Achille

By hisruffledfeathers

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Icare brûle, Icare s'enflamme, mais le soleil l'acclame. Icare aime le soleil d'un amour éternel More

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BONUS Spécial Fêtes
Hector 1-
GROSSE ANNONCE- publication d'un livre
ACHILLE GROSSE ANNONCE

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By hisruffledfeathers

" J'aime bien quand on est côte à côte. Quand t'es près de moi."

Je ne sais pas quand ou comment l'esprit de la communication a possédé Thomas, mais il ne ferme plus la bouche. Il passe son temps à parler. Le silence presque saint qu'on cultivait auparavant a été remplacé par ses mots, ses mots qui tentent de boucher le trou béant qui me perce la poitrine. Il ne fait que ça, parler, parler pour me montrer qu'il m'aime, parler pour me montrer ce qu'il pense, parler pour boucher les trous dans les fondations de notre maisonnée. Parler. Il ne fait que ça. Et je crois que j'adore ça. Les sons incessants, ses mots qui se bousculent comme des gamins, ses mots qui s'empilent sur mon coeur comme tant de baumes apaisants. Il ne fait que ça, parler, me dire ce qu'il pense, me dire qu'il m'aime, me montrer encore et encore qu'il ne va pas partir. Parfois, une majeure partie du temps, ses mots me suffisent, ils comblent ce trou, des fois seulement pour un court instant. Mais je crois que ça me suffit.

Je suis retourné chez ma psy. Il me l'a conseillé, et on a décidé que c'était important pour nous de chacun se faire aider de notre côté. Se reconstruire individuellement pour mieux construire notre couple.

Une part de moi a peur que tout prévoir finisse par tout casser. Et si à force de vouloir tout réparer on finit par tout faire exploser?

On se tient la main, on s'embrasse, on fait à manger ensemble. On réapprend à vivre, à être des adultes— à être humain. J'essaye de ne pas constamment pleurer, de ne pas constamment recracher mon âme sur le sol comme un putain d'homme éventré. J'essaye de ne pas être une ombre, j'essaye d'être entier— j'ai l'impression que je lui dois, alors que je sais qu'il s'en fout. Que je sais que le peu que je suis lui suffit amplement. Mais j'veux me suffire à moi aussi. J'veux être assez pour deux: lui, et moi.

Il est un peu comme l'automne. Beau, coloré, froid et humide. Il réchauffe mais il refroidit. Il fait craquer les feuilles et briser les racines.

Je ne peux m'empêcher d'avoir peur. Peur de m'attacher, peur que l'hiver arrive.

" Je t'aime." il dit, alors que le café refroidit et que la fumée de ma clope s'envole en volutes par la fenêtre. On vit dans notre propre appartement, fini l'hôtel.

" Je t'aime aussi." je minaude. J'ai l'impression de mentir quand je parle, alors que si, je l'aime, je l'aime mais je ne m'autorise pas encore à lui donner tout l'amour que je porte. J'ai peur de tout offrir et j'ai peur qu'il parte avec.

Ses doigts attrapent ma cigarette. Il tire dessus, et expie la fumée. J'ai presque l'impression qu'il expie ses péchés. La fumée s'envole entre nous, forme un barrage grisâtre, un barrage de nicotine.

" J'ai l'impression que tu es loin."

" Je suis à même pas un mètre de toi."

" Mais t'es loin de moi, Achille. Tu ne t'ouvres pas."

" J'peux pas. Je t'ai dit, je peux pas te donner plus que ça."

L'appartement, les repas ensembles, notre temps presque familial. J'aime. Ça me fait du bien. Mais s'il repart je ne survivrai pas, pas cette fois. Alors je me préserve comme je peux.

" Pourquoi pas?"

" Parce que si je m'ouvre et que tu pars, je mourrai."

" Ne dis pas ça."

" Je suis complètement sérieux, Tom. Tu es mon tout. Si je te laisse entrer, entrer comme tu entrais avant, comme nous étions avant, si je te laisse découvrir encore tous les recoins de mon âme, toutes mes blessures, si je t'autorise à apprivoiser la personne que je suis et que tu m'abandonnes encore, je pense que je ne survivrai pas. J'ai dû apprendre à vivre seul à chaque fois que tu es parti. La première fois j'ai presque réussi à me reconstruire, à aimer un autre, à devenir quelqu'un de presque entier. La deuxième fois, ça m'a anéanti. J'ai crû que j'allais crever. Mais alors si tu pars encore une fois, je pense que je ne me relèverai pas. Enfin, si tu partais demain, je serai déçu mais pas surpris. Vu que mes portes sont encore verrouillées. Mais si je te laisse entrer et que tu te casses, alors que j'me suis autorisé à penser que tu resterai, alors là je ne me relèverai pas, là je deviendrai un cadavre— un vrai. Je ne fais pas d'images, pas d'euphémismes."

Il prend une longue inspiration, inhalant la fin de la cigarette avant de la piétiner sous son talon.

" Je ne partirai pas. Je t'ai dit que je ne pars pas. Si tu ne me fais pas confiance on ne peut rien reconstruire."

" Ça fait seulement deux mois que tu es revenu. Tu m'excuseras si je ne peux pas encore te croire."

Février un peu fébrile, un peu frisquet. Février bancal comme les relations que j'entretiens depuis des années. J'ai l'impression que mon histoire a duré mille ans. Mais en fait je n'ai pas d'âge, je n'ai pas de temps, je flotte dans un monde atemporel comme un putain de monstre sans sang.

" Je suis là. Pourquoi est-ce-que ça ne te suffit pas?"

" Mais putain, tu sais que ça me suffit. Je ne serais pas là sinon. C'est juste que je ne veux pas que tu partes. C'est si étrange de désirer ta présence dans ma vie? Je te veux, je te veux merde, je veux que tu sois là tous les jours jusqu'à ce que je crève, je veux t'aimer sans avoir peur que tu te barres avec mon coeur, je veux savoir ce que ça fait d'être aimé sainement, pleinement, d'une manière qui en ferait crever de jalousie tous les autres. Mais t'es pas foutu de me promettre de rester."

" Parce que je ne veux pas promettre les choses. L'engagement me fait peur, pourquoi est-ce-que tu veux pas le comprendre, Achille? Je fais tant d'efforts, tant d'efforts pour être quelqu'un de bien. J'essaye de communiquer, j'essaye de t'offrir mon coeur sur un putain de plateau d'argent tous les jours mais même ça ça ne suffit plus!"

" Tu peux m'offrir ton âme mais si tu pars ça ne vaut rien. Si tu m'abandonnes en Enfer ça ne vaut rien."

" Mais putain, Achille..."

" Tu dis constamment que tu m'aimes, que tu peux pas vivre sans moi, que je suis ton tout, que tu regrettes les blessures que tu m'as octroyé, que tu regrettes de m'avoir détruit, que tu veux qu'on soit ensemble pour toujours. Alors pourquoi est-ce si dur pour toi de me promettre de rester?"

" Je—"

" Tu n'as pas de raison. Tu n'as aucune manière de le justifier autre que tu n'es pas foutu de te détacher de tes peurs."

" J'essaye. S'il te plaît comprend que j'essaye. S'il te plaît. Je fais de mon mieux, je ne sais pas quoi faire, je ne sais pas comment être mieux."

" Je sais que tu essayes. Mais... Tu ne peux pas te plaindre du fait que je ne te donne pas tout si tu ne me donnes pas de quoi j'ai besoin pour t'offrir mon coeur."

" D'accord. Pardon."

Il allume une autre clope, la main tremblante. Il la porte à ses lèvres, en prend une large bouffée, et la recrache, les larmes aux yeux. Je m'en veux. Je sais que je suis monstrueux, et je sais qu'il essaye, mais je ne peux m'empêcher de laisser le monstre en moi parler. La créature glauque, griffue qui m'agite comme un pantin. Je la laisse parler, je la laisse hurler, gronder, je la laisse brûler mon monde. Je n'arrive pas à l'abattre.

Il termine sa clope, enchaine avec une autre, puis encore une autre, avant de s'engouffrer dans la salle de bain. J'entends le verrou qui tourne, j'entends ses sanglots. Je m'assois dans la cuisine et je laisse libre cours à mes propres larmes.








" Est-ce-qu'un jour je te suffirai, Achille?"

Il fait sombre dans notre chambre. On ne s'est pas parlé durant des heures, c'était un supplice. Mon âme est déchiquetée. Le néant m'aspire, comme un trou noir, béant, aux crocs acérés.

" Tu me suffis."

" Pourtant tu réclames toujours plus."

" Je crois que..."

Je me mords la lèvre. C'est si difficile de poser des mots sur ma douleur intérieure, celle qui gouverne mes moindres actions.

" Je crois que le monstre à l'intérieur de moi à une faim insatiable. Je crois qu'il m'est impossible d'accepter ce qu'on me donne sans tout remettre en cause, parce qu'accepter de l'amour ça veut dire accepter qu'on le mérite. Et je n'ai pas l'impression de le mériter. J'ai l'impression d'être la pire personne sur Terre. Et je sais qu'avec le temps, avec l'aide du psy peut être, peut être que ça va changer. Mais ça fait tellement longtemps que je me considère comme un moins que rien. Que les évènements de ma vie ne font que me rabâcher que je ne mérite rien, que je suis une sombre merde, un idiot, une personne qui ne mérite rien, qui est même pas entière. J'ai l'impression d'être une ombre, une crevice, une crevasse dans la neige qui aspire les hommes et les tue. J'ai l'impression de... Je ne sais pas comment le dire. Je sais pas. Je suis pas un héros. Je suis un antihéros, mais je ne suis même pas appréciable. J'ai l'impression d'être faux. Que les rares fois où je fais du bien aux autres c'est parce que je porte un masque. J'ai l'impression qu'on ne me voit pas tel que je suis réellement, du coup ça fait que ce que je reçois je ne le mérite pas, c'est pas possible, je suis un imposteur, c'est pas à moi que l'amour est adressé. Je ne sais pas si je m'exprime bien, j'ai l'impression de vomir des mots à la chaîne sans qu'aucuns ne s'imbrique comme il faut. Je me sens pas à l'aise dans ma propre peau, dans ma propre enveloppe charnelle, alors comment est-ce-que quelqu'un pourrait l'aimer si moi-même je la hais, tu vois?"

Je ferme les yeux. Sa main glisse contre ma joue, où roulaient de grosses larmes rondes.

" Je ne sais pas comment accepter ton amour, Thomas. J'essaye. J'essaye d'accepter que ce que tu m'offres vient de ton coeur, que ce que tu m'offres je le mérite, que c'est pour moi. Tu me suffis amplement, je te le promets. Je en sais juste pas accepter quelque chose que j'estime ne pas... Ne pas devoir recevoir. Fin vraiment je— je le mérite pas, tu vois? Tu dis tout le temps que tu es un monstre, mais tu sais, moi aussi. On est deux. Deux êtres vraiment, profondément cassés. Et je sais pas si assembler deux morceaux suffit pour créer un entier, je sais pas si être ensemble fonctionne, je sais pas si moi même j'ai pas un peu peur de pas être assez pour toi, alors je te donne rien en pensant que ça facilitera ton départ, je sais pas. C'est rassurant pour moi de partir du principe que tu ne resteras pas parce que ça me permet de pas m'attacher à toi. De ne pas dépendre de toi."

Il dépose doucement ses lèvres contre ma joue, puis les glisse le long de ma mâchoire. Ma respiration se coupe. Ses mains s'agrippent à ma taille, avancent le long de mon torse, s'arrêtent à mon cou. Il est au dessus de moi, et en moi démarre un feu. Il m'embrasse, je l'embrasse, nos langues entament un dialogue bien plus éloquent que les mots ne le permettent. Et je sais— je sais alors qu'il me suffit. Que malgré la peur, malgré tout le noir qui emplit ma tête comme une toile d'Anish Kapoor, je resterai. Et je continuerai de m'offrir à lui du mieux que je m'en sens capable.

Ses lèvres embrasent mon âme. Le feu parcoure mes veines, parcourent chaque cellule de mon corps. Je suis un brasier, un incendie sur pattes. Alors je continue de l'embrasser, parce que ma vie en dépend. Et je me laisse accepter qu'aimer cet être brisé me suffit, malgré toute la souffrance que cela risque de continuer de m'apporter.

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