Chapitre 5

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J'avais l'impression d'avoir la tête dans un étau. Je m'étais retrouvée depuis trois jours dans un lit chez les parents de Jamie, entourée d'eux trois, de Janice, d'un docteur et de Jack. C'est lui qui avait prévenu Jamie que j'étais malade, qui à son tour avait prévenu ses parents, qui, eux, étaient venus me chercher et avaient contacté un médecin. Je respirais très mal, comme si je cherchais à gonfler un ballon percé. Et je toussais tellement qu'il me fallait constamment un paquet de mouchoirs à portée de main pour cracher. Mais le pire était les cauchemars. Avec la fièvre, ils m'attaquaient aussi bien dans mon sommeil qu'éveillée. Mon cerveau les rendait absurdes, infinis. Je voyais des tableaux danser, des créatures sans tête, des tours d'ivoire sombre, des cages en os, des chevaux aux sabots de feu, aux yeux morts et à la gueule béante, leur langue à peine suspendue à leur mâchoire, prêts à me faire perdre pied et m'emporter dans le néant. Ils hurlaient et couraient, furieux, aveugles, je sentais la terre trembler sous leurs pas, tandis que j'étais paralysée, incapable de fuir leur course de titans.

« On pensait qu'elle avait une grippe, mais son état empire. Elle ne mange presque pas, la fièvre la fait délirer, elle peut à peine bouger et elle frissonne !

Le docteur s'était contenté de me poser quelques questions auxquelles je répondais par phrases courtes, tant le souffle me manquait.

-Elle est cyanosée. Il faut la conduire à l'hôpital.

-On ne peut pas, les routes sont toujours bloquées par la neige !

-Alors il va falloir attendre et espérer que ça n'empire pas.

-Maman, ça veut dire quoi, cyanosée ?

-Tu vois, c'est que ses ongles et ses lèvres sont bleus, parce que l'oxygène ne parvient pas jusqu'au bout des veines.

-Ça veut dire qu'elle peut mourir ?

-Non, personne ne va mourir, promis, répliqua le médecin.

Ce n'était pas dans ses fonctions de faire pleurer les enfants en visite.

Pendant tout ce temps, Jack était penché vers moi, le désespoir et l'horreur peint sur son visage. J'étais parfaitement consciente de tout ce qui se passait autour de moi. J'aurais voulu répondre quelque chose d'ironique à Jack, rassurer le petit Jamie et le prendre contre moi, mais l'idée seulement de lever la main me coûtait des efforts terribles. J'avais perdu beaucoup de poids, et mes lèvres étaient énormément gercées, presque émiettées. Janice emporta les restes de mon sandwich que j'avais à peine entamé. Lorsqu'ils finirent tous par partir avec un petit mot d'encouragement, seul Jamie et Jack restèrent.

Je crois que je m'endormis et que j'eus un cauchemar dans lequel j'appelai mon père dedans car je prononçai « papa » lorsque je repris conscience et, les yeux toujours clos, je sentis la grosse main de Nord posée sur mon crâne. Je sentis aussi la tête couverte de fourrure de Bunny se poser sur ma poitrine où il y étendit une de ses longues oreilles et déclara, formel :

-Son cœur bat presque à la même vitesse que celui d'un lapin, c'est pas bon.

-Tout est de ma faute, entendis-je Jack grogner.

-Arrête Jack, lui dit Fée.

-C'est moi qui ai provoqué la tempête. C'est à cause de moi qu'elle s'est retrouvée cette nuit dans le froid ! C'est à cause de moi qu'elle ne peut pas guérir.

Il y eut un silence.

-Et le pire, c'est que je savais tout ça. C'est elle qui me l'a dit. Mais maintenant, je ne peux rien faire pour elle. Je ne sais que contrôler la neige et la glace. Comme si elle avait encore besoin de ça, maintenant ! Veillez sur elle, je dois repartir.

Jack F. et moiWhere stories live. Discover now