On toqua à la porte du bureau présidentiel. Un homme entra, il portait un gros dossier sous le bras qu'il posa sur une pile. Le Président leva les yeux, poussa son verre au centre de la table, et s'adressa à lui :
- Ah mon cher administrateur en chef du Trésor, comment vous portez-vous aujourd'hui ?
- Ma foi, bien et vous mon cher Président ?
- Très bien. Je vous ai fait appeler pour faire un point rapide sur l'évolution de la dette de notre pays. Combien avez-vous émis la semaine dernière ?
- La semaine dernière ?
Il sortit une tablette, et déplaça son doigt pour ouvrir un fichier.
- Nous avions émis des obligations pour un montant total de 4.156 milliards de crédits, reprit le responsable.
- Comment avez-vous échelonné les maturités ? Dites-moi ça rapidement, j'ai pas besoin de détails, je veux juste savoir quand il faudra rembourser.
- Oui, monsieur le Président. Comme vous le savez, la maturité d'un crédit est la date finale de remboursement de celui-ci, et donc il s'agit d'une information prioritaire pour notre service, qui s'occupe en particulier de la gestion et du remboursement de la dette, dit-il en sortant ses notes. Une faible part de la dette est du court terme : trois mois, six mois, neuf mois, un an. Au total environ 12%. Un petit peu de moyen terme, 20% environ avec des échéances inférieures à cinq ans. Le gros de la dette reste du long terme : environ à moitié-moitié du dix ans et du vingt ans.
C'est à ce moment qu'une sonnerie retentit dans la salle.
- Ah, excusez-moi, c'est ma femme. Vous permettez ?
Et sans attendre la réponse, le Président décrocha et on entendit une voix sensuelle :
- Allo, mon chéri ?
Ce dernier appuya sur le bouton pour couper le haut-parleur et passer la conversation dans son oreillette, puis répondit :
- Oui, je t'écoute ... Non, pas trop tard normalement, même si j'ai pas mal de travail ce soir ... Oui ... Ah, avec des rubis ? ... Et il coûte combien ? ... Écoute cent soixante-quinze mille crédits pour un collier, c'est beaucoup ... Et surtout je t'en ai déjà payé quatre depuis le début de la semaine, et on est que mardi ! ... Non mais écoute ! ... Oui, si ça peut te faire plaisir, mais ce sera tout, inutile d'aller m'appeler si tu en trouves un meilleur, ou plus beau, ou plus à la mode, ou je ne sais quoi ... Je comprends je comprends ... Donc tu es sûre de vouloir celui-ci ? ... Très bien ..., lâcha –t-il en soupirant. Oui pas trop tard... À ce soir.
Le Président décolla son dos du fauteuil, se pencha sur le bureau, et fit mine d'examiner attentivement le dossier en face de lui.
- De quoi parlions-nous déjà, mon cher administrateur ?
- Nous étions en train de parler des maturités de votre dette, et je vous disais que le gros de notre dette était à 10 ans et à 20 ans.
- Bien. Un point sur l'évolution des taux ?
- Alors les investisseurs ont plutôt confiance en vous. Il y a une semaine on était à 3.12%, pour le taux à un an. Votre notation reste AA, avec une perspective positive. Suite aux récents évènements, ils pensent que votre capacité à rembourser s'est trouvée améliorée et les taux ont chuté, après une forte hausse, néanmoins brève qui a vu les taux augmenter de 350 points avant de diminuer, clôturant sous l'ouverture à 2.89%, toujours pour les taux à un an. Regardez-ce graphique, par exemple.
- Rappelez-moi, quand vous dites « un point », ça désigne un centième de pourcent, c'est bien ça ?
- Exactement, monsieur le Président. Vous avez une très bonne mémoire. Ça fait que le pic que vous voyez était à 6.62%.
- Pour cette semaine, vous chercherez à émettre de l'ordre de cinq milliards de crédits de dette. Si les cours sont suffisamment bas, vous avez mon autorisation pour emprunter davantage. Jusqu'à dix milliards. Nous nous reverrons la semaine prochaine pour un prochain point.
- Bien, monsieur le Président. Je vous souhaite une agréable fin de journée
- Et vous de même.
Il quitta le bureau du Président. Ce dernier prit un biscuit, et se dit que les affaires tournaient décidément bien. La confiance des investisseurs, c'était important. Un accès au crédit sans problème, c'était très bien aussi. Et là, il s'était même permis de stopper les paiements qu'il devait au consortium dirigé par le Seigneur Xokov. Ce dernier lui avait causé tellement de problèmes qu'il était bien content de lui mettre des bâtons dans les roues en retour. Et ça n'allait pas poser de problèmes avec les marchés, il s'agissait d'une dette officieuse, aucun contrat ne l'engageait. Et Xokov n'était pas du genre procédurier de toute façon.
Le Président faillit s'étouffer avec le biscuit en l'imaginant en train de remplir des papiers pour porter plainte. Aucune chance que ce genre de situation arrive. Par contre, il pourrait prendre des décisions bien plus violentes. Heureusement que le Vengeur était là.
- L'arrivée du vaisseau de l'amirale a vraiment changé les rapports de force, pensa le Président. Maintenant c'est moi qui ai l'avantage. Mais pour combien de temps encore ? Je devrais ne pas tarder à faire les paiements comme convenu, quand même. Il ne faudrait pas que l'amirale pense qu'elle se fait arnaquer. Et il y a également cette histoire de pièces détachées.
Il fit tourner son fauteuil, sélectionna un numéro sur l'écran face à lui, et attendit que la communication s'établisse. Enfin, la silhouette bleutée d'un vieil homme se forma devant lui.
- Alors, comment ça va, mon vieux ?
- Très bien, et vous Monsieur le Président ?
- Oh très bien. Eh pas de chichi entre nous, c'est pas comme si ça faisait des dizaines d'années qu'on faisait des affaires ensemble. Sinon, j'espère que ma femme ne va pas me ruiner, elle vient de me faire acheter son cinquième bijou en deux jours !
- Effectivement ...
La silhouette ne put s'empêcher d'éclater de rire.
- Tu n'as pas peur que cela fasse la une des journaux, demanda-t-il ?
- Absolument pas, répondit le Président. Ça ne me pose aucun problème. En fait, c'est même le but : pendant qu'ils parlent de ma femme et de ses bijoux ou autres, ils ne sont pas en train de parler de la pauvreté, des taxes, de la pollution ...
- ... ou du destroyer en orbite de ta planète, compléta son vieil ami sur le même ton.
- Je vois que tu es toujours aussi bien informé !
- Oh, c'est bon pour le business. Je suppose que tu as quelque chose à me demander, sinon tu ne m'appellerais pas ?
- Bien vu ! Dis-moi, tu es toujours à la tête du conglomérat Flyx ?
- Plus que jamais. On est toujours le n°1 du secteur galactique en termes de construction de vaisseaux stellaires, qu'ils soient de plaisance, commerciaux, ou militaires, se vanta le PDG. Pourquoi ? Ne me dit pas que tu veux aussi te faire un destroyer, ça prend des années à construire ces bêtes-là !
- Pas vraiment. En fait, je vais bientôt lancer un appel d'offre. Tu sais, pour un marché public et tout ça. Ça concernerait quelques pièces détachées.
- Si c'est encore tes chasseurs pourris qui ne décollent pas, tu n'aurais jamais dû prendre ce modèle. Je t'avais déjà dit à l'époque qu'il fallait les prendre chez nous même si ils étaient plus chers !
- Non, il ne s'agit pas de ça. Il me faudrait ce qui figure sur la liste suivante.
Le Président fit glisser ses doigts graisseux sur l'écran et envoya un fichier à son interlocuteur.
- Oulà, ça va te coûter cher tout ça. Mais je comprends. D'ailleurs, il nous reste des places pour des croisières de luxe à destination des secteurs centraux, ça t'intéresserait ? Tous tes frais seront gracieusement pris en charge par Flyx. En supposant que, bien sûr, on ait le contrat.
- Oh pas de problème, je tiens à ce que tout ceci reste confidentiel. On se fera une réunion pour préparer tout ça avec mon nouveau secrétaire du Commerce et quelques autres triés sur le volet.
- Ah oui, j'ai entendu parler de ça. Toutes mes condoléances pour le décès du précédent. C'est le Seigneur Xokov qui est derrière tout ça je suppose ?
- D'où tiens-tu ces informations ?, demanda le Président, inquiet.
- C'est tout à fait son style. Et je suppose qu'il est furieux que ce soit à nous que tu aies confié le contrat pour la construction du bouclier planétaire il y a quelques mois.
- Hum hum. Je vois.
- On reste en contact pour organiser cette réunion.
- Oui, à bientôt, conclut le Président.
La communication prit fin et le Président soupira. L'enquête au sein du Palais n'avait rien donné. Les caméras de surveillance étaient en panne à cause d'un dysfonctionnement électrique, et personne n'avait rien remarqué de suspect jusqu'à l'explosion, et jusqu'à ce qu'on retrouve le corps sans vie de son secrétaire d'Etat dans son bureau. Le Président avait fait immédiatement doubler la garde. Cela suffirait-t-il ? Le Président en doutait.