Epilogue
Deux mois plus tard.
Visage entre ses bras sur une table en extérieur, Jisung sent à peine une main venir lui effleurer les cheveux qu'il se redresse en criant. Minho se recule par instinct, battant des cils ; il n'a pas vu que son petit-ami était en train de somnoler.
— A l'aide !
— Toujours des réactions exagérées, souffle Chan, parfois t'es pire que Hyunjin.
Le bouclé vérifie de nouveau le contenu de son sac, il grimace sous l'œil exaspéré du susnommé. Jisung se tourne en baillant et présente un sourire brouillon au nouveau venu. Minho lui embrasse la tempe avant d'enjamber le banc pour s'assoir à côté d'eux. Il lance ensuite une œillade à Chan qui doit bien avoir poussé son trente-sixième soupir depuis que midi a sonné. Il n'est même pas treize heures.
— Y'a un problème ? lui demande l'ingénieur.
Jisung accueille son épaule comme un oreiller, fermant les yeux et fronçant le nez.
— Il trouve plus son paquet de clopes et ça le fait rager.
— D'abord, ça coûte une blinde et je l'avais à peine entamé !
— Et c'est moi qui exagère ? siffle Jisung.
Chan le fusille des yeux, comme pour dire qu'il ne peut pas comprendre. Mais il ne s'énerve pas et continue simplement de fouiller ses poches dans l'espoir de retrouver son bien.
— Laisse-tomber mec, intervient finalement Hyunjin, bien trop distrait par tous ces bruits de chiffonnements. Il est pas là, fais ton deuil.
Les laissant régler cette affaire entre eux, Jisung s'autorise quelques minutes de repos. Le temps est clair et le vent paisible, une après-midi plus propice à la sieste qu'à l'apprentissage intensif en huis-clos. Le plus jeune n'a pas hâte de retourner en cours en sachant que derrière ces murs le ciel est aussi bleu.
— Vous avez quelque chose de prévu ce week-end ?
Mâchouillant des chips depuis le paquet que Hyunjin lui tend lassement -il semble particulièrement blasé de la vie aujourd'hui-, Minho formule cette question, à laquelle les trois jeunes répondent par la négative, une mine de questionnement sur le visage.
— T'as un truc à nous proposer ? réplique le blond.
Il se contente de hocher la tête, maintenant bien plus à l'aise en compagnie des deux autres que quelques mois auparavant. Lee Minho est Lee Minho, ça lui prend du temps pour se laisser aller. Petit à petit, Hyunjin a un peu plus appris à baisser sa garde en sa présence. Chan et lui s'entendent bien mieux, vraiment mieux même. Jisung aurait pu croire que de leur groupe, ces deux-là avaient littéralement suivi une thérapie de couple.
— Vous vous souvenez, commence-t-il en se râclant la gorge, je vous ai parlé de mon chalet familial sur le lac. J'avais prévu de demander les clés à mes parents.
Jisung se redresse, tout à coup intéressé. Minho garde une main sur son genou, le caressant de son pouce tout en continuant son échange avec les autres. Après quelques précisions formelles, le châtain se râcle la gorge pour attirer l'attention de son ainé. Minho pivote, son regard rencontre le sien et ses sourcils un peu froncés.
— Comment ça se fait ?
Minho lui sourit en haussant les épaules.
— Tu voulais le voir, non ?
Ils sont particuliers ces deux-là aussi, ça a été si naturel qu'au fond, personne dans leur entourage n'a été surpris de les voir sortir ensemble. En public, ils ne sont pas franchement ce qu'il y a de plus démonstratif, ça ne se limite qu'à quelques attentions furtives et des gestes tendres à la pause du midi. Les gens autour ont compris que Han Jisung, il est bien plus proche de Lee Minho que n'importe qui d'autre, mais quelque part, ça ne leur effleure pas l'esprit qu'ils sont certainement plus que des amis.
Ce n'est pas non plus comme si le comportement de Minho avait changé du tout au tout ; il est encore assez solitaire et discret dans les couloirs, ne parle pas toujours de lui-même, ne va pas à la rencontre d'autres personnes. Il y a encore des chuchotis malveillants sur son passage le matin, encore quelques provocations, et si les rumeurs s'estompent, elles n'ont pas encore totalement disparu. Aussi rageant cela puisse être, les avis sont scindés.
Néanmoins, ce genre de pensée n'est pas au centre de la discussion. Jisung sourit à son tour, ses pommettes se rehaussant en même temps qu'un rire adorable lui échappe. Il se sent comme sur un petit nuage à chaque fois que Minho tente quelque chose pour lui faire plaisir. Surtout que Jisung a simplement évoqué cette idée comme une anecdote peu importante ; ce sont quelques-unes des petites choses que Minho retient d'une oreille, des petites choses que les autres pensent n'être que des détails anodins. Il est parfois difficile de se convaincre que derrière ses airs durs et inapprochables, le brun a un véritable cœur en guimauve. Pendant qu'ils se contemplent, échangeant ce petit regard doux, un peu taquin aussi, face à eux, les narines de Hyunjin semblent se dilater et lui dessinent une mine dégoûtée ; il filtre l'air empli de bien trop de niaiserie à son goût.
— Ouais bon on a compris, marmonne-t-il, vous avez qu'à y aller tous les deux on va pas non plus tenir la chandelle !
Jisung soupire et Minho le regarde d'un air las.
— Seungmin vient aussi, déclare-t-il.
Bizarrement, Hyunjin ne fait plus du tout la gueule.
Et donc, cherchant à ne pas le mettre dans l'embarras à son tour, les visages pivotent d'un même chef vers Chan. Ce dernier a passé les cinq dernières minutes à ruminer, mais la discussion ne lui a pas échappé pour autant. Face aux expressions interrogatives de ses amis, il dit de but en blanc :
— J'm'en fous d'être la cinquième roue du carrosse, tant que vous vous mettez pas à faire des gosses sous mes yeux.
— Y'a personne qui te plait, hyung ? s'enquiert Jisung en survolant volontairement la déclaration plutôt salace de son ainé.
Chan lui rend un simple regard, qui ne dit pas grand-chose, sans questionnement quelconque sur sa propre situation. Jisung ne s'est jamais non plus vraiment penché sur la chose, lui-même n'a pas vraiment eu envie d'une vraie relation avant de rencontrer Minho, il avait eu quelques béguins au lycée qui n'avaient jamais abouti à rien, ce n'était rien d'important. Il se dit simplement que Chan, ça a vraiment l'air d'être quelque chose qui lui passe au-dessus.
— Honnêtement, ça m'intéresse pas du tout.
Jisung lui sourit, il lui souffle un « Okay » et ne lui en demande pas plus.
Soudainement, ils entendent un cri aigu derrière eux, Jisung voit le dos de Minho se tendre. Le brun n'a même pas le temps de totalement se retourner qu'une fine main s'abat sur son épaule, faisant sursauter toute la tablée.
— Tu t'es encore barré ! Ça commence à bien faire !
Minho grimace, le visage courroucé de Chaeyoung dans son champ de vision, sa camarade de classe et représentante de filière. Quelques pas plus loin, plusieurs autres lamentations se font percevoir. Jisung tourne le buste, il y a un groupe d'étudiants portant tous le même bleu de travail, fixant Minho avec des éclairs dans les yeux, les bras croisés devant leur torse. En regardant mieux, il remarque que Chaeyoung est habillée pareil.
— C'est pas vrai... marmonne Minho dans sa barbe.
Chan cligne plusieurs fois des yeux et déglutit devant la scène :
— Sacrée brochette... d'ingénieurs.
— Ça fait peur, rajoute Hyunjin comme s'ils commentaient une affiche de cinéma, on dirait qu'ils vouent un culte à Mario Bros.
La classe de Minho semble l'avoir recherché dans une bonne partie du campus. Chaeyoung commence à lui tirer le bras sous ses sifflements inintelligibles. Jisung se décale, il n'a pas envie de prendre parti face aux tentatives d'escapade de son copain. Ils ont dû faire se faire dévisager en passant les couloirs des bâtiments vêtus de la sorte, ils ne comptent pas repartir bredouille.
Si les rumeurs se poursuivent encore un peu dans les couloirs, c'est pourtant le total contraire dans sa promotion. Minho a enfin réussi à s'intégrer, et si certains ont parfois encore un peu de retenue avec lui, il n'intimide plus Chaeyoung pour un sou -c'est même elle qui parfois le fait flipper-. Alors Jisung sait très bien que les railleries qu'ils se lancent, quand elle le traine avec elle jusqu'au reste du groupe, ne sont pas franchement méchantes, ils ne l'assument pas encore mais il semblerait même qu'ils soient devenus amis, en quelques sortes.
Lorsqu'il le voit finalement se mêler au reste de son groupe de classe, Minho râle, fait mine d'être dérangé par leur présence. Un étudiant rit de bon cœur et lui tend son uniforme bleu, Minho soupire mais consent à le lui prendre. L'image rassure et attendrit Jisung, il est heureux à l'idée qu'il y ait maintenant plus d'un endroit où Minho n'est plus le fou qui contente le peuple, la bête de foire.
Devant alors couper court à leur déjeuner, Minho se tourne vers ses amis et leur fait un signe de la main.
— J'dois aller bosser avec ces têtes à claques, on se tient au courant pour ce week-end.
Quelqu'un d'autre le pousse de son épaule.
— Y'a quoi ce week-end ? Je peux venir moi aussi ?
Bien sûr, c'est plaisantin, c'est léger. Minho ne s'est jamais dit que tant de choses pouvaient changer pour lui juste s'il essayait, s'il laissait aux gens le droit de savoir qu'ils ont tort. Le brun roule des yeux, un rictus amusé se dessine sur ses lèvres. Minho, il apprend de nouveau à sourire pour des futilités. Ce sont des petits pas qui s'enchainent, qui le sortent un peu plus de sa tanière. Après, il tient à sa tranquillité, il n'ouvre pas la porte à n'importe qui.
Alors que le groupe a tourné dans un bâtiment plus loin, Jisung a l'impression que tout est passé en accéléré. Minho était là, ils ont échangé quelques gestes, un semi-câlin, ils ont rapidement parlé d'un plan pour le week-end, puis d'un coup il est parti avec les autres.
— Tu fais la tronche Ji, s'amuse Hyunjin.
— Même pas, bougonne l'interpelé en fronçant les sourcils, mais ça ne trompe personne, il arbore une moue boudeuse.
Jisung est content, mais il est vrai que quelque part, il aimait bien le temps où Minho était son petit secret à lui, quand il avait plus de temps libre et qu'ils pouvaient se voir sans que l'un n'ait ce genre d'imprévus. Le châtain secoue la tête, laisse son rire passer dans l'air, il ne regrette pas, il se rend juste compte qu'il est le genre de petit-ami toujours en quête de contact et de chaleur.
Jisung se dit parfois que si les gens commencent à ouvrir les yeux, à enfin découvrir à quel point Minho est quelqu'un de beau et d'incroyable, il aurait peut-être du souci à se faire.
— J'avais donné trente secondes, murmure Hyunjin en poussant piteusement l'intérieur de sa joue avec sa langue.
— Moi vingt, j'ai gagné.
— De quoi vous parlez ? questionne Jisung.
Il entend des pas pressés sur l'herbe, alors le châtain se retourne.
Minho revient vers eux, seul, à une allure plutôt rapide. Par instinct Jisung se lève, quittant le banc. Il cligne des yeux en le voyant arriver. Une fois à sa hauteur, sourire en coin et joues un peu rosées, Minho pose sa main contre son bras avant de l'embrasser.
Pas très longtemps, mais Jisung ne peut s'empêcher de rire contre ses lèvres, et de garder les yeux fermés une seconde après qu'il s'est séparé de lui, comme pour réimprimer son contact.
— On se voit après les cours ? lui demande Minho, sa main maintenant posée contre sa hanche, un geste qui d'une certaine manière, a toujours semblé protecteur, même avant qu'ils ne sortent ensemble.
— Ok.
Il lui dépose un autre rapide baiser avant de faire demi-tour, et de repartir aider ses camarades dans la galère qu'ils ont crée en son absence. Lorsque Jisung se retourne vers ses amis, ces derniers lui miment une bouche en cul de poule avant de feinter un haut le cœur, le faisant rouler des yeux.
Sûrement pour cacher qu'au fond, ils les trouvent tout bonnement adorables.
— Il est de trop bonne humeur pour quelqu'un qui menaçait un gars le matin même de lui faire bouffer ses molaires.
Jisung revient s'assoir à table et réfugie sa tête entre ses bras. Parfois, la situation lui revient comme un électrochoc et il a l'impression que son cœur va exploser.
— Ça va Jisung ?
— Non.
— Qu'est-ce qu'il y a ?
Ils l'entendent glousser, retenir sa respiration, puis pousser un soupir vaincu sans même relever les yeux :
— J'suis complètement dingue de lui.
Ses amis le regardent, puis ils s'échangent un sourire commun.
Effectivement, ils ont en fait du chemin.
FIN.