Petit chapitre du jour bonjour ~
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Les murs de leur habitation étaient recouverts d'objets en tout genre, pour la plupart, des objets de collections qui se faisaient autrefois sur Terre et ne se fabriquaient plus aujourd'hui. Yoongi observa avec fascination les dizaines de tirages numériques accrochés en désordre sur le béton. Il suivit son hôte au-delà de la pièce de vie principale pour passer derrière un rideau de fer entrouvert, secondé d'un voilage opaque qui dissimulait à la perfection le laboratoire technique qui se trouvait derrière.
— Ed, regarde qui je nous ramène !
La femme leva les yeux, suspendant ses outils le temps de reconnaître la tête familière qui passait la porte. Son regard s'arrondit de surprise et un grand sourire illumina son visage.
— Yoongi !
— Salut, Edell.
— Ça alors, quelle surprise !
Elle quitta sa place pour venir serrer le jeune homme dans ses bras.
— Installe-toi, installe-toi ! l'encouragea-t-elle en tirant une chaise à son attention.
— On aurait dû se douter que tu passerais par là, tu fais la une des médias ces dernières heures, commenta son mari.
— Ouais, tout ne s'est pas exactement passé comme je l'avais prévu, soupira Yoongi.
— Mets-nous à la page jeune homme, ça fait trois ans que le palier six n'a plus croisé ton visage, on était presque jaloux que tes beaux yeux soient révélés au public de l'entièreté de l'Ensemble Flottant ! plaisanta Edell.
— Je ne suis pas prêt de prendre goût à cette notoriété croyez-moi, répondit Yoongi en haussant les épaules. Et puis, ne nous faisons pas d'illusions, l'ambiance de ce quotidien luxueux n'est rien comparée à celle qui habite les rues du palier six.
Le couple sourit chaleureusement.
— Ça nous fait plaisir de te revoir Yoongi, sincèrement.
— Moi aussi, ce quartier m'avait manqué.
— Raconte-nous, où en es-tu ?
— Je suis en cavale. On espérait récupérer des indices, des preuves, le jour de la compétition, lorsque tous les yeux étaient rivés sur le circuit, ceux du Gouverneur compris. Mais le médaillé d'or s'est mis en tête de suivre Jimin jusqu'à notre point de ralliement. Le plan s'est cassé la gueule et maintenant nous sommes momentanément logés chez l'un de ses amis.
— Un ami du champion national ?! s'écria Issamuel.
— Oui...
— Mais il est au courant ? s'inquiéta sa compagne.
— Non. Du moins pas encore. Il nous a offert son aide pour cette nuit mais compte bien nous interroger demain.
— Tu connais ce gamin Yoongi ?
— Non... je n'aime pas non plus la tournure que prennent les événements, mais nous sommes dans l'urgence maintenant. Le convoi international repart dans quelques jours et nous devons absolument rester dans la Cité Profonde. À Asphalte nous sommes totalement innopérationnels.
— Tu n'as pas peur qu'il vous dénonce ?
Yoongi haussa les épaules.
— Il n'a pas l'air de ce genre-là, mais je n'ai aucune certitude. Et il n'est pas seul, son superviseur et celui qui nous loge sont aussi au courant de notre localisation. Son ami... je l'ai déjà croisé dans le palier six avant d'être envoyé à Asphalte.
Edell fronça les sourcils.
— Qui est-il ?
— Je n'ai pas son nom, simplement son prénom, Taehyung.
— Kim ? Taehyung Kim ? demanda Issamuel.
— Je ne sais pas, peut-être.
— Il est cartographe ?
— Oui, c'est lui ! Tu le connais ?
— Pas personnellement, mais j'ai déjà croisé ses cartes sur le marché noir, il est doué, rien ne l'arrête, il en connaît un rayon sur la Cité mais il est très discret. Son père venait souvent à ce niveau pour décompresser mais il s'est volatilisé.
Le regard de Yoongi s'arrondit de stupeur.
— Comment ça « volatilisé » ? Il a été arrêté ?! Ici dans le palier six ? Quand ça ?
L'homme s'apprêtait à lui répondre, mais Yoongi, transporté par cette nouvelle information, ne lui laissa pas le temps d'ouvrir la bouche.
— Est-ce qu'il avait des contacts avec les groupes anti-système ? Personne ne l'a vu avec la police ? Est-ce qu'il trainait dans le bar de Ness lui aussi ?!
— Je ne sais pas... tempéra Issamuel. Il a simplement cessé de venir du jour au lendemain. Certains disent l'avoir vu partir avec un groupe.
— Quel groupe ?! s'empressa de demander Yoongi les poings serrés.
— Ce sont des rumeurs Yoongi. D'autres disent qu'il s'est tué, d'autres encore racontent son changement d'identité. Ce sont des tas d'histoires qui circulent trop souvent dans ces rues pour pouvoir démêler le vrai du faux.
— S'il avait été arrêté, ça ne serait pas passé inaperçu... murmura le superviseur. Et il l'aurait été avec d'autres individus. Ça ne colle pas... Taehyung sait peut-être des choses s'il connaît si bien la cité !
— Interroge-toi sur son cercle de fréquentations, Yoongi. Ami d'un pilote renommé de Jetfly, fils d'un disparu, lui-même un fouineur de compétition, il doit connaître des gens pouvant potentiellement devenir tes alliés comme il peut en connaître d'autres capables de te porter préjudice. Sois prudent.
— Mmmh, on a tout de même un point commun...
— Vos pères disparus ? demanda Edell loin d'être convaincue.
— Disparu après avoir passé du temps dans le palier six ! insista le superviseur. Ce n'est certainement pas une coïncidence ! Il y a régulièrement des descentes pour arrêter des anti-système qui ouvrent un peu trop leur gueule.
— Mais c'était loin d'être le cas de ton père Yoongi, et encore moins celui du père de ce cartographe. Tu l'as dis toi-même, une arrestation dans le palier six ne passe jamais inaperçue. Celle de ton père et des quelques autres personnes avec lui ont fait le tour du palier comme une traînée de poudre à l'époque. S'il avait été arrêté, des gens l'auraient vu, et son fils serait au courant. Or, ce gamin à l'air de chercher son père depuis sa disparition.
— C'est suspect...
— Qu'en est-il des informations que tu as pu soutirer au fils du gouverneur ?
— Je ne lui ai rien soutiré, rectifia Yoongi. Nous travaillons ensemble. Il a entendu parler de cette affaire seulement lorsque je lui en ai touché un mot, il n'était pas au courant, il ne sait rien.
Issamuel plissa les yeux.
— Quelle est l'utilité de votre association dans ce cas ?
— Il est le fils du Gouverneur, il a accès à la tour gouvernementale, aux appartements de son père.
— Oui, enfin aux dernières nouvelles, fils ou pas fils du Gouverneur, il a été envoyé bien loin, à Asphalte, avec toi. Est-ce qu'il ne peut pas simplement demander du temps à son père dans sa ville d'origine ? Pourquoi faire de vous des fugitifs ?
Yoongi gigota sur sa chaise, mal à l'aise et conscient de ses propres erreurs.
— J'ai mal calculé mon coup il y a quatre ans. Je suis allé trop vite, j'ai tout voulu gérer moi-même et maintenant je suis dans le collimateur du Gouverneur. Il sait que je cherche des choses et il est loin d'être stupide, il a certainement deviné pourquoi je m'étais rapproché de Jimin. Il nous tient maintenant tous les deux à l'écart.
— Yoongi, tu es conscient que désormais, pour avoir accès à ces informations, il va vous falloir devenir des criminels ? Vous infiltrer dans la tour la plus sécurisée, vous cacher jour et nuit, échapper aux caméras omniprésentes, sans parler de sa milice. Comment imagines-tu faire ça tout seul ?
— Je ne suis pas seul... enfin, je cherche des alliés.
— Et tu penses à ce petit champion national et ses amis, je me trompe ? C'est marqué sur ton front, lui reprocha Edell.
— Ce « petit » champion a un niveau de Jetfly équivalent à celui de Jimin, un de ses amis connaît la cité mieux que la police elle-même et ils sont entourés d'une équipe avec beaucoup de potentiel ! Ils sont en contact avec des gens comme la PDG de Areum entreprises ou Hoseok Jung. Ce genre de personne pourrait nous apporter une aide inestimable ! Sans compter les habitants du palier six ! Ness, vous, et de nombreux autres qui savent ce qu'il se passe depuis des années !
Yoongi criait presque, porté par des espoirs qui faisaient briller ses yeux. Il s'était levé sans même s'en rendre compte et clamait ses aspirations dans ce petit atelier insignifiant plongé au cœur du palier le moins illuminé de tout l'Ensemble Flottant.
Edell posa une main sur son épaule.
— Yoongi... calme-toi. Je ne veux pas que tu sois blessé encore une fois. Ouvre les yeux, tant de gens sont au courant autour de nous, tant d'entre eux pourraient parler, crier, se rassembler dans les rues, mais qui le fait ? Qui a déjà osé le faire ? Tu penses réellement que ces gamins voudront abandonner leur vie idéale et sans contrainte, tout plaquer pour mener une quête qui pourrait tout leur coûter ? Tu penses que AREUM-Entreprises risquerait son empire technologique pour prendre part à des revendications sans preuve, sans voix, sans solution, plus proche de la spéculation que d'une réalité ?
Le jeune homme plongea un regard profondément blessé dans celui d'Edell.
— Alors comme tous ces gens à qui on a arraché un proche sans explication, je ferais mieux de me taire ? Je ferais mieux de me terrer dans ce quartier où on ne fait que cracher sur le système sans jamais essayer d'en changer un iota ? Je ferais mieux d'omettre ce que j'ai vu de mes propres yeux ?
— C'est peut-être mieux ainsi, Yoongi... C'est peut-être mieux que de te retrouver dans ce train, dans lequel ton père est parti sans jamais revenir.
Les entrailles de Yoongi se contractèrent douloureusement.
La phrase était de trop, Edell s'en rendit compte.
— Je suis venu chercher du matériel de prise de vue, détourna-t-il d'une voix redevenue glaciale.
Les hôtes s'adressèrent un regard chagriné mais connaissaient assez bien Yoongi pour savoir que leurs paroles ne suffiraient pas à l'arrêter. La plaie était encore béante, le ressentiment guidait encore chacun de ses faits et gestes, son esprit, ses idées. Cette émotion seule le tenait debout aujourd'hui.
— Nombreux seraient ceux qui accepteraient de s'allier à ta cause si seulement ils sentaient que tu avais assez de pouvoir, de voix, d'autorité pour renverser un Gouverneur. Nous les premiers. Mais pour le moment, nous ne visualisons qu'une résolution funeste à toute cette histoire et une bonne raison pour le gouvernement de mettre à feu et à sang le palier six.
Yoongi frappa violemment la table du plat de sa main et lança à Edell un regard courroucé. Instinctivement, Issamuel se rapprocha d'elle.
— Cette discussion est close, imposa le superviseur. J'ai besoin de matériel.
Le couple abandonna et ils lui donnèrent ce dont il avait besoin.
Les retrouvailles n'avaient pas été ce qu'ils espéraient.
Toutefois, avant que Yoongi ne quitte leur habitation, Edell lui attrapa prudemment le bras.
— Yoongi, nous pouvons te loger ici si tu n'as nulle part où aller, si tu es en danger, si tu veux simplement parler. Et ton associé aussi est le bienvenu. Nous avons promis à ton père de veiller sur toi.
Le jeune homme hocha la tête, touché. Malgré la colère qui coulait encore dans ses veines, il les serra dans ses bras.
— Merci...
Il avait passé plus d'une heure chez eux et la nuit était déjà bien avancée. Équipé de tout ce qu'il était venu chercher, il retrouva son point de départ avec l'aide d'un autre passeur et retourna au bar où l'attendait son verre d'Odia précieusement conservé. Les lieux s'étaient remplis à mesure que la nuit défilait et l'activité battait son plein. Yoongi rattrapa Ness au comptoir. Elle lui fit un clin d'œil avant de sortir son verre intouché.
— Comme prévu, le voilà qui t'attendait avec impatience !
À l'autre angle du bar, il croisa le regard du vieillard qui lui avait vendu les pièces détachées. À ses côtés étaient attablées tout un tas de personnes familières dont il se rapprocha, accueilli dans une tonitruante célébration de son retour.
Arrosé de boissons alcoolisées aux diverses robes colorées et accompagné d'une musique beaucoup trop forte que chacun essayait de couvrir de sa voix, Yoongi retrouva le sourire parmi des visages qu'il n'avait pas vu pendant trois ans. Le sujet principal des conversations était naturellement sa spectaculaire disparition en pleine compétition et les nombreuses moqueries sur la milice qui cherchait une aiguille dans une botte de foin. Sans oublier le sujet plus conflictuel de son association avec un fils de gouverneur. Certains savaient, d'autres pas, certains comprenaient, d'autres étaient trop ignorants pour saisir l'importance de cette coalition.
Yoongi restait vague dans chaque explication donnée, parce que, comme l'avaient justement dit Edell et Issamuel, il n'avait rien de concret dans les mains pour rallier toute cette joyeuse tablée à son opération. Malgré les mystères habituels qui caractérisaient tant l'orphelin, la majorité des buveurs assis à ses côtés lui proposèrent de le loger ou de le cacher. Il refusa à contre coeur, mais le Gouverneur le savait habitué du palier six et il était plus prudent pour le moment de loger chez un parfait inconnu des médias et du public, au beau milieu de la cité, dans un appartement insoupçonné.
Il savait qu'ici, dans les profondeurs de la Cité, la quasi absence de la police arrangeait le plus grand monde et aucun citoyen du quartier ne prendrait la peine de le dénoncer, au risque de provoquer une descente qui, comme chacun le savait, servirait de prétexte pour arrêter quelques autres individus.
Yoongi profita pleinement de cette nuit festive, s'autorisant à oublier quelques heures le contexte de son retour sur le territoire.
*****
Ce n'est que très tôt dans la matinée, alors que le soleil commençait à peine à déployer ses rayons que Yoongi quitta l'obscurité des profondeurs pour regagner l'appartement. Dépouillé de sa nuit et se sachant plus vulnérable de jour, il avait prévu de rattraper son sommeil une bonne partie de la journée.
Il jeta mollement le contenu de son sac sur le sol de l'entrée et se glissa habillé sous les draps, sur la moitié froide du matelas qui lui arracha un frisson.
Jimin, lui faisant dos, sentit sa présence et sans ouvrir les yeux, toujours plongé dans un demi-sommeil, il se retourna et s'approcha instinctivement. Il chercha son dos dans lequel il enfouit son visage.
— Tu as trouvé ce que tu cherchais ? demanda-t-il d'une voix rauque et engourdie.
— Oui, rendors-toi Jimin, murmura simplement son superviseur.
— Mmmh, répondit seulement son partenaire en se réfugiant davantage contre lui, procurant à Yoongi une chaleur bienvenue.
Quelques secondes après cet échange bref, il entendit la respiration de Jimin ralentir, signe qu'il s'était rendormi. Il se tourna alors lentement face à lui et repensa à tout ce qui avait été dit sur ce fils de gouverneur quelques niveaux plus bas. Il avait vu en Jimin une figure de notoriété, une idole qui saurait charmer les foules, mais il s'était rendu compte d'une chose cette nuit-là, personne ne semblait vraiment se préoccuper de ce petit champion dans le palier six. Il avait senti dans leur discours une certaine distance, voire méfiance envers le fils prodige.
Ils appartenaient à un tout autre monde que le sien.
Jimin n'avait jamais mis un pied dans le niveau le plus profond au même titre qu'aucun de ses habitants ne l'avait jamais croisé dans les hauteurs. Aucune complicité n'existait entre les profondeurs et ce jeune homme, représentant, malgré lui, de la Cité, et de son système.
Maintenant qu'ils étaient seuls et livrés à eux-mêmes, Yoongi réalisa que la première étape serait de façonner une relation de confiance avec la population. Chose qui leur manquait cruellement. Il s'était toujours interdit de mener Jimin au niveau six, de peur de souiller sa vision du monde, sa part d'ingénuité.
Peut-être avait-il eu tort.
Mais par où commencer ?
Il n'était pas encore capable d'assumer qu'il était l'auteur de ces barrières, ces frontières intangibles. Il n'était pas prêt à se rendre compte que ce qui l'empêchait de montrer son monde à Jimin, c'était la honte.
Embarrassé par son histoire, ses origines, son impuissance, Yoongi finit par s'endormir, agité par de nombreux questionnements, peurs et de raisonnements chaotiques.
*****
Quelques heures plus tard, Jimin ouvrit les yeux, se trouvant nez à nez avec son superviseur, profondément endormi. Prenant soin de ne pas le réveiller, il se leva et baissa légèrement l'opacité des vitres, juste assez pour profiter de la lumière du soleil et entamer une série d'exercices quotidiens. Ce mélange de musculation et d'étirements était indispensable à chaque pilote pour maintenir une bonne forme physique. Sachant son coéquipier un être de la nuit, et grand dormeur, Jimin avait l'habitude de s'entraîner seul et ne manquait pas de reprocher à Yoongi sa négligence vis-à-vis de sa propre santé.
Mais ce dernier préférait souvent ouvrir un œil, écouter d'une oreille désintéressée les sermons de Jimin et se rendormir. Tout comme aujourd'hui où il fut vaguement réveillé par le son des expirations de Jimin et l'odeur âcre de sueur. Il observa le pilote enchaîner quelques mouvements puis referma les yeux, sans se sentir concerné.
Après une demi-heure de sport, Jimin s'engouffra dans la salle de bain.
Elle était affreusement vide et impersonnelle, comme toutes celles de l'Ensemble Flottant. Un espace rectangulaire en verre sur les parois duquel s'opérait une condensation perpétuelle. L'eau était sans cesse récupérée, purifiée, stockée et mise en mouvement, imitant le cycle d'eau terrestre autrefois. Le procédé était assidûment réglementé. Une douche durait environ dix minutes sous un nuage de vapeur d'eau tiède et d'un filtre antibactérien. Divers compartiments, natures de jet, ou temps d'opération pouvaient être ajoutés en option, prenant compte des différents types de cheveux, de peau ; des bacs à bain doux pour les enfants en bas âge ou encore un système d'assistance pour les personnes dépendantes.
La douche de Taehyung était peu équipée. Vivant seul et sans contraintes, il n'avait acheté aucune option, pas même un semblant de décoration pour meubler cette cage de verre identique dans toutes les habitations de la Cité.
L'habitacle terminait le processus par un vent chaud afin de sécher la peau et de permettre le recyclage de l'eau.
Jimin fouilla dans son sac pour revêtir un pantalon ample et un t-shirt. Il n'avait amené que le strict nécessaire et regretta de ne pas pouvoir regagner son propre appartement pour y récupérer des affaires.
En sortant, attendant patiemment que son partenaire émerge de sa torpeur, il s'installa au bureau de leur hôte et alluma l'un des écrans. Il évita toute tentative de reconnaissance faciale en posant un vêtement sur la caméra et observa les derniers titres d'actualité. La plus grande majorité le concernait sans surprise. Il consulta également les dernières nouveautés technologiques, et se trouva fasciné devant le prototype d'un régulateur d'oxygène individuel mis au point pour les personnes victimes de difficultés respiratoires lors des jours à taux d'oxygène bas.
Le niveau d'air respirable était contrôlé par la barrière obsidienne elle-même et variait entre 90% et 70%. En dessous de 75%, le gouvernement préconisait aux habitants de réduire les activités physiques trop énergivores et déployait un réseau d'aide médicale pour les citoyens les plus vulnérables. Ce régulateur individuel visait à stocker une certaine quantité d'oxygène et à terme l'entreprise proposait d'en équiper toutes les habitations. Le produit était encore une maquette, mais il pourrait aider beaucoup de gens.
Jimin regarda encore quelques vidéos de divertissement tout en absorbant son schéma alimentaire journalier. Il pianota sur un jeu et trouva tout un tas d'occupations virtuelles pour oublier qu'il était contraint et forcé de rester enfermé dans cet appartement.
Ce n'est qu'à seize heures passées que Yoongi se réveilla pleinement. Jimin, apercevant son corps en mouvement dans le coin de son regard, quitta la chaise de bureau pour venir se poser sur le bord du matelas.
— Quelle nuit, commenta Jimin.
Yoongi souffla un petit rire embarrassé.
— J'ai un peu forcé sur l'Odia hier...
— Oui, tu sentais le parfum alcoolisé jusqu'ici.
— Désolé...
Jimin haussa les épaules.
— Ce n'est pas forcément une odeur qui me déplaît.
Yoongi ne répondit rien, plongeant simplement ses yeux encore brumeux dans ceux du pilote plus convoiteux. Jimin s'approcha de lui, allongé à moitié sur la couverture, emprisonnant les jambes du superviseur sous les siennes. Il plongea son nez dans le cou de Yoongi, humant cette odeur encore enivrante qui lui rappela les couleurs et la brillance de cette boisson qu'il n'avait pas goûtée depuis longtemps. Il embrassa sa gorge sans que Yoongi n'exprime aucune agitation puis se recula, rencontrant comme à son habitude le regard froid et grave de son partenaire. Souvent, ces yeux suffisaient à interrompre tout ce qui brûlait dans son estomac. Il retira la main qui s'était échouée dans la nuque de Yoongi et sourit platement avant de se relever.
— Je vais sous la douche, murmura Yoongi.
Jimin acquiesça sans un mot et retourna s'asseoir devant les écrans pendant que son superviseur éliminait l'odeur d'Odia qui lui collait à la peau.
Ce dernier était encore dans la salle de bain lorsque quelques coups résonnèrent contre la porte, surprenant Jimin dont le cœur s'affola. Il attendit prudemment d'entendre la voix de Jungkook qui s'annonçait avant d'ouvrir. Sur la palier se trouvaient de nouveau le pilote, Yibo et Taehyung arborant une détermination digne d'un lendemain de conseil de guerre.
Ce qui n'était pas si loin de la vérité. Sous leurs yeux brillants d'aplomb, se cachait un soupçon de cernes trop foncés. Les trois amis avaient passé la nuit debout à débattre de la meilleure façon de communiquer avec le duo international le jour suivant.
Sans vraiment s'être mis d'accord sur un semblant de stratégie, ils s'étaient pointés devant la porte avec la ferme intention, mais peu d'arguments, de faire avouer au duo la raison de leur présence ici.
— Bonjour, les salua Jimin sans émotion.
— Tu es tout seul ?
— Je suis là, grogna Yoongi en sortant de la salle de bain à moitié habillé, se battant en duel avec un t-shirt qu'il s'était empressé d'attraper en entendant les trois compères entrer dans l'appartement.
— Comme prévu nous voilà toute ouïe ! entama Taehyung.
Jungkook ne manqua pas de saluer sa phrase d'un coup de coude avant que Yibo n'enchaîne.
— Ce qu'il essaye de dire sans aucun tact, c'est que nous avons beaucoup discuté hier et que nous aimerions en savoir plus sur ce que vous planifiez pour déterminer la meilleure façon de vous aider.
Jimin et Yoongi furent surpris d'entendre sa voix. Il avait été très effacé la veille mais cette fois-ci, le superviseur du médaillé d'or semblait avoir récupéré une certaine autorité sur la situation.
— Ou la meilleure façon de ne PAS vous aider en fonction de ce que vous nous racontez, murmura malicieusement Taehyung en fond, aussitôt tut par le regard sévère de Yibo.
— Je vais être honnête, j'étais d'avis de vous laisser continuer votre chemin et nous le nôtre, mais ces deux têtes brûlées ici présentes constituent une majorité dans un groupe de trois... alors nous sommes prêts à vous écouter.
Yoongi et Jimin s'adressèrent un bref regard avant que le superviseur ne hoche de la tête, encourageant Jimin à prendre la parole. Le pilote inspira un grand coup, comme pour puiser assez de souffle pour la tirade préparée qu'il s'apprêtait à leur conter.
— Par où commencer...? Comme vous le savez déjà, mon père est Gouverneur et même s'il n'est pas particulièrement passionné par notre discipline, il garde une poigne de fer sur celle-ci pour « officialiser » le Jetfly. Il espère radier son héritage anti-système. Il veut que ce sport perde ses racines idéologiques contestataires, insoumises et indisciplinées. Pour ça, lui et les autres Gouverneurs ont totalement réformé le règlement et l'organisation des compétitions et des formations de Jetfly. Les pilotes sont devenus des pions, des marchandises au profit d'accords politiques ou commerciaux et nombreux sont ceux dont les ficelles sont tirées par leur gouvernement. Certains sont « offerts » pour redorer l'image ou la réputation d'une Cité, ou en gage de cadeau d'amitié intercité. Une fois dans le collimateur du ministère des sports, les pilotes sont ultra-assistés pour suivre un parcours strict de courses de divertissement, d'apparat, d'entraînement et surtout pour rallier de nouveaux jeunes pilotes dont les yeux ignorants brillent d'étoiles. Nous sommes tenus par des clauses de secret professionnel qui nous interdisent formellement de parler de ces conditions de travail et de notoriété.
Au fur et à mesure que Jimin déblatérait ces informations, le visage de Jungkook et Yibo se décomposait.
— Tout ça pour dire que mon père nous a donnés à Asphalte il y a trois ans pour renforcer leurs liens politiques. Sans nous demander notre avis, du jour au lendemain, nous avons été forcés de déménager et de représenter une Cité dont on ne connaissait rien ni personne. Porter leur écusson, leurs couleurs, parler en leur nom, répondre au règlement de leur ville, nous n'étions ni prêts, ni consentants pour tout ça. Le conflit avec mon père tire ses racines de cette mutation. Je lui ai maintes fois demandé de nous rapatrier, mais à chaque nouvel appel, il durcissait encore davantage notre exil. En trois ans, nous n'avons pas eu le droit de revenir sur le territoire.
Jungkook laissa échapper un souffle affligé.
— Ni moi ni Yoongi ne voulons rester un jour de plus à Asphalte. Nous sommes nés ici, nos amis, notre famille, notre vie est ici. Voyager pour le travail est une chose, le faire sous la force et la contrainte en est une autre. Toutes les équipes internationales subissent ce même traitement et peuvent être confrontées à cette même situation. Nous avons eu l'autorisation de revenir à Profonde uniquement pour la course et nous en avons profité pour fuir et nous cacher. C'est notre seul espoir de rester sur le territoire. Au-delà de ces conditions, notre association avec Yoongi a également fortement contrarié le Gouverneur qui n'acceptait pas que mon nouveau superviseur soit un pilote ayant suivi une formation clandestine et soit en relation avec des groupes ouvertement anti-système du palier six. Il a certainement choisi de nous envoyer à Asphalte aussi pour distancer Yoongi de son lieu de vie et de ses contacts.
Un petit silence s'en suivit, laissant Yibo, Jungkook et Taehyung en haleine, attendant la suite qui ne vint pas. Voyant que Jimin semblait avoir terminé son petit monologue, Taehyung se retint de lâcher un « C'est tout ? » qui aurait affreusement manqué de tact mais il était loin d'être convaincu par cette histoire.
— C'est terrible, je n'avais aucune idée de tout ça... souffla Jungkook.
L'aîné du trio le dévisagea du coin de l'œil, Jungkook était réellement affecté par ces révélations dont les jeunes pilotes nationaux n'entendaient assurément jamais parler. Ce discours remettait en question ses rêves de voyage et de victoire. Mais au-delà de ses émotions spontanées, il semblait contenté. Il n'en attendait pas forcément plus, cette explication suffisait amplement à son esprit naïf et généreux pour décider de les aider. « Malin » pensa Taehyung. Quoi de mieux que d'attaquer par le prisme des émotions pour acquérir les faveurs d'un pilote dont les rêves se trouvaient soudainement ébranlés. Jungkook était trop occupé à assimiler les paroles de son modèle pour se questionner sur l'étrange mutisme de Yoongi qui était pourtant le plus virulent, la veille. Trop concentré sur l'illusion, pour se souvenir des menaces dont il avait été victime et qui cachait sans doute une histoire un peu plus longue que celle-ci, récitée en une poignée de minutes.
Taehyung était perspicace et il aurait pu leur demander plus que ça. Mais dans les paroles de Jimin, il n'y avait pas de mensonge. Il ne voulait ni invalider leur souffrance ni minimiser celle de Jungkook et Yibo, alors il se tut. Il se contenterait de cette explication jusqu'à ce que Yoongi, qui ne le quittait pas des yeux depuis le début de la conversation, se rende compte qu'il avait vu clair dans leur jeu. Ce n'était qu'une question de temps. Pour l'instant, cette excuse était suffisante pour justifier leur besoin de discrétion et la recherche d'une cachette.
— Est-il impossible de raisonner ton père ? D'assouplir ses directives si strictes ? Les voyages intercités représentent déjà un déracinement important, mais vous infliger un exil de plusieurs années, qu'est-ce qu'il tire de tout ça ? C'est cruel ! s'emporta Jungkook.
— Nous souhaitons révéler ce visage du Jetfly au plus grand nombre de pilotes pour qu'ils soient davantage préparés aux péripéties que cette pratique impose au niveau international. Il reste peu de place pour la passion du Jetfly, la liberté, l'amour du vol une fois passé de l'autre côté.
Jungkook se mordit la lèvre, il ne pouvait s'empêcher de penser à son propre frère, à Namjoon et Leve, à Hoseok, à Taehyung... Il ne pouvait imaginer sa réaction à la place de Jimin et Yoongi, forcé de quitter tous ses repères, sans contact avec ses proches, échangé comme une vulgaire marchandise. C'était donc le visage dissimulé sous les mythes flamboyants des champions internationaux de Jetfly et allégories de leurs Cités.
— Si mon père lance des milices aux quatre coins de la ville sous prétexte qu'il est inquiet de notre disparition, il n'en est rien. Il veut nous empêcher de rester ici et nous renvoyer à Asphalte pour un nouveau cycle qui durera cette fois cinq ans. Nous devons rester cachés.
— Mais combien de temps ? demanda Yibo pragmatique. Combien de temps pourrez-vous rester invisibles aux yeux des forces les plus équipées de la Cité ? Et si dans le cas où vous réussiriez à vous terrer assez longtemps, qu'en est-il des fans, des médias, du monde entier qui attendent de vos nouvelles ? Certains vous pensent morts, peut-être victimes d'un accident, peut-être blessés quelque part dans les profondeurs, ou peut-être kidna-
— Est-ce important ? le coupa froidement Yoongi.
— Pardon ?
— Est-on obligé de justifier notre absence à ces gens, ces inconnus ? Ils oublieront le mythe et passeront à autre chose.
— Ils oublieront ? Tu le penses vraiment ? Un champion trois fois consécutives, un record encore jamais égalé, une maîtrise légendaire ? Le mythe d'un superviseur sans visage, apparu de nulle part disparaîtra peut-être... pas celui du plus jeune champion de Jetfly que l'Ensemble Flottant ait connu, rétorqua Yibo sur le même ton, passablement irrité par ses mots.
Yoongi ravala un rire amer et Jimin pressa son bras pour l'empêcher de répliquer.
— Nous réapparaîtrons au moment voulu, lorsque nous aurons suffisamment de voix pour témoigner, parler de ce système rigide et indifférent, raisonna Jimin.
— Ce que je sous-entends, continua Yibo, c'est que le ministère va très certainement diffuser des appels à témoins, des avis de recherche et mettre tout en œuvre pour vous retrouver. Votre paire est beaucoup trop importante dans les esprits de l'Ensemble Flottant.
— Nous en sommes bien conscients, c'est pour cette raison que nous devrons redoubler de vigilance, jour et nuit, et que nous comptons sur votre discrétion aussi, répondit Jimin en regardant sévèrement, tour à tour Yibo, Jungkook et Taehyung. Vous êtes les seuls ici à connaître notre position.
— Nous ne dirons rien ! affirma aussitôt Jungkook.
Jimin sourit, touché, mais ce n'était pas le médaillé d'or qui inquiétait Yoongi.
— Et vous ? demanda-t-il aux deux autres membres du trio.
— Je suivrais Jungkook, obtempéra Yibo malgré lui.
— Je suis pour l'instant plutôt curieux vis-à-vis de votre situation et je ne suis pas opposé à l'idée de vous prêter mon appart encore quelque temps. En revanche, je ne promettrai rien tant que je n'aurai pas toutes les clés en main, déclara Taehyung.
Jimin soucieux, chercha dans les yeux de Yoongi une certaine sécurité et fut surpris d'y trouver plutôt une lueur de satisfaction. Son comportement envers cet inconnu avait changé drastiquement en une nuit et il se questionna sur ce qu'avait fait et entendu Yoongi dans le palier numéro six.
— J'aurais probablement répondu la même chose, soutint simplement Yoongi.
— Bien, voilà une bonne chose de faite ! Cet appart est momentanément à vous, félicitations ! Si vous abîmez quoique ce soit vous le payerez double puisque votre salaire de champions internationaux vous le permet, n'est-ce pas ?
Yoongi leva les yeux au ciel.
— Avez-vous besoin de quoi que ce soit, puisque vous ne pouvez pas utiliser LAXI ? demanda Jungkook.
— Nous pouvons nous débrouiller, rétorqua Yoongi d'une voix un peu trop sèche qui lui valu un regard réprobateur de la part de son coéquipier.
— Yoongi a l'habitude de trouver ce dont nous avons besoin au palier six, merci Jungkook.
— Comment faire si nous avons besoin de communiquer ?
— On n'a pas besoin de communiquer...
— Ah, Yoongi, ça suffit ! s'écria Jimin surprenant tout le monde de ce haussement de voix. Le mieux est que vous passiez ici lorsque vous avez besoin de nous parler.
— J'entendais plutôt dans le cas où vous seriez en danger, répondit Jungkook penaud.
— Si nous sommes en danger, il vaut mieux que vous ne soyez pas dans les parages... notre but n'est pas de vous mêler à ce conflit, encore moins de nuire à votre carrière ou votre image.
Jungkook hocha mollement la tête, loin d'être satisfait par cette réponse. À l'aube de cette complicité avec le pilote qu'il admirait tant, il ne rêvait que de partager son monde avec lui, de lui faire découvrir les coins les plus surprenants de cette cité, lui demander conseil en matière de Jetfly, apprendre à ses côtés.
En tant que fan, il nourrissait inconsciemment la prétention de pouvoir se lier d'amitié avec ce coureur renommé. Se gonflant d'orgueil, il était fier de pouvoir dire qu'il avait discuté, partagé le même lieu et même un secret avec Jimin Park.
Quelle douce illusion que cette position éphémère de sauveur.
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Petit chapitre tranquille pour cette semaine, diffuseur de quelques informations en plus :3
A bientôt !