Harak n'attendit pas plus longtemps pour sauter dans la mer glacée. Au contact de l'eau froide, il ignora celle-ci qui lui mordait la peau et même les os. Il s'enfonça dans les profondeurs sombres à la recherche de la jeune femme. Une peur indicible le gagna car il ne la voyait pas et il l'imagina déjà emportée dans ce gouffre glacé pour l'éternité. Son visage lui apparut, et il se refusa de la perdre. Alors il se mit à nager plus vite, motivé par cette montée de rage qui lui brûlait le corps tout en lui permettant de pas ressentir le froid. Enfin il décela sa chevelure blonde qui comme une caresse épousait la descente lente et douloureuse de son esclave. D'une main féroce il agrippa sa robe et la tira vers lui. Il retenait sa respiration depuis si longtemps qu'il se demandait comme il était possible qu'il soit encore en vie. À la force d'un seul bras, il remonta vers la surface en tenant la taille de la fille d'un bras ferme. Il émergea de la mer agitée, prit une profonde respiration et chercha son drakkar. Par chance, il n'était pas très loin et il se laissa pousser par les houles afin de l'approcher plus vite. Inerte et peut-être sans vie, le corps de la jeune femme fut hissée sur le drakkar et sa seule obsession était de trouver les battements de son cœur.
Une pénible et insupportable douleur lui vrilla les tempes quand il glissa un regard en direction de ses mains liées et il coupa d'un coup sec la corde avec son poignard.
- Elle respire ? Demanda Cadel inquiet.
Harak la souleva légèrement pour entendre si oui ou non son cœur battait et ne laissa rien transparaître sur son visage quand il l'entendit battre faiblement. Au tréfonds de son être, le viking était profondément rassuré, mais ne voulait rien montrer à ses hommes.
- Elle respire, déclara-t-il en passant une main sur son visage gelé et sans couleur. Elle est froide, le choc de la température de l'eau a dû lui faire perdre connaissance.
Il tira sur un sac de peau qui avait pour but de protéger les vivres et l'enroula dedans pour la tenir au chaud.
- Où est-il ? Rugit-il alors en se relevant avec la jeune femme dans ses bras.
- Ils ont pris la fuite, nous avons dû maintenir les vaisseaux à ta hauteur quand tu as sauté.
Harak vrilla son regard sur l'horizon dégradé par un épais brouillard où l'on pouvait déceler faiblement le drapeau qui flottait sur le bateau ennemi.
- J'aurai ma vengeance, dit-il tout bas et d'une voix vibrante de promesses aussi sombre que ses yeux noirs. Rentrons ! Nous aurons notre combat sanglant dans les prochains jours.
Ses hommes s'exécutèrent afin de faire cap vers le Nord pour de regagner les terres.
Tout au long de la traversée, le Jarl avait gardé son esclave contre lui pour la réchauffer et c'est seulement à leur retour qu'il s'en détacha pour l'installer sur la couche.
- Est-ce qu'elle va bien ? Demanda Helga en apportant d'autres couvertures plus chaudes.
- Je l'ignore, admit-il en fixant ses paupières closes et qui ne voulaient pas se soulever.
Une sourde colère le gagna en détaillant sa robe déchirée sur le côté et à son épaule. Aveuglé par la rage, Harak avait une nouvelle fois jugé la jeune femme avant même qu'elle ait pu lui donner une preuve de son innocence.
- Sors s'il te plaît, ordonna-t-il à Helga en s'efforçant de garder son calme.
Elle s'effaça sans un mot en refermant la porte de sa demeure. Confronté à sa culpabilité d'avoir une fois de plus condamné la jeune femme, Harak leva prudemment sa main vers son visage pour dégager une mèche collée sur son front. À ce jour, c'était sans doute la première fois qu'il lui offrait un geste aussi tendre, mais cela ne suffirait pas à effacer le mal déjà fait.
Ses pensées furent interrompus violemment par un sursaut effrayé. La jeune femme se redressa en toussant si fort qu'il dut la tenir par les épaules afin qu'elle ne puisse pas tomber tant son corps était faible.
Son regard bleu croisa le sien et un sursaut de panique traversa son regard puis une autre succession d'émotions qu'il ne put décrire.
- Tu es sauvée, annonça-t-il d'une voix trop dure qu'il regretta aussitôt.
Elle inspira profondément, les yeux brouillés de larmes silencieuses. Pendant un instant il crut déceler dans ses prunelles du soulagement mêlées à de la peur.
Harak savait qu'il l'effrayait et qu'il aurait dû garder ses distances surtout après s'être comporté comme une brute.
- Je ne me suis pas enfuie, parvint-il à lui dire le souffle coupé. Les enfants...
- Ils vont bien, annonça-t-il en l'obligeant à se rallonger. Cependant je savais que ce n'était pas une bonne idée de te laisser sortir de cette maison. J'aurai dû écouter mon instinct.
Harak se leva en fixant ses grands yeux effrayés qui le regardaient avec peur et ce soulagement qui n'était pas sans lui déplaire.
- Pour quelle raison tu n'as pas attendu que mon drakkar vienne jusqu'à toi ? Lui demanda-t-il sur un ton presque accusateur. Tu aurais pu trouver la mort si je ne t'avais pas sauvé.
La jeune femme changea de regard comme si une colère muette s'était éprise d'elle sans qu'elle puisse la contrôler même si elle l'exposait devant lui à ses risques et périls.
D'un mouvement incertain elle écarta la couche de couvertures sur elle afin qu'il puisse voir sa robe déchirée.
Épuisée, tremblante, elle résista et garda son regard désespéré dans le sien.
- Il disait qu'il avait encore le temps, dit-elle d'une voix cassée.
Le viking retarda le moment de poser son regard sur ses cuisses presque nues.
- J'ai préféré me jeter vers la mort plutôt que ça, reprit-elle en rabattant les couvertures pour se cacher. Je préfère mourir.
Ses larmes si sincère lui rappelèrent son erreur et il s'empressa d'implorer les dieux pour le punir d'avoir été si injuste avec son esclave.
- Je supplié le ciel que mon maître me retrouve.
- Après tout ce que je t'ai fait ! S'emporta le viking.
Son esclave se redressa péniblement, les yeux baissés alors qu'il cherchait avec impatience son regard pour accéder à ses pensées.
- Jusqu'ici, vous avez tenu votre parole, murmura-t-elle d'une voix à peine perceptible. J'ignore si je me trompe, mais à ce jour, mon honneur est sauf entre vos mains, même si vous êtes terrifiant.
Le viking se pencha pour lui prendre le menton afin qu'il puisse voir ses yeux.
- J'aurai pu te faire du mal, précisa Harak en peinant à maîtriser sa voix cruelle. Je pensais que tu avais volontairement pris la fuite avec cet homme.
- Non ! S'empressa-t-elle de lui dire les lèvres tremblantes. Jamais je me risquerais à une telle folie ! Certes je me suis surprise à l'envisager, mais c'était après ma captivité.
Sa voix tremblante transpirait de sincérité.
- Qui est cet homme ? Est-ce tu le connais ?
- Oslac, il se nomme Oslac et il est commandant. C'est un fidèle d'Edmund Calister. Il est affreux tant dans son âme que dans son visage à l'haleine fétide. Il boit beaucoup et il a fait du mal à de nombreuse femmes de mon village. Je crois qu'il était chargé de me ramener à lui.
Elle posa ses deux mains froides sur sa main sur tenait son menton pour qu'il le relâche.
- Je crois que Calister m'a offert en présent à cet homme affreux.
Sa bouche rouge se tordit avec amertume.
Harak éprouva un déferlement d'émotions qu'il ne put maîtriser.
- Repose-toi, exigea-t-il d'une voix impérieuse en lâchant son menton. J'ai de grandes décisions à prendre avant de reprendre la mer.
- De grandes décisions ? S'enquit-elle en tremblant.
- Oui, de grandes et importantes décisions, confirma-t-il en gardant volontairement un épais voile de mystères.
L'esclave se mit à respirer très fort, les lèvres pincées comme si la peur s'emparait d'elle sans pouvoir y échapper.
Au lieu de la rassurer, Harak s'éloigna pour mieux disparaître hors de la maison.
Dehors, une foule l'attendait comme si chacun d'entre eux espérait qu'il soit porteur de bonnes nouvelles. Dans certains regards baissés, il y avait de la culpabilité, sans doute parce que certaines femmes éprouvaient des remords d'avoir été si injustes avec Freya.
- Comment se porte-t-elle ? Demanda Evander quand il le rejoignit.
- Elle est saine et sauve, dit-il en sondant la foule à la recherche du traître.
- À en juger ton regard, tu sembles soupçonner quelqu'un de trahison.
- En effet, car nos terres sont éloignées et masquées par cette impitoyable forêt tentaculaire. Ce qui me laisse penser qu'une personne a indiqué notre position.
- Une personne qui veut se débarrasser de Freya.
- Et qui a pris la fuite, acheva Svend derrière lui.
Harak n'eut pas besoin de plus d'informations pour connaître l'identité du traître.
- Holga pensait sans doute que tu n'allais pas fouler la mer pour une esclave, mais tu l'as fait, poursuivit Svend d'un air sérieux. Désormais elle est sans doute partie dans le camp ennemi. Dès lors qu'elle sera à ma portée, je me changerai d'elle.
La promesse solennelle de Svend ne parvint pas à calmer l'explosion de sa colère.
Holga n'avait pas seulement trahie les siens, elle avait traité avec l'ennemi pour supprimer Freya de la pire des façons.
- Il faut les attaquer ! Lança Olan en poussant son armée à approuver son dire.
- Et nous le feront, confirma le Jarl à ses hommes qui étaient pressés de se battre. Dans quelques jours nous prendrons la mer pour en finir avec Calister et ses hommes.
- Pourquoi pas maintenant ? Demanda l'un d'eux.
- Parce qu'ils attendent sans doute notre riposte. Il faut leur laisser croire que non. L'effet de surprise sera d'avantage gratifiant.
Son explication fut approuvée aussitôt et il poussa ses hommes à reprendre leur activité.
Harak s'éloigna du groupe en se passant une main dans sa barbe. Il était encore trempé, mais ne souffrait pas du froid tant des braises de fureur affluaient dans ses veines.
Il ne supportait pas l'idée qu'un autre homme ait pu vouloir la toucher. Il se maudissait d'avoir accepté ce qu'il s'était pourtant refusé de faire depuis qu'il la retenait captive dans sa maison.
Le viking partit en direction des bois pour avoir un peu de tranquillité afin de réfléchir. Il avait besoin d'être seul afin de pouvoir répondre aux questions qui ravageaient son esprit depuis des jours maintenant.
C'est seulement lorsque le soleil se mit à rougir d'une couleur vive qu'il se leva. Bientôt la nuit tomberait sur le village et il se rendit compte que ses réflexions avaient duré de longues heures.
Il rentra dans sa demeure et la trouva debout près du feu, enveloppée dans une cape de laine, ses longs cheveux retombant contre sa hanche gauche.
Harak aurait pu à cet instant se conduire comme animal primitif mais repoussa ses pulsions de mâle qu'elle provoquait sans s'en rendre réellement compte.
De l'appréhension se lut dans ses prunelles parce qu'elle demeurait dans l'ignorance depuis des heures. Son instinct possessif se réveilla alors, tout comme le brûlant désir qui ne le quittait jamais en sa présence.
Evander avait raison et le simple fait de l'admettre lui arracha un grimace très sévère qui la fit reculer. Il traitait cette jeune femme plus comme une épouse qu'une esclave et cela n'avait aucun lien avec ses erreurs passées à son sujet.
La jeune villageoise lui procurait un bien fou même s'il se montrait sous un jour cruel. Savoir qu'elle était à lui le remplissait d'une sensation étrangement apaisante et pour un homme aussi casanier ayant toujours concentré ses objectifs sur la vengeance, Harak ne voulait pas que cela cesse. Au contraire il voulait explorer chaque aspect de cette jeune femme pour en tirer le meilleur remède.
Bien sûr Harak était conscient qu'elle le craignait et qu'à ses yeux il apparaissait comme un tortionnaire, une bête sauvage et imprévisible, même si elle l'avait choisi plutôt que Oslac.
- Vais-je mourir ?
Cette question n'arrangea en rien ses affaires, pensa le viking en la dévisageant alors qu'elle attendait sa sentence comme une condamnée à mort.
- Pour quelle raison devrais-je te tuer ? Demanda-t-il en s'approchant d'un pas lent.
- Parce que vous ne vouliez pas que je sorte de la maison et parce que j'ai désobéi en allant dans la forêt avec les enfants.
- En effet tu as désobéi, mais je ne t'ai pas sauvé pour te tuer froidement par la suite, jugea bon de dire Harak en la tenant désormais captive de sa vertigineuse hauteur.
Elle rejeta la tête en arrière pour atteindre ses yeux et il vit sa fine gorge déglutir.
- Dorénavant je ferais tout ce que vous voudrez pour me racheter. Je vous dois la vie, et ce par deux fois.
Elle faisait référence à la fièvre qui l'avait presque tué.
- Ma décision est prise, et je suis bien heureux de t'entendre dire ça.
Freya était en état d'alerte car elle essayait en vain de lire dans les yeux froid du viking.
Quelle décision avait-il pris ?
Elle ne savait pas encore laquelle, mais le viking semblait impatient de lui annoncer...