Le jour et la pluie, roman éd...

By Chrisverhoest

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Niallan et Sacha de Lanneusfeld ont une mère rebouteuse et un don de guérisseur hérité d'elle. Un don qui est... More

Chapitre 1. Frères ennemis.
Chapitre 2. Sylvain.

Chapitre 3. Loan.

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By Chrisverhoest

Je me garai devant la maison que j'avais trouvée grâce à mon smartphone et son appli GPS. C'était une belle demeure en pierre apparente rose avec des balcons à l'étage et une physionomie générale purement bretonne. Ma mère m'avait envoyé là pour soigner un jeune homme de mon âge. Elle avait estimé que le courant passerait mieux avec moi. Le courant, ah ah. Amusant pour un magnétiseur. Le garçon souffrait apparemment d'un torticolis multirécidiviste.

Je sonnai et une femme blonde d'une quarantaine d'années, toute menue, vint m'ouvrir le portail. Elle paraissait apeurée alors je la tranquillisai d'un sourire en me présentant. Sacha de Lanneusfeld, rebouteux. J'espérais que ma tenue colorée et mon air avenant la rassureraient. Ce fut le cas : elle m'adressa à son tour un sourire.

- Gaelle Lezurec, se nomma-t-elle. Venez.

Elle m'emmena à l'intérieur, jusqu'à un salon très joli, avec sa bibliothèque aux volumes reliés et ses fauteuils en cuir. Il y avait un jeune homme de mon âge dans le canapé. Mon patient.

Je remarquai deux choses à son sujet. D'abord, il était merveilleusement beau. Des cheveux blonds décolorés mi-longs encadraient un visage fin aux lèvres pleines, androgyne, éclairé par des yeux qui avaient exactement la couleur de l'océan par chez nous, les jours de beau temps. Mon cœur accéléra, mes mains devinrent moites. Il était désirable, très désirable. Il était peut-être ce que j'attendais.

Contraint par mon frère au silence chez moi, je m'étais contraint en général, pour ne pas avoir à cacher un éventuel petit ami. Je n'aurais pas pu. Le journal que je tenais et mon coming out avaient changé ma façon d'être et étendu le champ des possibles. Désormais, je regardais autrement les garçons, je me demandais ce qui pourrait se passer avec celui-ci ou celui-là. Et ce garçon aux cheveux si clairs, presque blancs, me troublait incroyablement et entrait vraiment dans le champ des possibles. Et même plus encore.

Ensuite, je remarquai les traces de coups sur sa figure. Le cercle bleuâtre qui entourait l'un de ses beaux yeux et la contusion sur la pommette. Je compris qu'il n'y avait pas qu'un torticolis. Le corps devait avoir morflé aussi car il se tenait les côtes. J'étais là pour vérifier que tout allait bien.

- Ouh là, constatai-je. Tu joues au rugby ? ajoutai-je pour plaisanter, rendre le moment plus léger.

- Non, je ne suis pas trop équipé pour, souffla le jeune homme, crispé, mal à l'aise, mais qui demeurait si beau.

- Tombé au mauvais endroit au mauvais moment ? m'informai-je. De nos jours, certaines personnes agressent de façon gratuite. C'est le moyen de défense des faibles, finalement, parce qu'ils n'arrivent pas à se servir des mots, et parce qu'ils sont souvent plus nombreux que leurs victimes.

Pas de réponse. Le jeune homme leva les yeux vers sa mère et il y eut un long échange muet, douloureux, aussi. Manifestement, ce qui s'était passé était un sujet sensible. Pourquoi ? Quand on est une victime, on a besoin d'en parler. Pourquoi avoir honte ? Et pourquoi avais-je tellement mal pour lui, soudain ?

- Je ne veux pas en parler, me confirma enfin le jeune homme. Tu es là pour soulager ma douleur, pas pour discuter.

Oh, oh. De l'agressivité. Étrange attitude chez un être qui paraissait si doux. De l'agressivité pour me faire taire. Il y avait anguille sous roche. Ce qui m'oppressait s'accentua.

Je me tournai vers Gaelle Lezurec et je la fixai avec insistance afin qu'elle voie que je n'étais pas dupe. Elle rougit, baissa la tête.

- Faites vite, s'il vous plaît. Mon mari, le beau-père de Loan, pourrait rentrer plus tôt et il ne croit pas trop au magnétisme, ajouta-t-elle, ce qui ne fit que renforcer mes soupçons.

- Vous n'aurez qu'à dire que je suis un ami de Loan, rétorquai-je, en lorgnant vers l'intéressé. Laissez-moi deviner. C'est votre mari qui a fait cela ?

- Je sais que les rebouteux sont tenus au secret, avança-t-elle.

- Pas s'il y a maltraitance, répliquai-je. Vous devriez prévenir la police et faire examiner votre fils. Je suppose que vous avez évité le médecin pour protéger votre mari ?

- Non ! s'écria-t-elle. Loan n'a pas voulu prévenir qui que ce soit. Il est majeur, il fait ce qu'il veut.

- Écoutez, dis-je sur un ton patient. Nous autres guérisseurs sommes là aussi pour conseiller. Se taire n'est jamais une solution. Voulez-vous que la prochaine fois soit pire, voire irréversible ?

- Non ! Bien sûr que non !

- Alors contactez les autorités et demandez un examen médical à votre médecin, insistai-je.

- Notre médecin ne croira plus à une énième chute ou à une autre rencontre avec des jeunes violents, argua-t-elle.

- Je n'ai pas la prétention de remplacer les docteurs et leurs machines. Ça ne marche pas comme ça, répliquai-je. Nous sommes juste complémentaires. Je soigne des douleurs précises. Déjà confirmées par un spécialiste. Si tu as quelque chose de grave, Loan, dis-je en fixant l'intéressé, et mon cœur accéléra ses battements, tu joues avec ta vie. Imagine que tu aies un épanchement de sang au cerveau, et que personne ne vérifie, que je ne dis rien, qu'est-ce qui va se passer ? Pour toi ? Pour moi ? Je ne pourrai pas vivre avec ça. C'est de la non-assistance à personne en danger, merde !

- Pouvez-vous au moins soulager Loan en attendant ? demanda Gaelle d'une petite voix. Je vous promets de prendre rendez-vous et de prévenir la police, décida-t-elle, vaincue par mes arguments.

- C'est le mieux à faire, soufflai-je.

- Je sais, soupira-t-elle.

J'étais en colère. La peur empêchait cette femme de protéger correctement son fils. Un fils passif, trop sans doute, habitué qu'il devait être à la situation, au point qu'il n'essayait même pas de sauver sa peau. Un fils qui ne me quittait pas des yeux et son regard intense me troublait au-delà des mots. Loan. Il s'appelait Loan. C'était doux, c'était mon évidence. Si vite ? Trop vite. Je m'efforçai de me concentrer uniquement sur le problème.

- Déshabille-toi, ordonnai-je d'une voix rauque. Je veux dire, enlève le haut, précisai-je.

Loan obéit et grimaça au moment de faire passer son t-shirt par-dessus sa tête. Je sursautai. Son corps portait de nombreuses traces, plus ou moins anciennes, selon leur aspect, leur couleur. Sa peau était dévastée. Bon sang, même Niallan ne me maltraitait pas comme ça, loin de là ! Nouveau coup d'œil de ma part à Gaelle Lezurec qui rougit. Loan, lui, me contemplait toujours.

- Où... Où as-tu mal ? m'enquis-je, après avoir dégluti, et en essayant d'ignorer la finesse et l'élégance de son torse.

- Dans les côtes, là... et là, précisa-t-il en me montrant des ecchymoses sur ses hanches.

J'avançai les mains en tremblant. Ce que sa peau était douce ! Je sentis que je devenais écarlate. J'avais chaud et froid. Et ses yeux ! Je m'y noyai, tandis que l'eau familière sortait de mes mains pour soulager de sa fraîcheur les meurtrissures de Loan. Je me repris, toussai, fronçai les sourcils. Il fallait que j'impressionne la mère pour qu'elle fasse ce qu'elle avait promis.

- Je répète que je ne remplace pas le médecin, assénai-je.

Ensuite, je passai les mains sur son cou, puisqu'il se plaignait d'un torticolis, qui devait plutôt être un mauvais coup sur les vertèbres. Dangereux, bien sûr. Je frémis. Il aurait pu rester paralysé. Il le resterait peut-être si ça recommençait. Son image se superposa avec celle de Sylvain, le petit ami de Niallan, qui était paraplégique. Je l'avais très peu rencontré, mais son fauteuil m'avait à chaque fois remué. C'était un sale coup du destin pour un garçon si gentil. Il ne méritait pas ça. Loan ne méritait pas ça. Personne ne méritait ça.

Je finis par poser deux doigts sur l'œil meurtri de Loan. Ce faisant, j'effleurai ses cils et un éclat aussi profond que douloureux traversa mon cœur. Le geste, doux, avait quelque chose d'intime. De trop intime. Je rougis, retirai ma main. Loan m'observait toujours. Au même instant, l'eau de mon don reflua vers moi. J'avais accompli mon œuvre.

- Loan, il faut consulter, montrer toutes les contusions, demander des radios, un scanner pour la tête, énumérai-je.

- Je le ferai, dit-il d'une voix qui me chavira le cœur, tant elle me plaisait. Ça va mieux.

- Il... Il faut quand même montrer, bredouillai-je. C'est vital.

- Juré, souffla-t-il. Juré...

- Merci, déclara Mme Lezurec.

Je refusai d'un geste de la main le billet qu'elle me tendait. La réputation des rebouteux passait par le refus de toute rémunération, sauf si nous étions dans le besoin. Dans ces cas-là, nous le précisions au patient concerné.

- Maman, tu peux me laisser seul deux minutes avec Sacha ? demanda Loan sur un ton plein d'émotion.

- Deux minutes, dit-elle fermement en regardant dehors avec appréhension, avant de nous quitter, sûrement pour aller surveiller.

Loan avança la main vers sa veste, abandonnée sur le canapé. Il sortit son smartphone de sa poche en tremblant. Qu'est-ce qu'il tremblait ! Cela dit, je n'étais pas en meilleur état.

- Est-ce que je peux avoir ton numéro ? s'enquit-il avec un regard fébrile.

- À une condition, émis-je, en rougissant de nouveau.

- J'irai chez le médecin, oui. Je t'en ai fait le serment.

- Je trouverais dommage de ne pas te revoir, juste parce que tu es moins entreprenant avec ton salaud de beau-père qu'avec moi, fis-je remarquer.

- Je te le jure, j'irai chez le docteur. Il est temps que ça cesse.

- Je ne te le fais pas dire. J'avais peur, tout à l'heure, quand tu ne parlais pas, avouai-je. Il doit être puni pour ses actes et toi tu dois être en sécurité, comprends-tu ?

- J'en ai tellement l'habitude et tellement marre...soupira-t-il.

- Il y a des solutions, ne crois pas le contraire, ce n'est pas un quotidien acceptable.

- Ma mère a peur de franchir le pas. Elle n'a pas de revenus, c'est ça qui m'empêche de le balancer, dévoila-t-il.

- Il y a des assistantes sociales à la mairie. Je peux aussi en toucher deux mots à mon père, il est avocat et...

- Nous verrons plus tard pour l'avocat, coupa Loan. Pas trop vite, me pria-t-il sur un ton plus doux.

- Il te frappe depuis longtemps ?

- Il est avec ma mère depuis dix ans, il a commencé dès qu'ils ont habité ensemble, expliqua Loan, avec un air de souffrance, les yeux brillants. Il lui a demandé de cesser de travailler pour m'élever. La bonne blague... Il s'en fout, de moi. C'était juste pour la rendre dépendante de lui. Moi, je suis juste son exutoire quand il est énervé, stressé par le boulot ou un truc qui n'a pas fonctionné comme il aurait voulu.

- Oui, il voulait que ta mère dépende de lui, approuvai-je. Et ton père ?

- Il est mort quand j'avais six mois. Ça a fragilisé ma mère. Nous n'avons plus beaucoup de temps, on dirait, déclara-t-il avec précipitation. Je voudrais te dire tant de choses. Je voudrais te revoir.

- Ça me plairait aussi, avouai-je.

- Il se passe un truc, non ?

- Oui. Alors reste en vie pour en profiter.

- Juré, répéta-t-il en plongeant ses yeux incroyables dans les miens.

Je me détournai le premier. Mon cœur me faisait tellement mal, à force de tambouriner. Je pris mon propre smartphone. Nous échangeâmes donc enfin nos numéros. Loan détacha ses prunelles de ma personne en faisant une grimace, et surveilla la porte avec crainte. Quelle vie, de toujours vérifier ses arrières, d'attendre le retour du bourreau...

C'était le moment de prendre congé, en espérant qu'il serait épargné ce soir-là et les soirs suivants. Comment le laisser alors que je n'avais plus qu'un but, l'aider à sortir de cette existence, maintenant que je la connaissais, maintenant que je LE connaissais ? Il eut un dernier sourire quand je franchis cette même porte et je le lui rendis.

J'avais une furieuse envie d'aimer. De le crier au monde entier. De dénoncer aussi à la face de tous ce beau-père qui se refusait, lui, à l'aimer. Comment mon désir pouvait-il coexister avec toute cette douleur ? N'était-ce pas un mauvais signe ? Allais-je revoir Loan ? Ou bien s'y refuserait-il, en se remettant sous la coupe d'un homme violent, sans rien tenter pour être plus heureux ? Ou bien... pourrait-il mourir ? L'effroi ouvrit une vaste crevasse dans ma poitrine.

Je dus m'appuyer contre un mur, le temps que passe mon envie de vomir. Tout se bousculait, basculait. J'étais à un tournant. J'aurais voulu agir vite, qu'il agisse vite. Mais même avec la meilleure volonté du monde, il leur faudrait, à Loan et à sa mère, un peu de temps pour s'organiser. Et pendant ce temps, ils seraient toujours près du monstre.




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