Rouge sur Noir (terminée)

By samouraispoke

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Qui aurait pensé que l'Europe pourrait être frappée par un virus plus meurtrier après une première pandémie... More

𝘤𝘢𝘳𝘵𝘦𝘴
𝐌𝐎𝐎𝐃𝐁𝐎𝐀𝐑𝐃 /1/
𝐌𝐎𝐎𝐃𝐁𝐎𝐀𝐑𝐃 /2/
Prologue
𝐏𝐀𝐑𝐓𝐈𝐄 𝐈 ) 𝐕𝐈𝐍𝐆𝐓-𝐃𝐄𝐔𝐗
1. Six
2. Mademoiselle
3. Transporteur
4. Truisme
5. L'Heure
6. Halte
7. Casemate
8. Ça
9. Prolixe
10. Dédale
𝐏𝐀𝐑𝐓𝐈𝐄 𝐈𝐈 ) 𝐂𝐋𝐀𝐈𝐑-𝐎𝐁𝐒𝐂𝐔𝐑
11. Avanies
12. Zizanie
13. L'Histoire
14. Dissensions
𝐏𝐀𝐑𝐓𝐈𝐄 𝐈𝐈𝐈 ) 𝐅𝐀𝐔𝐗-𝐅𝐔𝐘𝐀𝐍𝐓
15. Insurrection
16. Observation
18. Latent
19. Brouille
20. Émancipation
𝐏𝐀𝐑𝐓𝐈𝐄 𝐈𝐕 ) 𝐆𝐔𝐄𝐓-𝐀𝐏𝐄𝐍𝐒
21. Rixe
22. Charivari
23. Maux
24. Choc
25. Halo
26. Enclenchement
𝐏𝐀𝐑𝐓𝐈𝐄 𝐕 ) 𝐋𝐀𝐈𝐒𝐒𝐄𝐙-𝐏𝐀𝐒𝐒𝐄𝐑
27. Virage
28. Proximité
29. Liesse
30. Chance
31. Lice
32. Détonateur
33. Ersatz
34. Fief
Épilogue

17. Némesis

118 13 17
By samouraispoke

Une fois sorti de la pièce avec Nari, Braham tendit l'oreille. Les filles ne parlaient pas ensemble. Sans perdre une seconde, il s'élança vers la chambre d'Adán. Une porte entrouverte. Une pièce dénuée d'humains.

Son regard tomba naturellement sur elle. Le doute reprit place dans ses moulures. En quelques fragments de secondes, ses doigts se collèrent l'un à l'autre. Il la dévisagea d'un regard débordant de courroux. Inspiration. Expiration.

— Où est passé votre ami ? se récria-t-il.

— J'étais avec vous, comment je le saurais ?

Vrai. Mais Adán Nétanel était l'ami de Nari Yeon. Nétanel et Yeon. C'était la seule chose qu'il avait constamment en tête.

— Peut-être parce que votre ami est à deux pas du Dôme où est son père, pas vrai ?

Nari roula des yeux.

— Bon sang, il le déteste !

Son regard s'abattit comme une faucheuse sur sa silhouette. Braham esquissa un sourire aussi faux que sa confiance envers elle. Son visage était là, si près du sien, pourtant si distant, voilé par la froideur oculaire. Il prit une longue, très longue inspiration.

Aux yeux de Nari, c'était comme si la colère était la seule chose qu'il s'autorisait avec elle, peut-être même avec les autres. Et puis, elle le sentit venir. Il allait lui faire des reproches. C'était tout ce qu'il pouvait faire avec elle.

— Nari, je ne suis pas né de la dernière pluie. Vos conneries, vous les gardez pour vous.

— Adán est gentil.

— On est loin du compte, bon sang. On est loin des Contes des frères Grimm ! (Soupir) Nari, réveillez-vous une bonne fois pour toutes. Votre père est le Terry Benedict de ce monde et vous pensez encore qu'être gentil, c'est être gentil. Vous êtes trop naïve, c'est insupportable.

La main de Braham reposait encore sur son poignet. C'était comme s'il n'avait pas l'intention de la relâcher, l'entraînant aussitôt à l'intérieur de la pièce et s'arrêtant devant le bureau. L'étui. Soupir. Braham posa ses doigts sur la racine de son nez avant de la maudire d'un regard aiguisé.

— Votre saute d'humeur est vraiment tombée au mauvais moment, glissa-t-il.

Saute d'humeur, se répéta-t-elle péniblement, la souvenance parasite de ses mots se fissurant en mille éclats sur son visage.

— Je peux rester ici, si v...

— C'était un coup monté ? s'enquit-il précipitamment.

Silence. Vague de frustration dans ses veines. Puis...

— Pardon ?

— Vos larmes. C'était un coup monté ?

Un gloussement. Elle se redressa et le défia du regard.

— Pardon ? répéta-t-elle plus durement.

Pardon ? Pardon ? Pardon ? Pardon jusqu'où, Nari ? Ouvrez les yeux, bon sang ! Soit on a quitté le monde des vivants et on est des fantômes, soit votre ami a disparu et vous essayez de le défendre. C'est quoi qui vous semble le plus logique ?

Après quelques secondes, il laissa échapper un rire moqueur.

— De toute façon, vous seriez capable de répondre la première option.

Tout en relâchant son poignet, il poursuivit :

— Ne bougez pas d'ici.

Nari l'observa décamper hors de la pièce. Il frappa à la porte en face. Zéro bruit. Ouverture de porte. Personne. Main sur la poignée, Braham se cloua au sol. Il se demanda alors si Jill était capable de prendre le risque de sortir du bunker avec un Nétanel. Plausible, réfléchit-il, filant aussitôt à deux portes d'ici. Il ouvrit la porte sans toquer.

Les yeux rouges, sur le lit, Zoé avait ramené ses pieds sous elle. Sans surprise, — l'inquiétude serpentant dans ses moulures les plus poussiéreuses — Jill n'était pas là. Alors qu'il ne la regardait qu'à demi, Zoé entrouvrit la bouche.

Braham leva une main parlante. Bouche refermée. Nari passa sa tête hors de la pièce et l'épia respirer bruyamment. Dans cet embrouillamini d'émotions, ses yeux bruns devinrent d'autant plus indiscernables.

La vague de colère se retourna contre lui. Essayer de la contrôler ne servait aucunement. La douleur lui transperça le cœur. Et si Adán s'était servie d'elle, menaces physiques comprises, pour sortir du bunker ? Inspiration. Expiration. Accroc respiratoire.

Même s'il détestait ce genre de comportement qu'il jugeait toxique, Braham manqua de heurter le mur avec son poing. Contrôlant cette envie étrangement grondante, il le serra fort, très fort jusqu'à ne plus le sentir. Sous la pression, Nari regagna précipitamment sa place.

Braham leva les yeux et tenta de freiner l'essaim de pensées qui le fit prisonnier. Elles allaient loin. Trop loin dans le crime, et toutes ces choses que le descendant de Satan pouvait possiblement faire à Jill, là-haut.

Peut-être qu'elle avait peur de mourir, et il ne pouvait pas l'aider. Pourtant, il était conscient qu'elle lui aurait dit qu'elle n'avait besoin de personne pour survivre, mais Braham serait quand même venu la chercher.

Face à ses pensées parasites, ses larmes s'entassèrent dans le coin interne de ses yeux. Secondes. Il réapparut dans la pièce. Nari baissa la tête. Zoé ne tarda pas à les guetter à travers l'entrebâillement de la porte. La respiration de Braham était irrégulière. Il posa une main instable sur sa hanche, souleva l'autre, avant de s'éclaircir la gorge.

— Où est Adán.

Aucune réponse. Souffle lourd.

— Où. Est. Adán, s'époumona-t-il.

Sursaut. Inspiration. Expiration.

— Il est évident que durant ces années dans votre hôtel de luxe, vous prépariez votre petite mise en scène de misérables pour nous amadouer... plus particulièrement, m'amadouer, hein ?

— Écou...

— Écoutez-moi, la coupa-t-il sous l'égide de la colère, votre ami qui ne sait rien sur le virus et la pandémie, ça va deux minutes. Dites-moi la vérité pour qu'on puisse éviter le baroud.

Pas résonnants. Braham fit volte-face. La bouche de Zoé s'entrouvrit. C'était comme si la voir derrière lui donnait du sens à sa manière de vouloir tout faire dans le dos des gens.

— Avant de faire ton speech d'excuse, dis-moi simplement si tu sais où est Jill. Elle est venue te voir ? demanda-t-il d'un faux calme.

Elle secoua la tête d'un air paniqué.

— Comment ça, Jill a disp...

Aussitôt prononcé, aussitôt Braham lui ferma la porte au nez. Zoé se figea, ses lèvres laissant échapper un rire dérobé. La tête rivée au sol, le menton tremblant, elle sentit ce poids lourd reposer sur ses longs cils. D'un pas chancelant, elle regagna sa chambre, les mains posées sur son ventre. De l'autre côté de la porte, la bombe à retardement se mit à tinter dans l'invisible. Dans un élan maniéré, Braham chercha les yeux de Nari et le peu de pitié qu'elle avait encore pour lui.

— Nari, je vous crois, vous et votre passé, mentit-il. Mais Adán... Nari, vous aimez voir chez les autres les choses que vous leur donnez sans réfléchir. Quand quelqu'un est gentil avec vous et que vous vous sentez terriblement seule, vous allez accepter ses erreurs, car ce quelqu'un a été le seul à être présent dans vos pires moments, ou parfois, dans la vie ou à un moment précis, mais éprouvant pour vous. J'ai travaillé dans un secteur où l'on flairait chacune des intentions des clients. Les menteurs, je les reconnais à leur prestance, leur rire, leur façon de se déplacer, leur manière de regarder, contempler, désirer, manipuler par la joie. Nari, les menteurs sont des narcissiques, sans scrupules, impatients qui aiment sauter des étapes et faire leur possible pour y arriver. Je n'insinue pas qu'Adán en est un, mais un manipulateur, menteur, ce que j'appelle un maniteur ? Peut-être. Certaines personnes, à force de mentir, finissent par se persuader et croire que leur mensonge est vrai. Parfois, la mythomanie découle d'un choc émotionnel, comme la mort d'un proche. Peut-être, je dis bien peut-être qu'il essaie de voir son père pour venger sa mère...

— Adán est spécial, mais il est gentil.

Braham la fixa d'un regard plus doux. Il ancra ses pieds au sol. Elle le fixa avec désintérêt. Dans tous les cas, il savait que même s'il lui disait des choses rationnelles, elle y trouverait une faille. La jeune Yeon semblait attachée à son entourage, même à son père, sans s'en rendre compte.

— Nari, je peux vous convaincre qu'il est louche.

Elle croisa ses bras en souriant moqueusement.

— Vous pouvez toujours essayer.

Il croisa les bras comme elle, avant d'entrer dans une intense phase de concentration.

— Pourquoi Henri n'a pas pu se faire opérer ? demanda-t-il.

— Les chirurgiens n'ont pas pu se rendre à Sinople.

— Quand vous lui avez demandé de l'aide pour ce projet, il a réagi comment ? ... Vous avez dû parler de ce qu'on faisait, de qui j'étais, genre... le principal concurrent de son père, non ?

Ses souvenirs étaient lointains, mais elle tenta tout de même d'accéder au visuel de ce moment, son regard fixé sur ce point qui la maintenait en pleine concentration. Quand elle lui parlait, elle vit Adán comme un voile sur ses yeux.

— Il a réagi comme s'il apprenait quelque chose de nouveau. Et puis, je n'ai pas eu besoin de mentionner son père en parlant de vous.

Braham réarrangea le croisement de ses bras. Le pouce de Nari glissait rapidement sur son bras.

— Vous êtes sûre que sa mère est morte ?

— Il me l'a dit.

— Ses mots ne sont pas importants. Concentrez-vous sur la façon dont il l'a dit.

Son pouce se frotta contre sa peau avec plus d'insistance.

— Je sais pas, il... il était...

— Il était quoi ?

— Il comparait la situation avec ma mère, et disait souvent que je devais comprendre ce que ça faisait que d'être seule et de perdre une mère. (Pause) Il me décrivait des choses que je ressentais, et je savais qu'il me comprenait parfaitement.

Parfaitement, répéta-t-il en lui-même. Point de non-retour. Braham craignait de lui demander ce qu'il avait en tête. Mais c'était le seul moyen de la faire douter. Il décroisa lentement les bras.

— Vous notez... vos émotions, ressentis... craintes dans un cahier ou un téléphone ?

Vrai. Ce n'était pas une question comme les autres. Les yeux de Nari se posèrent sur lui avant de se plisser. La situation d'inconfort l'incita à décroiser les bras.

Ses doigts dégraissés circulèrent sur ses paumes, dont une seule couche ne semblait pas suffire à surmonter les effets de la dépression. Braham comprit au temps qu'il lui fallut pour formuler sa phrase. Ses épaules se détendirent d'inconfort. Déglutition.

— Quand... quand ça ne va pas fort. Quand j'ai l'impression que... que je ne pourrais plus sortir du lit pour un jour de plus, marmonna-t-elle, les yeux dans le vague. En fait, dans mes notes, je décris ce que je ressens, comment je veux... mais que j'aimerai que ce ne soit pas le cas, mais que je n'ai aucun pouvoir sur... (Soupir) Vous connaissez la mélodie.

Il posa son regard sur ses lèvres tremblantes. C'était son quotidien. Elle y était habituée, mais semblait détester recevoir de la pitié.

— Combien de notes ? murmura-t-il, presque.

Nari inspira et expira furtivement. Son menton tremblait, mais elle ne laissait aucune larme s'échapper. Elle éclaircit sa gorge, avant de répondre d'un ton ne voulant pas aguicher pitié :

— Des centaines sur mon téléphone.

Le silence lamina ses mots. Braham posa une main lourde sur son épaule. Nari la fixa.

— Nari, vous êtes sûre que ça va ?

Elle poussa ses épaules en arrière. Braham retira sa main. Pouffement amer.

— Si je dis non, on me dira que la petite riche fait sa crise. Que voulez-vous que je dise sans être jugée dans les deux cas ?

Braham ne l'aurait jamais jugée — sans contredire que certains ne voyaient, effectivement, toujours pas la dépression comme un fardeau incontrôlable, mais plutôt comme une excuse de faibles et de flemmards. Il savait qu'insister à ce sujet la mettrait dans une situation d'inconfort.

— C'est un téléphone à portée de main ? demanda-t-il, glissant sa main droite dans la poche avant de son pantalon.

— J'avais l'habitude de tout oublier. Mon mot de passe était 0000. Je dormais assez tôt.

— Certaines notes étaient écrites avant votre arrivée ?

Acquiescement. Braham pencha la tête vers la jeune femme qui évitait son regard. Elle ne voulait sans doute pas se laisser persuader par ses expressions.

— Et si Adán avait lu ou avait transféré vos notes dans son téléphone pour savoir comment vous parler ? Allons plus loin. J'adore pousser la réflexion. Et s'il avait été envoyé par ses parents, et que toute cette mise en scène faisait partie de leur plan pour arriver ici ? Jusqu'à notre envie d'infiltrer leur Dôme... et lui, d'écouter le plan avant le grand jour ?

— Peut-être qu'il a juste perdu sa maman et qu'il a mal au cœur.

— Pauvre choux, souffla-t-il d'un air de nouveau agacé.

Ce hochement de tête n'était rien de plus qu'une reddition. Sous ce masque d'homme calme, des foudres de colère s'agitaient. Braham était tellement contrarié par sa naïveté — ou l'envie qu'elle avait de le protéger à tout prix, qu'il ne put contrôler son envie de l'attaquer verbalement.

— Je croyais que le traitement proposé pour votre cancer était la thyroïdectomie totale.

Elle acquiesça. Il croisa les bras.

— Et qu'il pouvait être complété par un traitement à l'iode radioactif au maximum. Et qu'ils retiraient tout pour éviter le risque de développement du cancer dans l'autre lobe.

Elle acquiesça derechef.

— C'était votre cas ?

— J'ai un traitement à vie. Je manque d'hormones thyroïdiennes. Alors, l'équipe médicale s'occupe de mes doses. Le mystère est brisé.

— Pas encore, répliqua-t-il sèchement. Vous avez également eu une chimiothérapie ?

— Certains patients, oui. Moi ? Non.

Sa réaction était bien trop spontanée pour une menteuse piégée. Son regard se posa sur son cuir chevelu, accompagné d'un hochement de tête en avant.

— Alors pourquoi vous portez une perruque ?

— Comment vous savez pour la perruque ? s'enquit-elle d'une haleine.

— Nari, vous venez de vous doucher et il n'y a aucun sèche-cheveux dans le bunker. Vos cheveux sont secs comme ma gorge à force de me répéter.

Étonnamment, quelques grammes de pression furent relâchés. Il était loin d'être un psychopathe qui savait tout sur tous d'une manière étrange. Elle ne pouvait pas le nier ou lui ôter ses qualités. Braham Cunningham était un bon observateur. Nari s'humecta les lèvres.

— Stress, anxiété, et les cheveux cassants à cause de l'hormonothérapie, ça provoque des chutes. J'ai... j'ai des trous sur mon crâne. En fait, je... Je m'arrache parfois les cheveux à cause du stress qui me ronge. C'est ce que vous vouliez entendre, je présume. C'est ma carapace.

Sa carapace, se répéta-t-il.

— Vous connaissant assez bien, maintenant, reprit-elle, vous pensez que je mens, hein ? Que j'ai laissé une cicatrice sur mon cou pour paraître malade. Vous allez vérifier que je cache rien, hein ? ... Sans doute. Parce que je sais que vous ne me croyez jamais.

Pris au piège, un chétif sourire courba ses lèvres. Braham s'avança lentement, puis tendit une main vers ses cheveux. Elle décala d'un iota la tête. Il plongea son regard dans ses yeux d'or noir, ses lèvres sculptées par les anciens Grecs, puis sa peau émasculée qu'il toucha de ses doigts délicats.

Souffle coupé. Nari aimait ces histoires, ou plutôt ces rêveries idéalistes, ajouta-t-il à son observation. Dans cette réalité alternative où elle serait plus qu'une esclave de la société, plus qu'une femme sans histoire que l'on ne retiendrait pas par la phallocratie de la société moderne.

Nari Yeon rêvait d'être la seule et unique d'un homme. Elle était le genre de femme qui tomberait amoureuse d'Edward Fairfax Rochester, un héros byronien, une âme désabusée vivant dans les limbes émotionnels ; le héros sulfureux diront certains, en rébellion avec la société de son temps.

Étonnamment, elle lui rappelait ses sœurs, Beth et Maddie, qui avaient adoré la façon dont Buffini et Fukunaga avaient dépeigné dans leur film les personnages de Jane Eyre. En soi, il ne savait pas comment il se rapportait à ces choses quand il la voyait, contemplait, l'étudiait d'un regard parlant. C'était sûrement la façon dont elle cherchait son regard qui le lui disait.

L'air pensif, il fit glisser ses doigts jusqu'à ses mèches de cheveux. Nari ne sembla rien ressentir. Ce n'était pas son histoire qu'il lisait du bout des doigts. Braham retira délicatement la perruque. Ses cheveux étaient sous un bonnet de perruque.

Il pouvait la voir cadenasser ses paupières et serrer les poings. C'était elle, la vraie Nari Yeon. Il pinça aussitôt le bonnet entre ses doigts, l'ôta, puis jeta un coup d'œil à l'intérieur de la perruque. Pas de micro, ni de caméra, ni de papier ou d'annotations. Ses cheveux étaient châtain foncé et raides, jouxtant ses épaules.

Ses mèches étaient plus fines, intrinsèquement frêles. Il guetta sans ambages les zones de perte de cuir chevelu qui se manifestaient par plaques. Sans étonnement, cette couleur de cheveux la rapprochait de son éclat, sobrement morne pour une silhouette douce et pâle comme l'albâtre.

Lorsque Nari rouvrit les yeux, Braham darda perruque et bonnet en main vers l'armoire et y sortit une gâpette. Coup de pot. Sûrement celui d'un doyen Colibri qui avait siégé la pièce avant elle. Il regagna sa place et lui couvrit la tête avec la gâpette. La respiration de la jeune femme s'allégea.

— Si vous voulez ma confiance, ne vous cachez plus, dit-il d'une voix différente.

Et puis, il se dirigea vers la poubelle et y jeta le bonnet et la perruque.

— Nari, personne ici ou dans cette ville ne vous jugera pour avoir survécu les aléas d'une vie cruelle. La gâpette, ce n'est pas parce que je veux que vous vous cachiez davantage, ou parce que je souhaite vous retirer un confort. Je ne tente que de vous mettre humblement à l'aise avec vous-même, après m'avoir dit que c'était votre carapace. D'accord ?

Seconde. Secondes. Nari acquiesça timidement.

— Maintenant que c'est fait et que vous pensez le connaître, suivez-moi.

Elle fit alors un petit pas vers lui. Sourcils froncés.

— On va les retrouver, répondit-il à son expression. On baissera la hauteur de votre siège et la gâpette vous cachera un peu. Vous l'observerez depuis la voiture et on fera le point à notre retour. Et puis, ça vous fera faire une petite balade. Est-ce que ça vous va ?

Après quelques secondes, Nari opina du chef. Braham boucla la conversation d'un signe de tête. Elle se précipita hors de la pièce. Quand il referma la porte après elle, il perçut celle de la chambre de Zoé grande ouverte. Il se tourna aussitôt vers Nari, puis posa son index sur ses lèvres. Les deux errèrent à pas de loup dans le couloir. Une tentative foireuse, puisque...

— J'ai même pas le droit de savoir où est ma sœur ? s'écria Zoé d'une voix chevrotante.

Nari se statufia. Braham leva les yeux au ciel, peu avant de se tourner vers elle sur le seuil de la porte. Lorsqu'il vit son regard brésillé, il ne ressentit rien, pas même de la pitié. Un trop-plein de colère. Il fit quelques pas. Nari se retourna dans la plus grande indiscrétion et les observa.

— Tant que tu nous diras pas qui a mis une petite graine dans ton ventre, tu resteras dans cette pièce, sans nouvelles de ta petite sœur.

Zoé secoua vivement la tête, prise au piège dans un raz-de-marée de regrets.

— T'as pas le droit de te comporter comme un tyran, mâcha-t-elle.

Il se redressa péniblement et la regarda avec un regard de suie.

— Crois-moi, c'est largement mérité.

— Braham, c'est pas tes affaires !

Son cœur était comme un seau rempli à ras bord. Chaque fois qu'il s'avançait vers elle, les remords affluaient au sol. Braham laissa échapper un petit rire sardonique.

— Zoé, tu vois, le problème, c'est qu'on sait tous qui est le père. Mais comme tu penses qu'il est l'Alpha Boy de la ville, tu le défends — j'ignore pourquoi, d'ailleurs, puisque son pouvoir ne te concerne absolument pas. Si ce trouduc t'aimait un minimum, et je dis bien un minimum, il ne t'aurait pas laissé toi et ton fils dans ce HLM. Je me trompe ? Je ne me trompe pas. Je ne me trompe jamais quand les choses ont du sens. C'est toi qui manques de raisonnement. Si ton gars ténébreux était vraiment un gars balèze, Isaac serait dans tes bras et toi et ton chéri, vous seriez à la campagne, à flamboyer vos yeux en fixant le soleil, main dans la main. Mais, je regarde, je regarde, et la seule chose que je vois, c'est une femme qui pense qu'elle a besoin d'un bourreau pour survivre, quand elle a accouché dans son appartement sans sages-femmes. Zoé, les gens comme toi sont trop nombreux. Et après, ça vient se plaindre. Tu cherches la merde, tu la trouves. Logique. T'es toujours là à dire que Jill fréquente des gens avec une mauvaise influence qui ont fait d'elle une fille irresponsable. Aujourd'hui, regarde-la et regarde-toi. Et comme si ça ne suffisait pas, tu l'as impliquée dans cette mort en mettant toute la pression sur son dos, parce que t'es dans ta bulle !

Je suis dans ma bulle, se répéta-t-elle péniblement. Il n'entendit qu'un long soupir déchirant. Nari glissa lentement ses pieds de l'autre côté. Elle ne savait pas ce que, logiquement, la sœur de cette Jill avait fait dans le passé pour qu'il se mette dans cet état. Mais elle préférait ne pas les regarder.

— C'est bon ? répliqua-t-elle à voix basse. Tu t'es vidé l'esprit ?

— Loin de là. Je dis juste que t'as de la chance qu'elle te considère encore comme un modèle. Et si tu veux que ça reste le cas, attends sagement ici, et fais-toi discrète.

— Donc, maintenant je suis prisonnière ?

— Et puis quoi encore ? Zoé, je n'ai pas que ça à faire de jouer au baby-sitter, objecta-t-il, accompagné d'un bref soupir. Envie d'aller dans les bras de Roméo ? La porte est là-bas, ma grande. Tu nous enverras une jolie carte postale depuis les limbes.

Au bord des larmes la noyant, elle ferma les yeux.

— Par contre, si tu veux te repentir, à mon retour, tu pourras m'expliquer en détail ce qu'il fait dans la vie. Je te laisse au maximum une heure pour choisir.

Elle ouvrit soudain les yeux, accompagnée d'une longue expiration.

— Tu fais ça pour te venger, pas vrai ?

Seconde. Inspiration. Secondes. Regards connectés.

— Sandro a mis et continue de mettre la vie d'innocents en danger. C'est ça, mon problème. C'est un type dangereux et toi, tu trouves ça normal.

— Braham, j'trouve pas ça normal, mais...

Sans même s'en rendre compte, elle venait d'avouer les activités douteuses de Sandro Payet.

— Regardez-moi comme c'est mignon, glissa-t-il en faisant la moue. La pauvre Zoé ne trouve pas ça normal, mais elle est toujours restée passive. (Rire) Bon sang, réveille-toi, Zoé ! Tu l'as toujours laissé faire, sans rien dire — me dire. Si ce n'est pas être aussi coupable que lui, dis-moi ce que c'est, alors ? Tu sais, si tous ici savaient que tu fréquentais ce type, ils ne te laisseraient même pas mettre les pieds ici. Alors, ne me fais surtout pas passer pour la brute. Surtout pas.

Braham la fit regagner la pièce d'un doigt, puis ferma en hâte la porte, laissant échapper son plus gros soupir. Il s'en alla vers Nari tout en regardant autour de lui.

— Si quelqu'un d'autre a des comptes à régler, c'est maintenant ou jamais, clama-t-il.

Sur leur chemin, Nari le sentit se tendre sous cette pression qu'il tentait de masquer. Un échec. Elle le guetta alors marcher comme un tueur à gages. Flairant son regard sur lui, il lui lança un regard, puis secoua faiblement la tête en fronçant les sourcils.

— Ça fait très Twilight. Renesmée dans le ventre de Bella. Le bébé infecté et tout ça...

Un regard stoïque. Elle continua, entremêlant quelques éclats de rire après quelques mots :

— Vous savez... Quand Bella se brise le dos et tout ça. Le bébé la vide de son énergie et du coup, ça craque au niveau du dos, et tout, du genre, crac...

Braham avait la référence, mais son enthousiasme n'était visiblement pas communicatif.

— Je veux dire, faut imaginer les femmes enceintes pendant cette pandémie, être enceintes d'Infectés qui se transformeraient la nuit dans leur ventre. Imaginez toutes ces Bella chez elle et leur Renesmée dans le ventre et puis le dos qui craque en mode... Crrr. Elle avait l'air fatiguée, peut-être enceinte d'un bébé buveur de sang la madame, non ? Moi je dis, ça fait réfléchir.

Braham secoua la tête, le nez plissé, avant de se tourner vers elle.

— Non, ça ne fait aucunement réfléchir. La comparaison était surprenante, mais ça n'a rien à voir avec le Fuscusvenae.

Nari baissa la tête. Son enthousiasme se dissipa dans l'invisible.

— Désolée, finit-elle par glisser d'un ton renfrogné.

Aussitôt, c'était par son ton de voix qu'il se trouva lui-même trop prétentieux.

— Arrêtez de vous excuser pour tout, s'empressa-t-il. J'ai ri intérieurement. Mon âme a ri.

Son âme a ri, se dit-elle. Un sourire, puis deux. Rapidement, les deux arrivèrent au bout du couloir, puis girèrent à droite. Sur les marches, ils tombèrent sur Esma et Johan au milieu d'une algarade. Les deux regardèrent à la hâte le Chef des Colibris.

Nari guetta la femme qui l'avait aidée dans la Zone, prête à lui sourire. Mais cette fois, cette dernière la mitrailla du regard. Incompréhension. Johan se leva d'un bond. Soudain, Braham les applaudit ironiquement.

— C'est elle, pas moi, se défendit Johan, alors qu'il continuait à applaudir.

— Ouais c'est moi, et ? s'écria Esma, ce qui arrêta Braham. Sauf ton respect, on est soi-disant un groupe humanitaire. Ce qui veut dire que personne ici n'est ton captif. Peut-être que quelques masochistes kiffent l'être, mais le reste, on est un peu coincés ici parce que d'autres salauds se trimballent dans nos rues. Jill a dit d'arrêter le délire. C'est un geste que je salue.

Salauds. D'autres salauds. Braham élança sa main en direction de la porte.

— Tu veux la suivre, Esma ? Je t'en prie, vas-y.

L'ancienne SEAL eut un sourire narquois en se levant. Johan et Nari se firent discrets.

— Tu trouves ça drôle, hein ? Je te préviens, Braham, ça va pas tarder.

Il s'avança d'un pas parlant. Elle descendit les marches pour lui faire face.

— Que tu partes, je m'en fous, répliqua-t-il. Mais que tu la laisses partir avec l'autre ?

— Oh, parce que c'est à cause de moi que les deux se connaissent, maintenant ?

Nari le regarda du coin de l'œil. Le chef des Colibris avait sans doute lui aussi ses propres secrets...

— Oui, mais moi, c'était un test.

— Qui t'a dit qu'elle ne le testait pas ? ... Tu crois quoi ? Qu'ils sont partis en date, et qu'ils préfèrent recevoir des balles de snipers plutôt que des pétales de rose au-dessus de leur tête ?

Johan ferma les yeux avant de tenter de lui saisir le bras. Elle l'agita vivement. Pour le doyen, ça ne servait à rien de le faire paniquer davantage. Il était toujours d'humeur irascible. Ce n'était pas surprenant de voir la colère endiguer un flot de tonnerre dans son regard.

— Ils sont partis où ? demanda-t-il d'un ton courroucé.

Esma haussa les épaules. Il était bien conscient qu'elle se vengeait de son alliance avec Nari. Braham tourna son regard vers Johan. Il haussa les épaules. Inspiration. Expiration.

— Ils. Sont. Partis. Où, s'époumona-t-il.

Sursaut. Nari ferma les yeux. Sans broncher, Johan s'éclaircit la gorge. Un signe qu'il espérait que Esma comprendrait. Soupir.

— Dans les profondeurs du cul de Lucifer, ça te va ? s'écria-t-elle d'un ton goguenard.

Braham fronça les sourcils.

— À l'Est ?

Elle roula des yeux, les bras levés, puis retombant sur ses cuisses.

— C'était de l'ironie. On sait pas, putain !

— La gamine semblait chercher des réponses, poursuivit Johan. Elle veut pas que Bouclette boy et ta nouvelle alliée soient la clé du problème.

— Alors, Jill cherche un autre chemin que l'entrée principale et le Passage.

— On a pas compris tout ça dans ses mots. Ça allait pas si loin. Esma peut valider.

— Ça va toujours plus loin, surtout avec Jill, rebondit-il.

Son corps se prépara à l'élan. Il fixa soudain son regard sur Johan, puis sur Esma, dont les yeux pleins de dégoût zigzaguaient entre Nari et lui.

— On va au parking avec Nari, expliqua-t-il plus calmement. À partir de maintenant, personne n'entre ou ne sort. J'espère pouvoir vous faire un minimum confiance.

Esma roula des yeux. Braham la fixa froidement avant de se rapprocher de deux pas calculés. Un visage nonchalant l'embruma. L'épiant, Nari le revit comme l'homme dont elle ne souhaitait plus jamais croiser le regard. Il ne cillait plus — portait la menace d'un chef dont l'équipage frôlait la mutinerie.

Seulement, la froideur était la seule chose qui les ramenait à la raison. L'empathie le connaissait, même en ces temps. Soudain, un frisson parcourut l'échine d'Esma. Pourtant, elle garda ce même regard froid. Il sourit sardoniquement.

— Tu peux me regarder comme si tu te préparais à l'insurrection, mais n'oublie jamais la seconde vie que je t'ai donnée, déclara-t-il à voix basse. Tu peux me prendre pour ton ennemi, ou n'importe qui d'autre qui ne serait pas ton allié. Je t'en prie, fais-le. Mais garde quand même à l'esprit que si tu es ici à me prendre de haut, c'est grâce à moi, Es... ma. Ego, narcissisme, idiotie, étiquette-moi autant de fois que tu le voudras, quand ce qui compte, c'est la vérité... Ta vérité.

Ma vérité, se dit-elle, s'engageant dans une confrontation visuelle qu'aucun d'eux ne gagna. Il recula de quelques pas, avant de jongler du regard entre les deux. C'était la première fois que Nari le voyait si dur avec les autres. Un moment où elle se sentit moins seule. Johan baissa les yeux.

— Une entrée facile dans ce groupe impose un remplacement aussi facile que rapide.

Braham pouffa, les mains qu'il glissa dans les poches de sa veste.

— Généralement, quand les vainqueurs approchent de la fin des sacrifices, et que les soi-disant proches crient haut et fort qu'ils étaient là depuis le début, on oublie de préciser de quel côté ils l'étaient. Un frein ou un soutien. Si c'est pour prétendre avoir bossé jusqu'au bout, je ne veux pas de vous ici. Si c'est pour me désobéir à tout bout de champ, dégagez. Les menteurs et les profiteurs, vous savez ce que j'en pense. Ça dégage. Si vous en avez marre des ordres, redevenez citoyens... ou créez votre propre groupe, qui sait. Ça vous évitera de vous plaindre comme des mioches. Je le dis une dernière fois. Je ne laisserai personne me faire passer pour un tyran, quand l'ordre et les ordres sont les seules choses qui font bouger les flemmards. Vous êtes fatigués d'être flemmards ? Passez de l'autre côté et devenez débrouillards.

Johan opina du chef. Silence radio du côté d'Esma. Il braqua son regard sur elle.

— Maintenant, t'as une vraie raison de quitter le groupe. Je ne t'en voudrais pas.

La seconde d'après, Braham fit volte-face, Nari le suivant docilement.

— La vérité, Esma, c'est que je ne te vois déjà plus, glissa-t-il sans la regarder.

Alors qu'Esma se tournait précipitamment vers Johan, qui baissa la tête, Braham et Nari s'élancèrent dans un autre couloir. Il poussa d'une main une porte battante automatique, puis fit signe à Nari de passer avant de passer à son tour. Après une longue minute de silence, Nari osa le confronter lui et à sa respiration brusque. Sans le regarder...

— Vous êtes affreusement direct. Vous frôlez la méchanterie.

Méchanceté, la corrigea-t-il froidement.

Nari le faisait exprès. C'était sa manière d'exister. Elle haussa les sourcils, la bouche pincée.

— Pour un type qui aime inventer des mots...

— Je ne suis pas méchant. Que ce soit direct ou non, j'ai raison. Après...

Ils arrivèrent dans un grand parking pour berlines beaucoup plus modestes que celles du Dôme. Dans le coin se trouvait un hélicoptère. Un hélicoptère qui avait été utilisé pour une tentative d'immersion dans le Dôme. Mais cela n'avait abouti à rien. Après quoi ? se dit-elle.

— Esma fait partie de l'élite, poursuivit-il, appuyant sur un bouton-poussoir, qui fit descendre une trappe que Nari observa. Elle a du cran, elle sait ce qu'elle veut, elle se bat mieux que quiconque. Mais... par le passé, ils n'arrêtaient pas de la rabaisser, que ce soit à cause de ses origines, ou qu'elle ne pouvait pas faire partie d'un milieu masculin et penser une seconde qu'elle avait une chance de réussir. Ou alors, qu'il était impossible d'être féminine et forte en même temps. Esma leur a répondu : si la troisième guerre mondiale est annoncée, j'irai aux tranchées en talons et en jupe, et je me battrai mieux que vous.

Un sourire, puis deux. Les deux attendirent que la trappe descende complètement.

— Des soi-disant proches lui disaient qu'elle faisait partie de ce milieu, car elle voulait être entourée de gars qui la guignent. Pour se venger, elle s'est forcée à tout faire mieux qu'eux. Alors, quand elle entend un petit con se prendre pour le roi, son cerveau fait automatiquement le lien avec ses anciens ennemis. Si Jill quitte le groupe et qu'elle lui demande de la rejoindre, avec un discours pareil, elle le fera dans l'optique de me montrer qu'elles peuvent faire la même chose, tout en supportant les remarques de gars comme celui que vous venez de voir. Je ne refuserai pas une double chance de gagner la bataille.

Il garda tout de même secret qu'il était question d'un autre plan au cas où Nari les trahissait.

— Vous calculez tout à l'avance, comme ça ? demanda-t-elle.

— Je connais mes amies, c'est tout.

C'est tout, se dit-elle, alors que la trappe était enfin abaissée et inclinée. Les deux grimpèrent dans la Jeep Wrangler. Ceintures de sécurité mises, il démarra la voiture.

— Votre amie. Elle a l'air d'être capable d'arracher des couilles à mains nues.

Braham gloussa. Une fois la voiture sortie du bunker, il appuya sur une petite télécommande. Il attendit que la trappe se ferme et soit recouverte par un système de laminage, et un fût se posant ou s'élevant comme un arbre en bonne santé par un système avancé. Il s'élança ensuite sur le chemin forestier terreux. Cette discussion lui fit un peu oublier Adán et Jill.

— Esma a fait partie de l'armée de terre turque, a travaillé pour l'OTAN, le SWAT...

Wow.

— Ouais. Wow. Quand je l'ai vue pour la première fois, je dois dire que j'étais sacrément intimidé. La formation pour devenir Navy SEAL n'était ouverte qu'aux hommes et puis le Pentagone a autorisé les femmes à occuper des postes de combat en première ligne. Esma a demandé à passer la formation après qu'un haut fonctionnaire a déclaré que les femmes pouvaient passer les étapes seulement si la difficulté était abaissée. Esma a dit : ah ouais ? Regardez-moi faire. (Sourires) J'imagine que quand des hommes sont prêts à faciliter le concours, ça doit pousser une femme à faire comme eux et peut-être mieux.

Nari ignorait ce qu'elle aurait fait, mais la trouva fascinante.

— Le haut fonctionnaire a même fini par la prendre sous son aile. Esma faisait partie d'une des branches élitistes ; des soldats poussés à l'extrême. Vous voyez comment ils se battent dans les films ? Ils font mieux. Une douleur physique que 99 % des humains ne supporteraient pas. Y compris moi. (Sourires) Esma a été l'une des deux premières candidates à être formées. Elle est un peu notre Natasha Romanoff. Elle entraîne les Colibris pour les combats, mais aussi Jill. Jill est du genre à fantasmer sur les protagonistes qui se battent dans les films. Aujourd'hui, elle fait à peu près la même chose. Bien pire qu'Esma, mais elle se débrouille plutôt bien. Je suis fier d'elles.

Le sourire de Nari se renforça. Quand il parlait d'elles, ses yeux brillaient de fierté.

— Et comment Esma vous a trouvé ? s'enquit-elle.

Braham tourna précipitamment la tête vers elle, un sourire en coin aux lèvres.

— Qui sait. Peut-être que le gouvernement ne voulait pas nous laisser sans renfort. Esma nous cache peut-être l'histoire dans son ensemble.

— Vous vous en fichez ?

— Aucun militaire ou policier Colibri n'est un agent infiltré, un ennemi secret ou ici pour saboter nos missions, expliqua-t-il. Ils ont leurs secrets, j'ai les miens, Esma a les siens, Jill aussi, mais tant qu'ils n'affectent pas le groupe, on s'en fiche, oui.

Semblait-il qu'il revenait dans son état naturel. Il lui lança un regard glacial.

— Contrairement à ce que fait votre ami ou Zoé. , ça me pose problème.

Le sourire de la jeune femme disparut aussitôt.

— Je vois... Et vous faites quoi à ceux dont les secrets menacent votre groupe ?

Ils les éloignaient de la ville et les menaçaient eux et leurs familles pour éviter des problèmes ultérieurs. Par la suite, ils leur mettaient quelques Colibris sur leur dos. Branislav Prochazka avait été une de leurs cibles. Parfois, ils faisaient d'autres choses qui pouvaient facilement traumatiser et frôler le crime. Quand il fallait se battre contre les leaders, toute barbarie était légalement acceptée.

— Vous ne voudriez pas savoir, répondit-il d'une voix équivoque.

— Et... (Déglutition) Et si Adán est celui que vous pensez, vous allez lui faire quoi ?

Il lui lança un regard noir, puis glissa son index le long de son cou. Les yeux de Nari s'agrandirent de terreur. Quelques secondes plus tard, Braham pouffa. Ils étaient enfin sortis de la forêt.

— C'est du sarcasme, Nari. Souriez un peu. Il restera bien évidemment en vie. Je lui ferai seulement visiter ma chambre rouge.

La pression tomba de ses épaules. Juste avant qu'il ne poursuive d'un ton sérieux...

— On le suspendra seulement par les poignets, les bras tendus, sur la pointe des pieds dans une cellule. Gifles, coups de poing, coups assénés avec matraques électriques. Jill fumera quelques cigarettes avant d'écraser ses mégots sur son torse. Salon de manucure oblige, on lui arrachera les ongles. Parfois, on s'improvise aussi dentistes, dit-il, tout sourire. Si on voit qu'il ment, on lui cassera quelques dents. S'il continue de mentir, je le prendrai par les cheveux. Après trop d'isolement, ça a parfois l'effet inverse. Ça en excite certains. Si c'est le cas, j'enverrai JC le faire pour moi. Ça les calme. Malheureusement, on ne peut pas tout faire. La coiffure, c'est pas trop notre truc. Ce qu'on pourra faire, c'est de plonger sa tête dans un seau d'urine. Si ça ne suffit pas, je demanderai à JC de déféquer dans sa cellule jusqu'à ce qu'il vomisse. Si ça ne suffit pas et que Bouclette boy continue de mentir, on lui fera faire le ménage avant de l'isoler nu, les yeux bandés dans une cellule plus petite. Disons trois jours sans lumière, peut-être même sans son avec un casque insonore. Après ça, on retirera le bandeau et le casque pour observation. On lui interdira bien évidemment de dormir jusqu'à ce qu'il frôle l'hallucination et la terreur paranoïaque. On lui fera manger des plats qui frôlent le pourri, parfois pourris... Avant que ça ne devienne irréversible, on lui reposera gentiment la question. Et à ce moment-là, Nari, je peux vous assurer que votre bestie nous dira s'il a été envoyé par son papounet, le vôtre, le Dôme, les terroristes, ou tout autre individu qui auraient décidé que mettre la vie d'innocents en danger, c'était comme jouer à un jeu de tirs.

Déglutition. Les poils de Nari s'étaient hérissés après chacun de ses mots. Son teint devint livide.

— Vous n'êtes pas de la mafia, mais je dois dire qu'être votre ennemi est terrifiant.

— Nari, si vous n'avez rien à vous reprocher, profitez de la balade.

Mais il la surveilla discrètement et réalisa qu'elle ne semblait pas profiter de la balade.

— Vous savez, continua-t-il, pianotant pensivement ses doigts sur le volant, on est du genre à prôner l'égalité chez les Colibris.

Leurs regards se croisèrent à la hâte.

— La chambre rouge compte aussi pour les menteuses. On a déjà eu une Hirondelle envoyée par le Dôme qui pensait que passer par le lit d'un Colibri le pousserait à révéler des secrets colibristes. Au final, on a pu repartir avec quelques secrets dômiens. Faut juste ne pas nous mentir, nous faire chier, nous faire perdre notre temps et nous prendre pour des idiots. C'est assez simple. Ils ont des sous, on a la police et l'armée. Ils sont partenaires, on est un groupe. Ce besoin de vengeance, Nari, vous ne le trouverez nulle part ailleurs. Ils ont des fonds, c'est bien pour eux, mais on est du genre la vraie Suicide Squad aux tendances Jokeristes. Vous qui aimez vous référer au Septième Art, ça devrait vous parler. Si vous ne faites pas partie des menteuses envoyées par les ennemis, sachez qu'on recrute. À vous de voir...

Silence pesant. Braham avait l'impression qu'elle évitait son regard.

— Nari...

Elle pivota précipitamment la tête vers lui. Un regard flou. Un regard qui en savait trop.

— Si j'ai des doutes, prononça-t-il calmement, je n'hésiterai pas à vous y emmener.

M'y emmener. Inspiration saccadée. Dans la chambre rouge. Déglutition. Être torturée.

— Je ne suis pas votre ennemie, répliqua-t-elle.

Braham pouffa. Ses narines se dilatèrent. Il enroula plus fermement ses doigts autour du volant. Il n'était pas surpris de réaliser que c'était ce qu'ils disaient tous avant qu'il les détache. Une fois libre, chacun d'eux finissait par lui planter un couteau dans le dos.

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