Nantis

By FlorieC

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La jeunesse dorée, tel est le surnom qu'on leur donne. Il existe une rumeur qui sous-entend qu'on ne naît pas... More

[SAGA 1] L'arrogance des gens meilleurs
Présentation : Noah Khan
Chapitre 2 : Take me as I am
Présentation : Ellie Lefevre
Chapitre 3 : Don't stop the party
Chapitre 4 : Too late
Chapitre 5 : Losing your memory
Présentation : Ethan Franck
Chapitre 6 : She drives me crazy
Chapitre 7 : Secrets
Chapitre 8 : Highway to hell
Chapitre 9 : How I needed you
Chapitre 10 : Miss misery
Chapitre 11 : Me and the devil
Présentation : Anna Joly
Chapitre 12 : Know your enemy
Chapitre 13 : Little talks
Chapitre 14 : You're not alone
Chapitre 15 : Love the way you lie
Chapitre 16 : Bad romance
Chapitre 17 : Teenage dream
Chapitre 18 : Don't wake me up
Chapitre 19 : My medicine
Chapitre 20 : Shut up and let me go
Chapitre 21 : Wicked Game
Présentation : Gabrielle Gallien
Chapitre 22 : Last Christmas
Chapitre 23 : Winter
Chapitre 24 : Let it be
Chapitre 25 : Happy New Year
[SAGA 2] L'éternité à tes pieds
Chapitre 1 : Bad day
Présentation : Jared Greggs
Chapitre 2 : The last to know
Chapitre 3 : When she believes
Chapitre 4 : Losing my religion
Présentation : Lucas Gallien
Chapitre 5 : Take control
Chapitre 6 : If you leave me know
Chapitre 7 : Stay
Chapitre 8 : Only if you run
Chapitre 9 : Just tonight
Chapitre 10 : Never let me go
Chapitre 11 : Fix you
Chapitre 12 : Damn you
Chapitre 13 : This is war
Présentation : Ruben Greggs
Chapitre 14 : Apologize
Chapitre 15 : Gives you hell
Chapitre 16 : Never say never
Chapitre 17 : Skinny love
Chapitre 18 : Alone
Présentation : Christelle Wertheimer
Chapitre 19 : Don't be a stranger
Chapitre 20 : We are young
Chapitre 21 : One Day
Chapitre 22 : Dark on fire
Présentation : Borja Escobar
Chapitre 23 : Like a virgin
Chapitre 24 : Better Together
Chapitre 25 : Happy Birthday
[SAGA 3] Dans la cour des grands
Chapitre 1 : The funeral
Chapitre 2 : Pursuit of Happiness
Chapitre 3 : Dark Paradise
Chapitre 4 : I want to break free
Chapitre 5 : A drop in the ocean
Chapitre 6 : Enjoy the silence
Chapitre 7 : Help
Chapitre 8 : I don't want to be
Chapitre 9 : Eye of the tiger
Chapitre 10 : Come back home
Chapitre 11 : Mirror
Chapitre 12 : Heartless
Chapitre 13 : Someone like you
Chapitre 14 : If I needed you
Chapitre 15 : You're not sorry
Chapitre 16 : Burn it down
Chapitre 17 : How you remind me
Chapitre 18 : Wrecking ball
Chapitre 19 : Just give me a reason
Chapitre 20 : Can you feel the love tonight
Présentation : Gautier Lantez
Chapitre 21 : People help the people
Présentation : Yanis Perrin
Chapitre 22 : Yesterday
Chapitre 23 : Hot and cold
Chapitre 24 : Kiss me
Chapitre 25 : Only wanna be with you
[SAGA 4] La réponse des faibles
Chapitre 1 : Collide
Chapitre 2 : The lonely
Chapitre 3 : Another love
Chapitre 4 : Protect me from what I want
Présentation : Ophélie Joly
Chapitre 5 : Big big world
Chapitre 6 : Don't lie
Chapitre 7 : Undisclosed desires
Chapitre 8 : You and I
Chapitre 9 : Another day in paradise
Chapitre 10 : Just can't get enough
Chapitre 11 : Sirens call
Chapitre 12 : Too close
Chapitre 13 : Love me again
Chapitre 14 : Demons
Chapitre 15 : You are the one that I want
Chapitre 16 : Sober
Chapitre 17 : What doesn't kill you
Chapitre 18 : Too many friends
Chapitre 19 : Monster
Chapitre 20 : Broken crown
Chapitre 21 : He is my son
Chapitre 22 : Talk to me
NANTIS EN LIVRES PAPIER !
Chapitre 23 : Try
Chapitre 24 : Everybody's Got To Learn Sometime
Chapitre 25 : Wonderful life
NANTIS en livres ♥

Chapitre 1 : If it makes you happy

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By FlorieC



Ellie Lefevre lança un rapide coup d'œil de droite à gauche avant de traverser la rue. Il était deux heures passé et, comme tous les soirs, elle essayait de rentrer chez elle malgré sa vision troublée à cause de l'alcool et d'une légère myopie qu'elle n'avait jamais corrigée. Ses chaussures à talons lui faisaient mal au pied. Encore une fois, elle avait couché avec un pur inconnu dans les toilettes d'un club. Parfois, elle se rendait compte que ce n'était pas normal, pas bien, pas dans la norme, pas ce que l'on pouvait attendre d'une jeune fille de dix-sept ans. Mais ces moments ne duraient que quelques secondes car, le plus souvent, elle préférait ne plus y penser et continuer à vivre sa vie comme elle l'entendait, c'est à dire, très mal.

La jeune fille entra discrètement dans son appartement du XVIème arrondissement de Paris, celui-ci étant plongé dans la pénombre, elle appuya sur l'interrupteur du salon. Au début, les lumières du néon lui firent cligner des yeux, mais elles lui permirent finalement de voir son père, la tête nonchalamment posée sur le canapé, comme en extase.

— Ellie ? S'écria-t-il d'un seul coup en ouvrant ses yeux de stupeur.

Il se baissa rapidement vers son pantalon et une tête brune d'une vingtaine d'année se releva du canapé, rouge de honte et de surprise.

— Ne vous dérangez pas pour moi... Ironisa Ellie avec un sourire en coin pour son paternel.

— Mais je pensais que tu étais chez ta grand-mère ce soir ! S'empourpra son père qui, en réalité, ne pensait rien du tout tant il oubliait souvent qu'il avait une fille.

— Et bien non comme tu peux le voir, répliqua celle-ci en gardant son calme habituel.

Depuis toujours, Daniel Lefevre était impressionné par le sang froid d'Ellie. Elle n'exprimait jamais rien, ni remords, ni haine et encore moins d'amour à son égard. En réalité, il avait peur de sa fille, il ne savait pas quoi faire, ni dire, en sa présence et c'était pour cela qu'il préférait fuir plutôt que d'avoir un jour à la regarder dans le blanc des yeux.

— Où étais-tu ? L'interrogea t-il pendant que, discrètement, la jeune femme à ses cotés reboutonnait son chemisier mauve.

— Ça t'intéresse ? Rétorqua-t-elle sur le même ton.

Dans sa voix, ni surprise, ni sarcasme. Une question froide et neutre, comme si elle essayait réellement de tenir une conversation, ce qu'ils ne faisaient plus depuis longtemps. Daniel ne répondit pas, se contentant de reluquer sa fille de bas en haut. Il n'avait jamais pris le temps de le faire et il se rendait compte à l'instant à quel point elle avait grandi. Ellie était grande, mince, et déjà bien formée pour son âge, elle faisait même beaucoup plus mature que les adolescentes de sa classe. Son assurance, son regard fier, sa manière de s'exprimer... Il lui aurait facilement donné deux, voire trois ans de plus. Pourtant, elle n'était qu'une gamine de dix-sept ans complètement paumée, mais, ça, il ne pouvait pas le percevoir vu qu'il ne posait que très rarement son regard sur elle.

— Ta jupe est courte... Grinça-t-il finalement entre ses dents

Ellie porta un rapide coup d'œil à sa tenue, c'était vrai qu'elle ressemblait plus à une prostitué de luxe qu'à une adolescente normale. Elle pesta intérieurement contre elle-même, elle n'aimait pas utiliser ce mot, «normal»... Après tout, qu'est-ce qu'il l'était dans sa vie ? Elle n'avait jamais compris ce que signifiait avoir une vie normale, mais, dans tout les cas, rien ne semblait plus ennuyeux que cela. Elle releva son visage vers son père qui restait stoïque face à elle, comme s'il craignait réellement sa réaction.

— Ce n'est pas une tenue pour une personne de ton âge et de ta classe sociale, tenta-t-il d'ajouter.

— Et ce n'est pas maman, lâcha sa fille en désignant d'un vague geste de la tête la jeune femme au chemisier mauve qui était prostrée de stupéfaction depuis le début de leur conversation.

C'est pour dire qu'à cet instant précis, elle hésitait entre sortir en pleurant ou sauter par la fenêtre. Et, face au regard perçant de la jeune Ellie Lefevre, la dernière solution semblait la meilleure alternative.

— Ça ne te regarde pas, rétorqua son père froidement.

— Je pourrais dire la même chose en ce qui concerne ma tenue.

— Tu me déçois... Murmura Daniel en baissant les yeux d'un air dépité.

— Au moins, je t'inspire un sentiment, lâcha la jeune fille avant de s'éclipser dans sa chambre

Alors, c'était cela ? Lui faire honte pour qu'elle le remarque ? Songea son père, altéré. Non, sa fille était encore plus tordue. Elle voulait l'atteindre, mais d'une manière encore plus subtile, encore plus diabolique. Ellie le haïssait, il en était persuadé. Daniel Lefevre se retourna ensuite d'une lenteur exagérée vers sa jeune secrétaire et il lui murmura doucement :

— Tu peux partir, Nathalie.

— Je suis désolée pour ta fille, s'empourpra celle-ci en ramassant ses chaussures sur le sol.

— Ce n'est rien, la coupa-t-il, Ellie n'est pas perturbée par ce genre de choses, crois-moi, elle a déjà vu bien pire.

Nathalie sortit de l'appartement en faisant semblant de ne pas être choquée par ce père qui paraissait se foutre totalement de la vie sexuelle tordue de sa propre fille. A en juger par la sienne, il n'y avait rien d'étonnant. Daniel salua sa jeune amante d'un signe de la main puis referma la porte de leur vaste appartement. D'un coup d'œil rapide vers l'horloge du salon, il tomba sur le portrait de famille qui trônait dans l'entrée. Il s'y approcha pour l'observer de plus près, comme s'il cherchait réellement à se rappeler des visages de sa propre famille. Car il y avait bien longtemps que son mariage avec Helen Merill, une ancienne mannequin New-Yorkaise, avait battu de l'aile. Ils s'étaient séparés d'un commun accord, mais étaient restés mariés pour le bien-être de leur fille unique... Bien que pour être totalement honnête, Daniel l'avait fait pour la gloire de s'afficher avec une célébrité américaine et sa femme pour gagner la moitié de son salaire. C'était d'une indécence remarquable, mais c'était leur famille, ils s'y étaient habitués. Il s'agissait simplement d'un mensonge qui les réunissait tous les trois sous le même toit, mais qui ne les reliait pas tant que ça.

Ellie entra dans sa chambre et referma la porte derrière elle tout en jetant son sac sur le lit. Elle se dirigea vers sa coiffeuse et s'empara d'un coton qu'elle imbiba de démaquillant pour s'enlever la couche de peinture qu'elle se mettait sur le visage. Comme si elle avait réellement quelque chose à cacher, son meilleur ami ne cessait de lui répéter qu'elle était magnifique au naturel. Mais le naturel ne faisait pas partie de son vocabulaire. Elle, elle aimait ce qui était faux, caché, masqué, déguisé, elle n'aimait pas ce qui était vrai, pure, innocent. Elle appuya sur son visage rageusement avec son coton, comme si elle voulait supprimer tout ce qu'elle avait pu faire cette nuit là et, surtout, avec qui. En bas, elle entendit son père éteindre les lumières et refermer la porte de sa chambre. Comme souvent, sa mère n'était pas rentrée. D'ailleurs, il était plutôt exceptionnel que Ellie dorme chez ses parents. Elle avait pris pour habitude d'aller dormir dans l'appartement de sa grand-mère, la seule personne de sa famille qu'elle arrivait encore à respecter. Ou, alors, les soirs où son taux d'alcoolémie était trop élevé pour risquer de rejoindre l'appartement de Betty Lefevre, elle allait chez son meilleur ami. D'ailleurs, elle s'empara de son téléphone portable pour lui envoyer un message et lui indiquer qu'elle était bien rentrée. Elle esquissa un sourire lorsqu'elle reçut un semblant de réponse. Vraisemblablement, il avait dû mal à taper sur les touches de son téléphone. Le garçon devait être tout aussi défoncé qu'elle, c'était un accro de la fumette. Néanmoins, elle réussit à comprendre un vague «Bonne Nuit» et referma son portable qu'elle lança sur le lit. Ellie se retourna ensuite vers son immense miroir et s'arrêta perplexe. Le reflet lui renvoyait l'image d'une petite fille d'une dizaine d'années, avec des joues roses de poupées et de grandes boucles noires qui pendaient tout autour de son visage angélique. C'était elle, elle il y a bien longtemps. Un «désolée» à peine perceptible sorti de ses fines lèvres, si bien qu'elle se demanda si c'était réellement elle qui s'excusait à l'enfant ou l'inverse. Brusquement, elle ferma ses paupières et secoua sa tête pour revenir à la réalité. Cette fois, le miroir lui refléta son vrai visage, tiré par la fatigue et l'alcool. Les mêmes boucles sombres encadraient son visage blanc, même si elles lui tombaient désormais sous les seins. Ses grands yeux étaient d'un bleu si perçant qu'on n'avait rarement l'occasion de se perdre dans un si beau regard. Pourtant, elle ne se sentait pas jolie et ne faisait rien pour l'être. Ses longs cheveux bruns sentant le tabac froid semblaient près à tomber sur le sol de sa salle de bain et son magnifique regard disparaissait sous des cils épaissis par le mascara et l'eye-liner qui coulait sous ses yeux... Ellie Lefevre était magnifique, mais, dans le fond, elle inspirait trop de peine pour qu'on puisse apprécier sa beauté à sa juste valeur.

***

Un bruit strident résonna d'un seul coup, venant interrompre le sommeil paisible de Noah Khan qui s'empara brutalement du réveil posé sur la table de chevet à côté de lui. L'objet qui faisait un bruit monstre pour sa petite taille vibra entre ses mains et il le balança contre le mur face à lui. Celui-ci s'écrasa dans un bruit sourd et tomba finalement sur le sol, complètement déboité.

— C'était mon réveil, marmonna une voix endormie à ses cotés

Surpris, Noah se retourna vers la jeune femme allongée sur le ventre, à demi-nue, et réalisa par la même occasion qu'il n'était pas dans sa chambre... Et qu'il était accompagné. Heureux de ce réveil qui était pourtant mal parti, il esquissa un sourire et se recoucha à coté de sa dulcinée dont il ne se rappelait même pas le nom.

— Pardon, murmura-t-il en venant déposer un baiser entre ses deux omoplates.

La jeune femme se retourna vers lui et posa sa tête contre son torse musclé en soupirant d'aise. Noah, quant à lui, souriait face à la facilité de son existence. On disait souvent que l'argent et la beauté ne faisaient pas tout, mais, dans son cas, il ne voyait pas vraiment ce qu'il pouvait attendre de plus. Il caressa tendrement les cheveux de la femme à ses cotés puis embrassa son cou avant de se relever doucement du lit. Il traversa la pièce avec précaution, prenant soin d'enjamber les mégots de cigarette écrasés sur le parquet, ainsi que les bouteilles d'alcool vides qui jonchaient le sol. Pourtant, celles-ci ne lui appartenaient pas. Le garçon ne buvait jamais d'alcool. Il actionna l'interrupteur de la salle de bain puis pénétra dans la douche. Il s'aspergea d'eau froide puis se savonna rapidement. Il n'avait pas envie de rester une éternité ici, après tout, il avait eu ce qu'il voulait hier soir. Il tira le rideau puis s'empara d'une serviette qui était posée nonchalamment sur le bord du lavabo, il l'entoura autour de sa taille puis rejoignit la chambre en essayant de ne pas réveiller la femme qui s'était rendormie. Il la regarda un instant, mais il avait beau chercher, il ne se souvenait plus de la manière dont il avait réussit à rejoindre son lit, mais il l'avait fait et cela restait le principal.

Noah s'empara d'une cigarette dans la poche de son jean qui était étendu sur le sol et il ouvrit la fenêtre qui donnait sur le balcon pour la fumer. Ce n'est pas qu'il était soucieux d'enfumer la chambre - pour être sincère, il s'en fichait éperdument - mais l'odeur du tabac froid de la vieille devenait insupportable dans la petite pièce renfermée. Il s'accouda à la rambarde du balcon et observa la rue, amusé par les gens en bas qui courraient pour rejoindre le métro ou se précipiter sur le dernier taxi, tout ça pour répondre à la routine bien parfaite de leurs vies ennuyeuses et sans intérêt. Lui, il avait une vie de rêve, la vie dont rêve tous les jeunes hommes. Il était libre, plein au as et pouvait profiter de tous les plaisirs du célibat. Pas d'engagement était son maitre mot. De toute façon, il était trop impulsif pour s'engager dans quoi que ce soit, ne serait que dans ses études.

A dix-sept ans, Noah était connu de l'élite parisienne féminine tout comme son père l'était dans le monde des affaires et du fric. Tous les deux étaient des tyrans, des maitres de l'industrie dans laquelle ils excellaient avec ferveur. Noah couchait avec les filles comme avec des capitaux financiers, ne cherchant dans leurs valeurs économiques que la gloire qui le tirait toujours un peu plus vers le haut. Et, malgré cette réputation de Don Juan, il arrivait toujours à avoir une nouvelle femme dans son lit tous les soirs, trop heureuses que le célèbre Noah Khan, fils du propriétaire du «Palace», un des plus chics hôtels de Paris, ait posé ses yeux sur elles... Et encore, si ce n'était que ses yeux.

— Chéri ?

Cette voix féminine le sortit soudainement de ses pensées – fort peu profondes – et il se retourna vers la femme qui le rejoignait sur le balcon. Il ne l'avait pas entendu se lever.

— Petit déjeuner ? Minauda-t-elle en se levant sur la pointe des pieds pour l'embrasser.

— Non je vais y aller, rétorqua t-il en évitant son baiser de justesse.

La jeune femme retomba sur ses jambes aussi lourdement que la claque qu'elle venait de se prendre.

— Tu pars déjà ? S'étrangla-t-elle, comprenant ce qu'elle aurait dû comprendre dès qu'elle avait accepté de laisser entrer le fils Khan dans son lit.

— Tu m'as déjà donné ce que je voulais hier soir... Répondit le garçon espiègle en passant délicatement sa main sous le menton de la jeune femme.

Offusquée, elle ne répondit pas et il l'embrassa sur le sommet du crane avant de la repousser légèrement pour qu'il puisse rejoindre la chambre. Ces femmes pensent toutes êtres différentes, songea t-il consterné, comme si elles pouvaient réellement le faire changer... En réalité, il n'en n'avait aucune envie.

— Mais pour qui tu me prends ? S'exclama la jeune femme outrée en se retournant furieusement vers lui.

— Figure toi que c'est une très bonne question car j'ai complètement oublié ton prénom.

La jeune femme parcourut rapidement les quelques centimètres qui les séparaient et lui lança une claque qui résonna dans toute la pièce.

— Les mecs, vous êtes tous pareils ! cracha-t-elle de dégout.

— C'est de ta faute, chérie, rétorqua Noah indifférent, Il ne fallait pas tous nous essayer.

Elle s'arrêta, perplexe et médusée par ce mètre quatre vingt de connerie. Noah était beau comme un Dieu, mais con comme ses pieds. Il n'avait que dix-sept ans, mais il pouvait facilement se faire passer pour un jeune homme de vingt ans. Il était musclé, le visage dur et, pourtant, des traits fins adoucissaient son visage. Il avait des cheveux bruns ébènes, légèrement brillants lorsqu'ils étaient exposés aux rayons du soleil et des yeux noirs perçants. Ses lèvres fines étaient rouges, légèrement gercés car il passait son temps à se mordiller la lèvre inférieure, des lèvres qui laissaient apparaître des dents impeccablement blanches et parfaitement alignés. Ses joues étaient creuses et sa mâchoire carrée. Son teint légèrement basané et bronzé par l'été qu'il avait passé au Pakistan, le pays originaire de son père, tandis que ses bras musclés semblaient inviter toutes les femmes à se blottir dedans. Une étreinte qu'il ne réservait pourtant qu'à sa meilleure amie, Ellie Lefevre.

— Dégage, enchaina finalement sa dernière conquête en le regardant avec dédain.

Il souriait, amusé. Il était un vrai connard et il adorait ça. Rapidement et sous le regard incendiaire de la jeune femme, il enfila ses vêtements étalés un peu partout sur le sol et passa une main dans ses cheveux mouillés pour les ébouriffer. Il s'empara de son sac, rejoignit la porte et hésita quelques instants... Devait-il s'excuser ? Lui lancer un dernier regard ? Un sourire ? Il soupira. Et puis non, après tout, il n'avait pas envie de faire d'efforts ce matin. Il ouvrit la porte en grand et la claqua derrière lui sans même se retourner. Déception. Si ce mot n'existerait pas, il l'aurait probablement inventé. Machinalement, il sortit son téléphone portable de son sac et composa le numéro de sa meilleure amie tout en sortant de l'immeuble dans lequel il se trouvait.

— Allô ? Répondit Ellie après un court instant.

— Tu vas en cours ? L'interrogea t-il de suite.

— Non.

— Petit déjeuner au Palace ? Proposa-t-il, ravi.

Le Palace était le dernier investissement en date de son paternel, Paul Khan, un immense hôtel qui faisait office de restaurant et de boite de nuit. Le repère de l'élite parisienne et le paradis de Noah, entre autre.

— Dans combien de temps ? L'interrogea finalement Ellie qui, de toute manière, aurait dit oui à n'importe quelle alternative au lycée.

— Euh...

Noah sortit dans la rue et regarda tout autour de lui. Il ne savait même pas où il était, mais, à la vue de l'état des immeubles, il réalisa qu'il avait encore dû échouer dans le dix-neuvième ou vingtième arrondissements. Il n'était plus très regardant en fin de soirée.

— Je te renvoie un message quand je trouve un taxi, lui répondit-il.

— Ok, marmonna sa meilleure amie.

Elle voulut raccrocher mais il l'arrêta, inquiet :

— El', ça va ?

— J'ai encore croisé mon père avec une autre femme hier soir, lui confia-t-elle.

Noah était bien la seule personne à qui elle pouvait en parler. Le garçon avait une place primordiale dans sa vie, si ce n'était la plus importante, et elle aimait se confier à lui. Bien-sûr, Ellie avait aussi sa grand-mère pour se plaindre de son père, mais la vieille dame détestait déjà tellement son propre fils qu'il ne servait à rien d'en rajouter une couche... Même si les deux femmes appréciaient critiquer Daniel pendant leur temps libre.

— Comme d'habitude, non ? L'interrogea Noah qui ne comprenait pas vraiment sa réaction.

— Oui, marmonna-t-elle, Sauf qu'elle avait presque mon âge.

Il ne répondit pas et s'arrêta au milieu de la route pour scruter un taxi à l'horizon.

— On en parle plus tard, d'accord ? Ajouta-t-il avant de raccrocher sans même attendre sa réponse.

Noah se rua rapidement vers le taxi qu'il venait d'arrêter au loin et s'engouffra dans la voiture, marmonnant l'adresse du Palace au chauffeur. Le garçon avait toujours eu un peu de mal pour jouer le rôle du confident et, même s'il essayait désespérément de soutenir sa meilleure amie, il en était le plus souvent incapable. Il avait du mal avec tout ce qui était sentimentale. En fait, il avait du mal avec tout ce qui ne le concernait pas directement. A savoir que Noah Khan était probablement l'adolescent le plus égoïste et imbu de lui-même qu'il puisse être. Il était détestable et détesté. Le pire, c'était qu'il en avait totalement conscience. Mais il était si arrogant qu'il se fichait éperdument de ce qu'on pouvait bien penser de lui.

  ***  

— Chérie, est ce que tu peux me passer le jus d'orange ?

Anna Joly fut réveillée brutalement par la question de sa mère et elle se releva légèrement dans sa direction car elle était vautrée sur la table de la cuisine, juste devant son bol de lait.

— Tu t'endors sur tes tartines maintenant ? S'enquit son père moqueur en pénétrant dans la cuisine.

Marc passa derrière sa fille ainée qu'il embrassa sur le front puis se dirigea vers la cafetière pour se servir une grande tasse. Toujours très élégant, il arborait ce matin un pull à manche courte rayé au dessus de sa chemise blanche impeccablement repassée. Il avait le look typique du professeur de littérature et, pour cause, il enseignait cette matière à la Sorbonne depuis bientôt dix ans. Anna adorait son père, mieux, elle le vénérait et voyait en lui un modèle à suivre. Son ambition était bien-sûr d'entrer à son tour dans la prestigieuse université parisienne pour pouvoir suivre les cours de son paternel. Tous les deux avaient ce point en commun, ils étaient des fous de littérature, concept qui dépassait totalement sa mère, Cécile, et sa plus jeune sœur, Ophélie. Ces deux dernières étant plus portées sur ce qu'elles appelaient «le monde réel».

Sors de tes bouquins, entendait Anna à longueur de journée, Va voir tes amis, trouve toi un petit ami, enchainait souvent sa sœur qui, à seulement quatorze ans, arborait déjà un joli panel de conquête. Pour dire vrai, ce n'était pas étonnant. Ophélie était magnifique, de longs cheveux bruns ondulés descendait jusque dans le bas de son dos et elle avait de grands yeux verts encadrés par de longs cils fins. Anna n'était pas pareille. Elle n'était pas moche, mais elle n'était pas jolie non plus. Elle avait ce charme particulier, cette touche mystérieuse qui donnait envie d'en savoir plus. Un peu ronde, elle avait un visage souriant, ses cheveux étaient légèrement frisés mais ils ne faisaient pas les mêmes boucles disciplinées que sa jeune sœur, ils étaient plus fougueux et donnaient l'impression d'une tignasse, cheveux qu'elles portaient au carré car elle n'aimait pas passer des heures devant son miroir à se coiffer. Elle avait des joues rondes parsemées de taches de rousseur très légères, à peine visible. Ses yeux étaient couleur chocolat, comme son père, et elle avait le même petit nez retroussé que sa sœur. Au final, Anna était une fille plutôt banale, si ce n'était que sa particularité résidait dans son sourire qui laissait apparaître ses dents du bonheur.

— Je dois y aller, enchaina son père en avalant d'une traite sa tasse de café.

— Tu viens me chercher au lycée ce soir, hein ? S'assura Anna qui commençait enfin à émerger de sa courte nuit.

Pas de sortie en boite, mais juste un bouquin qu'elle n'avait pas réussi à décrocher avant d'en savoir la fin.

— Bien sûr ma puce, répondit son père, Je n'ai pas oublié notre sortie !

Il quitta la cuisine en chantonnant joyeusement et Anna replongea son nez dans son bol de céréale, espérant pouvoir récupérer encore quelques minutes de sommeil avant de partir.

— Quelle sortie ? S'enquit sa mère curieuse.

— Il y a une exposition au musée, marmonna sa fille sans relever son nez de son bol, car elle savait que sa mère ne voudrait pas en savoir plus de toute manière

Dès qu'il s'agissait d'une conversation d'ordre artistique ou culturel, Cécile faisait la sourde oreille ou quittait la pièce. Comme il s'agissait des seuls sujets de conversation de sa fille ainée, on comprends aisément que le dialogue était difficile à entretenir entre elles deux. Anna sentit le regard perçant de sa mère et - connaissant déjà les reproches qui allaient sortir de ses lèvres fines et recouvertes d'un rouge à lèvres très voyant - elle continua son petit déjeuner tout en écoutant distraitement sa mère lui faire la morale :

— A dix-sept ans, Anna, qu'est-ce que tu vas faire au musée ?! Est-ce que tu ne devrais pas sortir avec tes amis ? Aller boire un verre dans un bar ? Aller au cinéma avec ton petit-ami ? Tu es beaucoup trop sérieuse pour ton âge, profite de ta jeunesse tant que tu le peux !

La jeune fille s'était toujours demandée ce que son père pouvait trouver à cette femme. Bien sûr, Cécile était jolie, mais elle savait que son père se préoccupait très peu de l'aspect extérieur. Marc avait besoin de partager sa passion pour les livres et sa mère n'était qu'une vieille femme aigrie qui regrettait sans cesse sa jeunesse et aspirait à la vivre à travers les yeux de ses filles, du moins, c'était de cette manière qu'Anna le ressentait. Elle se demandait souvent comment son père aurait fait si elle avait été comme sa mère et sa sœur. A qui aurait-il parlé jusqu'à tard dans la nuit ? A qui aurait-il conseillé ses lectures ? Qui pour l'accompagner au musée ? Dans les festivals d'arts ?

Anna avait toujours eu cette impression dérangeante que sa famille était coupée en deux et le fossé s'élargissait au fur et à mesure qu'elle grandissait, si bien qu'elle avait peur qu'ils tombent tous dedans et qu'ils ne puissent plus en sortir. Sa famille allait imploser, toute monde le savait, mais personne n'osait le dire.

— Moi, à ton âge, continua sa mère sans se rendre compte qu'elle faisait un monologue qui indifférait totalement sa fille ainée, Je sortais toujours avec mes amies, je séchais même les cours !

Anna ne répondit pas; mais se leva pour mettre son bol dans l'évier tandis que Cécile Joly enchaina imperturbable :

— Bien sûr, cela s'entend, je ne t'encourage pas à faire l'école buissonnière, mais .... De temps en temps, ça ne fait pas de mal !

La jeune fille leva les yeux au ciel, exaspérée. Cécile n'avait vraiment rien d'une mère, constata Anna une nouvelle fois avec amertume, elle était juste une de ces femmes pseudo modernes qui cherchent à devenir amies avec leurs enfants, car elles n'ont aucune foutue idée de comment les élever correctement.

— Ophélie n'est pas levée ? S'enquit-elle tout de même pour ne pas laisser l'impression à sa mère qu'elle parlait toute seule depuis tout à l'heure.

Même si c'était effectivement le cas.

— Non, répondit sa mère, Elle avait mal au ventre, je l'ai laissé dormir.

— Maman ! S'énerva Anna qui n'avait pourtant pas l'habitude de hausser le ton, Pourquoi tu lui passes tous ses caprices ?! Elle fait ça presque tous les lundi matins ! Et tu sais très bien pourquoi !

Sa mère fronça les sourcils, furieuse que sa propre fille la remette à sa place, et répondit après un instant :

— Ophélie n'aime pas le sport.

— Moi non plus ! S'exclama Anna, Et pourtant j'y vais ! C'est une matière obligatoire !

— Mais toi, tu ne penses qu'à tes notes et ce que tes professeurs vont penser de toi ! Rétorqua sa mère, piquée au vif, Ophélie a d'autres préoccupations et, moi non plus, je n'allais jamais au cours de sport quand...

— Toi, toi, toi ! La coupa sa fille furieuse, Il ne s'agit pas tout le temps de toi !

— En effet, il s'agit de ta sœur, la rembarra Cécile, Donc je ne vois pas ce que tu viens faire là-dedans. Laisse-la tranquille.

Fatiguée de répondre, Anna s'empara de son sac de cours et salua vaguement sa mère qui, de toute manière, n'y prêtait pas attention. La jeune fille rejoignit rapidement le placard où était rangés ses chaussures et s'installa sur les marches de l'escalier pour les enfiler. Anna et sa famille vivaient en dehors de Paris, ainsi ils avaient une grande maison en périphérie. Le seul point négatif étant cependant le long temps de transport qu'elle faisait matin et soir pour rejoindre le prestigieux établissement privé où elle faisait ses études dans le centre de Paris, le lycée Saint Richard. Mais cela ne la dérangeait pas réellement – car même si Anna devait se lever plus tôt que ses camarades de classes – la jeune fille appréciait prendre ces moments pour écouter de la musique ou lire un livre. Et puis, l'éloignement de son habitat lui donnait une excuse pour ne pas sortir le soir, comme tous les autres jeunes de son lycée. Elle les détestait et ne désirait pas leur compagnie. Après avoir noué ses lacets, elle se releva et attrapa son bonnet qu'elle avait mis dans son sac. On n'était qu'en octobre et les cours venaient de reprendre il y avait de cela quelques semaines, mais il faisait déjà très froid pour la saison, l'hiver allait s'annoncer glacial. Anna enfila son bonnet, prenant soin de laisser échapper quelques cheveux sur le devant. Se sentant observée, elle tourna la tête vers le haut des escaliers et remarqua sa petite-sœur, encore en pyjama, qui la narguait du regard.

— Bonne journée ! Pouffa Ophélie de rire en remontant dans sa chambre.

— Idiote, cracha sa sœur alors qu'elle avait déjà disparu.

Anna ouvrit la porte d'entrée brusquement et s'engouffra à l'extérieur. Dehors, il faisait encore noir et le vent soufflait dans les arbres. Elle ferma les yeux et apprécia la douce sensation du froid qui lui permit de se calmer. Elle détestait sa mère, elle détestait sa sœur et elle détestait le lycée de bourges dans lequel elle allait. En fait, Anna n'aimait pas sa vie et c'était probablement pour ça qu'elle se réfugiait dans les livres. Même si elle ne voulait jamais écouter sa mère, elle avait conscience que c'était profondément pathétique.

  ***  

Lucas Gallien passa d'un pas nonchalant le grand portique doré qui permettait d'entrer dans la cour de son lycée et porta un rapide coup d'œil aux élèves qui passaient à coté de lui. Les mains dans les poches, il s'engouffra peu à peu à travers la foule. Ses cheveux châtains bouclés dansaient devant ses yeux car il ne prenait jamais le temps d'aller chez le coiffeur. Il était assez fin, pas très grand et avait de petits yeux en amandes verts. Lucas avait des lèvres plutôt fines et son sourire était magnifique lorsqu'il prenait le temps de forcer sur les muscles de sa mâchoire, ce qu'il faisait trop rarement puisqu'il était du genre à incendier toutes les personnes qui osaient poser leur regard sur lui. Malgré sa discrétion apparente, le jeune homme se faisait remarquer par ses tenues vestimentaires. Loin de suivre la mode parisienne de ses camarades de classe, Lucas se contentait de baggy et de sweat large, tandis que sous sa lèvre inférieure trônait un petit piercing noir qu'il avait fait à la rentrée. Il resserra son manteau autour de lui et s'avança vers son meilleur ami qu'il repéra au milieu de la foule.

— Salut ! S'exclama joyeusement celui-ci en l'apercevant.

Raphaël Lesage avait la désagréable habitude d'être toujours de bonne humeur. Lui et Lucas étaient comme deux antithèses, ils ne se ressemblaient en rien, mais ils s'appréciaient. C'était un grand pas pour Lucas qui avait du mal à apprécier qui que ce soit.

— Tiens ! Ça ne m'étonne même plus que tu fasses la tête ! Enchaina-t-il en riant, observant les grands cernes qui pendaient sous les yeux de son ami.

— Et moi que tu arrives à rire à chacune de tes phrases, rétorqua le garçon blasé.

Raphaël ne décela même pas l'ironie dans sa voix et explosa de rire sous le regard exaspéré de son meilleur ami. Lucas avait toujours pensé que son nom de famille ne lui correspondait pas du tout... «Lesage», ce garçon était probablement le mec le plus taré qu'il n'ait jamais rencontré. Pourtant, il côtoyait l'élite parisienne tous les jours, ce qui, d'ailleurs, ne cessait de lui faire se demander ce qu'il fichait ici. Il savait bien entendu la réponse, mais évitait le plus possible d'y penser. Ses parents étaient décédés dans un accident de voiture, il y avait désormais un peu plus d'un an, et il avait emménagé avec sa sœur chez leur oncle et tante, Jean-Paul et Marie-Anne Gallien, un couple coincé et bourgeois que ses parents lui avaient toujours appris à détester. Tout comme eux, il haïssait ce monde hypocrite et vaniteux, ce qui n'était pas le cas de sa petite sœur Rachel qui s'était finalement fait une joie de débarquer dans ce monde de paillettes et de strass. Tout ça lui donnait envie de vomir, mais il reconnaissait que cette solution était plus envisageable que celle d'être séparé de Rachel pour être placé en famille d'accueil. Alors, il attendait impatiemment ses dix-huit ans pour pouvoir quitter cette famille et même cette ville qui le rendait fou.

— A quoi tu penses ? L'interrogea son meilleur ami qui le suivait dans les couloirs du lycée.

— A combien je hais cette école, répondit-il sans même s'en rendre compte.

— Merci ! Lança Raphaël vexé.

Lucas s'arrêta dans le couloir, réalisant ce qu'il venait de dire et se retourna vers son meilleur ami :

— Je suis désolé, tu sais que je ne parlais pas de toi... Tu n'es pas comme eux.

— Tu ne les connais pas, nuança Raphaël qui connaissait bien, à l'inverse, le coté insociable de son meilleur ami.

Ce n'était pas vraiment qu'un coté d'ailleurs... Lucas avait fait profession de haïr ce milieu, comme si celui-ci était responsable de la mort de ses parents. Le garçon méprisait un coupable imaginaire et, même si cela n'arrivait pas vraiment à le soulager, la haine faisait passer le temps.

— Je ne veux pas les connaître, renchérit Lucas tout de même.

— Moi, tu as bien appris à me connaître !

— On était obligés, lui rappela Lucas moqueur, On a été installés à la même table, l'année dernière.

— Alors, tu insinues qu'on ne serait pas amis si on n'avait pas été à coté en classe ? L'interrogea choqué son meilleur ami en portant sa main à son cœur, comme si il avait été touché par un poignard.

Lucas leva les yeux au ciel, résigné. Raphaël faisait partie du club de théâtre et adorait se mettre en scène, même si c'était devant la moitié du lycée. En fait, surtout si c'était devant la moitié du lycée.

— C'est évident, rétorqua Lucas amusé, esquissant un sourire.

— Oh mon dieu ! Se mit-il à hurler.

— Raph', arrête, s'il-te-plait, tenta de le calmer son meilleur ami, Tu sais que je déteste quand tu fais ça et que tout le monde nous regarde.

— Non ! Hurla-t-il de plus belle, Je ne veux plus rien entendre ! C'est trop !

Simuler une dispute de couple, un classique du garçon ces derniers temps.

— T'es vraiment trop con, lâcha Lucas avant de s'éclipser discrètement pour éviter de se faire remarquer une énième fois.

Déjà qu'il n'était pas beaucoup aimé dans cette école... Il s'arrêta dubitatif. Après tout, il s'en fichait de ce que l'on pouvait penser de lui puisqu'il les détestait tous autant les uns que les autres.

— Lucas ! Continua à hurler Raphaël désormais tout seul dans le couloir.

Le garçon se retourna vers lui et pouffa de rire lorsqu'il aperçut son meilleur ami accroupi par terre :

— Je ne suis pas ta prostitué ! Enchaina Raphaël en se relevant d'un seul coup pour partir en courant.

Cette fois-ci, il réussit à décrocher un éclat de rire à Lucas. Raphaël était véritablement tout ce dont il avait besoin. Depuis la mort de ses parents, il avait l'impression que tout était sombre et sans intérêt, son meilleur ami lui apportait la joie qu'il n'avait plus depuis un certains temps déjà. Raphaël était ce qu'il n'était pas : dynamique, joyeux, drôle. Il aimait se faire remarquer, être le centre de l'attention. En fait, il était complètement atteint, mais personne n'arrivait à le détester, il était bien trop gentil pour ça. Raphaël et Lucas se complétaient, au fond, ils s'aidaient l'un l'autre, sans réellement s'en rendre compte. Le comportement de Raphaël n'était d'ailleurs par réellement étonnant. Ces deux parents étaient des comédiens de la Comédie Française et ils étaient probablement aussi barges que leur fils, comme quoi la connerie pouvait être héréditaire. Lucas n'en n'avait jamais douté, d'ailleurs, puisque les élèves de ce lycée étaient tous aussi cons que leurs friqués de parents. A l'image des Gallien, soit dit en passant.

Les quelques fois où Lucas ne pouvait plus supporter sa nouvelle famille, il allait se réfugier chez les Lesage. Eux savaient toujours lui remonter le moral, lui faire oublier pendant quelques instants que sa vie n'était pas aussi misérable qu'il le pensait, bien qu'ils avaient souvent du mal à lui faire changer d'avis.

  ***  

Les longues jambes d'athlètes de Gabrielle fouettèrent le vent du bois de Boulogne, la musique de son baladeur vibrait dans son casque, ses pieds glissant sur le terrain rocheux réservé au coureur du dimanche. On n'était pas dimanche, mais peu importait. Elle courait tous les soirs de la semaine après sa journée de cours. Gabrielle avait besoin de se dépasser, d'aller au bout, toujours plus loin. Le sport lui permettait d'évacuer toutes les pressions, toutes les contraintes de son monde... Des contraintes qu'elle était probablement la seule à percevoir puisque son entourage ne partageait pas son opinion, spécialement Ellie Lefevre qui lui servait partiellement de meilleure amie. Argent, alcool, mode, soirées, popularité, toutes ces choses qui avaient vaguement un sens dans leur monde. Comment pouvait-on simplement désirer les fuir ? C'était impensable pour sa meilleure amie, inconcevable. Pourtant, Gabrielle était exactement tout ce qu'elle voulait fuir : elle-même. Elle se sentait étouffée ici et personne n'était capable de lui rendre son souffle, pas même son petit-ami, Ethan Franck, le garçon le plus prisé de toute l'école.

Elle s'arrêta finalement au bout du chemin, complètement vidée. Sa longue crinière blonde collait dans son dos à cause de la sueur, mais elle s'en fichait éperdument. Elle prit son portable qu'elle avait rangé dans une petite pochette autour de sa taille. Comme elle s'y attendait, trois appels manqués de son petit-ami la ramenèrent à la réalité. Elle soupira et décida de ne pas répondre, elle pourrait toujours dire qu'elle avait oublié son mobile au parc. Oui, cela semblait une bonne excuse, songea-t-elle, soulagée par cette alternative de passer une soirée tranquille.

La jeune fille entreprit ses étirements, allongeant ses longues jambes sveltes sur le sol rocailleux. Lentement, elle inspira et expira pour reprendre un souffle normal, puis se décida à se relever pour marcher un peu. C'était son moment préféré, l'instant où ses jambes douloureuses se laissent aller à une promenade tranquille. Gabrielle aimait regarder ce qu'il se passait autour d'elle, scruter les regards, les visages, les expressions. Bien sûr, elle était aussi au centre de toutes les intentions et elle le savait bien. La jeune fille le remarquait aux coups d'œil rageurs de certaines femmes, où à ceux plus conciliant des certains hommes.

Gabrielle était probablement une des plus jolies filles de la ville. Elle était très grande et loin de ressembler à Ellie Lefevre, avec laquelle elle passait la plupart de son temps. Élancée, bronzée, rayonnante de vie, ses cheveux avaient pratiquement la couleur du soleil quand il faisait beau et on avait l'impression qu'elle allait rire aux éclats d'un instant à l'autre car elle affichait toujours un sourire radieux. Bien sûr, cette perfection qui émanait de la jeune fille en énervait plus d'une, à commencer par celle qui se considérait comme sa meilleure amie, mais qui n'en ressemblait en rien. Gabrielle n'aimait pas vraiment Ellie, elle la trouvait trop dévergondée, superficielle et narcissique. Mais, finalement, l'habitude avait fait qu'elles avaient commencé à se fréquenter. Et puis, le cercle privé parisien était petit, on en avait vite fait le tour.

La jeune fille se décida enfin à sortir du parc et entreprit de rejoindre son appartement à pied, après tout, elle avait besoin de prendre l'air, ce soir. La rentrée avait repris depuis presque un mois et la pression à l'école commençait déjà à peser sur ses épaules. Gabrielle n'aimait pas vraiment étudier, elle préférait sortir et s'amuser, mais avec ses parents sur son dos, il était difficile de joindre les deux bouts. Ils rêvaient d'un grand avenir pour leur fille unique, alors qu'elle rêvait simplement d'un avenir un peu moins morose que celui qui l'attendait : science politique, l'ENA... Un avenir déjà bien tracé qui ne la menait pourtant nulle part, du moins, pas là où elle voulait aller. Son père était un député politique de centre droite et sa mère travaillait dans la plus grosse agence immobilière de la ville. Autant dire que son ambition de devenir une sportive de haut niveau était bonne à jeter à la poubelle. De toute façon, elle ne se sentait pas capable de tenir tête à ses parents car, malgré tout, elle savait qu'ils voulaient simplement son bonheur... Dommage que ce mot ne signifiait pas la même chose pour tout le monde, songea-t-elle résignée.

La jeune fille pénétra dans son appartement du XVIème arrondissement, à quelques mètres de la fontaine du Trocadéro et du Palace, l'hôtel le plus cher de tout Paris appartenant à la dynastie Khan. Elle monta rapidement les marches de l'escalier, pas question de prendre l'ascenseur après avoir fait tant d'exercices, puis entra dans son salon sous le regard complice de sa mère qui buvait une tisane, sagement assise dans le canapé.

— Bien courue ma puce ?

— Super, répondit sa fille en s'emparant d'une pomme dans la cuisine.

Gabrielle croqua dans le fruit à pleine dent et sa mère enchaina sans quitter le nez de son journal :

— La prochaine fois que tu vas courir, emmène Ethan avec toi, je n'aime pas te savoir seule dans les bois.

— Je cours vite, maman, répondit-elle vexée par sa remarque, Je n'ai pas besoin d'un garde du corps.

— Chérie, murmura Marie-Anne en relevant son visage vers elle, Emmène-le. C'est tout.

— Mais...

— C'est dangereux, la coupa-t-elle sans chercher à l'écouter, Demande à ton père, il sera d'accord avec moi.

Bien sûr, ils étaient toujours d'accord, tous les deux. D'accord pour lui pourrir la vie, songea-t-elle intérieurement.

— J'ai dix-sept ans ! S'exclama la jeune femme, Je n'ai pas besoin de mon petit-ami pour me surveiller. 

— Te surveiller ? Répéta sa mère intriguée, Je n'ai jamais dit ça.

Gabrielle s'arrêta, mal à l'aise. Elle ne comprenait pas ce qui lui arrivait ces derniers jours. Elle avait toujours été folle amoureuse d'Ethan depuis le collège et il était probablement le garçon le plus parfait qu'il puisse exister sur cette terre. Le couple se connaissait depuis leur enfance grâce à leurs paternels qui s'étaient rencontrés sur les bancs de l'Assemblée Nationale. Pourtant, ces derniers temps, Gabrielle ne pouvait plus supporter Ethan, elle ne voulait même plus entendre prononcer son nom. Peut-être que, justement, Ethan était trop gentil, trop protecteur, trop gentleman, trop intelligent, trop galant, trop là, ou juste... Trop pour elle.


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