" Considères le chemin par où tu passes, et que toutes tes voies soient bien réglées ."
Rosa Curtis, après une longue somme, se réveilla dans une pièce sombre de la résidence secondaire, que Stendhal avait acheté pour éviter les paparazzis qui envahissaient leur résidence principale, sans doute à la recherche de buzz.
Voici, le jour était passé et la nuit fidèle à son poste, avait pris la chandelle.
Sur la petite table de nuit, seule une lampe de chevet en bois, cadeau symbolique de Valéry, sa seule amie d'enfance, dont la célébrité n'avait suscité aucune complexité à leur amitié, laissait filtrer de par son abat-jour quelques rayons de lumières.
La fatigue était telle, que dans son assoupissement elle n'avait guère songé à ôter ses vêtements.
De par ses agitations, endormie, sa jupe avait gravi le long de ses jambes pour se tasser sur sa cuisse.
Depuis quelques années, le sommeil était devenu un luxe, qu'elle ne se permettait pas.
Elle ne se rappelait même plus à quand remontait la dernière fois qu'elle s'était aussi bien reposée.
Elle s'adonnait à sa carrière, et travaillait jour et nuit sans relâche. Après tant de sacrifices, Rony avait trouvé qu'elle n'en faisait pas assez, il la connaissait assez pour savoir que c'était sa seule passion pourtant.
Rony Cale était un ami de longue date, leur amitié avait commencé depuis l'université. Les deux jeunes rêvaient tous les deux de devenir plus tard des stars hollywoodiens, mais le destin avait fait les choses autrement.
Lorsqu'ils se présentaient tous les deux à un casting on gardait toujours Rosa et on le mettait de côté. Rony avait fini par comprendre qu'être acteur n'était pas son fort et s'était résigné à servir de manager à Rosa.
Et aujourd'hui, il l'avait quand même viré, c'en était presqu' humiliant.
Lorsqu'au milieu de la nuit Mcgareth se réveillait, il la trouvait toujours devant le miroir, imitant une scène quelconque.
Par à-coups, il lui tenait compagnie et tentait tant bien que mal à interpréter le rôle d'un personnage de ses scènes.
Et un soir qu'il s'était réveillé au beau milieu de la nuit, telle ne fut pas sa surprise de remarquer l'absence de Rosa du lit.
- Rosa... Il se retourna et l'aperçut devant le miroir, comme il l'avait imaginé. Chérie, que fais tu ? Il est tard, tu devrais dormir un peu.
- Tu sais bien que je ne m'arrêterai pas tant que ça ne soit pas parfait.
- C'est toi qui rend la scène parfaite chérie, tu devrais t'y habituer.
Rosa l'avait regardé de ses grands yeux étincelants, puis se retournant face au miroir, le regard rempli de confiance elle lui avait lancé :
- Tu sais quoi ? Tu as parfaitement raison, je rends les scènes parfaites.
Et délaissant son occupation, elle s'était levée pour aller le rejoindre dans le grand lit.
Dans la pénombre, un sourire s'était étiré sur les lèvres de Stendhal , oui il aimait cette femme, plus que ce qu'elle pouvait imaginer.
Se redressant sur un coude, il lui avait tendu son autre main tout en l'attirant à lui.
- Sage décision, je commençais à prendre froid seul dans ce lit immense.
Pour reprendre les dires de Rony , il lui avait lâché un : " Tu es bien trop distraite ces jours-ci Rosa, la scène n'avance pas, ça fait un mois qu'on refait la même scène."
Rosa l'avait regardé sans comprendre, ses yeux exorbitants dévisageaient Rony avec inquiétude, incapable de donner un sens à tous ces propos.
Elle aurait pu lui dire ses quatres vérités, mais elle s'en était retenue. Tournant les talons en faisant claquer la porte derrière elle, elle s'était tout de suite dirigée vers la voiture, où Felipe son chauffeur l'attendait toujours.
Pire, elle allait être remplacée par cette Catherine Dupray qu'elle jugeait trop... incompétente pour la remplacer, trop peu sûre d'elle même, une fille trop...simplette.
D'un mouvement léger, elle se glissa hors du lit et les paupières encore lourdes, elle chercha son téléphone à tâtons.
Elle était pourtant certaine de l'avoir déposé sur la table. Reprenant ses esprits, elle passa une main sur son visage dans l'espoir de chasser ce sommeil qui voulait encore la tirer dans ses abysses.
Aucune trace du téléphone sur la table, elle l'avait peut-être laissé quelque part, ce n'était pas dans ses habitudes de laisser traîner ses affaires, il ne devrait pas être loin.
De l'étagère, elle retira le sac qu'elle avait placé tantôt et déposa un à un les contenus sur le lit.
D'abord, elle en sortit une trousse de maquillage qui à elle seule faisait la moitié du poids du sac, une petite bouteille de parfum, un agenda dans lequel elle planifiait ses horaires journalières, une petite bourse où elle stockait ses cartes, un porte clés, un lot de feuillet attaché les uns aux autres, et tout au fond du sac, elle le trouva.
Elle alluma l'écran, 18 heures s'affichèrent. " Décidément, j'ai battu un record," murmura t-elle dans un bâillement.
Le désordre l'insupportait, elle avait toujours la manie de devoir ranger tout ce qui lui tombait sous la main.
Tout aussi méticuleusement qu'elle avait vidé son sac, elle prit soin de tout remettre en ordre.
Elle s'assit sur le pan du lit, et rouvrit son téléphone.
Passant outre les réseaux sociaux, par peur de ne pas tomber sur un article avec pour grand titre, " Serait-ce la fin du règne de Rosa Curtis ?" ou une idiotie dans le genre.
Ces journalistes possédaient toujours les mots les plus ostentatoires, et les plus adéquats aux drames, tant leurs propos étaient exagérants.
Aujourd'hui avait été une dure journée , plus besoin d'en rajouter.
Faute de choix, elle referma son téléphone. Non Mcgareth, il fallait qu'elle l'appelle.
" Quelle genre de femme es-tu Rosa de laisser ainsi en plan ton mari ? Mais lui non plus il ne m'avait pas appelé de la journée.
Et la faute à qui? Tu lui dis toujours que tu es occupée lorsqu'il le fait. Argh !" C'était ce petit sentiment de moralité, cette petite voix qu'on appelait la conscience.
Rosa tenta de joindre Mcgareth, mais son téléphone ne sonna même pas, il n'avait peut-être plus de batterie. "Maudis sois tu Stendhal, tu me fais chier".
Stendhal avait la fâcheuse tendance de laisser sa batterie à plat, alors qu'elle, ça l'insupportait de voir sa batterie à moitié vide, "au moins j'ai essayé".
D'un pas traînant, elle se dirigea vers la salle de bain, luxueusement aménagée, ses seuls effets occupaient la totalité de l'étagère.
On y retrouvait une variété de produits de haute gamme avec des caractéristiques pouvant créer une sensation authentique de spa .
Le miroir plaqué au mur lui renvoya l'image d'une femme belle, forte, décidée à ne pas se laisser briser.
Quoique ses cheveux entremêlés formaient une touffe sur le sommet de sa tête, son mascara avait coulé , laissant des bavures sous ses paupières, sa beauté restait impassible.
Elle ouvrit le robinet et laissa couler l'eau dans la baignoire, pendant que d'un autre côté, elle se défaisait de ses habits.
Une fois remplie elle y ajouta un bain moussant, quelques gouttes de lavande et rentra dans la baignoire.
📖📖📖📖
- Bonsoir ! Kate se tenait devant la porte, une bouteille de champagne à la main, je t'ai appelé mais je suis tombée sur ton répondeur.
Stendhal regarda sa montre, ils avaient rendez-vous à 19 heures, pourtant elle était déjà là devant lui, en voilà une qui est assidue à la tâche.
Pendant un moment, il se demanda même si c'était une bonne idée, surtout que la dernière fois ils avaient fini par coucher ensemble. Pire c'était lors d'une cérémonie de remise de prix.
Un souvenir que Stendhal avait chassé de son esprit depuis le temps, il était un homme marié et coucher avec Kate dans le dos de Rosa était une abominable vulgarité qu'il ne referait plus, il l'avait juré sur sa vie.
- Ma batterie est morte. Mais je ne m'attendais pas à te recevoir de sitôt.
- Eh bien ! Puisque je suis là, elle haussa les épaules, tu m'invites à entrer.
Dans quelle emmerde tu vas encore te fourrer Stendhal ! Non il ne se passera rien, que dalle, je suis un homme marié et responsable. Il s'effaça pour la laisser passer.
- Mets-toi à l'aise surtout, lança t-il en fermant derrière elle.
- Merci ! Quelle belle maison tu as !
En effet c'était même une extraordinaire maison, décorée de fond en comble par Rosa.
Puis se tournant vers lui elle fit agiter la bouteille. Où est-ce que je dépose ça ?
- Donne la moi.
De la cuvée, mmh un champagne parfait pour l'apéritif. Pourquoi parler d'apéritif alors qu'il n' y avait point de repas.
Kate sembla lire dans ses pensées
- Quel charme ! Je m'attendais à voir un couvert ou je ne sais pas quelque chose dans le genre.
Sans rire, ce n'était pas comme s'il l'invitait pour dîner. Elle devrait être bien déçue si à tout hasard elle s'était attendue à ce que je lui offre un dîner aux chandelles. D'autres en plus qu'il n'avait pas le moral pour ces choses là.
- Si tu as faim on peut commander quelque chose. Qu'est ce que tu prends ?
Au moins il lui avait fait une proposition, à elle de se décider maintenant si elle marchait ou pas.
- Laisse tomber, c'est pas grave... On peut le faire... ensemble... non?
Pourquoi les femmes avaient-elles toujours des idées farfelues derrière la tête, ou peut-être était-ce lui qui cherchait d'autres sens à ses propos.
Fébrilement, elle se dirigea vers la cuisine , Stendhal la talonna.
- Ça ne me tente pas trop de cuisiner Kate.
- Allez, ne sois pas si rabat-joie.
Elle ouvrit le frigo et en sortit un emballage de salades, appartenant sûrement à Rosa, manger des salades faisait partie de sa routine matinale.
Stendhal croisa les bras, sans faire un geste de plus.
- Bon d'accord, tu as gagné, j'abandonne, fit t-elle boudeuse.
- Alors enivrons nous de vin et de champagne, elle empoigna une bouteille de vin dans la petite cave et deux verres.
- Tu viens ?
Dehors, sous la terrasse, elle s'installa sur l'un des sofas , Stendhal en occupa un autre tout près du sien, cherchant à tout prix à éviter le moindre contact physique.
- Tu peux t'asseoir à côté de moi je ne vais pas te manger.
La dernière fois il avait mis sa prudence en suspension, et ils avaient fini par se retrouver dans le même lit. Il avait capté la leçon, et ça ne recommencerait pas de sitôt. Mais pourquoi ça t'obsède à ce point Stendhal !
- Je suis bien là où je suis, finit t-il par dire calmement, pour prouver ses dires il s'allongea de tout son long, sa tête vautrée sur une main.
- Comme tu voudras.
Kate se mit à remplir les deux verres qu'elle avait amené de la cuisine, et en tendit un à Stendhal.
- Merci !
Elle leva son verre.
- On trinque ?!
- Si tu veux.
Il leva son verre en même temps que Kate qui prononça d'un ton amusé.
- Aux gentils garçons !
Stendhal ne s'attendait pas à cette allusion qui étendit un sourire sur ses lèvres. Si elle voulait jouer à ça, il était partant.
- On dirait que je suis à l'honneur ! dit t-il une touche comique dans la voix, ce qui fit rire Kate.
Croisant ses pieds, elle porta son verre à ses lèvres. Stendhal suivit son geste et en fit autant du sien, d'un trait il le vida, sans l'ombre d'une goutte.
- Waouh ! Monsieur est avide en plus.
À côté d'elle, elle reprit la bouteille de vin et se mit à remplir à nouveau le verre vide de Mcgareth.
- Ce vin c'est le meilleur. Merci
Les yeux rivés vers le ciel, dans un silence commun, ils contemplaient cette nuit splendide, les étoiles scintillaient et la lune en pleine croissance diffusait sa lumière qui se reflétait dans l'eau de la grande piscine.
En effet c'était une nuit magnifique, une nuit parfaite pour s'aimer, il aurait dû être avec Rosa, pourtant, voilà qu'il se trouvait en compagnie d'une autre, à boire du vin et à contempler un clair de lune, c'était pathétique.
Encore une fois, il termina son verre et se leva d'un coup.
- Je reviens, il me faut quelque chose de plus fort.
📖📖📖📖
Un bon bain était le remède à tous les maux, Rosa en était convaincu. À peine sortie de la baignoire, son téléphone se mit à sonner. Passant rapidement ses mains sur le peignoir, en vue de les sécher.
- Alexis !
Elle avait connu Alexis, lors d'un tournage, et au fil du temps, elles avaient fini par devenir amies.
- Ma belle ! Comment te portes tu ? Pour ma part, je suis exténuée !
Alexis ne laissait jamais à ses interlocuteurs de répondre la moindre de ses questions, sauf s'il s'agissait de potins évidemment.
- J'ai ouï dire qu'une actrice s'est faite virée, à cause d'une envie suicidaire ou d'une obsession à la drogue, je ne sais plus trop moi...
Pendant un laps de temps, elle crut que son cœur allait lâcher, comment avait t-elle su ? Le monde entier devrait être déjà au courant. Les nouvelles vont bon train. Mais où avaient t-elle déniché pareille rumeur ?
Elle pouvait déjà imaginer les grands titres dans les journaux " Rosa Curtis accro à la drogue, a tenté de se suicider", non trop fade, " Fin tragique de la carrière de Rosa Curtis "
Le moment qu'elle redoutait tant était arrivé. Elle était une actrice, autant mettre son talent à l'œuvre et ne rien laisser paraître .
- Qui te l'a dit ? demanda t-elle plus calmement qu'elle ne l'aurait voulu.
- J'ai entendu l'une des maquilleuses en parler, en passant, tu connais ces commères.
- Sais-tu au moins de qui il s'agit ?
Elle se posa sur le lit redoutant la réponse d'Alexis.
- Qu'est ce que j'en sais moi, sûrement une de ses nouvelles, incapable de gérer une bande de haters.
À présent elle pouvait respirer normalement, la nouvelle ne s'était pas encore répandue, mais elle aurait préféré taire cette rumeur selon laquelle l'actrice tentait de se suicider. Où est-ce qu'ils étaient allés chercher pareille sottise ?
- Ça me paraît logique.
- Assez parlé de choses ringardes, Amy part en tournée à Los Angeles dans deux jours, on lui organise une petite soirée, prépare toi je passe te prendre dans une heure.
Quelle ironie ! Elle allait être entourée d'une dizaine d'actrices, célébrant leur carrière florissante, pendant que la sienne chutait indubitablement.
- Une heure ! Ok parfait.
Tout ce qu'elle voulait c'était se morfondre dans son lit. Pour une fois, elle n'avait aucune envie d'être entourée de monde, pourquoi avait t-elle accepté ? Elle aurait pu trouver une excuse plausible.
Mais l'idée de rester chez elle à ressasser cet échec de la journée, lui était tout aussi insupportable. Ah! C'était pénible !