Je t'aime.
À quel instant ai-je laissé tomber mon intention de le repousser pour de bon afin de rester en sécurité ? Lorsqu'il m'a imposé – avec légitimité – la révélation de la nature de sa relation avec la jolie blonde ? Au moment où j'ai levé des yeux incrédules vers lui, oscillant entre honte et soulagement ? Peut-être quand je l'ai impulsivement embrassé, toute raison – il semblerait que Kuala Lumpur soit une destination sympa – oubliée. Que je l'ai attiré vers mon lit après m'être inquiétée de son état de santé et qu'il ait articulé contre ma bouche « On s'en fout, je vais bien. » ? Au réveil de la sieste qui a suivi notre ébat aussi fiévreux que désespéré ? Plutôt à la minute où il m'a finalement demandé avec une méfiance palpable qui était Ned, pendant que je m'insurgeais dans un ricanement moqueur qu'il ne connaisse pas l'une de mes séries favorites ? Peut-être est-ce plutôt là, que nos peaux sont moites tandis que j'ondule sur ses hanches au rythme de « Two weeks » de FKA Twigs. Pendant que les paroles disent « Je peux te baiser mieux qu'elle », je ne peux m'empêcher de penser...
Le message est-il clair, Evan ?
Oui, je me méfie encore de l'ombre d'Ariana, même s'il m'a assuré qu'il n'y avait plus rien entre eux depuis la seconde où Joshua a révélé mon mensonge. Que j'étais là lorsqu'il lui a dit. Autant vous dire que je regrette de ne pas avoir entendu cette phrase qui nous aurait évité bien des soucis. Mais probablement que je n'ai jamais réellement eu l'intention d'en finir avec cet homme. Même si c'est dangereux. Malgré les risques. Et si je lui disais tout simplement la vérité ? Maintenant qu'il s'est redressé, que ses doigts glissent le long de mon dos et qu'il mordille mon épaule, m'arrachant ce gémissement indécent que je n'ai pas besoin de réprimer, il est certain que je ne veux pas que ça s'arrête. Que je n'envisage pas qu'il s'éloigne. Que je veux juste me perdre dans ses bras jusqu'à la fin des temps.
Alors arrêtez les heures, merci.
Peut-il garder mon secret ? Comment recevrait-il ma confession ? Serais-je en danger, s'il savait ? C'est ce que Carly craint, mais a-t-elle raison de s'en faire ? Il est vrai que je ne connais pas le côté professionnel d'Evan. Celui qu'il est lorsqu'il porte son costume d'agent fédéral. Mais l'homme, lui, je sais qui il est, n'est-ce pas ? Lui qui vient de me faire basculer sur le dos et me regarde avec tendresse... Pourrait-il envisager de me faire sciemment du mal ? Ses lèvres parcourants ma clavicule pendant qu'il maintient mes poignets au dessus de ma tête me donnent envie de me décharger de ce poids devenu insupportable, pour tout vous dire. Les mots sont là, juste sur le bout de ma langue, hésitants, incertains, retenus depuis si longtemps qu'ils n'osent pas sortir. Mais peut-être est-ce parce qu'il y a une dernière chose qui me retient encore...
Dis-le, et alors je crois que je te révélerai tout de moi.
Est-ce ma faute, s'il ne le fait pas ? Parce que je l'ai gardé à distance depuis le premier jour ? Ou bien peut-être que ses sentiments sont tout simplement différents des miens ? Il a dit qu'il nous avait senti proches. C'est une réalité mais cela veut tout et rien dire à la fois, vous ne trouvez pas ? À cette seconde où je souffle son prénom, submergée à la fois par un orgasme d'une douceur insoupçonnée et par mes émotions, à quoi pense-t-il, lui ? Maintenant que nous basculons sur le côté, que mon front se pose sur son torse pendant que ses bras demeurent enroulés autour de moi comme pour prolonger notre étreinte, que ressent-il ? Il est probable que j'aurais préféré savoir lire dans les pensées plutôt que de voyager à chaque fois que j'ouvre une porte. Non seulement je serais fixée mais en plus, ce serait plus discret.
Est-ce que tu m'aimes aussi ?
***
— Prends ta journée, bougonne-t-il en me tirant dans ses bras alors que mon réveil sonne pour la quatrième fois.
Ne me tente pas.
— Je reviens d'une semaine de congés, je ne peux pas faire ça ! soupiré-je en tentant de m'échapper sans y mettre trop de conviction.
J'éteins la sonnerie dans une moue blasée, mais m'empresse de retourner me blottir contre sa peau sans masquer ma satisfaction.
— Et puis j'ai une réunion importante avec un client, ajouté-je en grande partie pour me convaincre de sortir du lit.
Evan ne reprendra pas le travail aujourd'hui alors oui je meurs d'envie de rester dans mes draps en sa compagnie. Pour tout vous dire, nous n'avons pas quitté mon appartement du week-end. Je crois pouvoir affirmer qu'il y a quelque chose de différent, entre nous. Même si je ne saurais pas expliquer quoi. Autant nous nous sommes vus souvent ces derniers mois, mais nous n'avions jamais passé tant de temps ensemble, rien que tous les deux. Or, là, nous sommes justes restés collés et oh mon dieu, je ne voulais rien d'autre. Nous avons dormi, cuisiné ainsi que ri avec cette facilité qui est la nôtre et que j'aime par dessus tout. Je sais que je dois partir au bureau dans peu de temps, mais j'ai l'estomac noué à l'idée de m'éloigner. De le laisser. Est-ce parce que j'ai eu peur de le perdre lorsqu'il a été blessé ? Ou car je suis malade de ne pas savoir ce qu'il s'est réellement passé ? Bien évidemment, l'incident – je trouve le terme léger – est couvert par le secret professionnel. C'est angoissant, vous ne trouvez pas ? Cela veut aussi dire que ça peut se reproduire n'importe quand, sans que je ne sache jamais ce qu'il fait réellement lorsqu'il travaille. Comment il se comporte quand il est l'agent Northwood. Sur quoi il enquête. Qui il interroge. De quelle manière. Je n'y avais pas vraiment réfléchi, avant. Lorsque j'étais amoureuse de lui et que je prétendais résolument le contraire. Que je disais que je n'étais pas prête à m'engager dans une relation sérieuse. Mais la réalité est que cet homme est un mystère. Je ne suis pas la seule qui camoufle des éléments de sa vie même si, d'accord, nos raisons sont différentes. Si je lui disais tout, lui demeurerait une énigme, d'une certaine façon. Et bien que j'ai envie de me montrer transparente, il y a ce je ne sais quoi qui me retient.
Serais-tu aussi charmant si j'étais une inconnue détenue par le gouvernement avec des capacités à exploiter ?
Alors malgré les mots toujours suspendus à mes lèvres, je me contente de demander :
— Et toi ? Que vas-tu faire aujourd'hui ?
— Je vais passer au bureau pour faire valider ma reprise par le médecin, souffle-t-il sur ma joue avant de retrouver ma bouche.
Non...
— Si tôt ? articulé-je d'une voix étranglée sans réussir à dissimuler mon angoisse.
— Taylor, soupire-t-il en souriant, m'as-tu trouvé inapte ?
Bien au contraire.
Levant les yeux au ciel, je m'échappe de son étreinte pour aller rejoindre ma douche. Et pendant que son attention ne me lâche pas une seule seconde – comme pour me rappeler ses propos ayant suivis notre premier ébat –, je tente de ravaler mon trouble. Que suis censée faire, à présent ? Mais surtout...
Toi, que veux-tu de moi ?
Feignant d'ignorer la brûlure de son regard sur mon corps, je me maquille légèrement puis enfile mes vêtements sans faire semblant de me cacher. Au contraire, je détache chacun de mes mouvements dans une langueur dont il paraît se délecter, avant qu'il ne se lève pour me plaquer contre le mur avec force. Tandis qu'il m'embrasse avec une avidité qui me fait regretter d'avoir mis tant de tissu entre nous, je perds à nouveau pied.
— Sinon tu peux rester là, murmuré-je dans l'un de ces gémissements indécents qu'il semble définitivement apprécier.
— Vraiment ? me demande-t-il en se reculant un peu pour me dévisager.
Oui...
Je mords l'intérieur de ma joue en tentant de camoufler l'importance du sous-entendu contenu dans ma proposition.
— Le trousseau de clés est toujours sur la table et Wyatt t'adore après tout, dis-je d'une voix que j'espère neutre. Il sera content si tu lui tiens compagnie.
Je ne veux pas te voir partir.
— Bien sûr il s'agit du chat, me raille-t-il en m'adressant ce rictus narquois beaucoup trop sexy dont il a le secret.
— Quoi d'autre ? répliqué-je en me détachant de lui sans arrêter ma comédie.
Je t'aime.
— C'est vrai, s'amuse-t-il en rejoignant la douche à son tour. Et c'est une bonne idée.
Vraiment ?
— Est-ce que ça veut dire que je te trouverais ici en rentrant ce soir ? demandé-je le plus innocemment possible en m'efforçant de garder mes yeux centrés sur son visage.
Bordel. De. Dieu.
— C'est ce que ça veut dire, oui, me répond-t-il avec sérieux.
— Passe une bonne journée, conclus-je sans savoir réprimer mon air ravi.
Je m'engage dans l'escalier d'un pas rapide avant que ma raison ne reparte en aller simple vers Kuala Lumpur, car j'ai réellement beaucoup de travail qui m'attend.
— De même ! lance-t-il avec une bonne humeur évidente depuis l'étage, lorsque j'arrive en bas.
J'attrape mes affaires ainsi que mon chat après lui avoir servi son repas, puis ouvre ma porte pour quitter mon appartement. Lorsque je referme, j'ai le pouls irrégulier et le cœur serré dans un étau d'angoisse que je n'avais jamais connu avant lui.
Est-ce que tu m'aimes aussi ?
***