Prologue ~ Elle

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Je regardais l'évier. Ou... L'évier me regardait. L'eau, mon reflet, ce qu'il en restait. Une assiette sale, un verre dans la main, l'éponge dans l'autre. J'étais comme anesthésiée. Rien ne m'avait préparé à ça. Mais, je ne n'avais rien fait pour m'en préserver également ... Je l'avais désiré, suivi, et voulu. Mais cette autre ! Celle qui m'avait fait rêver, vibrer, voyager. Celle qui m'avait fait l'aimer un peu plus et qui m'avait transporté dans d'autres pays. Cette grande belle dame, énigmatique et dangereuse, qui nous avait certes réunis, nous séparait à présent ... et ... pour si longtemps.

– Merde ! chuchotai-je.

L'eau se tinta d'un filet rouge. Je lâchai le reste du verre et fourrai mon doigt dans la bouche sans un bruit. Tout en fermant les yeux, je calmai discrètement les picotements et suçai le bout de ma phalange. En fond sonore, Thomas Fersen chantait les aventures d'une chauve-souris qui aimait un parapluie jusqu'à le chercher. Cette chanson pourtant d'un air entrainant me plombait la tête. Je ne cessais de penser que mon parapluie était juste devant moi, mais qu'il cherchait à s'enfuir. Et ceux pour plusieurs mois. A cet instant j'étais la seule à me sentir abandonnée. Lui, était heureux comme rarement je ne l'avais vu. Qui étais-je pour jouer la rabat-joie et le sortir de sa bulle ?

Il semblait si excité lorsqu'il m'avait lu à haute voix le mail, qu'il avait reçu plus tôt du centre océanographique polaire français. Il lui indiquait sa nouvelle mission. Plus d'un an, à être chef mécanicien de la base Dumond-d'Urville en Antarctique. Le doigt toujours dans la bouche, je culpabilisais de ne pas m'en réjouir. A quel moment faisions-nous semblant par amour pour l'autre ? Et à quel moment, n'osons-nous plus dire ce que nous ressentons au plus profond de notre chair de peur de blesser l'autre ?

Peu importait les réponses, je ne pouvais gâcher cet instant à cause de mes craintes.

Je sortis mon doigt de son pansement de salive et le regardai. Il ne saignait presque plus. Je me retournai vers lui tout en arborant un sourire sans âme.

– Et c'est pour quand déjà, redis-moi ? demandai-je.

– Je dois être à Hobart dans trois semaines, me dit-il enjoué. Ensuite, j'embarque sur l'Astrolabe qui m'emmènera jusqu'en Terre-Adélie.

Que ces noms semblaient exotiques. Mais même si quelque part au fond de moi j'étais heureuse pour lui et l'avais encouragé dans cette voie, sa bonne humeur pourfendait mon cœur.

– Hum ... C'est chouette, m'entendis-je répondre.

– Tu te rends compte Eva, j'ai été retenu. Je n'y crois pas moi-même ! Je vais assister une mission scientifique pendant près d'un an, se répandit-il d'une traite, sourire aux lèvres.

Comment être jalouse d'une mission scientifique ? Et le plus important, certainement : pourquoi en être jalouse ? Je ne me l'expliquais pas. Je ressentais juste ce vide qui allait naitre après son départ. Je l'avais choisi. Je savais qu'il partirait, que je devrais le partager, mais étais-je prête à vivre une vie de femme de marin ? Si vite ? Je l'aimais à n'en pas douter, mais lui ressentirait-il ce vide ?

Je n'eus pas le temps de m'épancher plus sur le sujet car il perçut mon trouble.

– Ev' ! Quelque chose ne va pas ? s'enquit-il.

– Euh ... C'est juste que je me suis coupée en faisant la vaisselle, mentis-je allègrement.

Je dressai mon doigt en guise de preuve et une goutte de sang s'écrasa sur le carrelage blanc. Je retournai ma main pour voir que la coupure c'était réouverte et remise à larmoyer d'elle-même. Rien, ce n'était rien. J'attrapai un torchon et l'enroulai autour de mon petit bobo .

Des Glaces aux Saveurs interditesWo Geschichten leben. Entdecke jetzt