La Légende de Doigts Gelés

By MerlinGre

12.3K 1.2K 1.8K

Gagnant aux Wattys 2018 - Les Jokers - Depuis un très jeune âge, Elke souhaite devenir une guerrière, tout co... More

Réécriture des chapitres
1. La vieille dame...
2. ...et son récit.
3. Hekar, le frontalier.
4. Le cortège.
5. Nouveaux visages.
6. Au pied du mur.
7. Les sanglots.
8. Le Chef s'adressa au savant.
9. Funeste sort.
Wattys2018 !
10. Enterrer les fantômes.
11. A l'aspect et à l'odeur.
12. Les échos des craquements. (1)
13. Les échos des craquements. (2)
15. Filiations (2).
16. La sainte et la harpie.
Glossaire

14. Filiations (1).

84 14 3
By MerlinGre

.oOo.

Le marbré spectral d'un ciel nuageux se profilait lentement au-dessus de la campagne herbeuse et solitaire. Son défilé pesant envoyait depuis ses hauteurs vertigineuses une brise frissonnante qui faisait se prosterner bien bas les chiendents, les graminées et l'avoine sauvage. Le petit vent emmenait avec lui les murmures pris dans le lointain, les portait au milieu des pâtures et les semait entre les mauvaises herbes. Un homme, prostré dans cette étendue verte et comme grevé par la drapure sombre et immense qui cascade de ses épaules jusqu'au sol, embourbé dans les contours de l'onde figée de son manteau, entretenait un feu. Et chose étrange, il ne faisait pas cela pour se réchauffer, lui qui était si bien vêtu ; il ne faisait pas cela pour se restaurer, car aucun rôti ne suintait sur une broche au-dessus des flammes.

Non, depuis une heure environ, cet homme veillait sur un pot en terre cuite déposé au centre du foyer et qui commençait à noircir. A force d'observations, il avait vu se dessiner des sinuosités et des flocons noirs sur la glaise, et il appréciait la métamorphose qui s'opérait devant lui sur ce corps rond et chapeauté, qui crachait un fleuve gris et aérien à l'arôme cendré par son gosier circulaire. Une plainte aiguë et grinçante couvrit le crépitement du feu, puis une deuxième, puis une troisième. De ses deux mains, l'homme étirait un drap bruni mais propre et le déchirait en bandes dentelés relativement égales. Ses doigts jaunissaient à chaque traction qu'il exerçait sur le tissu, il pinçait les lèvres sous l'effort puis expirait pendant ses courtes pauses. Son front de jouvenceau était quant à lui plissé sur une pensée pénible et préoccupante.

Il voulait partir. S'enfuir de la région l'espace de quelques jours afin de contacter les gens de sa société, qu'il appelait vulgairement le Cercle. Sans l'abréviation, il s'agissait en vérité du Cercle de la Lucanne : une école scientifique ou occultiste, selon l'opinion de chacun, plus communément appelée par toutes les mauvaises langues du royaume le "Caveau des Morticoles". Et de fait, le soi-disant morticole avait un message à transmettre à ses confrères, et pas des plus réjouissants. L'aveu qu'il avait à faire le désespérait et même, le blessait dans son orgueil. Depuis trois jours, il veillait au chevet d'une bergerette et consacrait plusieurs heures à l'étudier, à laver ses blessures et les enduire de remèdes, à la nourrir de cuillerées de lait et se faisant, à remâcher le volume de sa connaissance tout en la couvant d'un regard instigateur. Parfois, il l'appelait même par son prénom dans l'espoir d'obtenir une réaction, un frisson, un soubresaut, ce qui le ramenait inlassablement dans un silence sans réponse et timide d'avoir apostrophé une parfaite étrangère. Au demeurant de tous ses efforts, ses précautions et ses soins pour la jeune plébéienne, elle continuait de faire la morte.

Il n'avait pas pensé qu'elle mettrait si longtemps à revenir parmi eux et il commençait à craindre que ce ne soit de sa faute. Le sorcier était parvenu à figer en elle le poison du revivant grâce à son sceau, mais depuis l'avant-veille - ou depuis qu'il s'étonnait du profond sommeil de sa patiente -, il remettait en cause toutes ses actions. La promesse qu'il avait faite à Osbern de veiller sur elle le retenait à Hekar et lui avait fourni assez de temps pour réfléchir, ou même pour se monter la tête. Il avait envisagé un court instant de fabriquer un remède contre le vénéfice de la jeune fille mais il s'était vite rendu compte que son expérience, bien qu'attestée par les membres du Cercle, était insuffisante. Et il avait estimé qu'il lui faudrait au bas mot plusieurs décennies pour comprendre comment vaincre le mal qui la rongeait. Ajoutons à cela que la sorcellerie blanche était quasiment inefficace, et que seul un rituel des plus laborieux avait une chance d'extraire le venin ; ce venin qui, comme il n'en avait jamais observé jusque-là, était le produit d'une cruauté extraordinaire, d'un sadisme maladif, d'une noirceur profonde et sans fond.

Quelle était la chose qui avait pu créer une telle atrocité ? Était-ce un effroyable hasard ou, justement, n'en était-ce pas un ? Il devait charger quelqu'un d'enquêter sur la création de la Frontière. Avec un peu de chance, le Cercle aurait toutes les informations nécessaires, comme son histoire et la configuration de son sceau. Mais il éprouvait un doute, car avant de quitter la Capitale, ses supérieurs ne l'avait pas tant renseigner que cela. Le pire était qu'Hekar, le village qui juxtaposait ce monument de la sorcellerie, ne recelait aucune information. Les archives qu'il avait pu consulter sur autorisation du Chef n'avait représenté qu'une perte de temps, et pour cause : le régent des lieux à l'époque de son élévation était un scribe lamentable qui ne consignait rien sinon des événements sans importance historique, mais où il semblait y trouver son compte. Finn avait donc passé une soirée entière à ouvrir des yeux énormes entre ses mains placées en visière, penché sur un papyrus friable, à décrypter une graphie si laide qu'il en pleurait presque de ne rien comprendre. Et pour quoi, lui demanderait-on ? Pour apprendre que l'ami d'un cousin, du village de Vieux-Sige, avait commis un adultère deux cents ans auparavant. Rien de relatif donc, au Bois Noir de Saint-Ondre et aux véritables raisons qui l'ont menées à être isoler du reste des terres. Les revivants n'étaient pas l'une d'entre elles, le sorcier comprenait plus ou moins qu'il s'agissait d'un symptôme du mal qui habitait la forêt et qui gouttait de temps à autre comme d'une plaie qui ne veut pas se refermer.

La décision était donc prise : le sorcier partirait demain pour le castel du seigneur Asgeir, Front-Tertre de Ventelet, afin d'informer le Cercle de ses actes et de ses découvertes. Hom, le chevalier bougon resté en faction au village, l'escorterait sur les petites routes de campagne, et pendant ce temps, quelqu'un veillerait sur la petite bergère. Finn n'était pas du tout réjoui par la perspective de prendre du champ, car il devrait expliquer la raison de son départ à Osbern et celle de sa venue à Asgeir. Il était surtout inquiet que les villageois et la cour de ses deux hommes n'aient vent de ces terribles découvertes, et qu'on l'accuse d'avoir jeté le trouble dans la région en lieu et place de remerciements. En y repensant, ce ne serait pas la première fois que l'un des membres du Cercle se ferait publiquement incendier pour avoir rendu un service à toute une communauté. Seul le Roi, envers et contre tout, ne se méprennait pas sur les intentions bénignes de leur ordre, et le jeune homme regrettait sincèrement que les Infirmes ne s'inspirent pas de sa délicatesse d'esprit.

Restait un dernier détail à régler : à qui pouvait-il confier la bergerette sans crainte que son traitement ne soit négligé ? Il devait demander conseil à Osbern, mais il craignait qu'il assigne Marguith, la guérisseuse. Ce n'était pas ses compétences qu'il remettait en cause, seulement la vieille semblait détester tout ce qui était relatif à la sorcellerie noire. L'état d'Elke ne manquerait pas de l'épouvanter. Elle pourrait même crier au scandale, et il serait dès lors visé par la vindicte populaire. Il n'était donc pas question qu'elle soit exposée à la vue d'une victime de sorcellerie, encore moins d'une victime de vénéfice.

Une mélopée de petits bêlements rythmés par des jappements jetés vers le ciel résonna dans le dos du sorcier. La montée de ce canon animal le tira de sa réflexion et il jeta un regard interloqué par-dessus son épaule. Au départ amusé par la déferlante cotonneuse qui envahissait son modeste campement, il déchanta très vite lorsqu'il vit quelqu'un fendre les plantes fourragères dans sa direction. C'était le berger qui accompagnait ses bêtes, et autour duquel bondissait un border collie, la langue au vent. Mécontent de cette soudaine apparition, bien qu'elle soit inhabituelle, le sorcier regarda l'individu approcher d'un air placide. En outre, il recevait la visite d'un garçon au corps longiligne, pauvrement vêtu, mais nanti de boucles châtains et d'yeux bleus lamenteurs qui lui conférait l'air d'un bien maigre chérubin. Finn aurait parié de l'or que ses joues lisses auraient fait des jalouses à la Capitale, et cependant, il ne lui souhaitait pas de s'y trouver un jour : en plus de posséder ce charme enfantin tout à fait remarquable, il semblait crédule et sensible. Le miséreux se ferait manger tout cru par toutes les matrones qu'il croiserait.

Celui-ci arriva devant le citadin et s'y planta pour le dévisager. Longtemps. Avec une colère mal contenue. Finn, qui se demandait quelle mouche l'avait piqué, lui rendit son regard avec une certaine résignation. Il aurait dû se douter qu'on venait à lui pour une quelconque remontrance. Il attendit donc qu'un déluge d'insultes lui tombe dessus mais il n'en fut rien. Le silence s'étira, infatigable, et ni l'un ni l'autre ne salua son vis-à-vis, ni n'entama une parole. Le sorcier fut particulièrement gêné par cette nouvelle méthode d'approche, mais voilà qu'enfin, le pâtre entrouvrit la bouche, jeta un regard curieux au pot en terre qui gîtait dans le feu, puis déclara d'un ton de reproche :

— Vous devriez pas faire de feu dans la cambrousse, vous savez ?

— Ah oui pourquoi donc ? répliqua Finn, irrité sinon déçu d'être apostropher pour cela. Le garçon avait dû voir le creux dans la terre, le contour de pierres et le désherbage opéré autour du foyer. De quoi s'inquiétait-il encore ? En jetant un œil au panache de fumée gris que dégorgeait son four improvisé, il se rendit compte qu'il était parfaitement repérable et que quelqu'un avait peut-être chargé le garçon de lui faire éteindre son feu. Cela expliquait l'absence de virulence auquel il était confronté. Le gamin n'était qu'un simple intermédiaire.

— Que ferez-vous si la brise se renforce, qu'il vente tout à coup et que le feu devienne incontrôlable ? Vous risquez de mettre le village en danger, et le bétail aussi.

— Non pas, le coupa avec fierté l'homme drapé de noir, toujours assis. Je suis parfaitement capable de maîtriser ce feu, si c'est tout ce qui t'inquiète.

— Tiens ? Je ne vois pas d'eau avec vous, le railla-t-on. Finn rendit un regard flegmatique, quasi moqueur, à son visiteur et tendit une main vers les flammes. Il murmura quelque chose qui, aux oreilles du berger, ressemblait à une litanie gutturale, à peine audible, et dont le rythme se rapportait à un chant ancien. Alors, les flammes crépitèrent et tremblèrent avec frénésie, comme si elles se consumaient à toute vitesse. En quelques secondes, elles se recroquevillèrent, ondulèrent le long des brindilles et autour des braises, jusqu'à ce que l'étreinte entre bois et bluette ne blanchisse et rompe en arabesques langoureuses et en fumerolles ternes. Le sorcier regarda derechef le garçon qui fixait le foyer éteint, interdit. Il se remit à fredonner d'une voix grave et aussitôt la combustion reprit dans un craquement sonore, faisant sursauter le pot qui tinta à son tour.

Malgré cette démonstration fort inhabituelle - un tournemain, en vérité -, le gardien de troupeau continuait de fixer le petit four comme si tout son mystère résidait là et non en la personne de l'incantateur. Ce qui, d'ailleurs, finit par gêner ce dernier qui se demandait s'il n'était pas parvenu à hypnotiser son écornifleur. Dès lors, un silence embarrassant s'installa entre les deux hommes tandis qu'un à un, les moutons prennaient possession de la place et semaient dans leur sillage de petites boules noires à l'odeur pestilentielle. Décidément, Finn aurait voulu que le pâtre sorte de sa transe et opère un demi-tour, mais celui-ci avait recommencé à froncer les sourcils et montrer des signes de crispations. Pourtant, l'éclat ne vint pas, si ce n'est celui du chien qui surgit de nulle part et sauta sur le sorcier. Parti à la renverse, sitôt harcelé de coups de langue, le servant du Roi se mit à geindre en repoussant le cabot sous le regard amusé du berger, qui semblait hésiter à rire franchement. L'assaillit se leva d'un bond, épousseta son dos et indiqua l'horizon à son assaillant d'un doigt autoritaire, lequel s'y dirigea avec un entrain innocent.

— Bon, fit sèchement le sorcier qui pestait intérieurement contre le chien, les joues un peu rouges. Vas-tu me dire ce que tu me veux ou es-tu simplement venu pour une mise en garde ?

Le pâtre, cependant, ne semblait pas décidé à parler. Il était le premier villageois à s'être déplacé pour lui causer, le premier duquel il n'était pas venu s'enquérir en personne, et celui-ci se taisait. Finn fulminait d'impatience, il n'était même pas curieux du motif de sa visite. Mais la vue d'un petit agneau qui le frôlait, fluet et dansottant du bout de ses sabots, le rappela étrangement à son souvenir. Il comprit.

— Tu viens pour savoir comment va Elke, n'est-ce pas ? devina-t-il, son cœur se serrant presque pour ce qui allait suivre. Vous êtes amis ?

Soudain décontenancé, le garçon hocha la tête et leva des yeux brillants sur le marabout après quelques instants. D'une voix tordu par l'inquiétude, il lui demanda :

— Comment se porte-t-elle ? Ça fait des jours que je ne l'ai pas vu, alors que d'habitude, il ne s'en passe pas un sans que ce n'soit le cas. Dites-moi ce qui se passe, s'il vous plaît, je sais que c'est vous qui la gardez. S'il vous plaît...

— Ce n'est pas à moi qu'il faut le demander. C'est à ton Chef, lui seul te dira ce que tu peux savoir, rétorqua le citadin, trop heureux d'avoir cette excuse car il n'avait pas encore fait part de ses observations à quiconque, et cela le rendait anxieux que l'on vienne fouiner ainsi dans ses affaires.

— Il ne veut rien me dire, geignit le jeune berger.

— Dans ce cas, moi non plus.

Et il répondit avec sa placidité coutumière au regard blessé qu'on lui lança. Il espérait que sa fermeté ait été suffisante pour que, vexé, son visiteur se détourne et reparte sillonner la brome. Et vexé il fut, mais au lieu de s'éclipser, il s'assit près du feu d'un air décidé et attendit. Le sorcier comprit très vite son geste et serra les dents pour ne pas aussitôt le traiter de sale mioche entêté, de lardon et autres quolibets rapetissants. A bien y regarder, il était vrai que le pâtre était encore jeune. Il comprenait l'origine de son obstination, son sentiment d'impuissance face à la rigidité des adultes qui ne tentaient pas de le rassurer, ni de lui expliquer. Et puis, ces derniers jours étaient marqués par la redondance de certains comportements : le Chef, son neveu, l'aubergiste et sa femme, ainsi que sa fille, le dévisageaient tous durement lorsqu'il descendait de cette chambre où Elke reposait. Toute l'angoisse qui brillait du fond de leurs yeux venait le frapper à la gorge. Celle du Chef, suppliante, était la plus pénible d'entre toutes. Les autres lui étaient moins sinistres car mêlés à la colère, et cette dernière lui était plus coutumière.

L'engouement autour de cette bergerette le laissait dans l'incompréhension la plus totale. Pourquoi leur était-elle si précieuse ? De qui au juste s'occupait-il, matin et soir ? Il ne tint plus ; il se rassit à sa place et demanda d'une voix avenante à son visiteur :

— Pourquoi vous souciez-vous tant de cette jeune fille, le Chef et toi ? Je veux dire... vous n'êtes pas les deux seuls à vous faire du souci et... je n'arrive pas à comprendre. Est-ce quelqu'un d'important au village ? Qu'a-t'elle fait... qui est-elle, au juste ?

Le garçon se départit de son expression boudeuse et jeta un coup d'œil moins ombrageux qu'alors à son vis-à-vis. Il hésita un instant, tout en se tordant les doigts, les lèvres pincées de tristesse. Puis il soupira avant de répondre avec un certain dédain dans la voix :

— Si vous posez la question à quelqu'un d'autre qu'à moi, on vous répondra que c'est la pupille du Chef, une petite chanceuse ou même une impertinente. On ne la voit pas bien ici, mais elle n'a rien fait. Elke est une orpheline qui a été élevée par une grand-mère d'ici. Il paraît que sa propre mère, qu'on disait très jeune, est morte dans un accident de chariot. Elle aurait fini piétinée sous les sabots d'un cheval.

— Et le père ? s'enquit Finn, quelque peu désenchanté de ne pas avoir surpris un lineage caché ou un autre secret de famille.

— Personne ne sait qui il est, ni où il est. Mais Osbern connaissait la mère alors quand elle est morte, il a aussitôt recueilli le bébé et l'a confié à la vieille Moire.

— Pourquoi ne l'a-t-il pas adoptée ? Je l'ai pourtant vu agir comme si c'était sa fille, s'étonna le sorcier, qui pensait que c'était ce qui avait rendu Elke si importante aux yeux de certains.

— On dit que l'ancien Chef, le frère d'Osbern, était violent et que, quand il a pris la succession de leur père, le village est devenu un nid à problèmes. J'étais petiot donc je me souviens pas moi-même de tout ça – à part de quelques pugilats en pleine rue et de l'humeur sombre généralisée – mais j'ai appris des gens du village que cet homme frappait sa femme et ses deux fils, et qu'Osbern s'était plusieurs fois battu avec lui. Je pense qu'il voulait pas qu'Elke partage ce calvaire car il vivait encore sous le toit des Ev'Meronn, vu qu'il n'avait pas prit de femme. Il y vit toujours et n'a toujours pas d'épouse, d'ailleurs. Mais qui sait si l'ancien Chef ne l'aurait pas elle aussi prit pour un défouloir, même si ce n'était qu'une petite enfant. »

Finn conserva un silence méditatif pendant un moment. Ce n'était pas peu dire que ces deux-là – la fillette et le grand homme – avaient lié leur destin dès les premiers jours. Et s'il avait bien saisi les tenants de leur relation, ils s'étaient simplement complémentés dans leur malheur respectif.

— Mais comment Osbern est devenu Chef alors ? interrogea-t-il ensuite.

— Son frère et sa femme sont décédés, débita le pâtre. Je ne sais pas exactement comment, je ne suis pas curieux de le savoir, mais visiblement ça n'a pas gêné grand-monde, et l'ordre de succession est imperturbé car Folker, son neveu, le supplantera le moment venu.

— Et même après leurs morts, il n'a pas adopté Elke ?

Le garçon eut un sourire ironique qui tourna court. Alors une expression intense, qui inquiéta le citadin, se peignit sur son visage : il contemplait par en-dessous une chimère, une ombre fantasque, de ses yeux fiévreux et vibrant de rancœur. Face à pareille figure, son voisin s'attendit à ce que quelqu'un soit pilorier par les mots qui allaient suivre. Mais en fin de compte, le pâtre parla dans les faits et avec distance :

— Non, même si beaucoup d'autres pensaient qu'il le ferait. Mais en vérité, il y a eu un problème entre elle et son neveu, et depuis, vaut mieux les tenir séparés. » Un soupir entrecoupa ses explications. Devant sa physionomie si pittoresque, le sorcier ne perdait pas une goutte du tréteaux, tandis que son acteur fixait un moment la glaise noircie du pot, puis son troupeau qui les avait dépassés, et enfin s'assurait bien de la présence du chien aux alentours. Il reprit, presque malheureux : « C'est comme si les dieux ne toléraient pas qu'ils deviennent père et fille. Avec tout ce qui est arrivé, même les gens au village pensent que c'est pour le mieux.

— Était-ce grave, l'histoire entre elle et son neveu ?

Le berger pinça les lèvres une fois de plus, les sourcils froncés. Finn craignit d'avoir abordé un sujet trop délicat. Si son visiteur se fermait, ses questions pouvaient être éludées, voire refusées. Aussi, il ne se trompa point.

Continue Reading

You'll Also Like

6.2K 523 7
Dans les années 1900, Peter Painne est un adolescent à problèmes, bien que sa famille de sang noble lui évite tout contact avec les psychiatres, les...
40K 241 10
Salut c'est moi, J'habite dans un immeuble en location. Tous les matins à partir de 7h il y a une femme de ménage qui passe nettoyer les couloirs et...
5.9K 31 2
Pleins de petites histoires de lesbienne bien chaude très excitant...
74.4K 10.6K 104
Selene n'a jamais quitté la Vallée des Non-Mages, si bien que lorsqu'elle est kidnappée pour être vendue à un puissant Mage, elle se voit lutter cont...