Lucas s'arrêta devant la porte imposante du Palace, observant les lettres dorées inscrites pour l'occasion sur la devanture du célèbre hôtel : « Highway to hell... Happy Halloween ». La route de l'enfer. Il n'y avait pas de meilleur nom pour cette soirée qui s'annonçait catastrophique. Il ne savait même pas pourquoi il avait finalement accepté de venir... D'un regard en biais, il croisa celui d'Anna qui lui souriait pour lui donner du courage. Oui, c'était d'abord pour Anna qu'il était venu, car il sentait qu'Ethan allait encore la laisser tomber et il voulait être là pour la ramasser en cas de peine de cœur.
— Rappelle-moi pourquoi on est venus déjà ? L'interrogea la jeune fille ironique en restant à son tour planté devant la porte du bâtiment.
— Tu es venu pour aider Ethan et moi, Ellie, répondit-il après un instant d'hésitation.
« Aider Ellie » ?! Mais qu'est ce qui ne tournait pas rond chez lui ? S'interrogea-t-il, altéré.
— Je suppose qu'il est trop tard pour faire marche arrière ? L'interrogea Anna.
— Non, on peut encore regarder un film d'horreur chez moi, proposa Lucas, ravi par cette alternative.
La jeune fille se retourna vers lui, les yeux pétillants d'excitation. Allaient-ils réellement faire ça ? Fuir du Palace alors qu'ils n'y étaient même pas encore entrés et se réfugier dans la chambre de Lucas ? De toute façon, rien ne paraissait mieux que de rester toute la soirée à observer l'amour de sa vie draguer une autre fille.
— Ce serait un peu pathétique, non ? L'interrogea Lucas pour la faire sortir de ses pensées.
— Oui, réalisa la jeune fille, attristée.
— Et puis, qu'est-ce qu'on risque à entrer ? Enchaina-t-il en ignorant d'où lui venait cette soudaine motivation, Ce n'est qu'une soirée.
— C'est vrai, souffla Anna en tentant de s'insuffler du courage, Ce serait stupide de notre part d'avoir peur de ce qu'il pourrait se passer ce soir.
Ce n'était pas stupide.
— Allons-y, approuva Lucas d'un signe de la tête.
Ils s'avancèrent tous les deux vers l'imposant vigile qui se tenait devant l'entrée, puis montrèrent leurs cartons d'invitations, ne réalisant pas tout à fait qu'ils en avaient un pour ce genre d'évènement très prisé de la jeunesse parisienne. A l'intérieur, la musique battait déjà son plein et une odeur d'alcool régnait dans les airs. Elle était si forte qu'ils avaient l'impression qu'elle aurait pu rendre ivre quiconque dans la pièce, ce qui était effectivement le cas puisque la plupart des jeunes de la boite était déjà bien alcoolisés, alors qu'il n'était que vingt deux heures.
Anna et Lucas se jetèrent un rapide coup d'œil, observant le déguisement de l'autre. La jeune fille avait enfilé un vieux costume de sorcière qu'elle avait retrouvé dans son grenier, une sorte de robe noir déchirée sur les ourlets ainsi que des collants troués. Elle avait aussi ajouté un chapeau pointu et s'était dessinée une araignée sur la joue. Son costume était loin d'être sensationnelle, mais, de toute manière, elle se fichait totalement de cette soirée. Lucas, quant à lui, avait fait encore plus simple. Un jean noir troué et un marcel blanc qui mettait en valeur ses bras musclés par le basket. Sur sa joue gauche, il avait dessiné une cicatrice et un bandana noir recouvrait ses cheveux et une partie de son front. Il ne savait pas très bien en quoi il était déguisé, mais il s'estimait déguisé, ce qui était déjà beaucoup pour lui.
— Bonne chance... Lui souffla Anna en lui souriant.
Le garçon sortit son téléphone portable de sa poche et enchaina en lui montrant l'objet :
— S.O.S, si on a un problème.
Anna tapota sa cuisse pour lui faire comprendre que son portable était rangé dans la poche de son short et approuva d'un signe de la tête.
— Bonne chance, enchaina Lucas avant de s'éloigner.
***
Gabrielle scrutait les danseurs sur la piste de danse d'un air absent, se demandant ce qu'elle fichait ici. Depuis sa dispute avec Raphaël, elle n'avait plus aucune envie de sortir et préférait se morfondre dans sa chambre. Ils ne s'étaient pas reparlés depuis ce fameux après-midi et c'était à peine s'ils s'étaient croisés au lycée. La fuyait-il ? Ou alors était-ce elle qui le fuyait ?
— Ce serait trop te demander d'arrêter de faire la gueule ?! S'exclama Ellie en rejoignant la jeune fille au bar.
Gabrielle se retourna vers elle, sans répondre, observant en silence son déguisement. Elle pouffa de rire en levant les yeux au ciel. Ellie n'aurait pas pu trouver meilleur costume que celui-là. La jeune fille était déguisée en diablesse. Ses jambes étaient perchées sur de hauts talons noir, terminées par un minis short rouge qui laissait apparaître le début de ses fesses. Un tissu de la même couleur recouvrait son ventre et sa poitrine tandis qu'elle s'était accrochée dans le dos de petits ailes noires. Ellie avait lissé ses longs cheveux noirs ébènes pour les laisser pendre de chaque côté de son visage et sur le sommet de son crâne trônait deux petites cornes rouges.
— Quoi ? S'exclama Ellie, lasse que sa meilleure amie la regarde ainsi.
— Tu as l'air d'une prostituée, répondit Gabrielle hilare.
— Au moins, j'arrive à te décrocher un sourire, rétorqua Ellie en jetant un rapide coup d'œil à sa tenue.
Car il faut dire que la jeune fille était plutôt fière de son déguisement... Pourtant, même Noah l'avait trouvé un peu trop osé.
— Et toi, tu ne t'es pas déguisée ? S'écria la jeune fille en toisant sa meilleure amie d'un œil noir.
Gabrielle portait simplement un jean, des bottes montantes et une chemise à carreau. La jolie blonde s'empara du chapeau de paille qu'elle avait posé sur le siège à coté d'elle et l'enfonça sur sa tête, laissant ses long cheveux blonds encadrés son visage angélique.
— Si... En cowboys !
— C'est nul, commenta Ellie, blasée devant la banalité de son déguisement, Et ça ne fait même pas peur, c'est Halloween ce soir ! Pas une pyjama party !
— Les cowboys sont méchants aussi, murmura Gabrielle vexée, Ils ont tué les indiens.
Ellie lui lança un regard dans lequel on pouvait clairement lire un : « Sérieusement ?! », puis tourna des talons pour rejoindre la piste de danse, laissant Gabrielle seule au bar. De toute façon, la jeune fille n'avait pas envie de danser ce soir. Tout en ruminant ses sombres pensées, elle continua son observation de la piste et s'arrêta sur Anna et Ethan. Comme à chaque soirée déguisée, le garçon avait ressorti son unique costume de chevalier. Soit il avait la flemme d'un acheter un nouveau, soit il se trouvait réellement séduisant dedans. Enfin, Gabrielle n'avait rien à dire sur les déguisements des autres ce soir, vue le manque d'originalité du sien.
Dans les baffes, elle entendit une de ses chansons préférées et elle remarqua sa meilleure amie l'appeler d'un signe de la main pour qu'elle vienne sur la piste de danse. A contrecœur, Gabrielle décida tout de même de la rejoindre, sinon, elle risquait de s'endormir sur place. Arrivée à sa hauteur, Ellie posa ses mains sur ses épaules et les deux jeunes filles commencèrent à se déhancher, faisant voler leur longue chevelure derrière elles, sous le regard perçant des garçons qui se trouvaient autour d'elles. C'était incroyable, dès que Gabrielle était avec Ellie, elle devenait aussi salope que sa meilleure amie, songea-t-elle... Peut-être parce qu'elle lui ressemblait plus qu'elle ne voulait bien le croire.
Soudainement, la jeune fille sentit des mains d'homme se poser sur ses hanches et un corps suivre ses mouvements. Elle continua à se trémousser, ignorant avec qui elle était en train de danser. Puis elle sentit soudainement le souffle de l'homme dans son cou. Surprise par un contact aussi familier, elle se retourna vers lui et observa l'homme masqué, médusée.
— Zorro ?
— Je serais ce que tu veux que je sois... Souffla le garçon en ôtant le masque qui lui recouvrait les yeux.
— Raph' ?! S'écria Gabrielle, hébétée
— Surprise ! S'exclama le garçon en riant.
— Mais je croyais que tu ne voulais pas venir ! Enchaina-t-elle de plus en plus perdue.
— Je n'aime pas trop ces soirées, lui confia-t-il, Mais ma petite-amie m'a invité donc je suis venu.
— Ta petite-amie ?
Quel culot ! Il ne venait même pas s'excuser, comme si tout devait lui être acquis car il avait fait l'effort de venir à cette soirée.
— Excuse-moi, mais je ne vois pas qui ça peut être.
Elle vit le regard de Raphaël se planter sur le sol. Et oui, songea-t-elle fière d'elle, Tu ne pensais tout de même pas que je laisserais passer comme ça.
— J'ai fais une erreur, murmura-t-il.
Gabrielle leva les yeux au ciel, ignorant ce qu'elle devait faire. Finalement, elle l'attrapa par la main et l'emmena avec elle dans un coin plus reculé de la boite pour qu'ils puissent parler sans être obligé de hurler à cause de la musique.
— Je t'écoute, rétorqua-t-elle en croisant ses bras sur sa poitrine.
— Je n'aurai jamais dû te juger. Je n'aurai jamais dû insinuer quoi que ce soit et je n'aurai jamais dû te blesser.
— Ça fait beaucoup de négations.
— Je sais, murmura Raphaël, Mais je vais me rattraper... Si tu le veux bien.
— Comment comptes-tu faire ?
— Premièrement, répondit-il, Arrêter d'avoir peur de ce que vont penser les autres et ignorer les remarques d'Ethan et sa bande.
— Deuxièmement ?
— Te dire que je t'aime et que je suis désolé de m'être comporté comme un con.
La jeune fille esquissa un sourire et l'interrogea un sourire aux lèvres :
— Et troisièmement ?
— T'embrasser devant tout le monde parce que j'assume totalement d'avoir la plus belle fille du monde comme petite-amie.
Gabrielle resta silencieuse pendant un moment et ce fut au tour de Raphaël de l'interroger :
— Tu penses que ça peut lui plaire ?
— Essaye... Marmonna Gabrielle, vaguement.
Raphaël expira un grand coup et attrapa ses mains. Il plongea son regard dans celui de la jeune fille et commença :
— Je vais arrêter d'avoir peur des autres, et je te promets que j'ignorerai les remarques d'Ethan et sa bande.
Gabrielle pouffa de rire et Raphaël continua, toujours aussi sérieusement :
— Je t'aime et je suis désolé de m'être comporté comme un con.
Le garçon la dévorait des yeux, mais elle était toujours incapable de répondre, soutenant simplement son regard qui la suppliait de dire quelque chose.
— Tu es censé répondre pour que je puisse faire la troisième chose.
Gabrielle explosa de rire et s'écria soudainement :
— Mais embrasse-moi, abruti !
Derechef, Raphaël sauta sur les lèvres de sa petite-amie et posa ses mains sur ses hanches pour la coller à son corps. Gabrielle poussa un soupire d'aise au contact du jeune homme et passa tendrement ses mains dans ses cheveux dépeignés.
Au même instant, Ethan Franck se retourna vers eux puisqu'il est courant que le timing fait mal les choses. Ce qu'il vit le cloua sur place. Il était incapable de bouger ni même de parler. Gabrielle et un gars avec qui elle trainait depuis quelques jours, leurs lèvres étroitement collées. La pire image qu'il n'avait jamais vu, celle qui hanterait tous ces cauchemars désormais. Incrédule, il avança vers eux le regard brouillé par les larmes et il se planta devant le jeune couple avant de cracher avec dédain :
— Tu me dégoûtes.
Gabrielle et Raphaël sursautèrent au même moment et se retournèrent vers Ethan. Instinctivement, Raphaël se recula d'un bond et Gabrielle porta sa main à sa bouche en signe de stupéfaction.
— Oh non, souffla la jeune fille.
Ethan avait les larmes aux yeux. Il avait été trahi par la personne en qui il avait le plus confiance dans sa vie. C'était même plus qu'une trahison, c'était une abomination, une douleur dont il ne se sentait pas capable de se relever.
— Non, Ethan, je vais t'expliquer ! S'exclama Gabrielle qui semblait enfin revenir à la réalité, Ce n'est pas ce que tu crois.
— Je crois ce que je vois, s'emporta-t-il, Et ce que j'ai vu c'était toi en train d'embrasser ce type ! Ose me dire dans les yeux que ce n'est pas ça que je crois ? Enchaina-t-il avec un ton qui lui glaça le sang.
La jeune fille baissa les yeux, honteuse, elle n'avait aucune excuse.
— Je pars, ajouta-t-il froidement en se dirigeant vers la sortie de la boite.
Gabrielle l'observa partir totalement impuissante. Les larmes lui montèrent aux yeux à son tour et à mesure qu'elle le voyait s'éloigner, elle repensait à tout ce qu'ils avaient vécu ensemble. C'était impossible, ça ne pouvait pas se terminer comme ça, pas aussi brutalement, cela n'avait aucun sens.
— Je suis désolé, murmura Raphaël derrière elle.
— Je dois lui parler, souffla-t-elle avant de partir en courant.
Raphaël voulut l'en empêcher, mais la jeune fille était partie si rapidement qu'il n'eut pas le cœur à la rattraper. Gabrielle sortit de la boite de nuit surchauffée et aperçut son ex petit-ami, traversant la rue à grande foulée.
— Ethan ! Attends !
Le garçon se retourna furieux et elle accourra vers lui. Arrivée à sa hauteur, elle enchaina précipitamment :
— Je suis désolée !
— Tu es désolée ? C'est tout ?
— Écoute-moi.
— Tu sais quoi ? L'interrompit-il, Moi aussi, je suis désolé... Désolé d'avoir été aussi con !
— Ethan, murmura la jeune femme mal à l'aise, Ça fait presque deux semaines qu'on ne se parle plus, même si ce n'était pas officiel, il me semblait évident que l'on avait rompu...
Le garçon se recula de stupeur, pas certain de comprendre ce qu'elle insinuait. Gabrielle s'enfonçait et Ethan semblait dans tous ces états.
— Quoi ?! Beugla t-il choqué, « Pas officiel » ! Alors, explique-moi ce qu'on attend pour annoncer OFFICIELLEMENT notre rupture ?!
— Ce n'est pas ce que je voulais dire.
— Ça fait quatre ans qu'on sort ensemble Gabi, pas une semaine, pas trois mois, quatre ans, enchaina-t-il froidement, Comment est-ce que deux semaines de silence peuvent justifier que tu foutes en l'air quatre années ?!
— Ça ne le justifie pas en effet, murmura-t-elle en baissant les yeux, Et je comprends ta réaction.
— Et moi, je comprendrais si ce n'était qu'un écart.
La jeune fille releva son regard vers lui, que venait-il de dire ?
— J'ai été chiant ces derniers temps, enchaina Ethan, Je le sais. Si embrasser ce type était une manière pour toi de me faire réagir et bien, ça a marché. Je veux bien te pardonner si tu me promets de ne plus jamais le revoir.
Gabrielle n'en croyait pas ses oreilles et elle répondit mal à l'aise après un instant :
— Je crois que tu n'as pas bien compris...Je suis avec Raphaël désormais. Mais je suis désolée de ne pas te l'avoir dit plus tôt, j'aurai dû être honnête avec toi.
— Pardon ? S'étrangla Ethan de stupeur, Mais qu'est-ce que ce type a de plus que moi ?!
— Arrête... Ne parle pas comme ça.
— Je suis sérieux, Gabrielle.
— Moi aussi. Je n'aime pas ce que tu es devenu depuis qu'on est entrés au lycée.
— Mais je n'ai pas changé ! S'écria-t-il en ne voyant pas où elle voulait en venir, Tous les deux, on a toujours été ensemble, on ne s'est jamais quittés ! Je ne comprends pas pourquoi tu me fais ça.
— Alors, il faut croire que c'est moi qui a changé.
D'ailleurs, ce n'était pas une hypothèse. Gabrielle avait raison, c'était elle qui avait changé et Ethan ignorait toujours pourquoi. Qu'était-il arrivé pour qu'elle décide de sortir avec un autre garçon alors qu'ils avaient toujours été heureux ensemble ?
— Gabrielle, on ne peut pas se quitter, continua-t-il complètement désespéré, Toi et moi, on est pareils ! Des âmes sœurs !
— C'est faux et tu le sais très bien.
— Mais regarde-nous ! S'emporta-t-il, On déteste tous les deux notre famille, nos meilleurs amis sont des dépravés ...
— Ellie n'est pas ma meilleure amie, le coupa-t-elle froidement, Contrairement à ce que ce crétin de Noah Khan représente pour toi !
Il décida d'ignorer sa remarque et enchaina :
— On se connait par cœur, on a vécu les mêmes choses, on assiste aux mêmes soirées, on a la même bande d'amis... Et on déteste tous les deux Monsieur Conibert !
Gabrielle explosa de rire et Ethan - surpris d'avoir dit quelque chose d'aussi stupide à un moment si important – ajouta hilare à son tour :
— Reconnais que ce prof était taré !
— Oui, lui accorda-t-elle, Mais on n'était pas les seuls à le détester, je te signale.
— Peu importe, souffla Ethan en se demandant pourquoi il avait lancé le sujet de leur professeur d'histoire de cinquième.
Gabrielle poussa un soupir et enchaina :
— On ne se ressemble pas tant que ça... Je suis frivole, inconstante, égoïste, et toi, tu es si sérieux, droit, sincère, énuméra-t-elle.
Si elle pensait l'avoir en le complimentant, songea-t-il, elle rêvait. Ce genre de rupture était dépassé depuis longtemps.
— Je connais tes défauts Gabi, la coupa-t-il alors dans ses lamentations ridicules, Et crois-moi, je passe au-dessus. Alors, tu as raison, on est peut-être différents... Mais on se complète tous les deux ! Regarde, tu es joyeuse et je suis toujours de mauvaise humeur, tu es sportive et je suis un flemmard qui fait tout pour éviter mes entrainements de rugby, tu détestes les cours et je suis un intello, tu dis toujours tout haut ce que tu penses et moi, je passe mon temps à critiquer les gens par derrière. Mais ça a toujours marché entre nous. Ne dis pas le contraire, ne m'enlève pas ça.
— Je ne dirais jamais le contraire...
Ils restèrent silencieux un instant, se regardant dans le blanc des yeux, puis Gabrielle continua un trémolo dans la voix :
— On a été ensemble toute notre vie Ethan, de treize à dix-sept ans, et on n'a jamais rien connu d'autre. On ne tiendra pas bien longtemps comme ça, et tu le sais. Dans un an, on sera à l'université et on aura connu qu'un seul amour dans notre vie.
— Si c'est le bon, je ne vois pas le problème, grinça le garçon entre ses dents.
— Mais comment pourrais-tu savoir que c'est le bon ? S'emporta Gabrielle, Tu n'as jamais rien connu d'autre ! Et si une autre fille que moi te convenait mieux, voire plus ?
— Et qui, par exemple ? Ironisa-t-il.
— Anna.
— Quoi ? S'exclama Ethan, choqué.
— Tu crois que je n'ai pas remarqué comment tu regardais cette fille ? Tu craques complètement pour elle !
— C'est faux, souffla-t-il, perturbé par ce changement brutal de conversation.
Pourquoi et, surtout, comment était-il devenu le coupable de leur rupture, alors qu'il faisait tout pour se remettre avec Gabrielle ?
— D'accord, je te l'accorde... Rétorqua Ethan, J'ai légèrement craqué pour Anna, mais, avec toi, c'est tellement plus fort ! Ne me laisse pas !
— On en a besoin. Toi comme moi, on a besoin de se retrouver nous-mêmes, nos vies ne peuvent pas se confondre éternellement, pas à notre âge, c'est trop tôt.
Gabrielle avait raison et ça lui faisait mal.
— Je suis accro à toi Gabi... Murmura Ethan en plantant son regard dans le sien, Qu'est-ce que va être ma vie tu n'en fais plus partie ?
— Moi aussi, je n'en ai aucune idée. Tu ne trouves pas ça tragique ? Une fille de dix-sept ans qui n'a pas de vie en dehors de son petit-ami ?
C'était profondément tragique.
— Est-ce que tu m'as déjà aimé au moins ? L'interrogea-t-il, la gorge nouée.
— Pas autant... Que tu l'aurais voulu.
Il ne répondit pas. De toute façon, il n'y avait rien à répondre à ça... C'était en cela que la vérité était bien plus cruelle que tout le reste, on avait rien à répondre, rien à rétorquer, rien à défendre.
— Je devrais retrouver Raphaël, murmura-t-elle en désignant d'un geste de la main la boite de nuit derrière eux.
Soudainement, Ethan se rappela qu'ils se trouvaient tous les deux devant le Palace et qu'ils étaient en train de fêter Halloween. Il avait été si secoué par sa rupture avec Gabrielle qu'il n'avait même pas réalisé que sa copine venait de le plaquer habillée en tenue de cow-boy. C'était ridicule, mais il n'avait pas envie de s'en préoccuper. Son monde s'était tout simplement écroulé à la seconde où il avait compris qu'ils ne se remettraient jamais ensemble. Gabrielle fit demi-tour pour rejoindre la boite et Ethan se laissa lentement tomber sur le sol. Et, à l'instant où ses genoux percutèrent le sol froid, ses larmes se répandirent sur ses joues.
***
Anna et Lucas observaient, moroses, la piste de danse où les jeunes complètement déchirés semblaient passer la meilleure soirée de leur vie.
— Pourquoi on s'ennuie ? L'interrogea Lucas, dépité, Je veux dire, on essaye de faire tout ça bien, mais, pas moyen, cette fête est naze.
— Je sais, approuva Anna toute aussi désappointée, Il nous manque quelque chose.
Lucas pouffa de rire.
— Quoi ? L'interrogea Anna.
— Je sais ce qu'il nous manque.
Il l'attrapa par la main pour qu'ils rejoignent tous les deux le patio de la boite où l'on pouvait fumer. Lucas se planta devant la jeune fille qui le regardait sans comprendre et il sortit de la poche de son jean une cigarette déjà roulée.
— Je ne fume pas, le coupa-t-elle, catégorique.
— Ce n'est pas une simple cigarette.
— Un joint ? S'exclama-t-elle horrifiée et se reculant d'un bond.
Lucas leva les yeux au ciel, qu'est-ce qu'elle pouvait être coincée des fois ! Songea-t-il, consterné.
— Allez... Ça va être marrant !
— Hors de question que je touche à de la drogue !
— C'est juste de la petite fumette, rectifia-t-il amusé, Alors quoi ? Tu veux rester une gentille petite fille sage toute ta vie ?
— Non. C'est juste que je ne ressens pas le besoin de me bousiller la santé pour me donner un genre.
Sa réponse cinglante laissa le garçon sans voix et Anna continua :
— Mais puisque tu as l'air de penser que je suis une fille à papa coincée, je vais te prouver le contraire !
Elle s'empara du joint qu'il tenait toujours dans sa main, ne comprenant même pas comment elle avait fait pour se contredire aussi vite, et Lucas l'observa coincer le joint entre ses lèvres. Surpris, il sortit finalement son briquet de son manteau et l'interrogea du regard :
— Tu sais comment faire ?
Elle ne répondit pas et il ajouta :
— Tu tires sur le tabac, tu inspires pour faire entrer la fumée dans tes poumons et tu recraches le reste.
Il alluma le joint et la jeune fille tira sur le tabac en essayant de ne pas s'époumoner. Remarquant son malaise, Lucas détourna son regard et fit mine de regarder autour de lui. Anna en profita pour tousser discrètement, puis recommença l'opération.
— Fais en un pour toi, rétorqua-t-elle après sa troisième taffe.
— Tu vas tout fumer ? Fais attention, il est chargé.
— Mais non, murmura-t-elle, alors qu'elle semblait déjà partie dans un autre monde, Tout va bien !
Lucas la regarda un instant, hésitant. Étais-ce vraiment prudent de la laisser faire ça ? En même temps, Anna avait vraiment besoin de se vider la tête et il n'allait pas la quitter de la soirée. Il ne pouvait rien lui arriver de grave. Il sortit donc de sa poche un deuxième joint – oui, il valait toujours mieux en prévoir plus que pas assez – et l'alluma à son tour. Les deux jeunes se posèrent ensuite contre un mur, laissant doucement l'effet de la beu se propager dans leur corps. Déjà, Anna sentait en elle ses sens se mélanger et des taches de couleurs apparaître devant ses yeux.
— Parfait ! Souffla-t-elle en inhalant une nouvelle fois la fumée de son joint.
Anna était assise à même le sol, pourtant, elle avait l'impression d'être confortablement installée sur un nuage. Elle se délectait de ce moment, laissant ses jambes étendues sur le goudron, elle ne les sentait même plus. En fait, elle ne sentait absolument rien, rien d'autre que cette agréable sensation qu'elle ne pouvait même pas définir, mais qui la comblait. Elle observa de biais Lucas qui était assis à côté d'elle. Il planait complètement, lui aussi, ses pupilles étaient dilatées, ses yeux cernés et rouges, et ses cheveux complètement ébouriffés. Ils terminèrent tous les deux leur joint qu'ils écrasèrent sur le sol, puis Anna l'interrogea en riant :
— On va danser ?
Lucas approuva en silence et ils essayèrent de se relever sans tomber. Ils ratèrent. Mais après une deuxième tentative et un bon fou rire, ils pénétrèrent sur la piste de danse en titubant, vautrés l'un sur l'autre. Anna commença à se trémousser comme une idiote et Lucas la suivit instinctivement. Il lança une corde imaginaire dans les airs tandis que la jeune fille fit semblant d'avoir été attrapée et se rapprocha hilare, le torse en avant. Leur danse endiablée fit sourire plusieurs personnes au bar qui observaient la piste de danse. D'une part car ces deux jeunes faisaient chier tous les danseurs qui étaient à côté d'eux, mais aussi parce qu'ils n'avaient pas vu ce pas de danse depuis leur première boom du collège et, pour cause, Lucas et Anna avaient l'air complètement ridicules. Les deux concernés, eux, ne remarquaient même pas qu'ils se faisaient remarquer, mais se contentèrent de rire, ce qui les rassura tous les deux sur le fait qu'ils n'étaient pas venu pour rien.
Soudainement, Ethan Franck pénétra sur la piste de danse et s'empara d'Anna sous le regard frustré de Lucas qui observa la scène totalement impuissant. Ethan attrapa la jeune fille par les hanches et la colla à son corps. Étonnée, Anna releva son regard vers lui et il en profita pour coller ses lèvres sur les siennes brusquement. A cet instant, elle eut l'impression que la terre s'était arrêtée de tourner, que le temps s'était figé sur l'horloge. Les lèvres d'Ethan étaient douces et chaudes, sa langue caressait la sienne tendrement. C'était un baiser passionné, comme au cinéma, le baiser dont elle avait rêvé toute sa vie, mais que - pour le coup - elle n'avait vraiment pas vu venir. Elle sentit ses jambes s'écrouler et eut peur de tomber à la renverse. Heureusement, le bras du garçon était resté dans le bas de son dos et la tenait fermement contre lui. Plus rien n'avait vraiment de sens pour Anna, elle oubliait où elle était et même si c'était le jour ou la nuit. La seule chose dont elle était persuadée, c'était qu'Ethan Franck embrassait comme un dieu. Elle aurait aimé que ce moment ne s'arrête jamais, qu'il dure toute sa vie. Lorsqu'elle sentit ses lèvres s'écarter des siennes, elle attrapa sa nuque de sa main libre - l'autre étant entrelacée dans celle du garçon - et recolla instinctivement ses lèvres aux siennes, comme si elles étaient nées pour se compléter. Elle sentit les lèvres d'Ethan esquisser un sourire, surpris de son initiative, mais il continua tout de même là où ils s'étaient arrêtés. La main qu'il avait posée dans son dos remontait vers sa nuque et elle soupira d'aise. Prenant soudainement conscience qu'elle devait tout bonnement passer pour une folle, elle se décolla de ses lèvres brusquement. Il la regarda, étonné. Lui non plus ne comprenait pas ce qu'il venait de lui arriver.
***
Lucas regarda Anna et Ethan s'embrasser avec un air de dégoût. Il ne l'avait même pas vu arriver et, maintenant, il se retrouvait seul sur la piste de danse, défoncé qui plus est. Ethan ne sortait-il pas déjà avec sa cousine ? S'interrogea-t-il perplexe. Trop fatigué pour essayer de comprendre, il se retira de la piste de danse sans que les deux autres ne s'en rendent compte et rejoignit le bar.
— Un verre d'eau, murmura-t-il, la voix pâteuse.
— Lucas ! S'écria la voix d'Ellie Lefevre derrière lui.
Bien sûr, il l'aurait reconnu n'importe où. Sa voix avait la faculté de lui faire péter un plomb dès qu'il l'entendait.
— On ne s'est même pas vus de la soirée ! Enchaina-t-elle en s'asseyant sur le siège à côté de lui, On n'était pas censés avoir rendez-vous ?
— Ton gars n'est même pas ici, répondit-il blasé, Je ne vois pas pourquoi on devrait rester ensemble. Et puis, personne dans cette boite ne pourrait croire qu'on est véritablement ensemble, à part le crétin qui te servait de petit-ami !
— Et encore... Murmura-t-elle, Même lui ne le croit pas.
— C'est qui ? L'interrogea-t-il
Il s'arrêta, dubitatif. Mais pourquoi avait-il posé cette question ? Elle allait croire que sa misérable vie l'intéressait, ce qui était totalement faux.
— Non, laisse tomber, ajouta-t-il avant qu'elle ait le temps de répondre, Je ne vois même pas pourquoi je parle avec toi.
— Je peux savoir ce que je t'ai fait ? L'interrogea Ellie, blasée, A part être mille fois plus géniale que toi.
Il feinta un rire et répondit cassant, après que le serveur lui ait apporté son verre d'eau :
— Je ne sais pas ... Ah si ! C'est parce que tu as amené ma petite-sœur de quatorze ans ici-même pour qu'elle se fasse avoir par un connard comme Noah Khan qui est probablement - après toi, bien sûr - la personne que je hais le plus dans cette ville.
Ça avait le mérite d'être franc.
— Tu ne veux pas la lâcher un peu ta sœur ? Souffla Ellie excédée, Elle a le droit de vivre sa vie !
— Elle n'a pas besoin de toi pour ça, la rembarra-t-il sèchement avant d'avaler l'intégralité de son verre.
— Mais ce n'est pas avec un grand frère comme toi qu'elle va y parvenir !
— Un grand frère comme quoi ? L'interrogea-t-il blasé, Tu n'as même pas de famille, qu'est-ce que t'y connais ?
— Excuse-moi, mais qui entre nous deux n'a plus de famille ?
Il s'arrêta, estomaqué, devant elle. Ellie n'avait aucune limite dans sa méchanceté. Avait-elle seulement conscience de ce qu'elle disait parfois ?
— Tu as raison, il y a une différence entre nous, rétorqua-t-il après un instant... Mes parents ne sont pas avec moi, parce qu'ils ne le peuvent pas. Les tiens ne sont pas avec toi, parce qu'ils ne le veulent pas.
Ellie resta sans voix. C'était cruel, mais ça n'avait jamais été aussi vrai.
— On ne fait définitivement pas partie du même monde, ajouta-t-il devant le silence prostré de la jeune femme, Et le tien est pourri jusqu'à la moelle.
Lucas sauta de son siège et se retourna vers la piste de danse. Il n'était pas question qu'il laisse Anna dans cet endroit sordide, en particulier avec Ethan Franck. Ce monde n'était pas le leur et ils n'avaient absolument rien à y faire dedans. Soudainement, il sentit une main le retenir en arrière et, en tournant la tête, il remarqua Ellie pendue à son bras. Elle tira dessus pour le faire revenir près du bar et commença à lui hurler dessus sous son regard ahuri :
— Tu dis « ton monde » ? « TON monde » ! Répéta-t-elle furieuse, Mais c'est quoi, ton monde ? Tu n'es pas tout seul Lucas, on vit tous au même endroit, que ça te plaise ou non ! Alors, exclure les gens de ton soit disant « monde » parce qu'ils ne répondent pas à ce que tu attends d'eux, non seulement c'est enfantin, mais en plus c'est lâche ! C'est toi qui fait toujours des jolis mots sur l'égalité des classes, mais « ton monde » Lucas, il n'est pas très égal, parce qu'il rejette pas mal de gens, au final. Alors, il va peut-être falloir que tu apprennes à ouvrir ton esprit, mais surtout que tu apprennes à t'ouvrir aux autres, parce que tu ne vivras pas dans ta petite bulle toute ta vie...Tu sais qu'un jour ton « beau monde » va t'éclater au visage... Et bonne chance à toi quand ça arrivera car tu risques de tomber de haut !
Lucas resta la bouche ouverte, hébété d'une telle franchise et d'une telle réalité qu'il avait toujours voulu nier et qui lui revenait brutalement à la figure. Il était lâche, pathétiquement lâche. Depuis la mort de ses parents, il rejetait tout, ne laissant entrer dans sa vie que le peu de choses qui lui permettaient encore de ne pas avaler une plaquette entière de médicament. Mais ce soir était différent. Il savait que tout allait être différent, car Ellie venait d'ouvrir la petite fenêtre de son âme, déferlant une foule de sentiments contradictoires en lui. Et, alors, sans réellement s'en rendre compte, il planta ses lèvres sur celles de la jeune fille. Loin d'être effrayés par ce qu'ils étaient en train de faire, Ellie attrapa sa nuque et glissa sa langue entre les lèvres fines du garçon. C'était comme si son cœur allait exploser dans sa poitrine. Jamais Lucas n'avait ressenti quelque chose d'aussi fort, c'était comme si toutes les fibres de son corps retrouvaient enfin toutes leurs autonomies, comme une seconde naissance, il revenait à la vie. Ils s'embrassaient à perdre haleine, suffoquant de plaisir, laissant leurs mains se balader sur leurs corps respectifs, à la recherche de l'autre, à la recherche du désir. Finalement, Lucas se recula de leur étreinte et l'observa bouche bée. Sur le visage d'Ellie, un sourire victorieux s'affichait. Elle murmura doucement :
— Je le savais, tu caches beaucoup de choses, mais tes mensonges te rattrapent.
— Non, balbutia-t-il sans être vraiment convaincu par ce qu'il disait.
— Tu es attiré par moi, Lucas, continua Ellie en s'approchant de son corps à nouveau, Tu es attiré par moi et ça t'effraie car tu ne sais pas comment réagir.
Elle se colla à son corps, sensuellement, et le garçon souffla à son oreille :
— Je te hais.
— Moi aussi, répondit-elle amusée, La haine est la passion que je préfère, parce qu'elle est plus forte que l'amour.
A cet instant, il en était persuadé.
Lucas observa la jeune fille, remarquant enfin son déguisement. Il lui allait à ravir.
— Tu es le diable en personne, réussit-il à articuler après qu'elle l'ait embrassé dans le cou.
— Le diable n'existe pas, le coupa-t-elle en plantant ses yeux dans les siens, Moi si.
En réalité, le diable était en chacun d'eux, dans leurs désirs les plus profonds, et, ce soir, celui de Lucas le rattrapait et avait prit contrôle de son corps et de son esprit. Sans rien ajouter de plus, il saisit la main qu'Ellie lui tendait et la suivit vers les toilettes des femmes, ne réalisant pas encore tout à fait ce qu'il allait se produire. La jeune fille referma la porte derrière eux et poussa Lucas contre le mur. L'endroit était immonde et l'odeur insupportable, mais ils étaient de nouveau si étroitement collés l'un à l'autre qu'ils n'y faisaient pas attention, trop occupés à s'embrasser. Lucas avait perdu tout contact avec la réalité, il ne sentait que son odeur, que son souffle sur sa peau et il ne voyait qu'elle. Il ne pouvait voir qu'elle. Ellie hantait son corps, son esprit. Elle avait pris possession de son âme. Il noua ses doigts autour de la nuque de la jeune fille qui glissaient sur sa peau à cause de la sueur. Ellie, quant à elle, avait plaqué ses mains sur ses reins et commençait à tirer sur son marcel blanc pour le lui enlever. Le garçon s'exécuta rapidement, puis elle reprit ses baisers le long de son torse, le faisant palpiter de plaisir. Ses lèvres se posèrent ensuite sur sa bouche en un mouvement libérateur et ils se laissèrent aller tous les deux à un désir qui semblait ne jamais vouloir s'éteindre.
***
Esther Perrin trébucha à cause de ses hauts talons et s'accrocha au bras de Noah Khan qui était à ses côtés. Le garçon la rattrapa, profitant de cet instant pour passer une main sur ses hanches et l'aida à se relever. La jeune fille murmura un « merci » à peine inaudible et pouffa de rire. Elle était complètement ivre. Elle jeta un rapide coup d'œil à son sauveur et poussa un soupire d'aise devant sa beauté. Jamais Noah n'avait été aussi séduisant que ce soir. Il portait un costume noir, mais celui-ci était déchiré et parsemé de gouttes de sang. Sa chemise blanche était vulgairement ouverte et laissait apparaître le début de son torse. Il avait ébouriffé ses cheveux qui tenaient tous debout sur sa tête, ses yeux étaient cernés de noir, ce qui lui donnait un regard glacial et, en même temps, irrésistible. A la commissure de ses lèvres coulait du sang et il arborait deux petites dents d'ivoire plus pointus qui se contrastaient avec ses lèvres fines et rouges.
— Tu es le plus beau vampire que je n'ai jamais vu... Souffla-t-elle en continuant de le regarder, totalement sous le charme.
— Car tu en as déjà vu beaucoup ? Ironisa son demi-frère qui se tenait à côté d'eux et qui observait la scène, résigné depuis tout à l'heure.
Yanis détestait Noah bien qu'il aimait profiter de tous les avantages que lui offrait une amitié avec le fils Khan. Souvent, il se demandait si ça en valait vraiment la peine. Au collège, Ethan, Gabrielle, Esther et lui formaient une équipe, ils ne s'étaient jamais quittés. Puis, arrivés au lycée, Noah et Ellie étaient entrés dans leur bande et il avait souvent l'impression qu'ils lui avaient tout volé. Noah ne cessait de répéter qu'Ethan était son meilleur ami et celui-ci ne faisait pas grand chose pour le contredire. Même si Yanis n'aimait pas passer pour le jaloux de service, il devait reconnaître qu'il l'était réellement. Noah était tout ce qu'il aurait aimé être, sans jamais y parvenir, car il avait reçu à la naissance ce qu'on appelle la morale, et, ça, il était incapable de s'en détacher.
— Fais attention, susurra Noah à l'adresse de Esther, Je suis un prédateur.
— C'est bon on peut aller s'asseoir ? Les coupa froidement Yanis.
Les deux se retournèrent vers lui et sa demi-sœur l'incendia du regard pour avoir osé gâcher ce moment. Puis Noah fut le premier à lâcher sa partenaire pour rejoindre la table de leur carré VIP. Ça ne l'avait pas dérangé que Yanis interrompe son moment avec Esther, il n'avait pas spécialement envie de coucher avec elle ce soir, une fois suffisait déjà amplement. Deux fois, elle risquait de penser qu'il tenait un peu à elle, ce qui, pour être franc, était loin d'être le cas.
Soudainement, Ethan arriva à la table, tenant par la main Anna qui semblait avoir encore la tête dans les nuages et ils s'installèrent avec eux en silence, sous le regard septique de Noah. Mais qui était cette fille ? Il ne l'avait jamais vu et il était sûr d'une chose... Ce n'était pas Gabrielle. D'ailleurs, celle-ci ne tarda pas à débarquer à la table et rétorqua sèchement en se plantant devant le couple sorti de nul part :
— Ethan, je peux te parler ?
Même si Anna savait la chance qu'elle avait d'être vue avec Ethan Franck à ce genre de soirée, elle était encore trop défoncée pour réaliser que c'était sa petite-amie qui se tenait devant eux et que sa main était encore entrelacée à celle de son copain. Par conséquent, elle se contenta de sourire niaisement à la jeune fille et d'embrasser la joue d'Ethan sous le regard de plus en plus hébété des trois autres personnes de la table. Mais qui était cette folle avec leur ami ? Songèrent-ils tous.
— Je suis occupé, répondit le garçon froidement.
Commençant à comprendre qu'ils avaient probablement rompu, Noah reporta son regard sur Gabrielle, attendant sa réaction. Cette scène de ménage s'annonçait passionnante et il était aux premières loges. Mais, alors qu'elle voulut rétorquer quelque chose, Lucas passa à côté d'elle et ajouta à sa place :
— Anna, je rentre.
— Pourquoi ? S'enquit la jeune fille qui semblait peu à peu revenir à la réalité face au visage déconfit de son ami, Qu'est-ce qui s'est passé ?
Noah reporta son regard sur le jeune homme qui se tenait devant eux, se congratulant d'avoir choisi une table où il semblait se passer des milliers de problèmes. Lucas avait le visage tiré et livide, on aurait cru qu'il allait vomir sur place.
— Lucas, répéta Anna pour attirer son attention, Ça va ?
— Non... Murmura t-il en évitant son regard.
Anna voulut en savoir plus, mais ce fut le moment où Ellie Lefevre décida de les rejoindre. Elle s'arrêta en face de Lucas et le garçon fit un bond en arrière pour éviter de la toucher. Mais que se passait-il bon sang ? S'étonna Noah qui regardait tout ce beau monde depuis tout à l'heure sans rien comprendre.
— Je te dégoute tant que ça ? L'interrogea Ellie, éberluée, Tu n'étais pas si réticent tout à l'heure.
Elle voulut effleurer sa joue avec ses doigts, mais Lucas poussa sa main d'un geste brusque en rétorquant froidement :
— Ne me touche pas !
Dans son regard, Ellie pouvait lire de la haine et du dégoût. Lentement, elle se décomposa. Elle qui pensait que Lucas était différent. Finalement, il était comme tous les autres. Elle ne savait même pas si elle était déçue, peut-être s'y attendait-elle ? Elle avait la vague impression que personne ne pourrait la considérer autrement qu'une salope. C'était dans sa nature. Il ne fallait probablement pas chercher plus loin.
Lucas la regardait lui aussi, se demandant comment il avait fait pour tomber aussi bas. Pourquoi avoir couché avec la fille qu'il détestait le plus au monde ? Esprit de contradiction ? Vengeance ? Au final, il se fichait bien des raisons qui l'avaient poussé à le faire. Il l'avait fait. Point barre. Entre eux, ce n'avait été rien de plus que du sexe sans sentiment... Le quotidien d'Ellie, songea-t-il avec amertume. Il détestait se sentir utilisé de cette manière. Pourtant, c'était lui qui s'était enfui, lui qui la regardait avec dégoût à cet instant, lui qui méprisait ce qu'ils venaient de faire, pour une fois, ce n'était pas elle. En réalité, Lucas se comportait de la même manière que les hommes sans cœur et sans moral qui peuplent notre monde, ceux qu'il détestait et se tuait à ne pas ressembler. Ce soir, il en était la parfaite incarnation.
— Est-ce que quelqu'un peut m'expliquer ce qu'il se passe ? Explosa finalement Noah, ramenant tout le monde à la réalité.
Ellie détourna son regard de Lucas, un sourire diabolique se dessinant sur son visage. Si Lucas la considérait comme une salope, alors elle lui donnerait ce qu'il attendait sur un plateau d'argent. Elle s'approcha lentement de la table et les interrogea :
— Vous voulez que je vous raconte une histoire d'horreur pour Halloween ? Elle s'appelle « Vérité » et, croyez-moi, elle fait frissonner.
— Ferme-la ! S'exclama Lucas en arrivant à ses côtés, Ne fais pas ça !
— Pourquoi ? L'interrogea-t-elle en se retournant vers lui avec un sourire complice, Tout le monde aime les histoires qui font peur... Surtout quand elles vous concernent, n'est-ce pas ?
Ses amis restèrent silencieux autour de la table et elle enchaina, amusée d'attirer autant l'attention :
— Vous savez pourquoi vous en avez si peur de cette histoire ? C'est parce que quand la vérité éclate et que les masques tombent, on découvre vite à quel point vous êtes moches en dessous... Et à quel point vous êtes faux.
Noah déglutit péniblement. Il connaissait bien ce regard et tout ceci allait très mal finir.
— Alors, mon histoire commence avec la parfaite Gabrielle Gallien qui trompe son copain depuis déjà deux semaines avec ce crétin de Raphaël Lesage qui – pour ma part – ferait mieux d'aller se faire interner... Et Ethan, ne fais pas cette tête là parce que ce n'est pas la première fois que ta petite Gabi fait un écart, enchaina-t-elle en se tournant vers le garçon, Enfin, demande à Noah, je crois qu'il en sait quelque chose.
Gabrielle et Noah se jetèrent un regard paniqué et Ellie enchaina, imperturbable, face à Ethan :
— Mais niveau manipulation, tu n'es pas mieux non plus puisque tu joues avec Anna pour faire réagir ton ex copine... La pauvre fille est-elle au courant que si tu l'as embrassé aussi fougueusement sur la piste de danse tout à l'heure, c'était juste parce que Gabrielle venait de te plaquer comme une merde ? Ce n'est pas bien de se servir des gens Ethan... Surtout avec des gentilles filles innocentes comme Anna, enchaina-t-elle en se tournant maintenant vers la jeune femme, Enfin, pas si innocente que cela puisqu'elle a accepté de t'emballer toute la soirée sans même savoir que tu étais de nouveau célibataire. Désolée de te l'apprendre, chérie, mais tes kilos en trop ne cachent pas ta sale face de garce.
Incrédule, Anna ne su même pas quoi répondre et Ellie se retourna vers Yanis et Esther :
— Et vous deux là-bas, les Perrin, ce n'est pas parce que vous ne dites jamais rien que je n'ai rien de croustillant sur vous non plus... Je me demande ce que penseraient vos parents s'ils apprenaient ce qu'il s'est passé à mon nouvel an l'année dernière ? Il me semble que l'inceste est interdit par la loi. Peut-être Yanis pourras-tu te renseigner auprès de ta mère qui travaille à la Cour ?
Ellie laissa un blanc, les laissant complètement hébétés face à elle, puis se retourna vers Lucas, elle avait réservé le meilleur pour la fin de l'histoire. Alors, avec un large sourire dessiné sur ses lèvres, elle se tourna vers le reste de la table, pour en faire profiter tout le monde, et poursuivit :
— Juste pour votre information, Lucas – grand ennemi de la jeunesse dorée parisienne, soit dit en passant – vient de perdre sa virginité avec moi dans les toilettes juste derrière nous.
Elle s'arrêta un instant, le temps de se retourner vers le garçon, pour s'adresser à lui directement :
— Car oui, chéri, j'ai bien remarqué que c'était ta première fois, mais c'était bien essayé quand même. Il te faudra peut-être encore un peu d'effort pour baiser aussi bien que Noah l'a fait avec ta petite-sœur de quatorze ans, mais je compte sur toi pour t'améliorer.
Elle tourna les talons, les laissant en plan, puis revint finalement sur ses pas en enchainant :
— Oh j'oubliais... Joyeux Halloween !
Lucas l'aurait probablement tué pour ça, mais il n'avait pas l'intention de croupir en prison à cause de cette pouffiasse. Bien qu'il doutait réellement que quelqu'un la regrette un jour.
Ellie s'éloigna la tête haute. Du Ellie Lefevre en beauté, songea Noah, hébété par son culot.
— Comment peut-elle savoir tout ça ? Les interrogea Esther encore hébétée.
— Ce n'est pas vraiment étonnant, rétorqua Gabrielle froidement, S'intéresser à nos vies est surement le seul moyen qu'elle ait trouvé pour se sentir bien, puisque la sienne n'a visiblement aucune valeur dans les yeux de personne.
Ils se turent un instant, le temps de digérer et, surtout, de réaliser tout ce qu'il venait de se passer. Puis Lucas lança un regard noir à Noah qui s'écria furieux :
— Oh ça va tu m'as déjà pété le nez pour ça !
— Et tu as couché avec Gabrielle ? S'exclama Ethan à son tour en se tournant vers son meilleur ami.
— Attends, Ethan, ce n'est pas ça... Murmura la jeune fille mal à l'aise.
— Mais comment tu as pu me faire ça ? Enchaina-t-il en se retournant justement vers elle, Encore Noah a une bite à la place du cerveau, mais toi... Tu as encore d'autres choses à m'avouer ? Noah ? Raphaël ? T'as couché avec combien de gars pendant qu'on était ensemble ?
— Ethan, murmura Gabrielle piteuse, Ne fais pas ça maintenant.
— Tu m'as vraiment utilisé ? Intervint Anna dans la conversation, Tu m'as embrassée parce que vous veniez de rompre et que tu voulais te venger ?
— S'il-te-plait, la coupa Gabrielle sèchement, On règle quelque chose de plus important, là.
— Oui, ajouta Ethan, On parle de combien mon entourage m'a trahi.
— Tu as embrassé une mocheté pour te venger de Gabi ! S'écria Noah hilare, Là, tu t'es trahi toi-même !
Personne ne releva la remarque car ce n'était absolument pas le moment d'être drôle... Mais avait-il vraiment cherché à l'être ?
— Je suis désolée Ethan, enchaina Gabrielle, C'était une erreur, j'avais trop bu.
— Attends, je ne te suis plus...Tu t'excuses pour Raphaël ou pour Noah ? Ironisa le garçon.
— Mais qui est-ce que tu viens de traiter de mocheté ?! S'indigna soudainement Anna qui semblait avoir percutée la remarque, Espèce de pédophile !
— Je ne suis pas un pédophile, la coupa Noah froidement.
— Oh non, tu les prends juste au berceau... Ou à tes meilleurs potes ! S'exclama Ethan, furieux.
— Moi, je me casse, lâcha Lucas en ignorant pourquoi il était encore ici d'ailleurs.
— Mais t'es qui toi déjà ? S'étonna Noah.
— Le cousin de Gabrielle ! Répéta-t-il, excédé, en se demandant pourquoi il s'était abaissé à répondre à cet idiot, Je t'ai explosé le nez, il n'y a même pas une semaine !
— Ah oui, c'est vrai. On vient d'en parler.
— Vous me dégoutez tous, cracha-t-il avant de partir.
— On te dégoute ? Hallucina Ethan, En attendant, ce n'est pas nous qui venons de nous chopper une MST !
— Qu'est-ce que tu insinues en disant qu'Ellie à une MST ? S'exclama Noah en se retournant vers son meilleur ami.
— Il insinue que c'est une salope ! Répondit Gabrielle à sa place, Et franchement, ce n'est pas nouveau !
— Toi, tu n'as rien à dire sur ce sujet, commenta Yanis pour entrer désespérément dans la conversation.
— Je n'en reviens pas ! Souffla Noah incrédule, Vous crachez toujours sur le dos d'Ellie, même quand c'est à vous de vous remettre en question ! Parce qu'en effet, Gabi, tu es assez mal placée pour traiter les autres de salope !
— Je rêve où tu es réellement en train de défendre quelqu'un ? Le questionna Ethan ironique, Moi qui pensais que le concept d'amis te dépassait complètement.
— Peut-être parce que tu n'es pas mon ami.
— Je me casse, murmura finalement Ethan.
Il quitta la table, puis Yanis et Esther décidèrent de le suivre. Gabrielle lança un rapide coup d'œil à son cousin et s'empara de son sac pour sortir à son tour. Quant à Noah, il s'étira de tout son long, observant tout le monde partir. Puis, réalisant que la soirée était probablement terminée, il se leva et passa devant Lucas et Anna sans même les saluer. Alors, la jeune fille se retourna vers son ami et murmura du bout des lèvres : S.O.S.