- Voilà la patrouille qui arrive, planquez vous.
Nibleim et Hank se devaient de remplacer les deux soldats étourdis, le temps de faire le nécessaire afin que nous puissions prendre la route pour le couvent d'éducation. Nous nous dissimulâmes le temps d'un instant dans l'arrière salle du poste de contrôle, non loin des deux corps végétatifs mais vivants que nous venions de camoufler.
Ma respiration saccadée par le stress rendait mon masque humide, mais il n'y avait pas de quoi s'inquiéter, nous nous étions préparés et tout se passait comme prévu.
Artemisia retira le sien suite à la chaleur étouffante qui régnait dans la pièce, elle réclamait un peu d'air. Ron ressentit la même envie. Lui qui était pourtant très à cheval sur les ordres, je fus surpris de voir qu'il s'était permis de désobéir. Je suivis le même chemin, après tout, nous n'étions visibles de personne.
Malgré notre impossibilité d'échanger vocalement, nos expressions parlaient pour nous. Artemisia esquissa un sourire synonyme de décontraction qui avait été bien reçu par Ron. Nos regards s'entrecroisèrent, l'atmosphère était pleine de confiance et de sérénité, je pris alors conscience que nous n'étions plus vraiment les mêmes qu'il y a encore quelques semaines, nous avions évolué.
À cet instant, mon stress se dissipa, il n'avait plus lieu d'être. Ce n'était pas un mal en soi, il était tout à fait normal d'être sujet à ce type de sentiment face à ce genre de situation, mais je m'étais à ce moment précis convaincu et persuadé que j'étais prêt pour cette mission.
La porte s'ouvrît subitement, dévoilant le visage d'Hank à notre plus grand bonheur.
- Du nerf l'équipe, il y a quatre autres bonhommes à ramener ici. Et remettez vos masques si vous ne voulez pas vous faire taper sur les doigts. lança-t-il.
Aussitôt nous nous relevâmes tout en cachant nos visages et nous nous exécutâmes sur le champs.
- Une fois fait, on saute dans leur véhicule et on se met en route. Réétudiez bien vos rôles durant le trajet car une fois sur place, nous devrons être d'une précision chirurgicale. expliqua Nibleim.
Il n'y avait pas eu de victimes à déplorer, tout se passait à merveille. Les soldats de rang cinq ne représentaient aucun danger pour nous, si nous devions évaluer notre propre force à chacun, elle devait être comparable aux meilleurs de ce rang, excepté Hank et Nibleim qui semblaient d'un autre niveau.
L'établissement des rangs s'effectuait de manière exponentielle, plus le niveau s'élevait, plus l'écart entre eux était important. Ainsi, un rang cinq pouvait prétendre au rang supérieur avec du travail, là où il aurait fallu des décennies à un rang deux afin d'être promu. À ce stade, il ne s'agissait plus que de talent.
Nous étions donc en route pour la deuxième étape. Les différents pass subtilisés aux supposés membres de patrouille nous avaient permis de passer les barrières donnant l'accès au tunnel qui nous mènerait directement à notre destination.
Ce passage avait été construit pour faciliter le trajet dans le désert. De nombreuses tempêtes y sévissaient, une route en plein milieu demanderait à dégager constamment le sable qui la recouvrirait. C'était la logistique et des risques inutilement coûteux sur le long terme qu'il était préférable d'éviter.
Seuls dans ce long tube qui me semblait interminable, filant à toute allure, nous nous rapprochâmes chaque seconde un peu plus de ce moment qui allait nous faire basculer vers un destin dont personne ne pouvait esquisser la finalité. Les lumières jaunâtres des éclairages s'enchaînaient à un rythme régulier donnant l'impression d'agir tel un compte à rebours.
Je restais calme...
- Nous aurons assez de temps pour mener l'évacuation a bien mais il ne faudra pas traîner ! Rappelez vous, vous devez impérativement mettre hors d'état de nuire tous soldats que vous croiserez, auquel cas ils seraient susceptibles de déclencher l'alerte et là, ce serait le début des gros problèmes !
Nibleim nous avait répété ces mêmes consignes un nombre incalculable de fois auparavant, peut-être avait-il pensé qu'une fois de plus ne serait pas de trop. Sa voix se perdait dans le désordre des bruits de moteurs et des pneus se frictionnant à l'asphalte, le tout dans une résonance générée par les parois du tunnel. Alors qu'il finissait de tonner ses instructions que j'écoutais à peine, un point blanc devint visible à l'horizon jusqu'à dessiner une sortie.
Nous y voilà...
Je contemplai pour la première fois les lignes structurales d'un couvent d'éducation. Les descriptions qui nous avaient été données étaient fidèles à la réalité. Une grande muraille, dont l'orientation nous confirmait qu'il entourait l'ensemble des bâtiments, nous faisait face et était dominé par une gigantesque protection bleutée. On pouvait apercevoir la partie haute du bâtiment central qui dépassait légèrement, celui-ci devait être important. Nous étions d'ailleurs nous-mêmes sous protection durant les centaines de mètres qui nous séparaient du dernier point de contrôle au pied du mur, alors que le vent soufflait à en déraciner des arbres centenaires.
Les gardes étaient avertis de notre arrivée, c'est donc sans surprise que les immenses portes métalliques s'ouvrirent à notre arrivée. La mission allait s'accélérer une fois entrés.
Nous stationnâmes non loin du centre de contrôle, c'était de ce point que le changement de patrouille devait être validé via un système relié au réseau de la S.E. Des codes devaient être administrés par les deux équipes permutantes, confirmant ainsi la manœuvre.
Seuls deux gardes nous accueillirent. Nous savions que la sécurité laissait à désirer, mais je ne m'attendais pas à ce que les choses se déroulent autant à notre avantage. C'était bien la preuve que les Élus ne craignaient rien ni personne. Ils n'avaient jamais été inquiétés par qui que ce soit, ils ne voyaient donc aucune utilité à surprotéger un lieu qui ne redoutait aucune attaque à leurs yeux.
- Soldats ! s'exclama l'un des deux gardes en effectuant le salut propre à la S.E.
- Unité de changement de patrouille AX91 arrivée à destination ! répondit Nibleim tout en renvoyant le salut.
Nous l'imitâmes afin de n'éveiller aucun soupçon.
- On vous attendait, j'ai averti le quartier général que vous étiez sur les lieux. Il n'y a plus qu'à prévenir l'unité en place et nous procéderons à la rotation.
Ainsi Nibleim le suivit jusqu'à la salle des commandes. Hank quant à lui, gardait un l'œil sur le second soldat qui attendait patiemment la fin du processus.
- Longue journée hein ...! lanca-t-il spontanément.
- J'te le fais pas dire ! Il ne me reste que quelques jours avant que je ne rentre, autant dire une éternité ! répondit le garde.
De quoi décontracter l'atmosphère, nous ne devions pas converser mais cela semblait effectivement plus naturel d'échanger quelques mots plutôt que d'instaurer un silence de mort. De plus, son initiative eut l'effet escompté, le garde ne se méfiait pas et avait encore moins de raisons de l'être après cette intervention un brin amicale.
- Unité Nord au rappel. Rendez-vous au centre de contrôle pour changement de patrouille. Unité Nord au rappel. Rendez-vous au centre de contrôle pour changement de patrouille. commanda le premier garde via le canal de transmission.
- J'espère qu'ils ne nous feront pas trop attendre,
souffla Nibleim.
- Ce n'est que l'histoire de quelques minutes,
rien de bien long.
En réalité, Nibleim ne tentait en rien de faire la conversation mais plutôt de soutirer des informations. Le quartier général étant informé de notre présence, il fallait agir vite. Nous avions trente minutes devant nous avant que la Cité ne soit avertie d'un incident. En effet, une fois la clé de validation des codes activée, c'était le laps de temps qu'il était alloué pour confirmer le changement d'équipe. Si cela n'était pas fait dans le temps imparti, une notification d'urgence était automatiquement envoyée au service des affaires externes de la S.E et un contingent pointerait le bout de son nez en un quart d'heure, ce qui nous laissait environ quarante cinq minutes de battement.
- Vous pouvez d'ores et déjà rentrer vos codes, j'ai activé la clé pendant que nous ouvrions les portes. affirma le soldat.
- Pardon ??? s'exclama Nibleim, stupéfait.
- Oui, je n'allais pas vous faire attendre. Ça doit déjà être assez barbant de devoir faire la garde ici ! balança le garde en ricanant.
Voilà une donnée qui ne nous arrangeait pas du tout. nous étions sur les lieux depuis une quinzaine de minutes déjà et l'activation de la clé était le lancement de notre sablier. Nibleim constata que nous venions de se faire sucrer un tiers de notre fenêtre d'action. D'un coup d'un seul il assomma le garde. Hank, qui restait à l'affût de tous changements, réagit aussi en frappant le second soldat à la nuque.
Rien de cela n'était prévu...
Nibleim s'extirpa de la salle de contrôle à toute allure.
- Quel est le problème ? demanda Hank.
- Cet idiot avait activé la clé de validation des codes à notre arrivée. Il nous a fait perdre un bon quart d'heure. Il faut qu'on passe à la phase trois ! répondit vigoureusement Nibleim.
- Et l'unité Nord ?! Elle doit se pointer, on fait quoi ? On ne peut pas les laisser arriver et trouver d'eux des leurs entrain de roupiller ! ajouta Neto.
- On va les attendre, mais on va devoir s'en charger et changer quelque peu nos plans...
Les choses commençaient à se corser...