Le bruit d'une chaise tirée à ma gauche me sortit brusquement de ma somnolence. C'était Nikolas.
Depuis que la sonnerie stridente avait retenti ce matin, je dormais à moitié. Cette nuit, j'avais fait un rêve, très long, important aussi -je le sentais- mais peu importe mes efforts, je ne parvenais pas à m'en souvenir, pas même de bribes.
Depuis l'aube, ce rêve étrange m'attirait, me retenait dans la nuit, de par son inconnu et cet arrière-goût amer.
Secouant la tête comme pour me débarrasser des dernières attaches oniriques, je la tournais vers mon voisin. Mon regard s'arrêta sur ses doigts pianotant sur le bois de la table. Sans m'en rendre compte, je restais un moment comme ça, immobile, à fixer sa main.
Et puis tout à coup, sans explication, toute trace du rêve disparut de mon esprit.
Enfin bien réveillée, j'attrapai le pot de lait pour me servir quand je remarquai que Nikolas me regardait, ce qui stoppa mon geste. Son œil sourit quand nos regards se croisèrent. Je souris à mon tour et lui expliquai la raison de mon état hypnotique. Il hocha la tête, et continua de manger.
Quelques minutes plus tard, il la releva et me lança :
— J'ai quelque chose à te proposer.
— Oui ? demandai-je, piquée par la curiosité.
Ce n'était pas tous les jours que Nikolas me consultait avant de faire ou décider quelque chose.
Il y avait plusieurs choses qu'il devait me dire : ce qu'était ce collier – car je n'avais pas oublié, quoi qu'il espère – et pourquoi il avait filé, blanc comme un linge, après avoir vu ou lu quelque chose dans le vieux livre vert que je lui avais subtilisé.
Evidemment, il ne me répondit pas.
Je regrettais parfois qu'il ait une barrière télépathique si puissante. Ce devait être oncle Kern qui lui avait expliqué comment la mettre en place...
Je vis que les élèves autour de moi commençaient à débarrasser leurs affaires, aussi me levai-je, rapidement suivie par Nikolas, muet comme toujours.
***
Il neigeait de gros flocons dehors, alors que nous nous dirigions vers la salle de Mme Desmond. Je me demandais comment cette dernière serait aujourd'hui, étant donné qu'elle avait eu l'air de m'en vouloir de ne pas lui avoir prêté mon collier et parce que j'avais quitté son cours la dernière fois de manière assez irrespectueuse.
Pour toutes ces raisons, ajoutées à celle de garder ma véritable identité secrète, je comptais me faire discrète dans son cours.
Etonnamment, la professeure était déjà dans sa salle, et aussitôt que la sonnerie retentit, elle ouvrit la porte et la tenant, dit d'un ton posé :
— Bonjour Nyfødt, vous pouvez vous installer.
Après avoir passé le pas de la porte - et m'être soustraite du champ de vision de Mme Desmond - j'empoignai le bras de Nikolas pour le tirer vers le fond de la classe. Il me suivit sans trop de résistance.
Être au dernier rang me permettrait de l'interroger tranquillement, sans que la professeure ne nous voie.
Mme Desmond annonça que le cours serait l'exposé que trois élèves différents nous présenteraient. Puisque c'était de la théorie poussée, « les différences entre la transmission des cinq sens en télépathie », qui sortait donc un peu du programme, elle nous permettait de ne pas tout noter et apprendre, mais seulement les points importants.
C'est-à-dire, « vous pouvez écouter d'une oreille distraire, je ne peux pas vous en tenir rigueur ».
Ce qui m'arrangeait bien pour harceler tout le cours Nikolas, et tenter de le faire parler du collier et de cette proposition...
Mes plans faillirent tomber à l'eau quand Mme Desmond nous distribua un questionnaire sur les exposés, à lui rendre pour le lendemain. Je décidai alors que je le remplirai à l'aide de l'exposé qui me semblerait le plus intéressant et simple.
Quand le premier eut commencé, présenté par une petite jeune fille aux cheveux foncés et crépus qui lui fouettaient le visage à chaque mouvement de la tête qu'elle faisait, je me penchai vers la table d'à côté :
— Nikolas ?
Il tourna légèrement son visage vers moi.
— Que veux-tu me proposer ? chuchotai-je.
Je n'en revenais pas moi-même de la curiosité dont je faisais preuve, juste à cause de six mots de sa part. Il était si secret que le simple fait qu'il dise vouloir me faire une proposition était quelque chose d'absolument extraordinaire. Et puis j'avais la ferme intention d'arriver à mes fins cette fois-ci, j'étais lasse de son hermétisme.
Comme il ne me répondait pas, je répétai :
— Nikolas, tu m'avais parlé d'une proposition ce matin... ?
Il ne dit pas un mot mais je vis son œil sourire imperceptiblement.
Ce n'était pas Chokola qui souriait comme ça, les yeux ne mentent pas, c'était Nikolas, très au courant que son silence m'était insupportable et qui s'en amusait beaucoup.
Je ne pus lui poser une autre fois la question durant le cours car Mme Desmond passait dans les rangs vérifier que nous faisions bien le questionnaire, je n'allais pas tenter le diable...