- Bon, on répète une dernière fois. Angelo, tu prends par l'est avec ton équipe...
Je ne pensais pas que Mattias mettrait ses menaces à exécution. Il s'est allié à un clan rival et a brisé le pacte précaire de non-agression entre nos deux clans. Traduction : c'est la guerre. Comme aux échecs, le but est de faire tomber l'autre en minimisant ses pertes. Le principe est le même. A part le fait qu'à « game over » tout s'arrête. C'est la prison ou une balle dans la tête. Donc tout le monde prend le « jeu » très au sérieux. Surtout Gabi et moi car nous commandons notre clan et la moindre erreur pourrait entraîner des dommages et des pertes très lourdes voire fatales. Cette nuit, on prévoit une tentative d'attaque contre un de nos hangars en périphérie de la ville. Les hangars ne servent pas de bâtiments de stockage. Nous les utilisons comme couverture pour nos hackers. Et qui dit hacker dit forcément données informatiques et informations compromettantes. Gabriel et Angelo sont parfaitement préparés à ce genre de situations. Moi... eh bien je n'ai jamais visé quelqu'un de toute ma vie. Il le faudra bien pourtant si je veux revenir vivante. Gabriel m'a prise dans son équipe mais je me doute bien que ce ne sera pas toujours le cas.
- Ok, tout le monde à bien compris ?
Les chefs de groupe hochent la tête simultanément.
- Parfait, annonce Gabriel, allez tous vous préparer. On décolle à minuit moins dix.
J'ai à peine le temps de cligner des yeux qu'il n'a déjà plus personne autour de la table. J'observe le plan de la ville avec attention. L'entreprise est plus que risquée mais d'après Angelo, plus le plan est bancal, plus il a de chances de réussir. Gabriel m'attrape par la taille et me chatouille.
- Arrête, dis-je entre deux éclats de rire, Gabi, steuplé !
Je me blottis contre lui. J'ai peur.
- Ne t'inquiète pas Mia. Tout va bien se passer.
- Si tu en étais aussi sûr tu n'aurais pas épuisé l'alphabet pour nommer tes plans de repli.
- Il faut toujours avoir un plan B.
- Sauf que là, tu as prévu tellement de situations catastrophe que tes plans vont jusqu'à Z.
Il éclate de rire. Je fais mine de bouder mais ses caresses me font céder très rapidement.
- Tout ira bien. Fais-moi confiance Mia.
Il vaudrait mieux que tout se passe bien, sinon, moi, je fais mes valises quitte à retourner chez papa-maman la queue entre les pattes.
+++
Je m'habille rapidement pour cette nuit : un pantalon et un T-shirt noirs sans oublier ma ceinture et mon brassard, auxquels j'ai ajouté des nanorobots pouvant servir de mouchards. J'enfile aussi une petite doudoune sans manches. On est peut-être en été mais les nuits sont quand même fraîches. Je m'attache les cheveux et inspecte ma tenue. Digne d'un commando d'élite ! Gabriel entre à cet instant et me regarde, ébahis.
- Quoi ?
- Rien... tu...
Je souris et lui saute dans les bras. Il m'embrasse tendrement avant de finir sa phrase :
- Tu es magnifique.
+++
Le camion rebondis sur la route et je manque de me cogner à la paroi. Une trentaine de mercenaires sont assis dans le véhicule. Ils sont tous armés d'un fusil d'assaut. Angelo, Gabriel et moi sommes les seuls à ne pas en avoir. Je croise les bras en serrant le manche de mon couteau préféré, celui dont les gravures représentent mon saule pleureur. Dans dix minutes, je serais plongée au cœur de l'action. Le camion s'arrête et l'équipe d'Angelo descend en silence avant de courir se mettre en place.
- Courage petite sœur.
Angelo rejoint son équipe et active son talkie-wookie. Le camion continue sa route et nous dépose, Gabi, moi et notre équipe, quelques mètres plus loin au sud.
+++
Ça fait une heure que nous patientons. Pas un signe de Mattias ni au nord, ni au sud, ni à l'est, ni à l'ouest, ni nulle part. Les mercenaires sont toujours en position. Moi, j'aiguise un de mes couteaux, confortablement installée contre un rocher. Soudain, un grésillement dans mon talkie-wookie me fait sursauter.
- Angelo à équipe Alpha, vous me recevez ?
- Cinq sur cinq Angelo, répond Gabriel, tu as repéré Mattias ?
- Je ne sais pas s'il est là mais y'a un commando qui arrive par le bas.
J'attrape les jumelles que me tend un mercenaire et observe l'endroit signalé par Angelo.
- Y'a une dizaine de mercenaire qui approchent, murmurais-je, on dirait qu'ils vont forcer la serrure de sécurité du hangar.
- Alors on y va, lance Gabriel, Angelo, Dex, Quentin, on descend. Terminé.
Tout le monde dévale silencieusement la pente. Au signal de Gabriel, la moitié des mercenaires de notre équipe se place en embuscade derrière des rochers au cas où Mattias tenterait de s'enfuir. Le reste de notre équipe rejoins l'intérieur du hangar par une entrée secrète et les quatre équipes se mêlent pour n'en former plus qu'une. Dans un silence religieux, nous attendons tous l'arrivée des mercenaires du clan adverse. Quelques secondes plus tard, un bruit de métal se fait entendre et la porte coulissante du hangar s'ouvre en grand. C'est le signal du départ. Entre les cris et les coups de feu, j'attrape un de mes poignards explosifs et retire la sécurité. Je compte jusqu'à trois, me lève vivement et lance mon couteau en plein milieu du commando adverse. Je me remets à l'abris en hurlant aux miens de se baisser et active le détonateur. Mon « paquet-surprise » à mis la pagaille chez nos adversaires et nos hommes en profitent pour gagner du terrain. Mais soudain, quelqu'un hurle « grenade » et un objet ovale et vert explose en vol, illuminant la scène un court instant. Des coups de feu retentissent mais ce ne sont pas les nôtres.
- Mia, hurle Gabriel, les données. Vite !
Je suis bien contente d'avoir voulu un couteau-USB. J'attrape mon poignard, appuie sur un bouton caché sur le manche et le branche sur le port USB d'une unité centrale. Je pianote sur la commande de mon poignard et utilise les codes que m'a donné Gabriel. Je lui fais signe pour lui annoncer le temps que prendra le téléchargement : ils doivent tenir au moins trois minutes. Et croyez-moi sur parole, quand on se fait charcuter, trois minutes c'est long. Je fais signe à Angelo de me rejoindre et lui tends le petit écran qui affiche le stade du téléchargement.
- Veille là-dessus pour moi, tu veux.
- Mia, dit-il en m'attrapant par le bras, qu'est-ce que tu fais ?
- Je vous file un coup de main.
Je me dégage et me faufile entre les tables renversées et les corps inertes que je m'efforce de ne pas regarder. J'arrive tout près du camp ennemi. Je me cache derrière une caisse et repère Mattias. Il est au milieu de ses hommes, bien protégé. Ils sont cinq en tout, je pense que c'est jouable. Je tire deux de mes poignards : celui que j'ai dans le dos et celui rangé à mon bras. Avec un couteau dans chaque main, ça devrait équilibrer les forces. Je fonce tout droit sur Mattias. Mais au lieu de lui sauter dessus comme il doit s'y attendre, je me laisse glisser au sol et tranche les tendons de deux de ses gardes. Ces derniers s'écroulent en hurlant. Ça doit faire mal. Je cours en cercle autour des trois encore debout pour éviter qu'une de leurs balles ne me touche. Mon camp a arrêté de tirer et tous m'observent, sidérés. L'avantage des couteaux, c'est qu'on n'a pas besoin de recharger. J'attends donc que mes adversaires tombent à cours de munitions et en profite pour répéter la manœuvre de tout à l'heure. Les deux gardes tombent à côté de leurs camarades et je me retrouve face à Mattias.
- On a un petit compte à régler toi et moi.
Mattias laisse tomber son arme et attrape un couteau. Zut, je ne l'avais pas vu venir celle-là. Je reste inexpressive à la vue de son poignard, comme si je m'y attendais. Je me mets en garde, un couteau au niveau du visage et l'autre en dessous, pour protéger mon ventre. Mattias passe à l'attaque en premier et je croise mes lames pour stopper la sienne. Je lui donne un coup de pied dans le tibia et en profite pour le frapper à la tête. Il tente une attaque circulaire mais je me baisse juste à temps et lui fauche les jambes. Dès qu'il est à terre, j'active la fonctionnalité d'un de mes poignard et plante une aiguille dans son bras. Le sédatif se répand dans son corps avant même qu'il ait pu faire quoi que ce soit.
Mattias
J'ouvre péniblement les yeux. Je suis menotté à une chaise et je tente de briser mes liens tandis que les évènements me reviennent peu à peu en mémoire. Cette garce m'a pris par surprise. Il est hors de question que je reste moisir ici pendant qu'elle fête sa petite victoire.
- Tiens, tiens, tiens... On dirait que notre invité s'est réveillé.
Je lève la tête et tombe nez à nez avec Gabriel. Mia est derrière lui, appuyée contre une table en fer. Elle joue avec son couteau et je ne peux m'empêcher de la trouver belle. Je ne vois même pas le coup arriver. Gabriel m'a frappé à la mâchoire et il à l'air vraiment en colère.
- Je t'interdis de la regarder c'est clair, ni même de prononcer son nom.
Je relève la tête et offre à mon « frère » un sourire provocateur.
- J'adorerais voir l'effet que ça lui ferait de se retrouver avec un de ses jouets sous la gorge...
Je la vois se raidir et empoigner fermement son couteau.
C'est ça, mord à l'hameçon princesse.
Elle s'approche lentement et place le couteau sous ma gorge.
- En fait, murmure-t-elle, tu es censé le savoir...
Qu'est-ce qu'elle raconte cette garce ?
- Tu ne te rappelles pas ? Quel dommage, je pensais que Kyle t'avait raconté...
Ah ! D'accord, j'ai compris.
- Dis-moi, si je te fais un cadeau, ça te va ?
Elle en serait presque effrayante. Mais je la connais, je sais qu'elle ne me tuera pas. Elle n'en est pas capable.
- Oh je sais ce que tu penses, dit-elle, « elle ne me fera pas de mal », « ce n'est qu'une petite chose sans défense » ...
Elle appuie sa lame un peu plus fort sur mon cou et je sens un liquide chaud s'échapper de ma gorge.
- Eh bien dis-toi une chose...
Elle va me dire que je me trompe dans 3,2,1...
- Tu as raison.
Hein ? Pardon ?
- Et oui Mattias.
Elle a un rire léger qui résonne dans la pièce.
- Je ne peux pas te faire de mal parce que ce n'est pas à moi de le faire. Je t'ai déjà battu une fois donc je ne suis pas sans défense et, de ce fait, j'ai réglé mes comptes avec toi. Salut !
Elle sort de la pièce en agitant la main. J'ai l'impression de voir un ange.
Mia
J'agite la main en sortant et referme doucement la porte derrière moi. Puis, sans prévenir, je m'effondre au sol, retenue de justesse par Angelo qui m'attendait. Je me mets à trembler très fort et jette le poignard que j'ai dans la main, celui qui m'a servi à menacer Mattias. Je ne veux plus de ce couteau. Il atterrit au sol avec un bruit chantant et je m'évanouis pour de bon en entendant des hurlements dans la pièce d'à côté.
+++
Gabriel est à côté de moi. Il fait nuit et j'ai très froid malgré sa présence. Il ne devait dormir que d'un œil car je sens ses bras puissants m'entourer et me serrer avec force. Je m'abandonne à ses caresses en essayant d'oublier Mattias. Sans succès.
- Est-ce que...
- Il est vivant Mia. Sonné mais vivant.
- Qu'est-ce qu'on va faire de lui.
- J'en sais rien... on pourrait l'envoyer en Autriche avec Kyle.
- On prend un risque en les réunissant.
- Non, il suffit de les mettre dans deux équipes différentes qui ne se croisent jamais.
- Ça existe ?
- Ouaip.
- Alors d'accord.
J'ai beau dire, tant que Mattias ne sera pas loin de moi, je ne serais pas tranquille.
- Je n'arrive pas à l'oublier.
Gabriel s'écarte un peu de moi en souriant.
- Je sais comment faire. Tu veux que je te montre ?
Il m'embrasse sans attendre ma réponse et ses caresses se font plus intenses. Je ferme les yeux en soupirant de bonheur. Je ne le savais pas encore, mais cette nuit serait la plus belle de toutes...