6 décembre 2019.
Pierre la fixe toujours avec autant d'intensité. Il y a cette flamme qui brûle dans son regard et qui ne fait que déstabiliser la jeune femme. Elle a la sensation qu'il peut deviner toutes ses pensées. Et elle ne sait comment elle doit réagir alors que personne ne l'a jamais regardée ainsi. Elle ne sait interpréter les sentiments qu'elle voit se mêler dans ses iris bleutés. Alors elle se contente de ne pas bouger et de, dans ses yeux, se laisser happer.
Le normand sent ses prunelles transparentes le détailler et il n'ose pas les croiser de peur de ne plus résister. A la place, il se cramponne à la contemplation de ses lèvres rosées. Comme si cela pouvait plus l'aider. Mais elles ne font que l'appeler. Elles semblent si douces et il ne peut s'empêcher de se demander pourquoi personne n'y a jamais goûtées.
20. Embrasser quelqu'un.
Le dernier point qu'elle a couché sur le papier lui fend le cœur et ne fait que l'obséder maintenant qu'il l'a découvert. Il est attiré par la couleur de sa bouche qui est mise en valeur par le contraste avec sa peau pâle. Elle semble le narguer et il est pris par l'envie irrésistible de la caresser pour en dessiner les contours.
Pierre se surprend à avancer ses doigts vers son visage. Il jette un regard furtif sur ses yeux transparents où il peut lire un mélange d'incompréhension et d'appréhension. Il ne veut pas se montrer maladroit, alors il saisit simplement son menton pour se laisser un peu plus aller à sa contemplation.
Il sent le souffle court de Asha qui vient s'échouer sur son visage. Son esprit est entièrement captivé par les images imprimées sur sa rétine. Les fins mouvements de ses lèvres qui se plissent légèrement pour esquisser un sourire rassurant. Les fossettes qu'elles engendrent à leurs commissures. La fine peau que la jeune femme coince entre ses dents trahissant les doutes qui l'envahissent sur l'instant.
Le normand se laisse à penser que ces lèvres qui l'obsèdent doivent être délicieuses. Et il veut goûter à toute la douceur qu'elles promettent. Il tient toujours son menton entre ses mains et le contact de sa peau sous ses doigts ne fait que renforcer l'ivresse qui prend le contrôle de lui.
Il ne répond plus de rien quand il approche son visage du sien pour satisfaire son désir qui ne fait que s'amplifier dans chaque fibre de son corps, guidant chacun de ses mouvements. Un dernier coup d'œil vers ses yeux pour s'enquérir de son autorisation et voilà qu'il n'est plus qu'à quelques centimètres de l'objet qu'il convoite tant.
Il devine la fraîcheur de ses lèvres alors qu'il se contente de les frôler. Pierre veut prendre son temps. Apprécier chaque détail de ce moment. Il veut que tout soit parfait. Parce qu'on ne connaît qu'un seul premier baiser. Et il veut désespérément être à la hauteur des espérances que, il imagine, Asha a dû se forger. Pierre n'a jamais connu une telle nervosité. Même rouler à 300 km/h lui semble à cet instant plus simple en réalité.
Et puis, il décide de faire taire toutes ses pensées. Le feu brûle en lui. Il pressent le brasier qui va s'embraser dans son cœur et au creux de son ventre et chambouler tous ses sens dès lors que leurs bouches seront sellées.
Ses muscles se crispent.
Un vent frais glace sa nuque et court le long de sa colonne vertébrale.
Pierre est désorienté.
Asha vient d'éteindre cette passion qui ne faisait que le consumer.
Pierre a plongé. Il espérait flotter.
Mais Asha ne l'a pas aider. Et le voilà en train de se noyer.
Il a à peine eu le temps de combler cette distance qui ne faisait que le narguer que la brune s'est précipitamment reculée, en se libérant de ses mains qui ne l'avaient pas lâchée.
Son égo est blessé. Il n'ose même pas la regarder.
La brune a le cœur un peu plus brisé. Il est tellement déterminé à l'aider et elle ne fait que l'attrister. Elle aimerait qu'il lève la tête pour croiser ses yeux d'un bleu profond. Elle aimerait qu'il lui dise que ça va aller. Elle aimerait qu'il lui promette que ça ne va rien changer.
Mais il est assis dans l'herbe fraîche et il ne sait plus quoi penser.
« Pierre... souffle-t-elle maladroitement. Je... Je suis désolée. »
Le pilote ne réagit toujours pas alors elle se baisse pour s'installer à nouveau à ses côtés. Elle parvient à croiser son regard fracturé. Elle veut retrouver ses yeux pétillants de joie alors qu'il retrouvait confiance en lui, perché sur ce podium, porté par la liesse de la foule.
« Pierre... Je...
- Non, tranche-t-il, c'est de ma faute, je n'aurais pas dû. Je suis désolé. J'ai simplement cru que...
- Ne le sois pas. Enfin... Je... C'est... »
Elle déglutit. Elle se mord la lèvre inférieure cherchant une justification à lui donner. Asha plonge sa main dans sa poche où elle a glissé cette liste exprimant ses rêves qui ne tiennent que grâce à la détermination du normand. Elle déplie le papier et relit le vingtième point qu'elle y a inscrit.
« Tu l'as lu pas vrai ? Le dernier rêve ? »
Il croise son regard et il sait que ça ne sert plus à rien de se cacher. Il se contente d'acquiescer, le cœur meurtri à l'idée qu'il est encore une fois allé contre sa volonté et de la voir, par conséquent, à nouveau s'éloigner.
Mais elle n'en fait rien. Elle soupire puis tourne la tête vers lui pour le fixer.
« Ça doit te paraître ridicule, pas vrai ?
- Bien sûr que non, s'exclame-t-il en sortant de son mutisme, effaré que de telles angoisses puissent venir s'ajouter à ses doutes déjà bien trop grand.
- Est-ce... est-ce que tu as fait ça parce que... tu as eu pitié ?
- Quoi ? Mais bien sûr que non !
- Je ne veux pas réaliser les points de la liste pour simplement les rayer et passer au suivant. C'est important pour moi de bien faire les choses.
- Je sais, il attrape doucement sa main et entrelace leurs doigts pour la rassurer. Et je suis désolé si j'ai failli gâcher cette étape, murmure-t-il.
- Ne crois pas ça, réplique-t-elle déboussolée par le contact qu'exerce la pulpe de son pouce au creux de sa paume. J'ai simplement été surprise. Et je ne comprends pas pourquoi tu as fait ça.
- Parce que j'en avais envie, souffle Pierre en soutenant son regard qu'il n'a jamais trouvé aussi intense.
- Comme quand tu as embrassé Cléo ? »
Ses yeux sont écarquillés. Il a l'impression que son sang vient de quitter ses veines. Il ne comprend pas ce à quoi elle fait référence et il ne fait que renforcer son emprise autour des doigts de la brune.
« De quoi tu parles ? Elle grimace et il relâche la pression de peur de lui faire mal.
- Tu ne t'en souviens pas parce que tu as embrassé trop de filles cet été ? »
Il déglutit face au ton qu'elle emploie. Il n'est ni méchant, ni rempli d'une quelconque animosité. Elle veut juste la vérité.
Pourtant, Asha est déçue. Elle a eu raison de l'empêcher d'aller plus loin. C'est sûrement absurde de penser ainsi. Peut-être qu'elle est encore bloquée dans ces contes pour enfant qui constituent le seul repère dont elle a longuement disposé pour s'imaginer la réalité. Mais elle voulait que ce premier baiser compte autant pour elle que pour celui qui lui donnerait.
Pierre ne répond toujours pas et la brune ne pense qu'à clore ce sujet qui impose entre eux un silence devenu pesant.
« C'est Cléo qui me l'a dit, ajoute-t-elle. Mais ça ne me regarde pas, tu peux embrasser qui tu veux.
- C'est vrai, elle m'a embrassé, concède-t-il alors qu'il se remémore cette soirée passée sur la plage au cours de laquelle la jeune femme s'est livrée. Mais je l'ai repoussée. »
Un soupir s'échappe des lèvres d'Asha sans qu'elle ne puisse le retenir. Elle ne sait pas bien ce que ça veut dire mais le pilote décide de l'interpréter comme un soulagement.
« Pourquoi ? demande-t-elle doucement.
- Parce que je n'en avais tout simplement pas autant envie qu'elle. »
Il vient de balayer tous les doutes qui s'étaient insidieusement insinués dans son esprit.
« Et toi ? Pourquoi tu m'as repoussé ? Tente-t-il alors que ses lèvres s'étirent en un léger sourire.
- Je... comme je te l'ai dit, je ne veux pas me contenter de rayer mes rêves de la liste et de passer au suivant. Je veux savourer ces moments. Ce sont des étapes importantes pour moi.
- Je comprends. Et je suis rassuré de savoir que ce n'est pas parce que tu me trouves hideux. »
Le normand a recours à l'humour pour essayer de dédramatiser mais il voit dans les yeux de Asha qu'elle ne fait qu'interpréter ses paroles au premier degré.
« Pourquoi tu penserais ça ? Panique-t-elle alors que son innocence touche un peu plus son cœur de pilote.
- C'était une blague, la rassure-t-il. »
Elle bégaye et des sons incompréhensibles sortent de sa bouche. Ses joues ne font que s'empourprer un peu plus.
« Je suis désolée, souffle-t-elle.
- Tu n'as pas à t'excuser. »
Il lâche ses doigts seulement pour replacer une mèche brune derrière son oreille droite.
« Tu sais... Elle hésite et il l'encourage en posant ses yeux rassurants sur elle tandis que ses lèvres s'étirent en un chaleureux sourire. C'est nouveau tout ça pour moi. Je n'ai connu personne de mon âge à part... à part Cléo. Je n'ai jamais eu de... d'ami.
- Et tu accepterai d'être la mienne ?»
Elle pince ses lèvres avant d'acquiescer vigoureusement. Pierre jurerait que ses yeux sont embués par des larmes qui menacent de couler. Alors il s'approche un peu plus de la jeune femme en ouvrant ses bras. Il l'interroge du regard et alors qu'elle hoche la tête, il referme ses mains dans son dos et l'amène contre son torse pour sceller leur amitié et cette promesse de tout faire pour s'épauler.
« Alors, on commence par quoi ? souffle-t-il. »
Asha se détache à contre-cœur pour lui tendre la liste. Il contemple ses yeux qui reflètent tout l'espoir qu'il lui a insufflé. Il espère pouvoir continuer à se plonger dans ses iris brillants.
« Je te laisse choisir. »
...
Alors, à votre avis ? On vit quels points en premier ?