Les deux paumes plaquées sur mes yeux, je suis affalée sur le canapé de mes amis depuis une quinzaine de minutes, maugréant contre la terre entière. Bon. Non en fait, pas à ce point.
Putain d'effets secondaires !
La liste n'est aucunement exhaustive, toutefois sachez qu'après mes injections mensuelles, je souffre de vertiges de manière récurrente, ce qui s'avère être passablement handicapant. C'est la raison pour laquelle je veux changer le jour du traitement, le vendredi soir n'étant guère l'idéal quand on a dans sa vie une fille comme Carly, qui vous traîne contre vents et marées en soirée tous les week-ends. Il paraît qu'on a un an et demi de fêtes à rattraper, dites-vous.
— Je te prépare la chambre d'amis ?
— Ne me parle pas, toi ! sifflé-je.
— Roh allez, baby Tay, ne me dis pas que tu es encore fâchée ! geint-il en me rejoignant.
Tu. Plaisantes ?!
— Bien sûr que si !
— Je t'ai déjà dit que j'étais désolé !
Cette fois, je retire lentement mes doigts de mes paupières puis me redresse pour le toiser froidement. Le visage que je découvre ne me semble en rien si navré que ça. Si je devais le décrire, je dirais même qu'il est plutôt moqueur.
— Menteur ! grondé-je.
Ses lèvres se pincent pour retenir un éclat de rire évident, mais l'arrivée de Wyatt nous interrompt.
— Désolée les gars, je dois filer, nous annonce-t-il, son téléphone à la main.
— Rien de grave ? s'inquiète aussitôt Joshua.
Le rictus en coin qu'ils s'échangent finalement en dit long, donc je ne peux retenir un ricanement blasé.
— Amuse-toi bien, mais sois correct avec cette pauvre fille s'il te plaît !
— Toujours ! affirme-t-il avec hypocrisie en embrassant la joue que je lui tends.
Je le retiens par la cravate et l'attire à moi.
— Je suis sérieuse ! J'aimerais tant que la galanterie ne soit pas morte !
— Oh, ma chérie, souffle-t-il dans mes cheveux. Je serai toujours galant avec toi.
Nous partageons un long regard tandis que je le repousse. Ne vous y trompez pas, il ne se passe strictement rien entre Wyatt et moi. Même si je l'ai rencontré avant que nous soyons officiellement collègues, nous avons toujours su que cela finirait par arriver, alors il a été clair dès le départ que la limite ne serait jamais franchie. Néanmoins, nous nous amusons parfois à flirter dans le style bon enfant, comme maintenant. Il nous laisse en nous adressant un dernier signe de la main, et une fois la porte refermée derrière lui, je pousse un long soupir puis ramène mon attention sur Joshua, attendant patiemment son heure.
Traître !
Après avoir avalé le verre d'eau tendu par Evan en début de soirée, je me suis ressaisie et ai opté pour un éloignement prudent. Lyly avait encore des choses à me dire à son sujet, ce qui était bien évidemment prioritaire sur cette inattendue attirance physique avec le cousin de son fiancé. J'ai donc fait ce que j'avais prévu initialement. Autrement dit, j'ai foncé vers le charmant architecte qui prétend être mon ami, le bousculant en brandissant mon index sous son nez assorti d'un « Comment as-tu osé ?! » qui a fait rire toute l'assemblée. Comprenez qu'il ne m'avait en rien prévenu de ses projets ! Nous sommes si proches que j'étais certaine que je serais de la partie pour choisir la bague parfaite, par exemple. Or, il n'avait pas pipé le moindre mot, tant et si bien que j'ai été littéralement prise par surprise alors que je savais que ce moment finirait par arriver.
— Taylor, me dit-il en faisant semblant d'avoir du tact. Tu sais pourquoi je ne t'ai rien dit.
Alors, soyons honnêtes. Tout cela n'est que du cinéma, ok ? Parce que fondamentalement, je suis plus qu'heureuse de la tournure de leur relation. Mais Joshua et moi sommes chien et chat depuis que nous nous connaissons. Nous nous taquinons à la moindre occasion, et oui, je sais exactement pour quelle raison il a pris soin de me garder à l'écart.
— C'est ça, râlé-je.
Ouep.
Son pouce s'enfonce entre mes côtes pendant que je lui tire la langue en retour.
J'aurais gâché ta surprise parce qu'elle aurait tout de suite vu que je lui cachais quelque chose.
— Heureusement pour toi, le diamant est parfait, marmonné-je, incapable d'être de mauvaise foi à ce sujet.
Beau boulot, j'avoue.
— Sais-tu comment j'ai choisi ? s'amuse-t-il.
Hum. Tu as l'air drôlement fier de ce que tu t'apprêtes à dire.
— Épate-moi, Josh, je t'en prie, susurré-je exagérément en plissant les yeux dans une moue arrogante.
À cette seconde, une main glisse sur mon épaule et me fait frissonner. Ma nuque est balayée par un souffle chaud à deux doigts de m'arracher un gémissement aussi indécent que le rythme brutalement décidé par mon cœur.
Bordel de dieu !
— Il s'est dit « Laquelle Taylor choisirait-elle ? », murmure Evan à mon oreille d'un ton dramatique. Et il m'a prévenu que tout le long de l'organisation du mariage, je n'avais qu'à répondre oui à tout ce que tu dirais.
Quoi ?!
— Que ma survie allait dépendre de ces trois petites lettres, poursuit-il en s'asseyant à côté de moi avec un air espiègle beaucoup trop séduisant.
Au secours, Carly ! Je crois que nous avons un problème ! Même si je ne sais pas encore lequel est-ce !
— Chéri ? intervient-elle au même instant, tel un super-héros qui débarque pile quand on en a besoin. N'avions-nous pas convenu que Bradley serait ton témoin ?
Joshua l'attrape par la main et la tire sur ses genoux, avant de l'enlacer en embrassant son cou avec une avidité qui donne envie de me détourner.
Eurk. Je vous adore, mais prenez une chambre !
— C'était avant que je sache qu'Evan avait finalement été muté ici, mon amour, explique-t-il, visiblement ravi. N'est-ce pas une merveilleuse nouvelle ?!
— Si, c'est génial ! feint-elle d'approuver.
Quel est le putain de problème, Lyly ?
Elle se redresse brutalement et saisit mon regard perplexe.
— Je dois aller faire pipi, lance-t-elle avec décontraction. Tu viens ?
— Vous êtes encore au lycée ou quoi ? se moque Evan en nous dévisageant avec incrédulité.
— De loin nos meilleures années ! rétorque la belle brune en m'attirant vers elle.
— Ne cherche pas à comprendre comment fonctionnent ces deux là, soupire Joshua. J'ai laissé tomber, je ne fais pas le poids face à Taylor.
Voilà qui est bien dit, mon cher ami !
Je me lève pour la suivre en affichant une mine impertinente, mais perds aussitôt l'équilibre par la faute d'un impitoyable vertige. Habituée, Carly réagit aussitôt et m'éloigne du canapé d'un geste vif, juste à l'instant où Evan m'effleure pour m'apporter son soutien.
Pourquoi dois-je me méfier de toi, au juste ?
— Je gère ! chantonne-t-elle en m'emportant dans son sillage aérien. À tout à l'heure les garçons !
Une fois dans sa salle de bain, elle verrouille la serrure, puis entre dans sa chambre, et la ferme à clé aussi.
Putain de bordel de dieu de merde !
— Mais à quoi tu joues, Lyly ? Tu m'inquiètes !
Finalement, ma meilleure amie – la seule personne au monde qui sache tous mes secrets – ferme la porte qui sépare les deux pièces, puis se plante devant moi avec un air décidé qui me fait frémir. Je suis consciente d'où elle veut en venir, mais sans comprendre pour quelle folle raison.
Ne me demande pas ça !
— Ouvre-la, me commande-t-elle avec la fermeté qu'elle n'emploie que si la situation est grave.
Genre quand on a plus de tequila lors de nos soirées beuverie, de glace pour nos chagrins d'amour, ou de pop-corn pendant une séance de cinéma. Je. Plaisante.
— Mais pourquoi ?! articulé-je d'une voix étranglée, littéralement en train de paniquer.
Tu sais à quel point je déteste le faire !
— Tay, je veux être sûre que personne ne puisse entendre cette conversation.
Putain !
Je vous ai dit à quel point j'ai confiance en elle ? Oui, bien sûr que je l'ai fait. Et c'est précisément pour cette raison que j'obéis sans réfléchir davantage. Mes doigts rejoignent la jolie poignée chromée que nous avons passé des heures à choisir, puis je tire la porte en bois clair en retenant mon souffle, juste avant qu'elle ne m'entraîne de l'autre côté.
***