Sandy Kilos

By devafiction

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°°° COUP DE CŒUR du Jury des Wattys Awards 2016 °°° "Sandy Kilos" (110 kg), tel est le jeu de mots pathéti... More

Episode 1 : Ils avaient raison ces merdeux
Episode 2 : Beauté filiforme
Episode 3 : Ta gueule, sale grosse
Episode 4 : Salsa-kizomba party
Episode 5 : Indésirable
Episode 6 : Éveillés
Episode 7 : Besoin de réconfort
Episode 8 : Provoquer le destin
Episode 9 : Petites braises
Episode 10 : Le plus important
Episode 11 : La méthode miracle
Episode 12 : Malaise
Episode 13 : C'est lui qui a commencé
Episode 14 : Sans prévenir
Episode 15 : Dévastée
Episode 16 : Trop frais
Episode 17 : Des choses à régler
Episode 18 : Crever l'abcès
Episode 19 : De la distance ?
Episode 20 : Se rendre à l'évidence
Episode 21 : Le bon choix
Episode 22 : Dans ses yeux
Episode 23 : Le cœur à l'envers
Episode 24 : Une allusion ?
Episode 25 : Accrochages
Episode 26 : Compromis
Episode 27 : Sorties de couple
Episode 28 : Confessions
Episode 29 : Un peu de répit
Episode 30 : Pas prêt
Episode 31 : Revoir son jugement
Episode 32 : Hors de contrôle
Episode 33 : Comme un connard
Episode 34 : Regrets
Episode 35 : Réconciliations
Episode 36 : Sur la touche
Episode 38 : A cran
Episode 39 : La pression
Episode 40 : La pression (part.2)
Wattys Awards 2016 : j'ai gagné !
Résumé des épisodes précédents
Episode 41 : Paranoïa
Episode 42 : Meilleurs vœux
Episode 43 : Là où ça fait mal
Episode 44 : Fracture(s)
Episode 45 : Aveux
Episode 46 : Faiblesses
Episode 47 : Comprendre
Episode 48 : Exprimer
Episode 49 : Faire ce qu'il faut
Episode 50 : Réaliser
Episode 51 : Joyeux anniversaire
Episode 52 : Visites surprise
Episode 53 : Les grands moyens
Episode 54 : On peut pas tout avoir
Episode 55 : Démasquée

Episode 37 : Rapprochements

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By devafiction

Dès que j'entends le buzz de l'interphone, je bondis de joie. Je repousse un peu la table basse avant de me lever du canapé et je vais décrocher, un grand sourire aux lèvres :

– Oui ?
– Oui, bonjour, Yannick Owono, j'ai rendez-vous...

Je glousse en appuyant sur le bouton pour lui ouvrir :

– Je vous en prie, entrez. C'est au 3ème étage à droite.
– Merci.

Je repose l'appareil, tout sourire. Deux minutes plus tard, je pars lui ouvrir et les salutations sont chaleureuses :

– Salut Yannick.
– Ça va ?

Il se penche à moi et je lui fais la bise, ma main posée sur son bras. Ce n'est qu'après-coup que je remarque qu'il est chargé :

– Qu'est-ce que c'est que tout ça ?

Il saisit une brique de jus de fruits et la brandit brièvement avant de me répondre.

– J'ai cru comprendre que ce jus t'avais beaucoup plu la dernière fois, alors je t'en ai ramené, entre autres choses.
– Oh, fallait pas !
– Si, il fallait.

Je réceptionne le sac qu'il me tend, le nez à moitié plongé dedans. Bon, je vais pas mentir, je suis contente. Il a vu juste, j'avais adoré ce jus un peu atypique à la carotte et au fruit de la passion, c'est juste trop bon !

Yann se débarrasse de sa veste et sa tenue est décontractée mais tellement classe à la fois. Il y a une touche de je ne sais quoi qui flatte beaucoup son allure. Pas mal, je mets un 10 !

Je le dirige vers le salon, on prend place et on papote un moment, puis finalement on se met à discuter des choses sérieuses.

– Alors, d'après ce que tu m'as dit, t'as une page Facebook ?
– Oui. En fait, il y a quelque temps j'ai été sollicitée en tant que maquilleuse pour un événement, et c'est comme ça qu'une femme m'a repérée pour que je la maquille pour un mariage. Sa fille s'est rajoutée et vu qu'on m'a pas mal complimentée sur mon travail, j'ai décidé de proposer mes services au noir.
– D'accord, c'est une bonne démarche. Et c'est quoi ton but, à terme ? Qu'est-ce que tu veux ?
– Je t'avoue que j'ai pas vraiment de but, je fais ça pour pouvoir maquiller parce que je suis une passionnée.
– Mais si tu pouvais le faire à plein-temps, tu le ferais ?
– Sans hésiter !
– D'accord... Je peux voir la page, si ça te dérange pas ?
– Oui.

Je vais chercher mon PC qui était en veille et j'ouvre ma page « Carla LG Maquillage », 77 likes. Attentive aux moindres réactions de Yannick, je l'observe la consulter. Le tour est vite fait, je n'ai rien posté depuis le partage des photos du shooting de la collection de Baya, soit depuis près d'1 mois. En même temps, je n'ai plus eu de demandes depuis malgré de nouveaux likes... C'est assez déprimant d'ailleurs.

Yann semble sortir de son état de concentration profond et se met à parcourir la page dans le vent :

– La bonne nouvelle, c'est que tu as du talent.

Je grimace légèrement.

– Merci. Et la mauvaise... ?
– La mauvaise, c'est que personne ne sera jamais au courant.
– ...
– Jamais si tu gardes ta page Facebook telle quelle.

La tête que je fais a l'air de le faire rire :

– Mais c'est pas la fin du monde, on peut remédier à ça.

Ouf...

– Tu dois juste revoir un peu ta façon de communiquer. Moi, quand j'arrive sur ta page, je vois 2 problèmes : un, on sait pas qui tu es, ni ce que tu proposes. Deux, il y a plus d'activité depuis plus de 3 semaines. Tu peux être la maquilleuse la plus sérieuse et active qu'il soit, mais au bout du compte ces deux éléments donneront l'impression que tu n'es pas pro et que tu ne fais absolument rien.
– Oh... Ben tu sais, c'est pas si éloigné de la réalité pour le fait que je ne fasse rien. Ça fait un moment que j'ai plus de clientes...
– Rien ne t'empêche d'animer ta page autrement. Je connais pas du tout le domaine, mais malheureusement je me suis déjà retrouvé au milieu d'une conversation qu'avaient mes sœurs, et j'ai cru comprendre que la majorité de leurs produits leur a été conseillée par des femmes comme toi. Des maquilleuses ou des passionnées de maquillage qui sont actives sur les réseaux sociaux. Tu pourrais peut-être parler de tes produits favoris ou de tendan...
– Tu as des sœurs ?!

Je sais que c'est pas l'information la plus importante de son discours, mais ça m'a fait tiquer, il fallait que je le coupe. Un demi sourire narquois appuie ma question. Yannick me répond, faussement dépité :

– Trois.
– C'est vrai ?
– Oui, je suis le plus jeune.
– Oh, trois grandes sœurs... J'imaginais pas. C'est mignon !
– Tout est relatif.

Je glousse.

– Excuse-moi, je t'ai coupé, mais oui tu n'as pas tort. Je pourrais animer ma page autrement, mais le problème c'est qu'il y a tellement de filles qui le font déjà... Et puis je ne vois aucun intérêt de parler de mes produits préférés sans pouvoir montrer ce que ça donne.
– Pourquoi tu pourrais pas montrer ce que ça donne ?
– Ben parce que... je sais pas, je vais pas...
– Je pense pas que ce soit un souci, tu peux trouver des cobayes dans ton entourage, ou même mieux, te montrer toi. Ça te permettrait de te rapprocher de ton public, de créer un lien plus fort avec tes clientes potentielles. En plus, vu que ce sera toi sur les photos, tu vas engendrer beaucoup de likes venant de tes proches, et vu que les photos d'une page sont en « Public », ton travail va apparaître dans le fil d'actualité des amis de tes amis et même au-delà, ça peut aller très vite.
– Wow, wow, wow doucement !

Il se met à rire :

– Quoi ?
– Je... Me montrer, c'est pas le but.
– Pourtant, je pense que ça t'aiderait beaucoup. Tu pourrais tirer ton épingle du jeu. Et question pratique, c'est plutôt judicieux ; le visage que tu connais mieux que personne et que tu sais le plus mettre en valeur, c'est le tien, non ?
– ...On peut dire ça.
– Alors, c'est la meilleure vitrine pour montrer l'étendue de tes capacités. T'auras même pas besoin d'en faire trop, poster un selfie amélioré de ton maquillage au quotidien, c'est amplement suffisant. Tandis qu'en utilisant un cobaye, tu vas perdre du temps et des ressources, parce que – arrête-moi si je me trompe – mais j'imagine que te ravitailler en différentes teintes de fond de teint par exemple, ça doit pas être donné.
– Non, t'as pas tort... Mais franchement, je sais pas. Je... Et puis, comme je t'ai dit, je pense pas que je tirerais mon épingle du jeu vu qu'il y a des milliers de blogueuses beauté qui font ça.
– Peut-être, mais la différence entre elles et toi, c'est que toi tu abordes le truc dans l'autre sens : tu ne tiens pas un blog pour parler beauté en espérant rentabiliser à terme, toi tu proposes déjà des services de maquilleuse en utilisant parfois ton image pour optimiser la force de ton business. Alors qu'elles, elles ont juste un blog et pas de business.

Mon Dieu, cet homme réfléchit à 300 à l'heure.

– Mais la plus grande des différences entre elles et toi, c'est que toi, tu es...toi.
– ... ?
– Peut-être qu'il y a des milliers de blogueuses sur le net, mais elles ne sont pas toi. Et je pense que chacun est différent, chaque parcours est unique et surtout chacun a sa chance.
– ...
– Moi, quand je te regarde, je vois déjà un potentiel que tu ne vois pas forcément. Je vois quelle cible tu pourrais toucher, quel moyen tu pourrais utiliser pour capter son attention pour l'orienter vers ton business et le faire fleurir.
– Sérieux ?
– C'est clair comme la sauce des grandes occasions en Côte d'Ivoire, et je suis pratiquement sûr que personne n'est sur ton créneau actuellement en France.

J'éclate de rire, il est complètement allumé et son cerveau doit carburer à l'essence, c'est pas possible autrement. Tout ce qu'il vient de me sortir rien qu'en regardant ma pauvre page Facebook est juste hallucinant. Moi je voulais simplement tenter le freelance pour faire des missions par-ci, par-là et lui voit carrément plus grand. Peut-être trop grand ; je dois avouer qu'il me fait un peu peur.

Le regard au sol et le sourire aux lèvres, je secoue lentement la tête :

– Euh... je suis sans voix.
– Désolé, quand il est question de business, je décolle vite. Faut me frapper si tu vois que je redescends pas. Mais sérieusement, je pense qu'il y a quelque chose à faire... Tu devrais vraiment te lancer.
– Je doute pas de ton flair, mais pour le fait de m'exposer, je pense que j'aurai beaucoup, beaucoup de mal.
– Pourquoi ?
– ...

Je hausse une épaule en lui faisant un petit sourire gêné.

– Dis-moi ?
– Ben...

Il focalise toute son attention sur moi tandis que je cherche la tournure parfaite pour ne pas dire « ouh-ouh je suis grosse, Noire et tout le contraire des blogueuses beauté de France, réveille-toi ! ».

– ...Je ressemble pas à ce qu'on voit souvent.

L'espace d'une demi-seconde, j'aperçois un petit sourire traverser son visage.

– Tu sais, j'allais te dire qu'il y a 2 raisons principales qui dissuadent certains entrepreneurs d'associer leur image à leur activité : le désir de rester dans l'anonymat et le manque de confiance en soi. Avec la réponse que tu viens de me donner, c'est encore plus clair que la sauce claire que tu as un problème de confiance en toi !

Je glousse franchement :

– Arrête avec la bouffe, ça devient inquiétant.

Je cesse de rire en me disant que je devrais me taire parce qu'il pourrait me rétorquer la même chose fois mille – c'est le genre de remarques que je me fais parfois – mais son éclat de rire efface à peu près mon malaise.

Deux ou trois secondes s'écoulent, puis Yannick pose sa voix pour s'adresser à moi de la plus sérieuse des façons :

– Je trouverais sincèrement dommage que tu brides le potentiel de ton embryon de business pour une banale question de confiance en soi.
– ...C'est juste que je me vois pas me positionner en tant qu'égérie de ma page pro. Rien que le fait d'imaginer, c'est déjà trop.
– Oui, ça, j'ai bien compris. Mais si t'as cru à la Petite Souris pendant 6 ans, tu peux bien croire en toi, même pendant 5 minutes, non ?

Je souris. Instantanément, un flash de moi petite au foyer de Saint Domingue me vient. C'est marrant les similitudes qu'il peut y avoir entre les cultures : là-bas, on jette la dent de lait qu'on perd sur les toits et on attend que la souris vienne la récupérer. On dit aux enfants que ça leur permettra d'avoir les dents aussi tenaces que celles d'un rongeur.
Je me souviens que j'avais jetée la mienne de toutes mes forces et le lendemain on a frôlé la catastrophe quand j'ai voulu grimper sur le toit du foyer pour vérifier si la souris avait fait son travail. J'étais une vraie pile électrique ; aventurière et un poil bagarreuse...

– ...
– ...Non ?
– Si...

J'esquisse un nouveau petit sourire qu'il me rend.

– Dans ce cas, imagine-toi 5 minutes poster des photos de qualité pour montrer ce que tu portes au quotidien ou à certaines occasions.
– ...
– C'est fait, là ?

Je glousse :

– Oui...
– D'accord. Maintenant, imagine les likes et les commentaires de tes clientes potentielles qui veulent plus de détails sur tes prestations. Parce que, évidemment, tu posterais ces photos sans donner le détail de ce que tu portes pour enclencher le contact. La seule description que tu donnerais serait celle indiquant que tu es une maquilleuse qui offre ses services dans la région et qui est joignable à tout moment sur cette page.
– Hmm...
– Et maintenant... imagine Cyril foudroyé par la puissance de ton Caramel poudré.

J'explose de rire.

– Ce sera ton premier fan, crois-moi.

Je secoue la tête après avoir repris mon calme.

– Est-ce que cette idée est plus envisageable pour toi, maintenant ?
– Un peu plus...
– Cool. Je te laisse réfléchir et tu me diras ce que tu veux faire.
– On fait comme ça... Mais, explique-moi un peu comment ça se passerait si jamais j'ai envie d'avoir un statut de travailleur en freelance...

Yannick passe plus d'une heure à m'expliquer la chose de long en large ; il évoque quelques petits trucs et astuces et je lui pose tout plein de questions sur son statut à lui, qui est un poil différent puisqu'il est auto-entrepreneur, mais finalement, il reste un travailleur indépendant alors il n'y a que peu de différences.

Un seul mot : enrichissant.

C'est un SMS de Suz qui m'expulse hors de notre bulle et qui me fait me rendre compte que je viens de passer 3 heures avec Yannick. Ce dernier est d'ailleurs sur la même longueur d'ondes que moi puisqu'il commence gentiment à prendre congés.

– Bon... Je crois qu'on a bien fait le tour, je vais pas plus te déranger.
– En tout cas, c'est super sympa de ta part, ça m'a beaucoup aidée d'en discuter.
– De rien, ça m'a fait plaisir. De toute façon, si t'as des questions ou autres, t'as mon numéro.
– Oui, je t'embêterai, t'inquiète !

Il sourit.

– Ah au fait, je suis tombé sur un flyer d'une soirée salsa-kizomba au Barrio Latino. Ça m'a fait penser au fameux soir où on s'est vus pour la première fois, et je voulais te dire que je comptais te raccompagner, mais Cyril m'a doublé.
– A...Ah bon ?
– Oui ! Sur le coup, j'étais gêné parce que je voulais pas passer pour quelqu'un de peu fiable, mais finalement, tant mieux. S'il m'avait pas doublé, vous en seriez peut-être pas là.
– Peut-être...

Je reste songeuse. J'ai toujours cru qu'on avait forcé Cyril à me raccompagner ce soir-là, vu la tête qu'il faisait.

– Ça doit te faire bizarre de nous voir ensemble aujourd'hui.
– Assez bizarre. Quand j'ai compris, j'étais étonné !
– Je te comprends, je sais que je suis pas son genre...

Je tripote mes doigts. C'est sorti tout seul, je voulais pas le dire tout haut, mais maintenant que c'est fait... il faut que j'assume. La voix de Yann s'adoucit.

– Pas exactement, c'est vrai... Mais, justement, c'est ça qui est intéressant. Grâce à toi, Cyril sort de sa zone de confort et ça fait plaisir à voir.
– ... C'est pas pour autant que tout est simple.
– Comment ça ?
– Ben... comme tu l'as confirmé, je suis pas « exactement » son genre et je le ressens.
– Ah... Mais, tu sais, même s'il te l'a fait ressentir à un moment donné, sache que c'est pas forcément volontaire de sa part. Ni même foncièrement mauvais. Comme tu le sais certainement, sa mère était mannequin à l'échelle internationale, alors forcément...

Non, je ne le savais pas. Je cache ma surprise pour ne pas passer pour je ne sais quoi, mais au fond je suis un peu vexée.

– Je veux pas faire de la psychologie de bas-étages, mais ça joue sur ses goûts en matière de femmes. C'est un peu le modèle qu'il a toujours eu, c'est l'habitude...
– ...
– Dis-toi que même Beyoncé, il la trouve trop formée. Pareil pour Monica Bellucci à l'époque Vincent Cassel. Mais aujourd'hui, il découvre enfin la vraie vie. Les physiques baguettes chinoises, c'est du passé pour lui maintenant krkr !

J'ai un tout petit sourire lointain.

– Non, plus sérieusement, ne te prends pas la tête, ça sert à rien.
– C'est facile à dire, mais franchement, parfois c'est pesant de se dire qu'on n'est pas à 100% le style de l'homme avec qui on est...

Il a l'air surpris :

– Carrément, ça te pèse ?
– ...
– Pourquoi ? Ça devrait pas autant te toucher.
– ...

J'ose pas lui dire. C'est pas quelque chose que je crie sur tous les toits, au contraire. Je préfère faire croire le contraire et qu'on me laisse en paix. D'ailleurs, je commence à me dire que j'en ai peut-être un peu trop dit, mais j'ai pas trop fait attention, je me suis sentie en confiance avec lui.

D'un autre côté, quelque chose me dit que – bien qu'ils soient très proches avec Cyril – je ne pense pas que Yann irait tout répéter ce qui se dit actuellement dans cette discussion. Je gigote un peu sur moi-même, avant de marmonner, les yeux baissés :

– Je suis complexée.
– ...C'est qui ?

Je relève le regard, interloquée. Euh... Je crois malheureusement qu'il faut que je répète parce qu'il a pas tout compris, là...

– Complexée... J'ai dit que je suis... Complexée.
– Oui, mais c'est qui ça ?...
– ...T'as pas compris, je suis complexée, mal dans ma peau quoi !

Il faut que je me calme. Je suis un peu nerveuse, ma voix est montée dans les aigus... Yann me fixe d'un air narquois :

– Hum, la dernière fois que j'ai vérifié, t'étais Barbie Caramel Sucré, pas « Complexée ».

D'abord penaude, je comprends peu à peu son petit manège de tout à l'heure et me mets timidement à sourire...

– « Complexée », c'est personne. Ça n'existe pas, c'est dans ta tête.
– ...
– Cyril est avec toi, ça veut déjà dire beaucoup... Et si en plus tu montres que tu as de l'assurance, là je peux te garantir que tu vas même plus ressentir ce malaise dont tu me parles.

J'abaisse de nouveau le regard sur mes ongles. Au bout d'un moment, la main de Yannick se pose amicalement sur mon épaule :

– C'est bon ? On peut me remettre en communication avec Barbie Caramel ? Je la préfère à Mademoiselle Complexes...

Je lève les yeux et je lui souris.

– Voilà, je préfère !

Il se lève et je le raccompagne jusqu'à la porte sans trouver quoi dire.

– Bon, Carla, ça m'a fait plaisir. Merci pour l'accueil et quand tu te décideras à peu près sur ce que tu veux faire pour ton business, n'hésite pas à venir m'en parler. Tu sais où me trouver.
– D'accord, je le ferai. Merci, Yann.
– C'est rien. Bonne soirée !
– Merci, toi aussi. Rentre bien !

Il disparaît et je referme la porte en poussant un long soupir.

Ce qu'il a dit sur Cyril ne m'a pas laissée indifférente, mais d'un côté comment avoir de l'assurance face à un homme qui n'a connu que des femmes longilignes ? Comment se sentir belle face à un homme qui valide uniquement la beauté de ton visage ? Comment prendre de l'assurance tout court ? Ça m'a l'air d'être un concept bien trop abstrait pour être appliqué comme on appliquerait une recette magique.

Alors pour l'instant, je ne vois que le sport et le régime pour exterminer mes complexes et mon manque de confiance en moi ; et j'espère sincèrement que mes efforts vont payer...

***

Je viens de faire mon compte-rendu de mon petit rendez-vous à Cyril, toute fière que Yannick et moi soyons allés plus loin que des discussions purement théoriques sur le freelance. Il a l'air content pour moi, mais à côté de ça, il me demande de bien réfléchir et de ne pas trop m'emballer parce que – apparemment – je serais victime de « l'effet Yann ». D'après ce que Cyril dit, il est tellement positif et convaincant qu'il procure quasiment à tous les coups une grosse dose d'enthousiasme qui empêche parfois de garder les pieds sur Terre. Un peu comme un effet à double tranchant.
Personnellement, je ne suis pas trop d'accord. Je trouve justement que Yann est quelqu'un de droit qui a l'air de savoir de quoi il parle... je ne pense pas qu'il faille s'inquiéter de « garder les pieds sur Terre ». Mais bon, je ne veux pas contrarier Cyril et je lui réponds :

– T'inquiète pas, je vais bien me laisser le temps de réfléchir.

Je me resserre contre lui, heureuse qu'il ait bien voulu passer me voir malgré l'heure tardive. Après son départ de chez moi il y a quelques jours, c'était un peu tendu entre nous. Surtout de son côté. Depuis, ça va mieux, mais je reste un peu soucieuse. Je lui envoie beaucoup plus de SMS et je le réclame un peu plus qu'à l'accoutumée de peur de... de je ne sais quoi, mais je ressens le besoin d'agir de cette façon avec lui en ce moment.
Pour ce soir, j'essaie de ne pas trop me faire d'illusions, mais j'espère quand même qu'il va rester dormir...

D'un coup, quelque chose me revient à l'esprit :

– Au fait, je savais pas que ta mère était mannequin avant... On en est venus à parler de ça avec Yann, complètement par hasard et ça m'a surprise.
– Je te l'ai dit.
– Non, tu m'as dit qu'elle avait un studio photo et qu'elle était une sorte d'agent ou de coach aujourd'hui, mais tu m'as jamais parlé de sa carrière de mannequin.
– Ah. Ben maintenant tu le sais.
– Oui et c'est génial ! Elle l'était à l'échelle internationale, c'est ça ?
– Ouais. Elle a commencé à Paris dans les années 80, puis elle s'est vite retrouvée à New York et c'est là que sa carrière a vraiment commencé. Vera Wang l'a soutenue et je crois qu'elle a tout fait : défilés, pubs, couvertures de magazines...
– Waw ! Vera Wang ?!
– Ouais. Elle était pas encore connue comme aujourd'hui, mais à l'époque elle travaillait pour le magazine Vogue je crois, et elle a fait découvrir le visage de ma mère dans un édito ou quelque chose comme ça.
– Hhh ! Attends, mais c'est dingue !

Non mais ahhh ! En grande fan de mode que je suis, j'aimerais tellement rencontrer cette femme !

– Mais comment t'as pu me cacher ça !
– Je croyais vraiment que je t'en avais parlé.
– Pas du tout ! Je m'en serais rappelé, crois-moi ! Ta mère est la Tyra Banks made in Cap Vert. Non, la Naomi Campbell made in Cap Vert !

Il esquisse un demi-sourire.

– Waw... C'est quoi son nom ? J'adorerais voir des coupures de presse de l'époque et tout son travail en général.
– Izia Sao Miguel, mais je suis pas sûr qu'il y ait tout sur Internet.

C'est pas grave, il a trop titillé ma curiosité là. Je prends mon téléphone et effectue une recherche Google... Non mais cette femme est juste magnifique ! Le côté vintage des photos, j'adore ! Et cette élégance naturelle... Waw.

– Elle est superbe...
– Merci pour elle.

Une photo m'interpelle. Elle est sur les genoux d'un homme typé et lui donne un baiser sur la joue. Je sais que c'est une coupure de presse et non pas une photo personnelle, mais j'hésite à demander quelque chose à Cyril. Le problème, c'est que je sais pas trop si.... Tant pis.

Je trouve qu'avec le palmarès qu'elle semble avoir, il y a peu de photos disponibles, mais j'en ai déjà vu assez pour me faire une idée de l'ampleur de sa carrière. Elle a l'air assez jeune sur toutes les photos, ce qui m'amène à la question suivante :

– A quel moment elle a arrêté sa carrière ?
– Quand elle est tombée enceinte de moi. C'est-à-dire, assez tôt. En début de vingtaine.
– Oh...

J'ose toujours pas lui poser des questions sur son père, mais ça me démange sérieusement. En plus, d'un coup, je viens de remarquer : à moins qu'Izia Sao Miguel ne soit qu'un nom d'emprunt, Cyril et sa mère n'ont pas le même nom de famille...

Je ne voudrais pas le contraindre à aborder un sujet délicat, mais quand même... j'aimerais savoir. J'abandonne mon téléphone et je le caresse affectueusement avant de le questionner :

– Sao Miguel, c'est son vrai nom ?
– Oui.
– Donc tu portes le nom de ton père ?
– ...

Il se crispe un peu, mais j'essaie un maximum de lui envoyer des bonnes ondes pour le détendre. Et ça a l'air de marcher :

– ...Ouais.
– Mais... Tu l'as connu un jour ? J'ai l'impression que... Enfin... Tu me parles de ta mère mais jamais de ton père. Tu m'as seulement dit qu'il avait refait sa vie.
– ...

Honnêtement, je ne saurais dire si ma maladresse l'a complètement refermé. Tout ce que je constate, c'est qu'il ne parle plus. Il est muet comme une tombe et je me dis que j'ai peut-être été trop curieuse.
Juste quand je m'apprête à m'excuser pour mon indiscrétion et à lui dire qu'il n'a pas à me répondre, je le sens remuer nerveusement, puis je l'entends finalement :

– Non, je l'ai pas connu. Il s'est barré bien avant que je naisse.
– ...
– Je sais qu'il m'a vu un jour. Ou peut-être deux. Mais je m'en souviens pas.
– ...
– Les seuls souvenirs que j'ai, c'est des photos.
– ...Il est aussi Capverdien ?
– Ouais.
– Et ... t'as plus du tout de nouvelles ?
– Non. Mais il m'intéresse pas. C'est un étranger pour moi.
– ...
– Je sais juste qu'il habite pas loin. Il fait sa vie avec sa nouvelle famille. C'est bien pour lui.

Je trouve ça juste horrible, et je pense que mon visage le montre bien. Je sens mes traits froissés par la peine et la compassion, alors que Cyril arbore un air totalement impassible. Je crois que ce qui me fait le plus de peine, c'est que je sens qu'au fond, il a mal.

Je prends ma voix la plus douce pour lui poser une toute dernière question :

– Mais... Si tu portes son nom, c'est bien parce qu'il t'a reconnu à un moment donné, non ?
– Ouais, parce qu'on lui a mis la pression. Mais après il a pas assumé. Au début, ça me faisait chier de porter ce nom, mais comme c'est aussi celui de ma grand-mère maternelle, ça passe mieux. Je me dis que je porte son nom à elle.
– ...
– Si c'était pas le cas, j'aurais entamé des démarches pour le changer.
– C'est triste...
– Non. C'est la vie. Et il me manque pas.

Ce qu'il dit est violent, mais je ne préfère pas chercher à le modérer. J'imagine qu'il faut le vivre pour comprendre la dureté de ses propos. Je ne cherche pas non plus à en savoir plus, parce que je pense qu'il n'y a plus rien à dire ; puis de toute façon, je sens bien que Cyril a atteint une certaine limite et qu'il ne souhaite plus en parler. Je repose ma tête contre lui en le caressant un peu et je fixe l'écran de la télé sans vraiment le regarder...

C'est surprenant, mais c'est lui qui me demande :

– Ça va ?
– Oui...
– T'es fatiguée ?
– Un peu...
– Je vais y aller, je vais te laisser te reposer.
– Non, reste encore un peu...

Il obéit sans rien ajouter et je pars sur un sujet plus léger pour anéantir cette espèce de calme mélancolique qui s'est installé depuis notre discussion sur son père :

– Tu m'as jamais dit quelque chose en créole capverdien, tu peux me dire un truc ?
– Non.
– Pourquoi ?
– Pas envie.

Je sais pertinemment qu'il fait ça pour m'embêter et le pire c'est que ça marche.

– Allez Cyril !
– Plus tard.
– Euh, et pourquoi ?

Il ne dit rien et tâte sa poche, à la recherche de je ne sais quoi. C'est pas pour autant que je m'avoue vaincue. Je me redresse :

– Pourquoi « plus tard », c'est ridicule.

Il sort son téléphone.

– C'est quand que je pourrai t'entendre parler créole dans ce cas ?
– Le jour où on fera l'amour.

...

Ça a au moins eu le mérite de fermer mon clapet. Immobile, je perds ma langue tandis qu'il sourit légèrement en coin, plongé dans son écran. Ça a l'air de beaucoup l'amuser de me déstabiliser...

***

Plus de 3 semaines se sont écoulées depuis mon tête-à-tête avec Yannick et on peut dire qu'il m'a complètement boostée ! Je me suis très vite décidée à suivre ses conseils et publier des photos de moi portant du make-up pour remplir ma page Facebook. Tout d'abord, j'ai acheté des lampes spéciales pour que la lumière de mes selfies soit au top. Ensuite, j'ai aménagé un petit coin à fond neutre de mon appart pour prendre mes photos – que ce soient des selfies ou des clichés de mes produits. Et enfin, j'ai ressorti mon appareil Canon que je n'utilisais plus vraiment. Je pense même qu'il faudrait que je crée un profil Instagram, mais je verrai plus tard.

Cyril me dit que j'exagère et que ce n'est qu'une page Facebook, mais il n'était pas là quand Yann a parlé. Il m'a fait voir plus loin, et je lui fais absolument confiance sur ce coup-là. J'appréhende toujours de m'exposer au jugement des internautes, mais pour l'instant, je n'ai reçu aucun mauvais commentaire, au contraire !

Je reviens chez moi après une longue journée de travail. Ça fait quelque temps que je ne marche plus pour rentrer, il fait trop froid ! J'avais pas pensé à ce « problème technique ». Mais je ne me suis pas avouée vaincue, j'ai dit que j'allais bouger, alors j'ai trouvé une alternative : la danse. Absolument tous les soirs, j'ai cours de danse avec ma télé et moi-même. Je mets tous les anciens clips vidéo que j'adorais plus jeune et dans lesquels ça danse : Britney Spears, J.Lo, Sean Paul, Janet Jackson, les Black Eyed Peas, les Pussycat Dolls... J'apprends par cœur ou je bouge simplement comme si j'étais en boîte, et après 1h30, ça me fait mon sport de la journée.

Après m'être un peu reposée puis changée, j'utilise le câble HDMI que Cycy m'a laissé ici, je branche mon PC à la télé, je vais sur Youtube, je sélectionne ma playlist et c'est parti ! Je m'assure que mon téléphone est bien en mode silencieux et je me donne à fond pendant plus d'une heure. A la fin, je finis à terre, en sueur. Mine de rien c'est super dur, mais comme j'adore danser, c'est moins pénible qu'une course à pieds et c'est mieux que rien.

Je débranche tout et je me traîne dans la salle de bain. Je prends une douche que je savoure du début à la fin, si bien que je reste au moins 25 minutes sous l'eau. Quand je sors, je garde ma serviette nouée autour de ma poitrine et pars mettre une soupe aux légumes sur le feu. J'ai envie de manger léger ce soir. Je mangerai une pomme pour le dessert.

J'allais repartir vers la salle de bain, quand la vue de mon téléphone m'a stoppée dans mon élan. Oups, ça fait quand même bientôt deux heures que je l'ai laissé en mode silencieux. J'avais complètement oublié. Je déverrouille l'écran et constate que j'ai reçu un SMS d'Ulysse il y a 30 minutes :

« t chez toi ? »

Je lui réponds oui en lui demandant pourquoi, mais il répond pas. Pour patienter, je pars me mettre en tenue décontractée, puis un quart d'heure plus tard, on sonne à la porte. Je fronce les sourcils, j'attends personne. Je me dirige à l'entrée sur la pointe des pieds, puis regarde dans le judas... Oh.

J'ouvre la porte :

– Ulysse ?

Je libère le passage et il entre.

– Les parents ils me saoulent, je peux rester ici ?
– ...Oui.

Franchement, je vois pas comment nos parents peuvent le « saouler », ils sont trop adorables. Mais bon, je ne fais aucun commentaire de ce genre, je préfère l'interroger innocemment :

– Qu'est-ce qui s'est passé ?
– Ils sont toujours sur mon dos là, j'ai besoin d'air.

Il lâche lourdement son sac à dos noir près du canapé. J'en déduis qu'il dort ici. Je ne lui pose pas la question, de peur qu'il le prenne mal ou qu'il pense que ça me gêne.

– Wesh ça sent bizarre, il s'passe quoi ici ?
– Non, ça sent r... Ah, c'est ma soupe aux légumes !

Il identifie mon bol sur la table puis me regarde comme si j'étais la personne la plus dégueu au monde.

– Il t'arrive quoi à manger de l'eau jaune ?
– Ça fait du bien quand il fait froid !
– ...Ouais d'accord.
– T'as mangé ?
– Ouais heureusement. Crois pas que j'allais manger ton eau chelou là.

Je lève les sourcils, faussement vexée et je reprends place où j'étais pour manger ma bonne soupe qui sent très bon !

– Mmmmh ! Tu sais pas ce que tu rates.

Il grimace de dégoût et je recrache un peu ma soupe en voulant me retenir de rire. Il abuse, je mange pas non plus de la bouse !

Bizarrement, Ulysse reste debout, comme s'il hésitait à prendre ses aises. Il pivote un peu sur lui-même, puis :

– Il est pas là ton copain ?

Je secoue la tête.

– Il travaille.

Sa question me surprend, mais je n'ai pas voulu le montrer.

– Il fait quoi au fait ?
– Vendeur en téléphonie.
– Comme les rebeus qui font des voix de blédard au téléphone là ?

Je fronce les sourcils ; mais qu'est-ce qu'il raconte ?

– Non, il travaille en boutique, chez SFR.
– Ah... Il a des téléphones gratuits alors.
– Euh... Je sais pas.
– Ben si, c'est sûr. Il doit en revendre plein tombés du camion, c'est le bon plan ça pour faire des lovés (*faire de l'argent).
– Euhhh non, il trempe pas dans ce genre de combines alors on se calme.
– Demande-lui on sait jamais.
– Non !

Il est fou ce gosse !

Quelques minutes plus tard, je termine mon repas et je découpe une pomme en quartiers après avoir tout mis dans l'évier. Entre temps, Ulysse s'est détendu et a pris place sur le canapé. Il pianote sur son téléphone et regarde à peine la télé qu'il a pourtant allumée juste avant.

Je sais pas quoi lui dire, mais je suis contente qu'il soit là. Je préfère qu'il se réfugie ici plutôt qu'ailleurs... Finalement, je me mets un peu à discuter de nos cousins et des dernières histoires de famille et il écoute plus ou moins en faisant quelques commentaires.

Mon téléphone sonne et la photo de Cyril s'affiche. Je suis fière de cette nouvelle photo que j'ai pu chourer sur son Facebook – vu que j'ai fini par accepter sa demande d'amis. Je le trouve très beau là-dessus.

– Allô ?
– Ça va ?
– Oui et toi ? T'as passé une bonne journée ?
– Mouais, c'était une journée comme une autre. T'es en forme là ou pas ?
– Pourquoi ?
– Parce que Yann nous invite ce soir. Je viens de l'avoir au téléphone, il est en mode pile électrique. C'est pour ça que je te demande si t'es en forme pour supporter ça.
– Oh arrête Cyril, t'es pas gentil...

Il rit brièvement et je vois Ulysse me faire des signes. Euh... est-ce que je comprends bien ce qu'il est en train de me dire ? Je reprends avec Cyril :

– Euh... Une minute, je te passe quelqu'un...

Je passe le téléphone à Ulysse.

– Allô ?...C'est Ulysse. Tu te souviens ?...Bien et toi ?...Ouais pareil, c'est le week-end donc on est là hein...Hahaha ! Non même pas...Ouais voilà c'est plus mon délire que...Voilà haha !

Mais de quoi ils parlent ?! Je m'approche l'air de rien pour pouvoir entendre ce que Cyril dit à l'autre bout du fil, mais Ulysse s'éloigne un peu en déambulant autour du canapé :

– Ouais je suis chez elle...Non, tranquille. T'as appelé juste quand elle s'épilait la moustache.

HEIN ?! Je fonce sur lui pour lui arracher le téléphone. Il émet aucune résistance et ricane en se rasseyant dans le canapé. Pfff !!!

– Cyril, tu m'entends ?

Il rit légèrement avant de me répondre.

– Je t'entends. T'es avec ton frère, je savais pas.
– Oui, il a fait une petite visite surprise.
– Juste avant que tu t'épiles la moustache...
– Pff ! Et toi tu l'encourages dans ses bêtises.

En plus ça le fait rire...

– On peut l'emmener avec nous chez Yann, ça lui posera pas de problème.
– Oh, je sais pas si ça l'intéresserait...

Je jette un œil à mon petit frère qui zappe les chaînes de la télé.

– Demande toujours...
– D'accord.

Je viens me poster près d'Ulysse :

– On est invités chez le meilleur ami de Cyril, tu veux venir ?

Son visage se mute en une expression est entre la gêne et je ne sais quoi d'autre. C'est comme s'il avait retiré son masque et que je retrouvais son air d'enfant d'antan. C'est avec infiniment moins d'assurance qu'il me répond :

– Euh... ouais.

Je lui fais un doux sourire à défaut de lui caresser le visage et je me détourne en collant de nouveau mon téléphone à mon oreille :

– Il est partant.
– Ça marche. Je passe vous chercher dans environ 40 minutes. Sois prête.
– Mais je serai prête Cycy.
– C'est ce qu'on verra.
– Tu verras, tu verras... A tout à l'heure !
– A tout'.

40 minutes plus tard, Cyril m'envoie un SMS pour me prévenir qu'il est en bas et qu'il nous attend dans la voiture. Je me dépêche un petit peu parce que je ne suis pas tout à fait prête. Je sais, sans commentaires.
10 minutes après, je termine sous la pression d'Ulysse qui s'impatiente et on descend rejoindre notre chauffeur.

J'ai prévenu mes parents pour Ulysse et même si ce rapprochement est aussi soudain qu'inattendu, je suis vraiment contente d'avoir mon petit frère avec moi ce soir...

***

– Ville ou pays. Moi j'ai mis Kenya.
– Kenya aussi.
– Kazakhstan.
– Koulamoutou.

Tout le monde se tourne vers Yann.

– Quoi ? Ça existe.
– Carla, vérifie s'te plaît.

Sous ordre de Cyril, je saisis mon téléphone mais Yannick m'arrête de sa voix :

– Carla, tu me fais pas confiance ?

Cyril intervient de nouveau :

– Personne te fait confiance, tu fatigues avec tes réponses bizarres. Ce mot, t'aurais très bien pu le caser dans la colonne « Prénom fille », personne n'aurait pu vérifier. Tricheur.
– Mais c'est ville de chez moi !
– Une ville, un village ou un quartier ?
– Une ville ! Une vraie ville du Gabon. Pourquoi vous rendez le jeu raciste comme ça ?

Ulysse se met à rire et moi aussi. On joue au Baccalauréat et je dois avouer que depuis le début, Yann sort que des noms de ville, d'animal, de fleurs, de fruits, de légumes, ou autres que personne ne connaît. Même les prénoms et les métiers sont concernés. Et bien sûr, il rafle tous les points à la fin et on se retrouve tous à la traîne. Cyril a un côté mauvais joueur (que je découvre d'ailleurs), alors c'est marrant de les voir se chamailler et chipoter pendant des heures.

Je lance :

– Bon les gars, temps mort. Je vais vérifier comme ça ce sera réglé.

Yann m'arrête encore :

– Carla, je vais me vexer hein.
– Tant pis !

Je vérifie et, oui, ça existe. Yann nous regarde tous :

– Et voilà. Vous avez pas honte ?

Je glousse en m'excusant alors que Cyril me prend le téléphone des mains. Une seconde après, il me le rend, contrarié. De son côté Yann persiste :

– Un commentaire Mister Moreira ?
– Tchip, laisse-moi.
– Tu devrais même nous lire la page Wikipedia 100 fois pour la peine.

On termine le tour et Cyril décide prématurément de mettre fin au jeu, sûrement parce qu'il est avant-dernier dans le classement.
Je suis un peu déçue de cet arrêt prématuré, parce que c'est moi qui ai voulu jouer au Baccalauréat bien que tout le monde était plutôt partant pour un poker. Justement, ils s'enthousiasment tous sauf moi. J'aime pas le poker, je comprends rien. Yann part chercher ce qu'il faut et revient en s'adressant à Ulysse :

– T'as déjà joué au poker Ulysse ?
– Non, mais ça m'intéresse, j'ai bien envie de tester.
– D'accord, mais prépare-toi à perdre, on m'appelle le Bluffeur Né.
– Hmmm ça c'est toi qui le dis, moi j'attends de voir.

Ouuhhh ! Je ris suivie d'un Yannick surpris, et Ulysse se sent obligé de lui serrer la main pour s'excuser un peu.

Peu après, Cyril et Yann nous expliquent les règles tout en installant ce qu'il faut, mais honnêtement il y a trop de trucs à retenir, je sais déjà que je vais perdre. Ulysse reste très attentif, puis au terme des explications, quand Cyril nous demande si on a compris, il réajuste son sweat en souriant de crispation :

– Ça va être chaud hein...
– T'inquiète, je vais te guider.

Ils se sourient et je les trouve juste trop mignons. La partie commence et, au départ, c'est comme si Ulysse et Cyril faisaient équipe. Ulysse lui montre parfois son jeu et Cyril valide ou non. Ulysse s'en sort pas mal et au bout d'un moment, les gars se mettent à miser de l'argent pour pimenter le jeu. Je suis pas trop d'accord mais bon, soit. Tant qu'ils me demandent pas de le faire.

La partie continue puis, peu à peu, Ulysse consulte de moins en moins Cyril et il rafle TOUT. A chaque tour, il a des combinaisons de folie et un sens du bluff incroyable ! C'est pas juste ! Justement, c'est à lui de dévoiler ses cartes :

– Quinte flush royale.

Hein ?! C'est juste la combinaison la plus puissante qui soit ! Cyril est totalement stupéfait, mais dans le bon sens, et ils se tapent dans les mains. Après coup, il ajoute :

– Ce mec-là est très dangereux. Bluffeur Né, tu t'es endormi ou quoi ?

Yannick ignore Cyril et sa voix s'élève d'un coup :

– Je tiens juste à rappeler à tous les participants, que le poker est un jeu individuel. Ça ne se joue pas en équipe. De fait, j'ai une réclamation à faire : je souhaite que l'on s'attarde sur le cas du joueur Ulysse ici présent, qui a bénéficié d'une aide extérieure depuis le départ ; aide ayant fortement porté préjudice à t...
– Réclamation rejetée, balourd. Tu rages parce que tu perds, haha !

Yann me regarde dépité et je hausse les épaules. J'aurais bien voulu appeler tout ça « la chance du débutant », mais j'ai plutôt l'impression qu'Ulysse vient vraiment de se découvrir un talent certain pour ce jeu. Il en a très vite saisi toutes les règles et les subtilités, ce qui ne me rassure pas. D'autant plus qu'il y a réellement de l'argent en jeu...

Finalement, la seule chose positive que j'ai notée de cette soirée, c'est le fait qu'à l'extérieur, Ulysse est agréable, sociable, poli et serviable, comme il l'était auparavant. Et j'ai comme l'impression que la présence de Cyril accentue cette attitude, ce qui me pousse davantage à m'accrocher à cette relation... Si cette présence peut le canaliser, tant mieux.

De plus, ça ne fait que confirmer que c'est nous, sa famille, qui lui posons un problème, et c'est forcément lié à son flou identitaire. Pas facile à encaisser comme nouvelle, mais je suis quand même heureuse d'en avoir enfin la confirmation...

***
(Cyril)

1h du mat' passée, on arrive devant l'immeuble de Carla, et son frère et elle détachent leur ceinture. Ulysse s'étonne de me voir immobile :

– Tu restes pas avec nous ?
– Non, je vais rentrer.
– OK ben... rentre bien alors !

Il me check et je lui fais un clin d'œil en le remerciant. Je préfère rentrer surtout par respect pour lui : je me vois mal dormir dans le même lit que sa sœur alors qu'il est sous le même toit.

– Tiens Ulysse, prends ma clé et monte. Je dois parler avec Cyril, je te rejoins juste après.
– OK.

Ulysse sort de la voiture sans broncher et me fait un dernier signe avant de disparaître derrière la porte de l'immeuble.

– Vous êtes mignons tous les deux.
– C'est pas le mot que j'aurais employé, mais si tu insistes...

Ses pommettes sortent alors qu'elle sourit légèrement.

– C'était une bonne soirée, merci de l'avoir invité.
– Y a pas de quoi. C'est normal.
– Mais euh...
– ...
– S'il y a une prochaine fois, je préférerais qu'on ne joue pas au poker parce que j'ai peur que ça ait une mauvaise influence sur lui.
– Comment ça « une mauvaise influence » ?
– T'as pas remarqué son attitude ?
– Non.
– Il s'est carrément emballé ! Au début, ça me faisait rire qu'il rafle tout comme ça, j'étais même impressionnée ! Mais à la fin, ça me faisait plus rire du tout.
– Mais non, on était tous dans l'ambiance, c'est tout.
– Il a gagné mon rouge à lèvres MAC à 30 euros que j'ai misé pour le fun, et il veut pas me le rendre. Comment t'expliques ça ?

J'éclate de rire et vu la tête qu'elle fait, ça lui plaît pas du tout.

– Je suis sûr qu'il est pas sérieux, il va te le rendre.
– ...Sérieusement Cyril, le fait de miser de l'argent, c'était de trop. Vous auriez pas dû. Maintenant, j'ai peur qu'il devienne addict aux jeux.
– Mais non Carla, arrête un peu.
– Tu te rends pas compte parce que tu l'as jamais entendu parler de « faire des lovés ». Il en parle très souvent. Faire des lovés, faire des lovés, il a que ça en bouche ! Pas plus tard que tout à l'heure il m'en parlait encore. Il est obsédé, il veut se faire de l'argent par tous les moyens et on vient justement de lui en enseigner un. En plus, il va pas en cours cette année, ça m'inquiète trop parce que c'est la porte ouverte à tout et n...
– OK, c'est bon. On fera plus de poker avec lui.
– ...
– Mais arrête de stresser, à mon avis t'extrapoles un peu trop.

Le regard au loin, elle fait légèrement « non » de la tête et quelques secondes passent. Je commence à avoir envie de pioncer alors je brise le silence :

– Va le rejoindre. Je t'envoie un message quand j'arrive.
– ...Tu veux pas rester ?

J'étais presque sûr qu'elle allait me faire cette demande. Mais comme très souvent ces derniers temps, ma réponse restera la même :

– Non, je vais vous laisser entre frère et sœur.
– D'accord...

Carla me tend paresseusement ses lèvres et je les prends. Elle descend ensuite de la voiture et j'attends de la voir entrer avant de reprendre la route vers mon appartement.

Juste quand je gare en bas de chez moi, je reçois un appel de Yann. Je décroche après avoir coupé le moteur :

– Allô ?
– Le Bluffeur Prodige a oublié ses écouteurs sur ma table.

Je souris.

– OK, je viendrai chercher ça plus tard.
– Sinon, ça va ? Vous êtes bien rentrés ?
– Ouais tranquille, je les ai déposés et là je viens d'arriver chez moi.
– D'accord. J'avoue que même si vous avez organisé un complot pour me faire perdre à domicile, vous avez égayé ma soirée.

Etant donné la fraîcheur et l'authenticité de Carla et son frère, ça ne m'étonne pas. Ils ont aussi égayé la mienne. Je me garde de le dire et je fais diversion :

– Tu vas faire quoi maintenant ?
– Sûrement bosser un peu et ensuite dormir.
– Ok, ok. Ça t'est jamais venu à l'esprit de sortir et ramener une femme pour te tenir compagnie ?
– Je soutiens pas la prostitution.

Balourd. Il abuse.

– Je te parle pas d'aller aux putes là Yanno, je te parle de séduction.
– Ahhh frangin, c'est gentil de t'inquiéter, mais je suis bien comme ça pour l'instant.
– Mais tu pourrais être « très bien ». Une présence féminine, ça fait pas de mal.
– C'est sûr.
– Moi ça me fait chier quand on vient te voir avec Carla et qu'à la fin on te laisse seul.
– Je comprends, mais j'ai pas le temps pour ça.
– Pourtant tu fréquentes plein d'endroits, tu rencontres du monde, ça devrait t'aider.
– C'est vrai, mais je préfère me concentrer sur ma carrière. Pour le reste, on verra plus tard.

Mouais... Je vais le laisser conclure sur cette excuse. Au moins je lui ai dit ce que je pensais. Cette discussion a l'air de le gêner un peu, alors je m'étonne pas quand il vire sur un tout autre sujet :

– Mais, Mister Moreira, je regardais mon calendrier ce matin et y a ton anniversaire qui arrive bientôt là ! Qu'est-ce que t'as prévu de faire ?
– Rien. Comme tous les ans.
– Rhooo ! Déception.
– Je sais pas pourquoi tu t'obstines à me demander la même chose chaque année...
– Mais 28 ans, ça se fête !

Carla m'a dit la même chose. Mais je l'ai bien reprise et insisté sur le fait que je vois pas l'intérêt de fêter un anniversaire. Prendre 1 an de plus, c'est la vie. Il y a rien d'extraordinaire là-dedans. Et puis c'est pas comme si j'avais 30 piges et que j'entrais dans une nouvelle dizaine. 28 ans ça signifie rien du tout.

– Pas chez moi.
– C'est dommage. Bon, j'essaierai l'année prochaine !
– Merde, le mec qui s'ennuie...
– Krkrkr !

Je sors de ma caisse en secouant la tête. Au moment où j'entre chez moi, on discute encore un peu avec Yanno et quand on raccroche, j'ouvre un SMS de Carla qui me demande si je suis bien arrivé. C'est vrai que j'étais censé la prévenir. Je lui réponds rapidement, lui souhaite une bonne nuit et m'apprête pour rejoindre mon lit... vide et froid.

J'aurais jamais pensé galérer autant pour coucher avec une femme de cette corpulence. C'est quand même ironique. Même un jouet profite mieux que moi... Et ça par contre, c'est honteux.

***
(Carla)

Allez, c'est parti. L'heure de vérité... J'inspire grandement et expulse tout l'air dans une grande expiration. Comme toujours, l'épreuve de la balance est un supplice pour moi.

Ça fait des semaines que je bouge tout en continuant à respecter mon régime à côté malgré les tentations. Régime que j'ai débuté il y a 3 mois... Si je constate que je n'ai pas perdu un gramme, je me jette par cette fenêtre.

Uniquement vêtue de mes dessous, je pose un pied fébrile sur l'appareil dont l'aiguille frétille, puis je monte tout en déposant l'autre. Les paupières fermement closes, je n'ose pas regarder en bas. J'ai limite les larmes qui montent. Je finis par ouvrir les yeux et baisser la tête vers le cadran.

Euh...

Je plisse les yeux pour être sûre que je ne rêve pas. Non, non, ce n'est pas une hallucination, je ne rêve pas : 96kg100 !

Oh Seigneur, je suis revenue à mes 96 kilos initiaux ! Je peux enfin dire que j'ai perdu 5 kilos ! J'essaie de ne pas m'emballer, mais je suis tellement soulagée. Pourtant, je me connais, les 5 premiers kilos ont toujours été simples à perdre chez moi, mais cette fois, c'était étrangement pas le cas et j'ai mis plus de temps que prévu.

Je redescends, puis remonte... Oui c'est bien ça, 96kg ! Je me reprends en faisant de l'air avec mes mains. Ne t'emballe pas Carla, et reste concentrée. Tu as perdu 5 kilos, c'est pas mal, mais c'est au-delà que la vraie bataille va commencer...

Je pousse la balance sous le meuble de ma salle de bain et retourne vers ma chambre pour m'habiller. Mon pauvre chéri est malade depuis avant-hier, je vais aller lui rendre une petite visite et lui annoncer la nouvelle.

Emmitouflée sous mon manteau et ma grande écharpe, je me presse pour aller prendre les transports en commun et me mets à songer à la réaction de mon Cycy durant presque tout le trajet.

J'espère qu'il sera fier de moi et que ça lui fera du bien de l'entendre.

__________

500 abonnés ! Merci et gros bisous aux nouveaux !
Deva

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