Elle l'avait eu par surprise. Il ne s'était pas attendu à autant de force venant de la gamine.
La garce.
Petite, avec cet air inoffensif accroché au visage, avec ces grands yeux de biche affolée, comme on en voit que dans les histoires stupides. Quelle apparence trompeuse. Cette petite garce stupide. D'abord, elle le mord et l'humilie devant Prarr, la brute la plus stupide et méchante du camp qui allait lui ressortir cette histoire jusqu'à la fin de ses jours avec sa voix geignarde. Ensuite, elle lui crache au visage – à lui ! Personne ne l'avait traité de telle sorte depuis une éternité et ce sera bien la dernière fois. Faolàn serre les poings. La gamine allait le lui payer ! Et puis finalement, elle s'était enfuie comme un animal affolé. Le visage de Faolàn se tord en un rictus cruel et il ricane. Pense-t-elle réellement pouvoir fuir ? Pense-t-elle pouvoir lui échapper ? Idiote. Elle ne va pas s'en sortir comme ça, il allait la chasser et lui faire regretter chaque petit acte de rébellion qu'elle avait osé commettre. Il avance jusqu'à la sortie.
Elle n'a aucune chance. Il lui était presque impossible de fuir le camp même et même si elle y parvenait, elle mourrait de froid et de faim, déchirée par les bêtes sauvages en forêt. D'une manière ou une autre, elle allait y passer. Le jeune homme frotte ses mains l'une contre l'autre puis sort de sa tente à grand pas. Quelle gamine stupide – si elle s'était comportée autrement, il l'aurait mieux traitée, elle aurait eu son lit et sa tente et il lui aurait même accordé quelques cadeaux –
« Fao ! », s'exclame une voix, interrompant son flot de pensées. Il tourne la tête et voit Pranan qui s'approche de lui. Il s'arrête quelques instants. La gamine n'ira pas loin de toute façon. Faolàn se passe une main dans la tignasse blonde et son ami se racle la gorge.
« T'as fait quoi à la gamine ? Elle est sortie de ta tente comme une sauvage, elle a failli me renverser tellement qu'elle avait l'air pressé de partir, le visage blanc comme le cul d'une oie. »
Faolàn grogne.
« Mêle-toi de tes affaires, Pran. », maugrée-t-il. Pranan lève un sourcil amusé.
« Elle a pas aimé ton lit ? Ou elle ne t'a pas trouvé à ton goût ? Faut dire que tu t'es pas beaucoup lavé ses derniers temps. », dit-il en riant. Faolàn lève les yeux au ciel.
« Ferme-la, c'est pas comme si t'avais plus de succès. »
Autour d'eux, des hommes approchent, se mettent en cercle. Certains ricanent en écoutant la conversation.
« Ouais, Fao, c'est pas avec ta face d'ours mal léché qu'elle va v'nir t'embrasser ! », lui crie un des hommes.
« T'arrives pas à contrôler ta propre femme ? », braille un autre au même moment tandis qu'un se rapproche vers Faolàn et lui pose une main boueuse sur l'épaule.
« Si tu la veux pas, tu peux me la passer, les p'tites rebelles en son genre ça me connaît et puis ça fait trop longtemps que –»
Faolàn se retourne d'un coup brusque et arrache la main sale à son épaule, lançant un regard meurtrier à l'homme qui recule d'un pas incertain.
« Vous allez-vous la fermer, oui, bande d'idiots ! Cette femme est peut-être rebelle mais ce n'est qu'une femme et elle ne va pas me résister longtemps. Jusqu'à ce jour, rien ni personne ne m'a jamais résisté ! »
« Ainsi parla l'homme déjà tenu en laisse ! », hurla quelqu'un en riant, « Te laisse pas faire comme ça ou bientôt on te retrouve à quatre pattes en train d'aboyer pour qu'elle t'offre son attention ! »
La masse d'hommes rit et Faolàn serre les poings, se retient de ne pas les mettre dans la face arrogante de l'homme qui vient de parler. Fils de chien.
« Elle ne me résistera pas. », crache-t-il seulement.
Un autre soulève un sourcil.
« Et tu comptes accomplir ça comment ? En la domptant au fouet ? En l'attachant jusqu'à ce qu'elle cède ? Parce que c'est mal parti pour toi, mon gars ! »
Faolàn prend un air encore plus menaçant, piqué au vif. Une mèche blonde lui glisse lentement sur le front et il l'écarte d'un geste violent.
« Ça ne sera pas nécessaire », grogne-t-il, « Je n'ai pas besoin d'être violent pour attirer une stupide femme, elle viendra d'elle-même ! »
« Tu es bien naïf, petit ! Si tu te comportes comme ça, c'est sa main au visage que tu vas avoir, rien de plus ! »
« Mieux vaut être d'une légère naïveté que stupide et laid comme toi ! »
L'homme lève la tête et le regarde de haut, les yeux plein de mépris, le sourire effacé du visage dur.
« Très bien, si tu le dis. Un mois. Un mois pour que tu la séduises et qu'elle vienne volontairement se coucher à tes côtés. Un mois ou elle y passe et tu lui tranches la gorge personnellement. »
Faolàn lève un sourcil.
« Et moi, qu'est-ce que je gagne à ce pari idiot ? », demande-t-il. L'homme ricane.
« Un bon jeu. Et une bonne femme. Que veux-tu de plus ? »
Faolàn éclate d'un rire dur, sa tête retombant dans sa nuque pour un cours instant.
« Marché conclus ! », s'exclame-t-il, « Et si je perds, je te donne même la moitié de mon or en prime ! »
Tous les hommes se mettent à rire, se tapent sur les épaules en faisant des blagues plus vulgaires les unes que les autres. Finalement, la masse s'éparpille, ça se dégage. Faolàn a toujours les yeux un plissés, méfiants, un air de prédateur affamé et dangereux. Ses yeux sauvages croisent ceux de Pranan qui secoue lentement la tête, de la pitié et de la colère dans ses yeux bruns.
« Tu es stupide Fao. Tu vas finir par te prendre à ton propre jeu. Séduire une gamine que tu as faite prisonnière sur un coup de tête ? Même pour toi, c'est bien bas. Les sentiments ne sont pas des jouets avec lesquels on s'amusent sans réfléchir. »
« Quelles belles paroles, mon ami, j'en serai presque impressionné. », rétorque Faolàn en riant à gorge déployé et secouant la tête, « Je ne te savais pas une âme aussi noble. »
Pranan garde le visage dur.
« Je ferais attention, à ta place, avant de parier la vie de quelqu'un pour des enfantillages. »
« Des enfantillages ? Depuis quand tu te la joues grand moralisateur ? », siffle Faolàn, irrité par les reproches de Pranan. Ce dernier l'observe un instant sans rien dire, finit par secouer la tête, se retourne d'un geste brusque et s'éloigne. Faolàn le regarde partir, sourcils froncés. Dans sa tête, des questions se basculent et il les ignore. Je n'ai pas le temps pour avoir des remords. Les remords, c'est pour les faibles. Il serre les poings et tourne la tête vers le chemin qui mène à la forêt. Il laisse retomber ses mains ouvertes contre ses cuisses tandis qu'un sourire en coin se fraie un passage sur son visage.
Il est temps de trouver Freyja.
Il se met à avancer, les pieds crissant dans la neige épaisse, les flocons s'accrochant de temps en temps dans ses longs cils. Le vent a depuis longtemps emporté les traces de pas de la jeune femme. Et si elle a réussi à s'enfuir ?
Impossible.
Faolàn observe le chemin qu'il parcourt millimètre par millimètre, cherchant derrière chaque plus petit recoin. La gamine est introuvable, comme évaporée. Nulle part. Il sent une once d'incertitude lui pincer le cœur et ses doigts tapent nerveusement contre sa cuisse. Faolàn secoue la tête. Il est guerrier. Il tue, il pille, il ne laisse pas s'échapper des prisonniers et encore moins une prisonnière qu'il avait élu sienne. Faolàn grogne. Elle doit être quelque part près d'ici. Il fait trop froid et elle ne connaît pas assez le territoire pour aller bien loin. Au bout du chemin, il reconnaît le lac au bord duquel il venait gamin. Lorsqu'il venait tout juste d'arriver chez les Winterschlächter. Après avoir été chez... Il secoue la tête à nouveau, plus violemment. Il ne veut pas y penser. Ne veut pas de ces souvenirs stupides qui l'affaiblissent en lui rappelant des images longuement enfouies sous un amas de violence.
Il s'approche néanmoins du lac.
A quelques mètres, un bruit le fait arrêter net. Il tourne la tête. Son corps se tend. Elle est là.