Rouge sur Noir (terminée)

By samouraispoke

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Qui aurait pensé que l'Europe pourrait être frappée par un virus plus meurtrier après une première pandémie... More

𝘤𝘢𝘳𝘵𝘦𝘴
𝐌𝐎𝐎𝐃𝐁𝐎𝐀𝐑𝐃 /1/
𝐌𝐎𝐎𝐃𝐁𝐎𝐀𝐑𝐃 /2/
Prologue
𝐏𝐀𝐑𝐓𝐈𝐄 𝐈 ) 𝐕𝐈𝐍𝐆𝐓-𝐃𝐄𝐔𝐗
1. Six
2. Mademoiselle
3. Transporteur
4. Truisme
5. L'Heure
6. Halte
7. Casemate
8. Ça
9. Prolixe
10. Dédale
𝐏𝐀𝐑𝐓𝐈𝐄 𝐈𝐈 ) 𝐂𝐋𝐀𝐈𝐑-𝐎𝐁𝐒𝐂𝐔𝐑
11. Avanies
12. Zizanie
13. L'Histoire
14. Dissensions
𝐏𝐀𝐑𝐓𝐈𝐄 𝐈𝐈𝐈 ) 𝐅𝐀𝐔𝐗-𝐅𝐔𝐘𝐀𝐍𝐓
15. Insurrection
16. Observation
17. Némesis
18. Latent
19. Brouille
20. Émancipation
𝐏𝐀𝐑𝐓𝐈𝐄 𝐈𝐕 ) 𝐆𝐔𝐄𝐓-𝐀𝐏𝐄𝐍𝐒
21. Rixe
22. Charivari
23. Maux
25. Halo
26. Enclenchement
𝐏𝐀𝐑𝐓𝐈𝐄 𝐕 ) 𝐋𝐀𝐈𝐒𝐒𝐄𝐙-𝐏𝐀𝐒𝐒𝐄𝐑
27. Virage
28. Proximité
29. Liesse
30. Chance
31. Lice
32. Détonateur
33. Ersatz
34. Fief
Épilogue

24. Choc

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By samouraispoke

Braham se figea, prit une profonde inspiration, puis une autre, puis encore une, en vain. Une sensation de brûlure embrasant sous sa chair, dans sa poitrine et irradiant dans la complétude de son histoire surgit. Une main ferme agrippa l'épaule de Johan, puis l'autre.

— T'as dû confondre, glissa-t-il d'une voix éteinte, presque inaudible avec la sirène retentissant en arrière-plan. Elles devaient dormir. Johan, elles devaient dormir, t'as dû confondre. Zoé et Helen ne peuvent pas mourir. Elles sont... Elles sont importantes pour Jill, elles sont vivantes. Elles...

— Elles sont mortes, Braham. Mortes.

Mortes. Ses yeux coururent partout — où un signe ferait dire à Johan qu'il se trompait, cherchant désespérément, comme Adán et Nari, un moyen d'apaiser cette boule d'angoisse ornée d'une amertume naissante. Ils en étaient la cause. Leur sang, leur famille en était la cause ! Il n'y avait aucun moyen de ne pas se sentir coupable, de faire disparaître ce misérable sentiment de culpabilité. Têtes baissées. Braham haleta, inspira et exhala à grand-peine. Les larmes de Johan explosèrent.

— Elles sont mortes dans les guérites. Ils les ont asphyxiées. Braham, elles sont putain de mortes et ça a dû être lent — Braham, je vais pas tenir le coup, non plus.

Les maux de tête, les douleurs thoraciques, le poids lourd sur ses épaules, les paupières tombantes d'épuisement, tout fit croire à cette chose qu'il repoussait tant...

— J'suis entré dans la salle d'observation pour voir si tout allait bien. Elles étaient blanches, sans veines apparentes, sans la poitrine en mouvement. J'me suis rapproché pour vérifier que j'hallucinais pas, mais elles... (Menton tremblant) elles avaient le regard vacant. Et là tout à coup...

Braham glissa son regard sur les veines de ses bras. Progressivement sombres, semblaient-elles. Ses mains agrippèrent ses vêtements, ses doigts enfoncés dans son pantalon, espérant atteindre la chair pour contrôler la douleur. Son regard fuyant, anormalement insaisissable, cherchait désespérément une forme de soulagement de la douleur aiguë en lui. Braham laissa échapper un hoquet. Cette prise de conscience alla au-delà de la douleur subie par Johan.

— Un Infecté Colibri s'est agrippé à moi, annonça-t-il d'une voix déchirée, alors que Braham fermait les yeux. Il a enfoncé ses doigts dans la peau de mon épaule et sa bave a suinté à travers le tissu. Et puis un autre Colibri infecté est arrivé, et j'ai failli y passer. Ma bouche était grande ouverte, j'étais au sol, je me battais, je luttais en grimaçant et leur bave... Braham, je les ai tués, mais ils sont peut-être pas les seuls si moi je m'ajoute à la liste.

Son corps chevrota de peur de le voir partir. Les jambes de Johan se pliaient de manière incontrôlable, épuisée par cette lutte invisible. Silence. Braham se figea dans l'incompréhension et le manque de temps pour se rendre compte que son monde s'effondrait.

Il ne savait plus comment bouger son corps, penser rationnellement, ni où regarder. Johan attrapa les cheveux de Braham en deux temps trois mouvements et porta sa bouche près de son oreille.

— Braham, tu dois me tuer.

Le jeune Cunningham tenta de se concentrer sur ses mots, sa respiration, ce qui semblait être vrai, mais rien ne semblait vouloir ou pouvoir sortir ce canif remuant dans son cœur. Son menton trembla alors qu'il agrippait le cou de Johan et le força à lui faire face du regard.

— T'as perdu la tête, Jojo ? J'peux pas, dit-il d'une voix brisée.

Ses larmes enfouies se peinaient à rester ainsi. Braham leva la tête, incapable de le regarder.

— Mais il le faut, Braham, insista-t-il en glissant l'arme dans sa main gauche.

— Johan, on va trouver une solution !

Soudain, des rangées de pas se firent entendre dans les couloirs. La douleur devint de plus en plus difficile à contrôler, tout comme ignorer l'intensité avec laquelle la voix de Braham et les pas autour de lui percutaient, comme des couteaux aiguisés, ses oreilles. Johan posa sa main derrière la tête de Braham et le pressa contre son front.

— J'vais soit t'tuer bientôt, soit m'tirer une balle dans la tête, me suicider, et aller en enfer. Est-ce que tu me vois aller en enfer ? Tu veux que j'aille en enfer, Braham ?

Le jeune Cunningham l'éloigna de son visage en tremblant, alors que les larmes de Johan coulaient comme une avalanche à l'idée de se suicider. La tentative de reprise de contrôle de sa respiration ne consola guère la peur bleue.

— Non, non, non, Johan, calme-toi. Calme-toi, putain, s'époumona-t-il.

Des vagues de douleur lancinante pulsaient sous sa chair, dans ses veines mi-brunes, mi-noires, et ses yeux qui devenaient noirs de jais telles leurs prunelles.

— Ils font ça pour t'déstabiliser. Ils le font pour ça, pour t'déstabiliser, pour t'faire abandonner. Tu dois pas pleurer Braham. Tu dois pas pleurer, t'as compris ? Tu dois y aller ou j'serais mort pour rien. J'veux pas mourir pour rien, Braham !

— Jojo, t'es vivant. T'es vivant, arrête de dire des conneries, tu vas rester en vie.

Au-delà de la transformation, rien n'était plus douloureux que de voir Braham sous cet angle. Il voulait lui dire que tout irait bien, qu'il n'avait rien à craindre de lui car il ne mettrait jamais sa vie en danger, mais, sans aucun doute était-il plus douloureux que d'essayer de régler la situation et les aggraver inconsciemment. Son visage commença à être orné de varicosités noires et palpitantes.

Ses pupilles tapissèrent presque tous ses yeux. 90 %. Braham ne put s'empêcher de lui rendre l'arme, combattant une dernière fois la réalité, percevant déjà les conséquences drastiques qui s'abattraient sur lui dans une minute. Il n'avait jamais su exprimer ses émotions devant tout le monde. Rares étaient ses larmes, et pourtant elles coulaient sans crier gare.

— J'dois partir, glissa Johan d'une voix blanche. Embrasse Doris et Stessy pour moi. Dis-leur que j'vais retrouver mon p'tit Steve si Dieu le permet. Dis-lui que papa est intrusif, parfois gênant dans ses blagues, mais c'est sa façon d'aimer sa fille. Dis-lui qu'papa l'aime et qu'on s'retrouvera si Dieu m'pardonne. Dis à ma Doris d'prier... Parce que... Je...

Sentant le virus le faire prisonnier jusque dans sa tête, Johan leva l'arme à sa tempe d'une main tremblante, les dents serrées, rebroussant les petits grognements qui tentaient de percer un chemin entre ses lèvres. Il lui fallut quelques secondes pour réagir, rassembler suffisamment ses pensées pour y voir plus clair et le libérer de ce poids lourd qui le claustrait.

Braham saisit l'arme à temps. Il n'aurait jamais pensé que l'histoire de Johan Everett Harmon se terminerait ainsi, de manière si abrupte, si atroce et si inhumaine. Maintenant, l'homme en lui n'était plus là. Ses yeux luisaient chaque fois que la pièce était plongée dans le noir.

— Me force pas à faire ça, Jojo, s'écria-t-il en émoi. T'as pas le droit !

Mais il devint graduellement pénible de respirer sans accroc. Braham devait bouger, se sauver, l'arrêter, mais il ne put rien faire, pas même pointer l'arme sur lui. Il n'y avait rien en vue, pas même un abîme qui lui dirait que c'était la fin, qu'il avait dépassé sa chance pour réussir à s'échapper, là, jusqu'au point de non-retour.

Alors, lorsque Johan se rua sur lui, la bouche grande ouverte, Braham le repoussa, puis il s'avança de nouveau, les bras tendus, et le poussa avec plus d'insistance. Tout était flou autour et dans ses rues cérébrales. Johan avait été la dernière personne qu'il aurait pensé être infecté.

Il ne comprenait pas, ne pouvait pas comprendre et ne voulait pas le faire. Soudain, il cessa de le pousser après la neuvième fois, la tête lourde comme ses pensées. Il observa un bref instant, sa situation, ce pour quoi il s'était donné corps et âme être détruit en un claquement de doigts.

Tout était perdu. Et s'il abandonnait — s'abandonnait, Jill et Esma seraient-elles allées au Dôme pour rien ? Avec la dernière force en lui, Braham le poussa fermement, essayant de ne pas se mettre sous ses griffes. Ce qui fut presque le cas... jusqu'à ce qu'une perche de capture vienne sur Johan par le cou, un bruit confus en arrière-plan.

Seconde. Confusion. Secondes. Immobilité.

Les couloirs du bunker tremblaient face aux hommes qui se déplaçaient en groupes, martelant en eurythmie le sol. Le tintement de la sirène d'alarme devint un rythme qui guida les Vendus vers lui, Braham Cunningham.

Quand il se rendit compte que l'homme qui avait capturé Johan était de la branche du CSD, il ne pensa pas à Adán ou Nari, mais au billet, à ce foutu billet de cinq dollars, qui le poussa à fermer les yeux, dominé. Les soldats ne parlaient que pour échanger les instructions. Et puis soudain, le bruit cessa. Les pas, la sirène tonitruante — tout s'arrêta. La lumière éclaira à nouveau le bunker.

Face à la lumière aveuglante pour lui, Johan hurla et se tortilla sans interruption de douleur. Dans le couloir, Adán et Nari firent menottés et sur chacune de leur bouche reposa la main d'un soldat. Braham sentit une douleur sans équivoque dans son flanc, engourdi par ce qu'il voyait et ce qu'il souhaitait ne pas avoir vu, pompant toute son énergie restante.

Nari fut la première à affronter la réalité. Ses yeux s'écarquillèrent lorsqu'elle reconnut l'odeur qui embauma le couloir. Une odeur provenant du groupe avançant vers eux. Les Vendus s'arrêtèrent un peu avant la porte et s'écartèrent à droite et à gauche, laissant le passage à celui qu'il couvrait. Un sentiment accablant de terreur se faufila dans ses veines et lui coupa le souffle.

Cette froideur hautaine émanant de ce corps qui glaçait le lieu et ses azimuts. Sa prestance était majestueusement imposante. Se pavanant vers elle, Adán les épiant avec effroi, l'homme grand et mince ajusta son costume noir. Son visage était impénétrable et anguleux.

Son teint éclatant de santé. Ses yeux bridés marron clair, dont un cerceau noisette parsemait l'extérieur de ses iris, se posèrent sur elle. Ses lèvres incarnates arboraient un sourire railleur.

L'homme aux cheveux noirs peignés à la raie s'arrêta devant elle.

— Je t'avais bien dit qu'on se verrait demain, Nari.

Jung-Hwa Yeon se tourna vers deux soldats et leur fit signe d'entrer dans la pièce. Ils obtempérèrent. Braham fut prié de mettre ses mains sur sa tête et de s'agenouiller. Johan fut mis sur le côté avant qu'il n'entre, tout sourire et riant de bon cœur. Dès que Braham le reconnut, il leva la tête et le fixa sans s'arrêter, avec le même regard glacial et la mâchoire serrée. Le patron glissa ses mains dans ses poches, un sourire moqueur aux lèvres.

— Après tant d'années de chamailleries dans l'hermétisme, nous voici en personne. Vous êtes plus charmant que l'image attribuée à votre page Wikipédia, Braham Cunningham.

Le jeune Cunningham ne pipa pas un mot. Jung-Hwa s'approcha, sa veste effleurant son visage, puis désigna Johan du doigt. Le Vendu le tira à l'aide de la perche près d'eux.

— Je vais vous donner quelques minutes pour choisir le sort de ce pauvre homme, dit-il froidement. Vous êtes organisé, vous investissez dans vos projets, vous êtes généreux, mais il faut dire que vous manquez crûment de stratagème et de malice...

Il se pencha, les mains derrière le dos, un sourire narquois, fustigé par le regard par Braham.

— Laissez-moi vous dire que vous n'avez aucune chance d'infiltrer un monde tel que le mien, si vous ne savez pas vous adapter, Braham. Dans cette posture d'homme fragile, vous n'avez aucune chance d'aller au Dôme, malgré votre habilité et votre plan remarquablement net et précis que je conçois — et qui correspondrait au profil d'un homme de votre genre. Alors, dit-il en se redressant, je vais vous donner une chance d'infiltrer le Dôme. Seulement si vous acceptez de travailler pour moi et seulement moi.

Braham eut un rire étouffé.

— Plutôt mourir que de m'allier à vous, riposta-t-il, la tête bien levée. Libérez mon ami et laissons-le terminer le travail, allez-y. Jung-Hwa, pour votre gouverne, je ne travaillerai jamais pour un Barjot comme vous. Je ne me laisserai pas devenir ce que j'ai toujours pesté.

Le patron gloussa. Son sourire étira malicieusement ses lèvres vers le haut, s'abattant sur Braham comme des poignards qu'il remuait avec haine. Nari connaissait ce rire — l'avait déjà entendu, malgré elle, dans le passé. Cette fois, ses yeux froids fixèrent Braham avec une rage bouillonnante et implacable. Contrarié, une bouffée d'air s'échappa de ses narines.

— Dites-moi alors, très cher Braham, comment comptez-vous infiltrer le Dôme sans moi, maintenant que je suis conscient de ce plan ? demanda-t-il sur un ton exhibant du dépit.

Le jeune Cunningham pensa qu'il était évident que le patron avait besoin de son aide. Sinon, tous ici seraient déjà morts à cette heure.

— Je n'aurais jamais eu besoin de vous pour réussir, vocalisa Braham d'un ton glacial. Vous saviez que j'allais réussir, c'est pour ça que vous êtes ici, , à me demander de vous être utile.

Même s'il était contrarié, souriant moqueusement, Jung-Hwa lui lança un regard noir.

— Au-delà du fait que vous haïssez Odet parce qu'il vous prend pour son serviteur, poursuivit Braham dans un mi-bluff, vous n'aimez pas ses tendances à vouloir toujours plus, et de manière extrême. Vous êtes phallocentrique, mais vous n'êtes pas royaliste. Vous êtes sexiste, mais croyez-en l'amour. D'ailleurs, vous n'aimez pas son harem. Écoutez, je sais que vous voulez détrôner l'unique roi, et de moi, vous attendez que je devienne votre humble serviteur.

Le patron s'enfiévra d'une onde de rancune, un rire lui chatouillant la gorge.

— L'unique roi, répéta-t-il amèrement. Je ne peux pas vous laisser résumer la situation à ce discours minable d'un héros byronien. Qui est Odet, dites-moi ?

— Une personne, répondit-il en hâte.

— Une simple personne peut difficilement gouverner le monde à lui seul, Braham. Il peut le revendiquer, car les affaires sont classées secrètes. Mais la vérité n'est jamais vraie, généralement dissimulée à dessein.

Soudain, le patron se déplaça dans la pièce sans le quitter du regard. Les grognements de Johan rugirent en arrière-plan.

— Odet est quelqu'un d'influent, certes. Il a de bonnes idées et une ambition sans pareille. Mais vous et moi savons très bien qu'il ne pourra jamais au grand jamais gouverner sans l'accord des organisations. Des organisations qui servent à maintenir solide cet ordre sociétal basé sur un système bénéficiant à quelques hommes — dont Odet, et autrefois moi-même.

Braham s'efforça à ne pas froncer les sourcils.

— Je dois dire qu'ils font parfaitement leur travail si la classe dirigeante qu'est cette caste qui s'abat sur les classes moyennes et populaires est toujours d'actualité. Certaines choses bousculent ce monde classé, quelles soient physiques ou technologiques. Mais... ça ne suffit pas quand ils savent s'adapter. Tant que ce système leur profitera, secrétaires, fonctionnaires, diplomates, représentants permanents des États, délégués, en eux-mêmes, gouverneurs de banques, les vrais Crésus suivront les idées d'Odet, si bonnes et si fécondes.

Braham n'avait jamais dit le contraire, mais dans ce genre de situation, semblait-il qu'il valait toujours mieux le répéter.

— Sans l'accord du Club, poursuivit-il, vous n'irez pas plus loin que l'effondrement d'un seul royaume parmi des milliers de groupes prêts à prendre le relais, de la même manière qu'Odet... et peut-être plus radicalement. Les traditions perpétueront après nous, Braham.

Jung-Hwa s'arrêta net dans sa ligne de mire, puis avança lentement.

— Si vous voulez avoir une chance de changer le monde, reprit-il, attaquez ceux qui le font tous les jours, sans susciter bruit ni prise de conscience.

Après de longues respirations, et une volonté mitigée d'aider, il déclara :

Lucien Guilluy, par exemple. Président du comité de direction du Club, ancien PDG du groupe Crédit Citoyen. Issu d'une famille de la haute aristocratie catholique, il a grandi avec des hommes politiques proches. Il a fait l'ENA, a travaillé dans la fonction publique et a administré de nombreuses entreprises, instituts et musées.

Avant de reprendre, il lui lança un regard énigmatique.

— Lucien est très proche de sa fille et de sa femme, insista-t-il. Il a fondé un groupe qui rassemble chefs d'entreprise, hauts fonctionnaires, universitaires prodigieux d'écoles privées et représentants de la société civile qui débattent de questions de politique publique à long terme. Peut-être que ce monde actuel était validé, parce qu'ils connaissaient l'issue de l'ordre social, la tendance stupidement révolutionnaire du peuple, et abusive des Crésus.

Braham détestait la manière dont il agissait comme s'il n'était pas présent à leurs réunions et conférences annuelles.

— En bref, sa fortune ne dépasse pas les cent millions d'euros. Pourtant accusé de blanchiment d'argent, l'histoire ne va pas plus loin que ça, car il est roi. C'est un noble, Braham, un noble, pas un patron ou un big boss. Les milliards de Nétanel ne font guère de lui le maître du premier cercle du Club, tel Lucien.

Braham ébaucha un sourire arrogant et indomptable.

— J'aurais pu trouver les informations sur Wikipédia, répliqua-t-il. Peut-être que c'était déjà fait, vous ne le savez pas. Peut-être que j'avais déjà prévu de lui parler pendant la soirée.

— Exact... à un détail près, rétorqua Jung-Hwa en s'approchant de son visage. Sa femme et sa fille ne figurent pas sur sa page ou sur Internet en général. Mais elles seront là, à la fête. Vous n'auriez jamais su comment lui parler si je n'étais pas là à vous parler d'elles.

Le jeune Cunningham fronça les sourcils.

— Vous êtes en train de m'aider ou c'est une manière de vous foutre de ma gueule ?

Jung-Hwa prit place sur le lit après avoir retroussé les canons de son pantalon.

— Oh, je suis loin, très loin du mensonge. Mes actions sont en baisse. Le laissez-passer en hausse de prix pourrait me coûter ma place d'ici quelques années. Odet veut être le seul contrôleur de la situation et accorder des laissez-passer à quiconque se soumet à lui. Si je vends Interunion — à Odet, pour garder ma place, je n'ai plus rien... Et... s'il a en tête de créer un gynécée, je ne veux pas voir ma fille y être.

Les yeux de Nari s'écarquillèrent d'incompréhension.

— Hors de question, poursuivit-il après s'être éclairci la gorge. Je dois prendre des précautions, et le Club fera de même. À vous de voir, Braham. Débarrassez-vous d'Odet et je vous laisserai prendre ce que vous voudrez à l'intérieur de ce Dôme.

Braham pensa qu'il le faisait tout de même pour lui-même. Il avait peur de l'avenir, puisque les gens comme eux, de l'autre côté, ne feraient pas partie de ce système — bientôt lui, avait-il dit.

— Ne vous posez pas trop de questions, Braham, dit-il soudain, comme s'il avait entendu ses suspicions. Peu importe les raisons, quand le résultat compte. Nous voulons la même chose.

— J'en doute, rétorqua-t-il à faible voix, sans être entendu par Jung-Hwa qui parlait.

— De toute façon, sans moi, vous ne pourrez pas entrer sans risquer l'exécution. Dans un an, vous ne serez peut-être plus là. Alors qu'attendez-vous pour accepter ma proposition ?

— À cause de qui — quoi, dites-le-moi ?

Jung-Hwa leva les yeux au ciel.

— Vous vous posez trop de questions. Acceptez de travailler pour moi, et je vous laisserai infiltrer le Dôme sans prévenir la sécurité. Quel que soit votre objectif, je maximiserai vos chances de réussite. Nous avons des vaccins et nous pourrions guérir votre ami en cinq secondes, dit-il en pointant Johan. Dans ce cas, si votre réponse est non, je pourrais demander à l'un de mes hommes de le tuer sur-le-champ, dans dix, neuf, huit, sept...

Le soldat porta l'arme à hauteur de la tête de Johan. Si les Colibris avaient accepté de brûler les logements sociaux dans l'Est, rien de tout cela ne serait arrivé. Aujourd'hui, davantage d'hommes étaient morts. Après de grandes inspirations et une envie mitigée d'accepter, il s'exclama :

— J'accepte la proposition... à condition que vous me disiez pourquoi l'empire d'Odet est susceptible d'être réduit en cendres.

Le soldat baissa aussitôt son arme, tandis qu'un autre inséra une seringue dans le bras droit de Johan. Adán et Nari furent éloignés de la pièce à la demande de Jung-Hwa. Une fois qu'ils étaient loin, le grand patron se leva d'un air excessivement pensif du lit.

— Odet a un passé très sombre. Avec son gynécée, imaginez la liste aujourd'hui. Puis après, Monsieur se plaint que j'ai du mal à lui faire confiance. C'est un bon partenaire professionnel, mais vous savez, j'ai du mal à m'associer à ceux qui profitent des faiblesses des autres. Lucien est comme moi. Croyez-le ou non, le Club n'accepterait aucune bavure.

Braham se retint de secouer la tête.

— Odet est au sixième grade. Si son nom salit celui du Socle, le remplacer sera simple. Il manipule celles qu'il appelle Consultantes avec la vie de leurs proches si elles n'acceptent pas de prendre sa défense. Il est obsédé par mon mode de vie. Je suis le seul homme là-bas qui n'a jamais touché à l'une d'elles. Je m'assure de celles qui rentrent au Dôme, avant qu'elles n'entrent dans la chambre d'Odet. Chaque homme qui essaie d'exposer son passé reçoit des suppliques de dix millions de dollars par mois. J'en fais partie.

Il en fait partie, se répéta-t-il, incrédule.

— Mais... il m'arrive de laisser quelques histoires fuiter chez les jeunes. Vingt hommes ont été appauvris par le bouche-à-oreille. Ils sont inscrits sur la liste rouge des Dômes Unis, la LRDU. Certains sont des hommes qu'ils laissent rentrer au Dôme, s'ils acceptent de signer un contrat de silence, en échange d'une redevance de cinq millions, jusqu'à ce qu'il cesse d'acheter tous les habitants, faute de moyen. Odet s'intéresse beaucoup à l'espace et voudrait y vivre.

Cela n'étonna pas Braham.

— Le 28 décembre, il rendra publique sa décision de détruire des villes avec des armes nucléaires. Des vaccins seront fournis à ceux qui accepteront de servir les riches dans le nouvel ordre. Les stocks sont prêts. Des centaines de milliers. Croyez-moi, il se méfie de moi, car je suis contre cet ordre. Mon fils est sur Terre. Ma fille aussi. Ils me détestent et ne voudront jamais me suivre, tout comme je ne pourrais jamais m'habituer à être un père. Je ne comprends rien à leur dépression, dit-il en mimant des guillemets. Ce n'est qu'un caprice d'égoïstes. Et l'égoïsme, Odet le connaît très bien. Ce dernier a demandé l'assassinat de son passé... deux passés très, mais très différents. Vous devez être au courant, tout comme pour sa femme, Clara, une ancienne policière qui avait trouvé le dossier judiciaire de son mari classé sans suite.

Il l'apprenait.

— Toutes les plaignantes avaient fini, un jour ou l'autre, par retirer leur plainte, dont deux femmes en ville. Raison pour laquelle il a demandé la destruction de l'Est. Quoi qu'il en soit, faites ce que vous voulez de ces informations. Vous connaissant, vous douterez d'elles. Vous pensez que je ne suis pas aussi fou qu'Odet, mais que je m'en approche, par jalousie. J'aurais simplement aimé, très cher Braham, vous revoir le 28 décembre à mes côtés, sans trahison, mais...

Le patron eut un sourire sardonique.

— Je crois que je ne pourrais jamais vous faire confiance. Rares sont les fois où je me trompe. C'est pourquoi je vous ai pris quatre personnes. Ordre d'Odet.

Alors qu'il était prêt à partir, Jung-Hwa le regarda une dernière fois.

— Bien sûr, reprit-il d'un ton fier, si vous voulez me prouver que j'ai tort, vous savez quoi faire le 28. Vous qui aimez penser à tout, pensez-y. Longuement... Simple conseil.

Simple conseil.

Soudain, le patron, puis les soldats sortirent un à un de la pièce.

Silence. Ratiocination.

Mais... Si Jung-Hwa était réellement de leur côté, n'aurait-il pas tout bonnement affirmé à Odet que Helen et Zoé étaient mortes sans vraiment les tuer ?

Le patron suroccupé d'US AREA n'aurait jamais demandé à voir les cadavres, pensa Braham.

Alors, si le patron d'Interunion avait sincèrement voulu que les Colibris réussissent la mission pour vivre un lendemain, pourquoi une Mertens, une Webber et deux Colibris avaient-ils quitté ce monde, sans réelles explications ?

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