Chapitre 3. Loan.

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Je me garai devant la maison que j'avais trouvée grâce à mon smartphone et son appli GPS. C'était une belle demeure en pierre apparente rose avec des balcons à l'étage et une physionomie générale purement bretonne. Ma mère m'avait envoyé là pour soigner un jeune homme de mon âge. Elle avait estimé que le courant passerait mieux avec moi. Le courant, ah ah. Amusant pour un magnétiseur. Le garçon souffrait apparemment d'un torticolis multirécidiviste.

Je sonnai et une femme blonde d'une quarantaine d'années, toute menue, vint m'ouvrir le portail. Elle paraissait apeurée alors je la tranquillisai d'un sourire en me présentant. Sacha de Lanneusfeld, rebouteux. J'espérais que ma tenue colorée et mon air avenant la rassureraient. Ce fut le cas : elle m'adressa à son tour un sourire.

- Gaelle Lezurec, se nomma-t-elle. Venez.

Elle m'emmena à l'intérieur, jusqu'à un salon très joli, avec sa bibliothèque aux volumes reliés et ses fauteuils en cuir. Il y avait un jeune homme de mon âge dans le canapé. Mon patient.

Je remarquai deux choses à son sujet. D'abord, il était merveilleusement beau. Des cheveux blonds décolorés mi-longs encadraient un visage fin aux lèvres pleines, androgyne, éclairé par des yeux qui avaient exactement la couleur de l'océan par chez nous, les jours de beau temps. Mon cœur accéléra, mes mains devinrent moites. Il était désirable, très désirable. Il était peut-être ce que j'attendais.

Contraint par mon frère au silence chez moi, je m'étais contraint en général, pour ne pas avoir à cacher un éventuel petit ami. Je n'aurais pas pu. Le journal que je tenais et mon coming out avaient changé ma façon d'être et étendu le champ des possibles. Désormais, je regardais autrement les garçons, je me demandais ce qui pourrait se passer avec celui-ci ou celui-là. Et ce garçon aux cheveux si clairs, presque blancs, me troublait incroyablement et entrait vraiment dans le champ des possibles. Et même plus encore.

Ensuite, je remarquai les traces de coups sur sa figure. Le cercle bleuâtre qui entourait l'un de ses beaux yeux et la contusion sur la pommette. Je compris qu'il n'y avait pas qu'un torticolis. Le corps devait avoir morflé aussi car il se tenait les côtes. J'étais là pour vérifier que tout allait bien.

- Ouh là, constatai-je. Tu joues au rugby ? ajoutai-je pour plaisanter, rendre le moment plus léger.

- Non, je ne suis pas trop équipé pour, souffla le jeune homme, crispé, mal à l'aise, mais qui demeurait si beau.

- Tombé au mauvais endroit au mauvais moment ? m'informai-je. De nos jours, certaines personnes agressent de façon gratuite. C'est le moyen de défense des faibles, finalement, parce qu'ils n'arrivent pas à se servir des mots, et parce qu'ils sont souvent plus nombreux que leurs victimes.

Pas de réponse. Le jeune homme leva les yeux vers sa mère et il y eut un long échange muet, douloureux, aussi. Manifestement, ce qui s'était passé était un sujet sensible. Pourquoi ? Quand on est une victime, on a besoin d'en parler. Pourquoi avoir honte ? Et pourquoi avais-je tellement mal pour lui, soudain ?

- Je ne veux pas en parler, me confirma enfin le jeune homme. Tu es là pour soulager ma douleur, pas pour discuter.

Oh, oh. De l'agressivité. Étrange attitude chez un être qui paraissait si doux. De l'agressivité pour me faire taire. Il y avait anguille sous roche. Ce qui m'oppressait s'accentua.

Je me tournai vers Gaelle Lezurec et je la fixai avec insistance afin qu'elle voie que je n'étais pas dupe. Elle rougit, baissa la tête.

- Faites vite, s'il vous plaît. Mon mari, le beau-père de Loan, pourrait rentrer plus tôt et il ne croit pas trop au magnétisme, ajouta-t-elle, ce qui ne fit que renforcer mes soupçons.

Le jour et la pluie, roman édité, trois chapitres disponiblesWhere stories live. Discover now