Water Lily : l'éclosion.

Por RosalineOscar

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Qui suis-je ? Depuis bien longtemps cette question me tourmentait. La réponse qui me venait le plus souvent é... Mais

Présent. Passé. Futur.
Libérée, délivrée. Non, je ne suis pas la reine des neiges.
Tout le monde va bien. Enfin. Presque.
Trahison. Disgrâce. Les musiques Disney me poursuivraient-elles ?
Une solution ? Mortelle, mais oui, une solution.
Invitation. Pitié. Pas de talons.
Je lui pardonnerai. Quand je serai de bonne humeur. J'y réfléchirai, quoi.
Un tout petit dérapage. Minuscule. Rien de rien.
De catastrophe en catastrophe.
La mort ou la vie. Un jeu dangereux.
Dompter un lion ? Trop facile. Voler un loup-garou ? Beaucoup plus drôle.
Séance de torture. Les talons sont obligatoires ? Pitié ?
Rentre dans ma danse.
On arrête de danser ? Oui, s'entre-tuer c'est plus sympa, voyons.
Solitude.
Une famille compliquée ? Hérésie. Un vrai bordel, oui.
Un puzzle ? 500 pièce c'était bien, mais 1000 c'est vachement mieux.
Plus qu'un pot de fleur, je suis un simple vase.
Ne m'abandonne pas.
Minuscule, petit problème : je vole.
Je te donne tout.
Un monde. Leur monde. Mon monde ?
Pas à pas je découvrirai qui vous êtes.
Tuatha de Dannan. Je te frôle du bout des doigts.
De vase, je deviens nénuphar. Avec un ph. Pas un f.
Futur déesse ou futur catastrophe. Au choix.
Finalement, être un vase c'est sympa.
Je reviendrai. Attendez moi.
Épilogue. Andrew.
Épilogue. Tamara.
Épilogue. Cyriel.
Épilogue Kenan.
Épilogue. Andréa.
Épilogue. Keylinda.
Épilogue. Geoffrey.
Tome 3

Le pouvoir de la Lune.

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Por RosalineOscar


- Que fabriques-tu, petite ?

- Il me faut plus de lumière, murmurai-je, sans réellement répondre au centaure tant ma voix était inaudible.

- Sois prudente. Ils ne vont pas tarder à revenir.

Je ne répondis pas. J'en avais parfaitement conscience. Je devais me dépêcher. Je le présentais. Je savais que, bientôt, le grand moment allait arriver. Cela faisait déjà plus de deux semaines que Dan m'était apparu. Deux semaines que j'avais passées entre torture et espoir. La torture, plus violente et régulière que jamais tandis que le démon semblait à bout de patience. L'attaque psychique n'avait visiblement pas eu assez d'efficacité à son goût, il revenait donc à la torture plus physique. Ma peau était couverte de petites plaques rouges, résidus de brûlure que mes dons résorbaient péniblement.

Mais, malgré la douleur, je n'avais plus sombré dans le même désarroi, dans le même abandon, dans le même vide. Mon esprit parvenait à rester à la surface de l'eau. Il nageait tant bien que mal. Pas pour moi. Mais pour eux. Pour ce que je représentais. Car, aujourd'hui, je prenais conscience que Dana n'était pas la seule à attendre quelque chose de moi. D'autre l'avait fait. Nana, en me confiant ce médaillon, m'avait légué son bien le précieux. Parce qu'elle était persuadée que j'en aurai l'utilité. Le besoin. Et si Dan avait choisi de me confier ce souvenir, cela devait signifier plus encore que je ne le supposais. J'étais née dans un but particulier

Mon corps se détendit alors que la pierre, que je tentai de manipuler depuis des heures, se décida enfin à bouger. Elle laissa passer un rayon plus épais, plus net. J'eus un frisson de délice. Le soleil tapait haut dans le ciel, aujourd'hui. Je brûlai d'envie de le voir, de sentir sa chaleur sur ma peau, d'admirer le paysage. Depuis ces derniers jours, je retrouvai l'envie de vivre. L'envie de sentir les odeurs que j'avais toujours aimé : le pain sortit du four à la boulangerie, celle des sapins en forêt, l'odeur de ma mère, celle de la lavande que ma grand-mère cultivait dans son jardin. Je voulais aussi passer mes doigts dans la fourrure d'Isidora. Retrouver le délice du goût des cerises, des choux à la crème ou encore des épices dont ma mère abusait souvent dans ses plats.

Mes doigts se glissèrent dans la petite fente qui s'élargissait petit à petit au fil des jours. Il avait été compliqué de l'agrandir, la crevasse plus que minime à l'origine. Mais je sentais mes dons devenir de plus en plus fort chaque soir, me motivant à persévérer dans ma laborieuse tâche. Car ce n'était pas le soleil qui me manquait le plus. Ou, plutôt, qui manquait à mon corps et mon énergie. C'était la lune. Dan m'avait appris un fait que tous les marqués connaissaient, mais qu'aucun n'avait prit le temps de me donner. Ou, simplement, eut le temps de me donner.

Un marqué pouvait perdre ses pouvoirs. Entièrement. Dans un cas unique et précis. Il suffisait de le priver des rayons de la lune durant plusieurs jours. La sphère argentée étant le symbole de Dana mais aussi de l'espoir, de la pureté et, surtout, de la fertilité. Elle inondait les marqués, leur conférant force et pouvoir.

Je soupirai avant de me laisser retomber sur mon lit, terrassée par la fatigue. Je fixai le plafond délabré de ma cellule alors que l'une de mes mains remontait déjà, machinalement, jusque dans mon cou. Elle voulut se refermer sur quelque chose mais ne trouva que du vide. Je me mordis la lèvre. Je n'avais plus mon médaillon. Et il fallait, définitivement, que je le retrouve au plus vite. Il était étrange de découvrir l'importance d'une personne ou d'un objet lorsqu'il disparaissait. J'avais toujours porté ce médaillon, je le chérissais sincèrement mais j'avais toujours cru que si, par malheur, je le perdais un jour je m'en remettrais. J'avais eu tort. Réellement tort. Ce bijou représentait trop de chose et ceux même bien avant que je ne découvre les secrets qu'il renfermait. C'était Nana qui me l'avait offert. Quand je portais mes doigts sur le K calligraphié, c'était comme si elle était là, avec moi. Je parvenais presque à entendre sa voix grave, à voir ses yeux se plissés alors qu'elle cherchait à mieux me regarder tandis que sa vue baissaient d'année en année.

Il faisait parti de moi. Et je me sentais vide sans sa présence autour de mon cou. J'avais tenté de me souvenir où je l'avais perdu, à quel moment précis. J'étais certaine de le porter avant la bataille, lorsque nous étions encore au camp. Quelques minutes avant que les combats n'éclatent, j'étais certaine de l'avoir tripoté dans ma nervosité. Mais ensuite, j'étais incapable de savoir quand il avait quitté ma nuque. Tout avait été flou, trop rapide, trop angoissant. Alors, je m'étais résignée. Je ne pouvais pas déterminer le moment précis où je l'avais perdu.

- Il y'a de l'agitation.

Je me redressai sur mes coudes, intriguée, à la voix du vieil elfe dont j'avais fini par demander le nom. Léandre. Un vieux nom français, à ma connaissance. Mais je n'en étais pas certaine. Et, dans tous les cas, je doutais de pouvoir me fier à ce prénom pour obtenir une quelconque information sur lui. Léandre venait d'un autre temps et il avait très bien pu changer de prénom à sa guise durant toutes ces années, s'adaptant aux modes de chaque siècle. Et puis, il était prudent. Nous conversions de plus en plus, mais jamais il ne laissait filtrer la moindre information, surveillant chacun de ses mots. Alors, définitivement, son nom ne me fournirait ni son âge, ni sa nationalité, ni quoi que ce soit d'autre.

- Je le sens aussi, approuva Ciron. Mes sabots fourmillent d'impatience. Quelque chose se prépare et je pense que tu n'y es pas pour rien, jeune fille. Que manigances-tu ?

- Pas maintenant, murmurai-je à moi-même, mes poings se serrant alors que je fixai le couloir sombre au bout du quelle une immense porte en bois était fermée.

C'était trop tôt. Beaucoup trop tôt. Je n'étais pas prête. Le trou dans le mur n'était pas assez grand pour que j'espère recouvrir ne serais-ce que le quart de mes pouvoirs. Je ne pouvais pas. Et pourtant, il allait falloir. Un cri rauque venait de retentir, enveloppant mon corps d'un frisson. D'impatience. De peur. D'un mélange de sentiment contradictoire. Quelqu'un était là. Quelqu'un était là pour moi, pour me sauver. Je n'avais donc plus le temps d'hésiter, plus le temps de me dire que je n'étais pas prête. Il fallait agir. Et tout de suite.

Je bondis sur mes pieds, me détournant des barreaux de ma cellule pour me précipiter sur la crevasse devenue un trou. Un trou de quelques centimètres seulement. Je n'avais pas pus obtenir plus de résultat en plusieurs jours, comment allais-je faire pour l'agrandir en quelques secondes ? Je me mordis la lèvre. Réfléchis. Réfléchis. Réfléchis. Mes yeux se mirent à fouiller la pièce, alertes. Les sons s'approchaient, devenant plus lourds. L'agitation à peine perceptible devenait omniprésente. Celui qui avait pénétré dans le bâtiment n'était clairement pas le bienvenu. Je plantai mes ongles dans mes paumes. Il fallait que je sorte de là et j'aille les aider. Même s'ils étaient plusieurs, je doutai qu'ils puissent venir à bout de toutes les créatures qui se trouvaient dans cette prison. Je me l'étais promis. Plus jamais je ne laisserais quelqu'un mourir pour moi. Mes doigts se desserrèrent de mes paumes alors que je parvins à recouvrir mon calme.

Je m'avançai jusqu'au mur, mes yeux restant rivés sur la faille. Elle était trop petite. Je ne pourrais pas l'agrandir plus en si peu de temps. Mais je pouvais faire autrement. Si une faille était présente, cela signifiait que le mur était fragile. Qu'il pouvait céder.

Sans que je ne m'en aperçoive mes iris commencèrent à perdre de leur éclat, de leur couleur. Pour, finalement, ne devenir que deux sphères opalines. Mon esprit semblait toujours se détacher de mon corps dans ces moments là, me faisant assister à une scène dont je n'étais plus l'actrice. Comme lorsque j'avais tiré cette flèche dans l'épaule d'Andréa. Ce n'était pas moi qui influais mes mouvements, mes décisions. Et, pourtant, l'action se déroulait bien sous mes yeux. Ce furent bien mes mains qui se levèrent en direction du mur, mes paumes couvertes de blessures diverses s'écrasant sur la pierre rêche. Ce fut aussi mon corps qui se contracta à tel point que je sentis le moindre de mes muscles se durcir sous la pression. Mais c'était comme si tous ces gestes étaient commandé par un autre.

Cependant, je n'eus que peu l'occasion d'analyser ce phénomène dont je commençais à peine à prendre conscience. Le mur se mit à trembler. D'abord légèrement, dans un tremblement irrégulier et trop faible pour qu'il ne se sente menacé. Ou même pour faire vaciller mes jambes. Puis, le tremblement s'intensifia. Le sol commença à se dérober sous mes pieds. Mais, pourtant, les pierres du mur restèrent solides, ne chutant pas comme je le désirai.

« La terre est notre alliée ».

La voix qui résonna en moi me fit tressaillir. C'était une voix grave que je n'aurais su attribuer à un homme ou à une femme. Elle était assurée, calme. Elle me donnait confiance. Le mur allait s'effondrer. Je n'avais aucun doute à avoir. Peu importait que mon corps commence déjà donner des signes de faiblesses, se couvrant de sueur et me faisant de plus en plus souffrir. Je n'avais pas assez récupérée pour fournir un tel effort. Mais cela irait. Le mur allait s'écrouler. Je fermai les yeux, inspirai et expirai. Longuement. A plusieurs reprises. Puis je rouvris les yeux.

Il n'avait plus aucun reflet vert. Ils étaient d'un blanc parfait. Un grognement monta dans ma gorge alors que j'appuyai plus fortement mes doigts sur la roche, m'éraflant au passage mais ne m'alarmant pas du sang qui se mit à couler sur la pierre. Ma magie se répandait en moi. Je la sentis monter. Je sentis mon sang bouillonner dans mes veines. Mon cœur battre dans une lenteur exagérée, comme si rien de tout cela n'était inquiétant, stressant, angoissant.

Puis l'échec. Cuisant. Mes mains se mirent à trembler plus forts et mes iris reprirent, brutalement, leur teinte verdâtre. Merde. Merde. Merde. Je n'avais pas assez d'énergie. Il fallait que cela fonctionne. Maintenant. Je n'aurai plus d'autre occasion. Je me mordis la lèvre violemment.

- Je t'en prie, murmurai-je. Bouge... bouge... bouge...

Je répétai le mot. Encore et encore. Ma crispation et ma peur grandissaient. Mon corps devenait douloureux, lourd. Beaucoup trop lourd. Je n'allais pas tenir debout. La voix de Ciron et de Léandre résonnaient mais ne me parvenaient pas. Juste ce mot était apte à tourbillonner dans mon esprit. Bouge. Bouge. Bouge. Mais il n'obéissait pas. Il ne bougerait jamais, il fallait se rendre à l'évidence. Abandonner. Je n'allais pas réussir. Je n'étais pas assez forte. Pas assez tout.

J'allais écarter mes doigts du mur intact quand, soudainement, il trembla plus fort. Je m'écartai de justesse lorsque les pierres se mirent à tomber en cascade, se détachant du mur qu'elles formaient. J'écarquillai les yeux un instant avant de les plisser en portant ma main devant eux afin de les protéger. Le soleil. Le soleil brûlant venait de percuter ma rétine. Mon visage. Ma peau. Ma main trembla devant mes yeux et des larmes m'échappèrent sans que je ne sache si elles étaient du à un profond soulagement, à du bonheur ou au stress. J'avais réussi. J'avais réellement réussi.

Désormais, ma cellule avait un large trou, me laissant admirer ce que je n'avais pu contempler depuis des mois. La vie. La forêt luxuriante, le ciel bleu parsemé d'épais nuages blancs, la course d'une rivière paisible qui courait sous le bâtiment où j'avais été enfermée. Jamais je n'aurais cru que simplement pouvoir voir un oiseau s'envoler, paniqué par la chute des pierres, me chamboulerait à ce point.

- Keylinda ! Petite ! Tu vas bien ?!

- Je vais bien, répondis-je en portant mes deux mains contre mes yeux que je frottai vigoureusement.

- C'est toi qui as fait tomber le mur ? Comment as-tu réussi un tel prodige ? Continua Ciron après avoir lâché un soupir de soulagement, sa voix passant de la panique à une certaine admiration.

- Je n'en sais rien, admis-je. Par contre, je sais comment nous allons sortir d'ici.

Je bénis, soudainement, ma mère de m'avoir forcé à être assidue à l'école. Mes cours de science physique allaient enfin me servir à quelque chose. Je m'approchai du trou que j'avais créé et me mordis la lèvre. Dana semblait enfin intervenir en notre faveur. Il faisait encore jour, mais, dans un coin du ciel, resplendissait une lune ronde et pleine. Elle semblait avoir suspendu sa course être présente à cet instant. Obéissant à la directive d'un être particulier. Je ne pus m'empêcher de murmurer un faible « merci » qui manquait sans doute de conviction, mais débordait de reconnaissance.

Mes muscles s'allégèrent, se détendirent. Mes différentes blessures se refermèrent. La sensation de lourdeur s'évapora. Et je pus fermer les yeux, submergée par le bonheur de ne plus rien ressentir de douloureux. Cependant, je fis au mieux pour ne pas gaspiller l'énergie que la lune me confiait, sachant que je n'aurais que peu de temps pour profiter de ses bienfaits. Alors je fis ce que Dan m'avait conseillé : rester immobile, ne faire qu'un avec la nature. Je la sentais pleinement. La forêt m'appelait, m'assurant qu'elle serait mon refuge. Le ciel me promettait sa clémence, son soutien en cas de besoin. L'eau, sous mes pieds, s'agitait sans raison, me rappelant qu'en cas de besoin sa puissance était mienne. J'inspirai, mes poumons s'emplissant d'un air frais qui finit de me galvaniser.

J'étais prête.

- Tu es plus intelligente que je ne l'imaginai, me souffla Ciron tandis que je ne venais de faire sauter les gonds de la porte de sa cellule. Et, en plus, efficace et rapide.

- Je ne sais pas si je dois prendre cela comme un compliment, répondis-je, platement. As-tu des dons ?

- Je possède un don de métamorphe. Il est néanmoins limité mais pourra nous être utile, assura-t-il.

- Alors profite des rayons de la lune, soufflai-je en désignant ma propre cellule d'où provenait une intense lumière qui éclairait toute la prison. Nous allons avoir besoin de toutes les ressources possibles si nous voulons sortir d'ici vivants.

- Tu as un plan ? M'interrogea-t-il.

- Non, admis-je, me crispant un instant. Mais je sais que ceux qui créent tout ce remue-ménage sont des alliées. Et que nous devons les rejoindre.

- Très bien, approuva-t-il, tapant ses sabots contre le sol pour se dégourdir ses jambes aussi ankylosées que les miennes. Je ferai mon possible pour t'aider. Et je te remercie sincèrement de m'avoir libéré, je te dois la vie.

- N'exagérons rien, assurai-je dans un mince sourire manquant de naturel. Dépêche-toi pour la lune, je vais libérer Léandre pendant ce temps.

- Attends, me stoppa-t-il, attrapant mon poignet alors que je m'écartai. Je sais que tu as bon, Keyli, mais il faut être réaliste. Il est vi...

- Je le sais, coupai-je un peu sèchement, me dégageant de sa poigne pourtant ferme avec aisance. Mais il est hors de question que je laisse qui que ce soit dans cet enfer. Maintenant, si tu pouvais te dépêcher. Je me répète mais nous n'avons que peu de temps.

Le centaure me surprit à ne pas chercher à protester outre mesure. Le cliquetis de ses sabots m'indiquant qu'il obéissait, simplement, à mes ordres. Sans chercher à comprendre pourquoi un homme aussi imposant agissait de la sorte, je m'avançai vers la troisième cellule occupée. Le vieil elfe y était assis, les jambes repliées sous lui à la manière des japonais. Ses yeux étaient clos et sa poitrine se soulevant à un rythme régulier était la seule preuve m'assurant qu'il n'était pas mort.

- Léandre ? Je vais te sortir de là, reste immobile pendant un moment, s'il te plaît, fis-je après un petit temps d'hésitation, portant mes doigts aux gonds rouillés de la porte de sa cellule.

- Puis-je te poser une question, Keyli ?

- Tu viens de le faire, rétorquai-je, d'humeur cynique à première vue.

- Me permettras-tu d'en poser une seconde, alors, sourit-il, amusé par ma mauvaise humeur.

- Ce n'est pas vraiment le moment, soulignai-je. Néanmoins, je suppose que pendant que je fais fondre ces gonds, nous pouvons bien discuter.

- Bien, alors je vais tâcher d'être concis. Pourquoi tiens-tu tant à me faire sortir d'ici ? Non. Attends, intervint-il alors que j'ouvris déjà la bouche pour lui répondre. Je me dois de clarifier cette question. Tu as dû t'apercevoir que, contrairement à toi, ces hommes ont renoncés depuis longtemps à l'idée de me torturer. Je suis certes enfermé, mais ma vie n'est pas en danger et je ne souffre pas. De plus, tu dois aussi avoir conscience du poids que je vais représenter pour vous. Je suis vieux, comme a voulu te le faire remarquer Ciron et je serais un poids. Peut-être que, par ma faute, tu vas perdre toute chance d'évasion. Enfin, je conclurai en soulignant que je ne suis rien pour toi. Ni un ami, ni un membre de ta famille. Tout au contraire, je sais que ma présence t'a importuné à plusieurs reprises.

Il marqua une pause tandis que je ne relevai pas les yeux, restant concentrée sur mon objet premier. Et je n'avais pas besoin de lever la tête pour sentir son propre regard posé sur moi. Je ne répondis pas, patientant tandis qu'il semblait encore réfléchir afin de réunir ses pensées.

- Alors, ma question est la suivante : pourquoi, malgré tous ces faits, insistes-tu pour me faire sortir avec vous ?

Je conservai mon mutisme durant quelques secondes supplémentaires, songeuse. Pour être sincère, je n'avais pas de réponse à lui fournir. Il avait raison. J'avais bien conscience qu'il était un vieillard, totalement inapte à se battre et que nous devrions protéger. Il serait un poids. Et je savais aussi qu'il ne subissait plus de sévices depuis bien longtemps, son corps me le témoignant plus encore que le désintérêt que le démon lui avait porté depuis que j'étais arrivé dans ce lieu maudit. Il n'avait aucune blessure, sa peau était fripée mais dans un parfait état. Il n'était pas aussi maigre que je l'étais et aucun cerne ne venait encombrer ses yeux m'assurant qu'il profitait de longue nuit de sommeil. Alors, pourquoi ne pouvais-je pas me résoudre à le laisser derrière ?

Au final, je n'avais qu'une unique réponse à cette question. Je me contentai d'obéir, non à ma raison, mais à mon cœur. Mes instincts me criaient, me hurlaient même, de le libérer. Peut-être parce que j'aurais souhaité que quelqu'un en face autant pour moi. Peut-être parce que j'aurais souhaité que quelqu'un prenne en pitié ma grand-mère que ne je pouvais m'empêcher de comparer au vieil homme devant moi. J'étais, sans aucun doute, inconsciente. Mais, pour rien au monde, je n'aurais laissé Léandre dans cet endroit lugubre. Sous aucun prétexte.

- Je n'ai pas de raison particulière, finis-je par répondre. Je suis juste quelqu'un qui ne peut pas se résoudre à abandonner qui que ce soit. Et... de plus, je pense que tu es plus apte à le comprendre que tu ne veux le laisser croire. Toi non plus tu ne m'aurais pas abandonné si les rôles avaient été inversés.

Léandre ne me répondit pas et je ne cherchai pas à obtenir une réponse. Je restai simplement concentrée sur mes gestes, grimaçant quelque peu lorsque la chaleur sur mes doigts commença devint plus dur à supporter. Mais les gonds n'étaient pas encore entièrement fondus. Les températures de fusion variaient en fonction des métaux et des matériaux, je devais donc trouver la température idéale. Cependant, celle-ci était définitivement trop haute pour ma peau. Je me crispai en serrant les dents. Encore quelques minutes et ce serait bon.

Le métal continua de fondre, goûtant sur le sol et se faufilant entre mes doigts. Et, enfin, je pus soupirer de soulagement quand la porte vacilla avant de s'effondrer au sol. Je secouai les mains énergiquement, cherchant, par ce maigre stratagème, les refroidir. Pour la première fois, j'éprouvai une réelle reconnaissance envers Dana de m'avoir confié tant de don différents.

Puis, alors que je me redressai, je croisai enfin le regard de Léandre. Il avait des yeux d'un bleu profond. Plus clairs encore que ceux de Maël. Son corps était tassé, son visage couvert de rides et de tâches de vieillesse. Et, pourtant, ses yeux étincelaient d'une jeunesse infinie. Ils resplendissaient de vie. D'espoir. De joie. De douceur.

- Tu peux te lever ? Questionna Ciron, surgissant soudainement à côté de moi.

- Je crains que non, admit le vieil elfe, sans en paraître gêné. Mon corps manque cruellement de force.

- Je vais te porter dans ce cas, assura Ciron en s'avançant dans la cellule.

Je remerciai Ciron d'un petit signe de tête, très reconnaissante pour l'aide qu'il m'apportait sans se faire prier. Il empoigna le corps léger de Léandre, le hissant sur son dos d'équidé sans peine. Je m'avançai vers eux tandis que nous percevions toujours l'agitation de combat, mais ceux-ci semblaient s'éloigner, le bruit devenant de moins en moins forts. Et cela m'inquiétait. Nous devions les trouver. Vite.

Ciron passa sa main dans mon dos, m'invitant à passer devant et ce fut à mon tour je lui obéir, trop consciente que je n'étais pas celle qui devait mener dans cette situation. Je savais me battre, mais cela ne signifiait pas que j'étais une guerrière. Et, en prime, j'étais une totale novice dans l'art de l'évasion. Contrairement à Ciron, dont le calme était rassurant. Cependant, j'étais, sans aucun doute, celle possédant le pouvoir le plus puissant et celle la plus en forme car entre le vieil elfe qui ne tenait pas debout et le centaure qui devait le porter, je ne pouvais que resplendir de capacités. Je me pinçai les lèvres. Notre fine équipe n'était clairement pas prête à affronter une horde de créatures poilues très énervées par l'intrusion qu'elles avaient déjà subie et qui allaient l'être un peu plus encore en s'apercevant de notre petite escapade.

- Il me faut une arme, m'annonça Ciron. Une hache, une épée... peu m'importe tant que cela peut couper ou transpercer. Sans, je te serais bien moins utile.

- On va te trouver ça, assurai-je, luttant contre mon angoisse. En attendant, rester derrière moi.

- D'accord mais tâches de rester en vie, petite.

Je hochai la tête dans un signe d'approbation. J'allais faire au mieux pour que cela soit le cas. Mais je n'étais pas ma priorité. C'étaient eux. Et, surtout, mes amis. Ceux qui se battaient déjà. Ceux qui se battaient déjà pour moi. Mon cœur s'alourdit un instant dans des tressautements incontrôlés. Qui étaient venus ? Ceux qui ne seraient pas présents étaient-ils morts ? J'allais le découvrir. Et j'en éprouvai une peur viscérale. Cependant, je m'avançai dans le couloir, me dirigeant vers la grosse porte en bois. Je ne reculerai pas.

- Ce n'est pas possible, murmurai-je. Mais combien sont-ils à la fin ?

- Pousses-toi, petite. Je m'en occupe.

J'eus à peine le temps de m'écarter que Ciron galopant dans un cri guerrier vers les hommes qui s'avançaient, menaçant, dans notre direction. Le cri rauque et le son des sabots résonnant dans l'étroit escalier, firent hésiter nos assaillants qui se stoppèrent. Comportement dès plus idiot. L'un d'eux se prit, violemment, un coup de sabot et je ne pus m'empêcher de grimacer, compatissante. Il avait du le sentir passer et, plus encore, il risquait d'en conserver une marque qui ne disparaitrait jamais.

Ciron était incroyable. Il était certes puissant, mais, plus encore, il était intelligent. Ou, plutôt, pratique. Il était apte à user toute chose l'entourant, les transformant en des armes improbables mais efficaces. Peu lui importait ce qui lui tombait sous la main, que ce soit un bout de bois, un barreau, une vulgaire chaise ou tout autre objet. Tant qu'il pouvait le saisir et le manipuler, il pourrait en user.

Je ne fus donc pas surprise quand, un peu plus loin, il saisit un large banc en bois qu'il plaça devant lui, fonçant à nouveau à toute allure. Les hommes armés tombèrent à la renverse au choc, tous manquant infiniment de puissance pour espérer faire face à un centaure. La comparaison fut inévitable, je vis donc dans cet homme une parfaite réplique de John Smith dans Pocahontas 2. Une comparaison très flatteuse et élogieuse, à n'en pas douter.

Ciron se tourna vers moi, cherchant mon regard tandis qu'il avait le torse bombé d'une fierté que je ne jugeai pas déplacé tant il m'impressionnait. Il était l'archétype de l'homme viril manquant de finesse, mais qui avait, malheureusement, toutes les raisons du monde d'être fier de sa personne.

- Merci, fis-je avec sincérité. Mais fais attention, je ne pourrais pas te soigner si tu es blessé, je n'ai pas encore appris à maîtriser ce don.

- Ne t'en fais pas, il m'en faudra bien plus pour mourir.

- Elle a raison, le sermonna Léandre en appuyant l'une de ses mains sur l'épaule du centaure. Tu dois veiller à rester en pleine possession de tes moyens, tu es le seul guerrier de notre groupe et nous aurons besoin de ta force pour sortir d'ici.

- On discutera plus tard, rétorqua-t-il dans un haussement d'épaule, négligemment. Il faut qu'on bouge, rester statistique nous sera fatal et je ne tiens pas à retourner dans cette cellule. Nous n'aurons pas d'autres chances.

Je hochai la tête, moi-même consciente que cette occasion serait la seule qui se présenterait à nous. Une seule et unique chance. Je redoublai ma concentration, tâchant de rester en alerte et attentive à chaque chose nous entourant. Mais, malgré toute ma motivation et ma bonne volonté, je ne parvins pas à retrouver cette sensation que durant mon dernier combat. Je n'avais pas cette même lucidité, cette même clairvoyance de la situation. Et c'était infiniment frustrant.

Mais je pus, malgré tout, sentir le danger arriver, même sans savoir exactement de quoi il s'agissait. Mon corps trembla d'une légère angoisse que je peinai, de plus en plus, à contrôler. Je ne voulais pas revivre la même chose. Je ne voulais pas revivre la même scène. Pas voir des corps tomber. Pas voir le sang couler sur leurs peaux. Pas voir la vie s'échapper de leurs iris. Je serrai les poings pour éviter que Ciron et Léandre ne remarquent l'affolement de mes doigts. Et je m'avançai la première, m'engouffrant la première au détour d'un couloir éclairé par des flambeaux enflammés.

Cet endroit était flippant. Même la cabane hurlante d'Harry Potter devenait une simple cabane d'enfant face à ce lieu. Les murs tombaient en lambeaux de-ci de-là au moindre contact. Les couloirs étriqués étaient tous longs et sombres, comme des tunnels dont l'aboutissement était incertain. Les flambeaux sortaient tout droit d'un vieux livre décrivant les geôles d'un vieux roi prit de folie et, donc, d'une époque lointaine. J'avais toujours détesté ce genre d'endroit, refusant même d'aller dans les maisons hantées lorsque ma mère me trainait à dans des fêtes foraines quelconques. Pas que j'avais peur des fantômes, je savais qu'ils n'existaient pas. Quoique. Etait-ce réellement le cas ? Je secouai la tête. Je devais me concentrer.

- On approche, murmura Léandre, sa voix basse résonnant, malgré tout, dans le couloir.

- Il a raison, approuva Ciron, ralentissant le pas avec plus de prudence. Des gens se battent à quelques pas d'ici, j'entends nettement le bruit des épées.

Moi aussi je l'entendais parfaitement. Qui était venu ? Etaient-ils tous en vie ? Tous là ? L'angoisse monta en flèche. Je brûlai d'un désir nouveau de sortir de ce lieu, provoquée par l'espoir des derniers événements. Mais j'éprouvai aussi le besoin de ne pas retrouver la réalité. Ma cellule avait eu le mérite me protéger de la vérité. De la lourde vérité. Mon souffle se bloqua dans ma gorge et je passai ma main sur la naissance de ma nuque. Je parvenais à peine à respirer. Je ne voulais pas. Je ne voulais réellement pas savoir. L'ignorance me convenait. Je n'allais pas supporter d'apprendre leurs morts. Jusqu'ici, le manque d'espoir avait empêché mon esprit de se projeter, de réfléchir à ce que j'éprouverais une fois confronté à une réalité que je n'étais pas certaine de supporter.

Alors que la crise d'angoisse me gagnait de plus en plus et que je fus incapable de la dissimuler, une main se posa sur moi. Je tournai mes yeux dans ceux de Léandre. Et dans ses iris je sus qu'en cet homme résidait des choses dont je n'avais pas idée, pas conscience. Des choses que personnes ne devaient connaître, savoir, ou même soupçonner. Son regard était d'une profondeur sans fond et brillait de fougue, d'intelligence et de calme. D'un calme parfait. Il savait que nous allions bientôt nous jeter dans une bataille dont il n'était pas certain de revenir. Peut-être allait-il mourir dans quelques secondes. Et, pourtant, il restait aussi impassible que s'il était dans un tout autre endroit. Un lieu serein, paisible, silencieux. Des images se faufilèrent dans mon esprit. Un jeune elfe, aux traits longilignes et au sourire paisible, se tenait dans une clairière, tout proche d'un petit ruisseau. A ses côtés, une femme. Une belle femme aux yeux bridés et aux longs cheveux noirs, riait à plein poumon tandis qu'elle avait glissée ses jambes dans l'eau fraîche. Il la contemplait avec douceur, affection, bonheur. Son rire cristallin faisant battre son cœur dans un sentiment qu'il avait eu la cession de trop peu connaître dans sa longue vie.

Et mes propres émotions se stabilisèrent, s'apaisèrent.

- La panique ne t'aidera jamais en rien, m'assura-t-il dans un doux sourire en écartant sa main de ma peau. Et elle ne te permettra pas, non plus, de retrouver tes amis. Tout comme toi, j'ai eu des êtres qui m'ont été très chers. J'ai aussi eu le malheur de les perdre. Mais les souvenirs des moments que nous avons partagés continuent à les faire vivre. Personne ne disparait jamais pleinement.

Je baissai les yeux, crispée. Je ne me pensais pas capable de penser ainsi. Jamais je ne pourrais être aussi sereine face à cette idée, face à la mort de ceux que j'aimais. Je n'avais jamais réussi à faire le deuil de Nana. Pourtant, je reconnus que lorsque son souvenir me revenait, j'éprouvai la sensation qu'elle était un peu à mes côtés. Léandre avait raison. Paniquer était vain, surtout en cet instant. J'aurai le temps d'en faire une plus tard. Et puis si je ne savais pas s'ils s'en étaient tous sortis, j'étais sûre d'autre chose. Certains l'étaient. Et ils étaient entrain de ce battre pour me sortir d'ici.

Je me redressai, mon regard se posant devant moi avec détermination. Je n'allais plus laisser l'occasion à quiconque de toucher à mes amis. Mes mains cessèrent de trembler. Et j'avançai vers la grosse porte en bois qui ne laissait que peu s'échapper les bruits de l'affrontement qui se déroulait dans la pièce qu'elle dissimulait. Alors que j'allais poser la main sur la poignée, un gémissement de douleur retentit et je m'engouffrai précipitamment, alertée par ce son. Mon cœur s'emporta. Et à peine eus je franchie le pas de la porte que je du reculer d'un bond quand on me tomba dessus. Littéralement.

Mes mains se portèrent en avant, saisissant, par réflexe, les épaules de celui qui venait de basculer sur moi. J'allais le relâcher précipitamment, pensant qu'il était un ennemi, mais me stoppai dans mon geste. Je restai immobile, pétrifiée alors que mes yeux croisaient les siens. Ma mâchoire se serra. Mes sourcils se plissèrent. Et les larmes me montèrent aux yeux avant de dévaler mes joues.

Il était là. Il était vraiment là.     

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