Chapitre 2 : L'attente

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Seule dans sa chambre, Valine faisait les cent pas. D'ordinaire, elle considérait cet espace comme son jardin secret, son endroit à elle, où personne ne pouvait la diriger ou dicter son comportement.

L'année dernière, elle avait repeint elle-même les murs défraîchis de son antre, utilisant de la peinture organique que sa voisine, Mme Langaat, préparait. Elle avait réussi à économiser quatre litres d'eau grâce à des heures supplémentaires au magasin où elle travaillait et pouvait, grâce à cela, admirer la lueur orange de sa lampe de chevet se refléter sur les murs d'un violet profond. Cette couleur lui permettait de vider son esprit de tous ses soucis quotidiens, et de le laisser vagabonder.

Elle rêvait de sortir de son village, de prendre les petites routes et de s'installer au bord de l'Océan. Une eau profonde, azur, sans fin, sans horizon. Elle voyait des animaux sauvages s'y rafraîchir longuement, sa famille nager dans les vagues, elle pouvait presque sentir les algues lui chatouiller les doigts de pied. Les arbres autour des plages étaient d'un vert resplendissant, presque brillant, les oiseaux chantaient allègrement et elle pouvait presque entendre le murmure des feuilles pendant que la brise marine glissait dans ses cheveux...

Mais Valine commençait à regretter d'avoir peint ces murs de couleur aubergine. Elle regrettait amèrement d'avoir utilisé ces quatre litres pour un simple caprice de gamine, juste pour redonner une nouvelle fraîcheur à sa petite chambre de dix mètres carré. Elle aurait pu faire beaucoup plus, elle aurait pu les donner à son petit frère, ce qui lui garantissait un jour de survie... Avait-elle vraiment besoin de ce miroir qu'elle s'était acheté cet hiver, au Troc ? Et cette vieille horloge qui ne fonctionnait qu'avec l'énergie solaire, était-ce vraiment un achat nécessaire ?

Valine ouvrit alors un carton aussi grand que son lit, et le disposa au sol, pour y jeter tous les objets dont elle n'avait pas réellement besoin. Elle y jetait vivement cahiers et stylos, vêtements et chaussures, dessus de lit et couvertures. Avant de le décrocher du mur, Valine jeta un dernier regard dans son grand miroir. Elle y découvrit sa silhouette amincie et son visage préoccupé.

Valine n'appartenait pas vraiment à la même catégorie de personne que ses parents, physiquement surtout. Alors que sa famille était athlétique et élancée, elle était toute en courbes, avec des hanches de femme mûre, des bras un peu potelés, et une poitrine de taille moyenne. Elle avait la chance d'être grande, ce qui l'aidait énormément à camoufler ses cuisses bien en chair et son derrière rebondi. Elle n'était plus vraiment complexée par ses courbes, mais était finalement bien heureuse de ne plus avoir à se regarder tous les jours dans le miroir. Elle savait que son apparence physique ne serait plus sa plus grande préoccupation dorénavant.

Sa chambre, déjà si modeste, ressemblait maintenant à un placard à balais, ayant pour seul meuble un lit. Elle savait que c'était la seule solution pour garantir la survie de son petit frère Amso.

" Aaaah Amso..." pensait-elle, "je t'ai porté dans mes bras quand tu es né, je t'ai bercé, je t'ai appris toutes les bêtises possibles et inimaginables... J'ai toujours su que tu étais plus fragile que les autres, que je devais te protéger de la misère, des moqueries des enfants, et des difficultés de la vie. Tu es tout ce que j'ai, la seule personne au monde capable de me comprendre sans même me regarder, la seule personne aussi déchirée que moi... Et maintenant, tu risques de mourir, parce que j'ai préféré repeindre ma chambre en violet plutôt que d'économiser toute l'eau que je gagnais au magasin. "

 ⏤ Valine ? Qu'est-ce que tu fais ? C'est quoi tout ça ?

Amso, pâle et fébrile, était entré dans la pièce si discrètement que Valine ne l'avait même pas remarqué. Depuis l'annonce de sa maladie, Amso avait perdu quelques kilos, creusant ses joues et dévoilant ses côtes. Sa peau était d'une blancheur de craie, ses yeux reflétaient l'épuisement de ces derniers jours.

Les Chroniques de Valine Soula - Tome 1: EAUOù les histoires vivent. Découvrez maintenant