix également, je pense que vous manquez l'élément le plus important de cette histoire. »

Elle marqua une pause et tous les regards se fixèrent sur elle.

« Miss Lewis est une éminente détective. »

Son père se plia en deux tout comme Alexander. Bien que la situation était réellement cocasse, Célia ne prenait pas part à leur fou rire. Elle était assez remontée contre le fait qu'un innocent était sûrement en prison à cause de la bêtise de ces deux personnes.

Harold se retourna vers sa fille.

« Allons Célia, ne soit pas aussi morose. Tu ne peux pas dire que ce n'était pas divertissant comme rencontre tout de même. De plus, nous avons tous bien vu la façon avec laquelle cet Oscar Hughes t'as regardée », dit le père qui voyait probablement cela comme les prémices d'un futur mariage.

Alexander Butler s'arrêta de rire. Il voulut sans doute lancer une réplique cinglante, mais Célia ne lui en donna pas l'occasion.

« Il faut dire que c'est une personne particulièrement délicieuse », rétorqua-t-elle en appuyant beaucoup sur le son « s ».

Et tout le monde se remit à rire de plus belle. L'un dans l'autre, ce n'était pas tous les jours que l'on voyait le bel Alexander pouffer de la sorte, Célia voyait au moins un bon côté à cette histoire.

Le soir même au dîner, il y avait du homard au beurre servit avec un peu de riz et des légumes. En grand amateur de nourriture, Mister Harold Campbell esq avait englouti son repas d'une traite, tandis que Célia, qui n'aimait pas les crustacés, ne mangea que l'accompagnement. Concernant le premier soir, les passagers ne pouvaient pas choisir leur repas, or à partir du lendemain, il y avaient plusieurs associations possibles que l'on devait choisir parmi trois plats différents pour l'entrée, le plat principal et le dessert. Célia se jura alors de retirer les fruits de mers de son menu lorsqu'elle remplie la fiche de prévision, elle haïssait ces mets.

Le colonel était un gros buveur. À lui seul, il venait de boire deux bouteilles de vin entières. Mary empêcha son père de le suivre, car sa santé n'allait pas en s'améliorant depuis qu'ils avaient commencé leur grand voyage. La femme de Hanz discutait tranquillement avec le bel Oscar Hughes de toutes les soi-disant affaires qu'elles avaient sues régler grâce à son fameux don de détective. Le jeune homme se moquait en retour ouvertement d'elle sans qu'elle ne se rendit compte de rien. C'était un homme intelligent, il réussissait à détourner les stupides propos de la belle femme contre elle, mais sa bêtise l'empêchait de voir clair en lui. Pendant ce temps, le colonel, trop ivre pour se rendre compte que sa femme flirtait avec le détective, racontait à la famille Campbell ses exploits militaires contre les incessantes rébellions des Indiens face à l'empire britannique. Il en était très fier.

Célia ne savait pas où se mettre, d'un côté elle avait Oscar Hughes et Élisabeth qui parlaient de ses enquêtes peu intéressantes et, de l'autre, le colonel qui racontait sa « trépidante » vie. Ce dîner était une perte de temps et la jeune femme s'ennuyait beaucoup. Alexander non plus n'avait pas l'air de s'amuser, il n'avait pas prononcé un seul mot de tout le dîner.

Après le repas vint le moment du digestif pour les hommes et du café et du thé pour les autres. Durant un long moment, Célia, qui finit par avoir une étrange intuition, fixa Oscar en face d'elle. Ce dernier croisa son regard et lui tendit un large sourire auquel elle ne répondit pas.

« Je crois avoir entendu parler de vous, Mister Hughes », dit-elle enfin.

Tout le monde se tourna vers lui.

« N'avez-vous pas enquêté sur le meurtre du Sénateur Brook, il y a quelques mois ? reprit Célia.

— Mais oui, lança Mary, maintenant que tu me le dis, je me souviens de cette affaire.

— Mesdames, vous m'avez démasqué, dit Oscar un peu gêné. Oui, c'était bien moi. Mais ce n'est pas important.

— Mr. Hughes ne soyez pas aussi modeste, répondit Mary excitée, cette histoire a fait la une des journaux de Londres. Vous êtes une célébrité.

— Impressionnant, fit Miss Lewis. Vous avez dû gagner beaucoup d'argent à l'issue de cette affaire. »

Célia regarda Élisabeth d'un air dédaigneux. Il venait de résoudre un meurtre et elle ne pensait qu'à l'argent.

« Je n'ai pas à me plaindre de ce côté-là, répondit Oscar. Je suis plutôt bon dans ce que je fais.

— Quelle chance vous avez, lança la femme du colonel. Je trouve que gagner de l'argent par ses propres moyens est d'autant plus gratifiant que d'être né riche. Vous ne trouvez pas ? »

Célia avala son café de travers et se mit à tousser. Elle prenait son insinuation très mal, tout comme Mary et son père qui se turent sur le champ en fixant l'odieuse femme. Élisabeth venait presque d'insulter sa famille. Ils étaient peut-être nés riches, mais c'était bien eux qui avaient développé l'entreprise.

Elle voulut lui répondre, mais Sir Alexander la devança.

« Assurément, répondit Alexander. Pourtant, prenez l'exemple des Campbell : la fortune familiale était déjà présente. En revanche, l'entreprise s'est bien mieux portée lorsqu'ils l'eurent entre leurs mains. »

Alexander tapota le dos de Célia qui toussait encore.

« Vraiment ? dit Miss Lewis. Mister Harold, pardonnez-moi si je vous ai offensé.

— Il n'y a pas de mal, répondit son père. Je suis bien conscient que j'ai eu, durant toute ma vie, beaucoup plus de facilités que d'autres. Mais je suis très fier de mon entreprise. D'ailleurs après ma mort, c'est ma fille, Célia, qui va la diriger.

— Ce n'est pas Sir Alexander ? demanda interloqué le colonel. Pourtant il va se marier à votre aînée.

— Nous l'avons décidé ainsi, répondit Alexander. Nous ne connaissons pas grand-chose au commerce anglais. Ma famille et moi ne faisons que cultiver le thé que les Campbell vendent en Angleterre ensuite. »

En se ressaisissant, Célia regarda le jeune homme dans les yeux. Si les Lewis n'avaient pas été aussi idiots, ils se seraient rendu compte que cela n'avait aucun sens. Bien sûr qu'il voulait lui prendre l'entreprise, quel odieux menteur. Il se faisait passer pour quelqu'un de simple, mais son père était très dur en affaire, tout comme l'était son fils et chacun d'entre-eux, très ambitieux. Alexander omettait également que le choix de son père de lui léguer l'entreprise à sa mort était un sujet constant de disputes entre les Campbell et la famille d'Alexander. Les Butler étaient peut-être très riches, mais Célia n'allait pas les laisser diriger le commerce qu'elle et ses ancêtres avaient si vaillamment développé. Elle était beaucoup trop orgueilleuse pour cela.

« C'est plutôt rare de laisser une femme se charger d'une firme, lança Oscar.

— Mais comment va-t-elle faire pour se marier, Mister Campbell ? demanda le colonel Lewis. Les hommes n'aiment pas beaucoup que leur compagne s'occupe de leurs affaires.

— Ce ne sont pas leurs affaires, mais les miennes, colonel, répondit Célia qui commençait à être passablement énervée par cette conversation.

— Et nous vous souhaitons bonne chance, Miss Campbell », lui dit Oscar en lui tendant son traditionnel grand sourire.

Élisabeth qui n'avait pas ouvert la bouche depuis bien deux bonnes minutes reprit la parole.

« Pour ma part, je ne connais rien aux affaires. Je trouve qu'une femme ne devrait pas non plus s'en occuper, sans vouloir vous offenser, Miss Campbell. Le travail fait vieillir prématurément et une dame se doit de rester jeune le plus longtemps possible.

— Je n'ai pas de mariage dans mes projets immédiats, Miss Lewis, lui dit Célia. J'ai encore un peu de temps pour cela.

— Mais faites vite, Miss Campbell, on ne voudra plus de vous passée trente ans et ce serait dommage de laisser une aussi jolie femme que vous finir vieille fille. »

La jeune femme sera les poings pour ne pas s'énerver. Décidément, ce dîner était un fiasco.

« Voyons Élisabeth, laissez cette pauvre jeune femme, lui lança son mari. Ne vous inquiétez pas, je suis convaincu que vous trouverez quelqu'un. »

Célia fut quelque peu émue par ce que venait de lui dire le colonel. Peut-être n'était-ce que de la pure hypocrisie, pourtant, il paraissait sincère. Elle se calma finalement et tous les convives décidèrent qu'il était temps de regagner leurs cabines respectives.

Ils se saluèrent donc et se dispersèrent à travers les wagons.

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