« Une nuit difficile »
Je me souviens de ce moment comme si c'était hier. En parcourant le couloir de ma maison, je cours me réfugier dans ma chambre et tente de bloquer la porte. J'ai beau y mettre toute ma force, je sais que cela ne sert à rien. Celle de mon père est bien plus supérieure à la mienne. Je l'entends arriver, alors je ferme les yeux et commence déjà à pleurer.
Il réussit à l'ouvrir, avec un bon coup de pied. Je saute dans mon lit, en ayant la trouille qu'il me donne le même. Les larmes dévalent mes joues. Je suis tétanisée et le supplie de ne rien me faire. En vain.
— Putain si j'avais su, j'aurai fait avorter ta mère !
Il tire la couette et continue d'hurler des choses horribles. J'ai seulement dix sept-ans, je ne mérite pas cela. Pourquoi n'ai-je pas une vie normale, comme Stella. Sa famille l'aime. La mienne ne m'aime pas. Mes parents sont horribles avec moi et mon frère, m'a abandonnée.
— Tu es la pire chose qu'il me soit arrivé avec ton frère ! Va sous la douche.
Le moment que je redoutais le plus arrive. Ma punition pour avoir eu un E au lycée. Je m'insère dans la baignoire à contre coeur, lorsque mon père règle le pommeau afin que l'eau soit la plus froide possible. Et les coups commencent. Je supplie ma mère de venir m'aider, mais rien... je suis seule.
— Livia ? Tout va bien... tu es à San Francisco.
Lorsque j'ouvre les paupières, mon visage est entre ses mains. Kai affiche une mine apeurée, mais il est rassuré quand il voit mes iris. Il essuie mes larmes et porte ses lèvres sur mon front, pour y déposer un baiser. Tandis que je remarque un verre de whisky sur la table basse, je me sens pitoyable. Je réalise vite que cela veut dire que Kai m'a vue faire un cauchemar. Si cela se trouve, j'ai crié dans la réalité.
Ma respiration n'arrive pas à se calmer. Je me vois encore dans la maison à Phoenix lorsque je ferme les yeux, à endurer cette punition. La préférée de mon père. Je me demande si mon frère l'a vécu. En tout cas jamais je ne l'ai entendu, mais je me rappelle que mes parents sont futés pour faire leurs coups en douce.
— Calme-toi d'accord ? Ici, personne ne va te faire de mal.
Kai essaie de me rassurer comme il peut. Il me touche, parle avec un ton calme et apaisant. Il est là pour moi. Je ne suis plus seule.
Mon corps se calme petit à petit, mais je n'arrive pas à chasser ces pensées qui me hantent. Mon ami qui était accroupi sur le sol, s'assied sur le canapé et pose ma tête sur ses cuisses. Je ne réalise pas vraiment l'intention de son geste, mais je sais qu'il me fait du bien. Sa présence m'est si réconfortante.
Avec ses doigts, il masse mon crâne et je parviens à penser à autre chose grâce à lui. Mes larmes cessent aussi.
— Tu ne dors jamais, parce que tu as peur de faire des cauchemars, toi aussi ?
Ma question n'a pas pour but de le mettre mal à l'aise, mais de me rassurer. J'ai besoin de savoir que je ne suis pas la seule, à avoir peur de dormir. C'est le seul moment où je revis les pires phases de ma vie. J'appréhende de plus en plus d'aller me coucher.
Kai hoche la tête positivement, tout en me fixant du regard. Ses yeux sont brillants, alors je regrette aussitôt ma question. Cet homme me fait tellement peine. Il est habité par des démons, et le garde pour lui. Il est fort. Kai ne mérite sûrement pas tout ce qui lui est arrivé.
— Je fais toujours tout, pour repousser le moment d'aller au lit.
Sa voix est douce. Il n'a pas mal pris ma question, non, il m'a comprise. Et je suis aussi fière de lui, car il a fait un pas vers moi. Il se confie et cela me fait chaud au coeur. Kai est véritablement une bonne personne, j'en suis convaincue depuis le premier jour.
— Est-ce que tu peux rester jusqu'à ce que je m'endorme à nouveau ?
Il acquiesce à nouveau la tête, et me confirme sa présence. Dans mon esprit, je le remercie une dizaine de fois. Avec lui, j'ai la sensation que rien ne peut m'arriver. Alors je me dis, que je ne vais sûrement pas refaire un cauchemar, si je m'endors apaisée.
Je l'observe, en train de chercher ses mots. Qu'est-ce qu'il est beau quand il fait cela... Ses lèvres sont entrouvertes, tandis que sa langue est plaquée à l'intérieur contre sa joue droite. Il veut me poser une question, je le vois bien.
— Tu penses que c'est à cause de la visite de ton ex, ton cauchemar ?
— Sûrement...
Avec son pouce, il parcourt ma joue. Punaise, je voudrais qu'il reste auprès de moi, tous les jours. Il doit sûrement penser que ce qu'il fait n'est pas grand chose, mais c'est tout le contraire de mon côté.
— Il ne reviendra plus dans ta vie Livia.
Sa conviction me pousse à penser qu'il a raison. Je l'espère en tout cas. Ayant envie de lui parler, puisque nous sommes que tous les deux pour une fois, je lui pose une question.
— Tu veux me parler de tes cauchemars à toi ?
— Je n'ai pas grand chose à dire. Je revois des moments de mon passé, qui ont été douloureux pour moi. Ils rendent mes nuits particulièrement dures, et courtes...
Je laisse un moment de silence volontairement, avant de lui rappeler que s'il a envie, je suis là. Je me dois d'être aussi présente pour lui, comme il l'a été aujourd'hui. Même s'il tente de temps en temps, de ne pas s'approcher trop près de moi, je suis convaincue que nous avons besoin tous les deux l'un de l'autre.
N'ayant pas envie de replonger mon frère dans ses mauvais souvenirs, je n'ose pas lui parler de mes cauchemars et de mes pensées sombres. Zack quant à lui, me change les idées en me faisant rire et jamais nous n'avons eu de conversation sérieuse. Il doit en être capable, mais je n'ose pas non plus débuter le sujet. Je ne saurais pas comment m'y prendre.
Tandis qu'avec Kai, c'est simple. Je n'ai aucune crainte, je me libère de mes pensées sans retenue. Alors, je veux que lui aussi me parle, s'il en a l'envie.
— Si tu en ressens le besoin, je suis là pour t'écouter.
— Je ne sais pas trop...
Je ne prends pas mal sa réponse, puisque je me contente déjà qu'il ne m'ait pas répondu non. Il n'est pas contre l'idée, alors je vais lui laisser du temps.
En plongeant mes yeux dans les siens, j'ai fortement envie de l'embrasser. Ses cheveux lui tombent encore plus sur le visage, étant donné qu'il penche la tête en avant pour me regarder. Et lorsque j'aperçois une fossette, je fond encore plus. J'arrive à dissimuler mon envie de lui, mais je ne sais pas pour combien de temps encore.
Alors, je fuis. Je change de sujet.
— Tu sais si mon frère, fait lui aussi des cauchemars ?
— Au début, quand on ne dormait qu'à deux dans mon studio, je l'ai surpris à faire des cauchemars, oui. Mais depuis qu'on a emménagé ici, je ne l'ai pas surpris à nouveau. Je suppose qu'il va mieux.
— Hm, j'espère...
Savoir que mon frère n'en fait plus, peut véritablement m'aider. Si c'est le cas, cela veut dire que moi aussi, je peux guérir. J'en ai tellement envie, que je vais tout faire pour. Discuter avec Kai, m'aide en tout cas. Il m'intéresse tellement, que je pourrais échanger avec lui toute la nuit. Il me distrait.
— Et tu dis que vous avez vécu qu'à deux pendant un moment ?
— Oui. Zack et moi étions des amis, mais avant l'arrivée de Logan nous n'avions jamais pensé à faire une colocation. Depuis quatre ans, nous vivons ici tous les trois.
En hochant la tête, j'admire le sourire que Kai me porte. Puis je glisse la couverture plus haut, jusqu'à ce que mon cou soit entièrement couvert. Lorsque mes yeux se ferment, il reprend la parole avec une voix encore plus douce. Cette voix, merde.
— Tu devrais dormir, il n'est que quatre heure...
— Tu restes avec moi, hein ?
Tandis que mes paupières sont toujours fermées, j'espère que Kai reste un peu plus longtemps à mes côtés. En plus, ma tête est bien installée sur ses jambes. Je n'ai pas envie, qu'il puisse me fuir encore une fois.
— Promis, jusqu'à ce que tu t'endormes. J'aimerai rester plus longtemps mais...
— Je comprends.
Les yeux encore clos, je dépose ma main sur la sienne, qui se trouve désormais sur mon épaule. Je le sentais parcourir mes tatouages du bout de ses doigts, et maintenant j'imagine qu'il continue avec son regard. Ce contact me donne des papillons dans le ventre. Jamais je me lasserai de cette sensation qui m'était inconnue avant lui.
Je m'endors apaisée, en quelques instants grâce à Kai.