16 janvier 2020.
« J'arrive, cinq minutes ! Crie le pilote à l'attention de ses frères qui l'attendent impatiemment pour débuter une partie de jeu de société. »
D'habitude, il leur consacre tout son temps lorsqu'il regagne la maison familiale. Chacun prend la peine de se trouver à Rouen pour arrêter le temps et profiter d'être réunis. Mais Pierre fixe la deuxième enveloppe qu'il tient dans ses mains. Il ne peut pas attendre plus pour lire la suite des péripéties de la brune.
Pourtant, il redoute ce que contient ce courrier et mille scenari se forment dans son esprit. Est-ce qu'elle a réussi ? Est-ce qu'elle a laissé tomber ? Est-ce qu'elle s'est aperçue qu'elle n'avait finalement pas besoin de lui dans sa vie ? Qu'il était loin d'être une aide mais qu'il représentait en réalité un frein à la réalisation de ses rêves ?
Pierre prend une profonde inspiration. Et il ouvre la deuxième lettre qui lui est adressée. Il trouve qu'il y a quelque chose de magnifique dans cette manière de communiquer qu'elle a adoptée. Elle permet de choisir ses mots avec attention, de se laisser le temps de la réflexion. Elle octroie l'espace dont ils ont besoin et elle les oblige à se montrer patients.
Le pilote est prêt à se laisser emporter par les mots de Asha, à être transporté dans son univers et à ressentir l'ampleur de ses émotions. Elle lui fait ce cadeau de lui ouvrir une fenêtre sur son monde et cela renforce leur connexion grandissante.
Avec un sourire sur les lèvres, il se plonge dans les lignes régulières et soignées tout en résistant à l'envie de boire les mots d'une traite, en diagonal, pour en connaître directement la chute.
Cher Pierre,
Si cette lettre te parvient, sache qu'une première t'a déjà été envoyée. Si elle n'a pas trouvé son chemin jusqu'à toi, voici quelques mots pour la résumer brièvement.
J'ai connu un échec que j'ai réussi à voir comme une victoire. Et j'ai coché deux points de ta liste de souhaits. C'est loin d'être une course à qui en réalisera le plus, je pense que tu l'emporterais, et de loin. Aussi, j'espère que tu prendras autant de plaisir à les vivre que je l'ai fait.
Après ma nouvelle crise au milieu de cet aéroport, et bien que j'ai réussi à reprendre le dessus, j'ai eu besoin de calme et de stabilité. J'ai trouvé refuge dans la cuisine et je suis quelque peu sortie de ma routine en préparant des plats qui me faisaient rêver mais que je n'ai jamais osé tenter. Je mentionnerai mes recettes préférées à la fin de cette lettre. Peut-être que cela pourra te donner des idées pour le point numéro trois « Cuisiner pendant une semaine. »
Pierre sourit face à cette attention. Il espère pouvoir s'en inspirer et enfin réussir cette mission qu'il entreprend de nouveau chaque semaine mais qu'il ne parvient pas à achever.
Cette petite pause m'a fait un bien fou. Me concentrer sur les gestes précis de mes mains. Écouter mes playlists de musique classique. Me risquer à quelques morceaux de rap...
Le normand sourit de plus belle. Elle semble se souvenir de chacun des moments qu'ils ont partagés. Elle a noté chacun de ses mots dans un coin de sa tête. Il se sent spécial, particulier.
Et puis, ce moment d'introspection m'a permis de me demander comment j'allais me relever de mon échec et cette fois, transformer l'essai. Je t'avais dit que nos listes étaient très différentes. J'ai en fait trouvé un point commun. J'ai réalisé que mon souhait de ne rien planifier pendant une journée, et ton envie de partir marcher une journée sans savoir où aller, jusqu'à ce que le soleil soit couché, se complétaient parfaitement.
Alors, j'ai décidé de me lancer. Hier matin, j'ai traversé cette frontière qui me semblait jusqu'il y a peu infranchissable et je suis partie avec la ferme intention de me laisser guider par les surprises que me réservaient les sentiers. Et ça a été beaucoup plus facile à gérer. Peut-être que ce n'est pas totalement une victoire parce que je me suis retrouvée seule avec la nature, sans la foule oppressante de l'aéroport pour réveiller mes angoisses.
Mais j'ai apprécié chacun des paysages qui a défilé devant mes yeux. Des images à couper le souffle. Les vastes étendues verdoyantes des Landes s'étendant à perte de vue avec leurs pins majestueux qui se balancent au gré du vent. Les rayons du soleil caressaient doucement ma peau, réchauffant mon cœur d'une chaleur bienvenue, un sentiment que je n'ai jamais expérimenté.
Au fur et à mesure de ma marche, je me suis aventurée dans des chemins de campagne bordés de champs de blé doré qui dansaient harmonieusement au rythme du vent. Les fleurs sauvages colorées égayaient le paysage et embaumaient l'air d'un parfum enivrant. Les oiseaux chantaient une joyeuse mélodie, comme s'ils célébraient ma décision de me libérer des contraintes et de me laisser porter par le flot de l'inconnu.
Puis, au détour d'un chemin, je suis tombée sur cette falaise. Mon cœur a fait un bond dans ma poitrine et une vague d'appréhension m'a envahie. Je me suis approchée du bord pour regarder en contrebas. Je te mentirais si je te disais que le vertige ne s'était pas emparé de moi, tout comme la première fois. Les vagues de l'océan s'écrasaient contre les rochers quelques mètres plus bas avec un mouvement fascinant.
La hauteur semblait me défier, m'invitant à conquérir mes peurs les plus profondes. J'ai hésité un instant, les jambes tremblantes, me demandant si j'étais prête à franchir ce pas. C'était le retour de mes doutes et de mes incertitudes. Elles m'ont assaillie en remettant en question ma décision de me laisser aller à l'imprévu.
Alors, je me suis contentée de fermer les yeux. Et ce ne sont pas mes peurs que j'ai ressenties. Mais bien le vent, qui fouettait mon visage. Le soleil, qui réchauffait ma peau. Le bruit des vagues, qui se brisaient contre la pierre. Celui de la brise qui s'infiltraient entre les épines. Et le gazouillement des oiseaux. L'odeur de l'iode qui infiltrait mes narines. Et ce sentiment de liberté qui m'envahissait toute entière.
Dans cette hésitation, j'ai finalement puisé ma force. J'ai réalisé que c'était précisément dans ces moments-là que je devais trouver le courage nécessaire pour me surpasser.
Et sans y réfléchir plus longtemps, je me suis décidée. J'ai ôté mon sac à dos et mes vêtements et j'ai pris mon élan. Mon cœur battait à tout rompre.
Et j'ai plongé dans le vide.
Une multitude d'émotions m'a envahie. Je ne suis pas certaine de pouvoir toutes les décrire. Bien sûr, il y a cette peur familière qui s'est infiltrée dans chacune des fibres de mon être. Mais je crois avoir enfin réussi à la dompter. En tout cas, je peux dire que l'excitation immense l'a surpassée. Rien d'autre ne me préoccupait plus que cette idée de vivre pleinement l'instant présent.
L'air sifflait à mes oreilles alors que je fendais l'air, mon corps en chute libre. Cette énergie nouvelle m'a traversée et a chassé toutes ces contraintes qui m'ont retenue prisonnière pendant si longtemps. C'était d'une intensité indescriptible, un véritable saut vers la liberté, la plénitude et la confiance.
Puis, le moment tant redouté est arrivé. Mon corps a heurté l'eau avec une force incroyable. J'ai brisé la surface et une vague des sentiments contradictoires a afflué dans mon esprit. Bien sûr, cette brève sensation de douleur lors de l'impact. Cette fraîcheur qui s'est insinuée le long de ma colonne vertébrale pour caresser chaque parcelle de ma peau. Mais aussi cette délivrance inattendue.
Et puis l'eau m'a enveloppée, m'emportant dans un tourbillon intense mais terriblement apaisant et familier. Les sons de l'extérieur se sont estompés, ouvrant un monde rassurant et silencieux. Je pouvais entendre le battement régulier de mon propre cœur. Les mouvements de mes membres étaient amplifiés et fluides, m'offrant une sensation de légèreté et de liberté que je ne retrouve nul part ailleurs.
J'ai renoué avec cette paix profonde à laquelle je n'avais le droit que lorsque je m'enfonçais sous la surface de l'eau. Ce moment où tu as cru que je noyais me permettait en réalité de m'évader du quotidien dans lequel j'étais prisonnière. Et je me laissais porter par le rythme tranquille de la houle alors que la pression de l'eau sur ma peau me procurait une sensation d'ancrage et de connexion avec moi-même.
Lorsque mon corps a touché l'eau après le saut, toutes ces sensations que je connaissais déjà se sont intensifiées. J'ai ressenti une joie pure et une excitation inégalée. L'eau est plus que jamais devenue ce refuge où je peux être totalement moi-même, libre de toutes contraintes et inhibitions.
Et alors que le froid s'est emparé de chacun de mes membres, me contraignant à regagner la rive, j'ai senti une exaltation indescriptible. J'ai réalisé que j'avais surmonté mes doutes et mes peurs, que j'étais capable de me lancer dans l'inconnu et de faire face à l'adversité. Même en étant toute seule. Du moins physiquement. Parce qu'il faut que tu saches que tu seras toujours dans mes pensées.
Et Pierre, tu sais bien que ce saut n'était pas seulement physique, il était surtout symbolique. C'était une manière de laisser derrière moi mes craintes et mes doutes, de briser les chaînes du passé et d'embrasser l'inconnu avec audace. En cet instant de chute, j'ai ressenti une véritable renaissance, comme si je me libérais de tout ce qui me retenait.
Pourtant, s'il y a une chose que je retiendrais, c'est bien que ce saut m'a montrée que nous pouvons écrire des chapitres de nos histoires respectives ensemble, mais également quelques uns, chacun de notre côté. Cela ne diminue en rien cette connexion que nous avons créée.
Bien que j'ai sauté une première fois avec toi à mes côtés, et j'ai aussi décidé de sauter une première fois en étant toute seule.
Nous avons la possibilité de grandir individuellement tout en restant unis.
Alors, je veux te laisser l'espace dont tu as besoin. Et lorsque nous nous retrouvons, j'espère que nos rêves et nos désirs pourront se mêler pour créer une symphonie unique et merveilleuse. Parce que s'il y a bien une chose que je n'ai pas inscrite sur ma liste, c'est que pour réaliser tous mes souhaits, je crois que j'ai besoin d'un ami.
...
Deuxième lettre de Asha. Qu'est ce que vous pensez de cette évolution ? Et quelle va être la réaction de Pierre ?