Chapitre 7 - Pleine lune, Torque de Dana

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Mi-décembre — Pleine lune (3 jours)

Quelques jours plus tard, le 18 décembre, c'était l'anniversaire de Hikira qui avait seize ans.

Carole Kerhervé se trouvait avec Ludovic dans la cuisine. Elle était debout, en tailleur noir et long imperméable, les bras croisés sous la poitrine. Ses yeux bleus se fixaient sur son interlocuteur avec sévérité et cachaient mal leur impatience. Quant à Ludovic, il était assis, la tête basse.

— C'est ce soir, Ludo, tu sais que c'est ce soir, répéta-t-elle l'air las avant de poser une main bienveillante sur l'épaule de son ami et client. Ça fait trois mois qu'elle essaie de briser le sceau des fées pour aller vers lui. Cette pleine lune, c'est son destin...

— Tu crois qu'ils vont tenter quelque chose ? bafouilla l'homme à la chevelure hirsute ce matin.

Ludovic jouait son rôle de père faible et effrayé face à elle afin de lui faire croire qu'il craignait Éric Freinet. Il leva des iris verts écarquillés d'angoisse sur son avocate. Son visage ridé était brillant de sueurs froides.

— Maintenant qu'ils se sont rencontrés, la Bête va se réveiller une nouvelle fois cette nuit. Le sceau va se briser. Tes frères tenteront de l'empêcher. Rappelle-toi, il y a trois ans. David a essayé et Kanoko est morte en la protégeant. J'en suis certaine, Ludo, alors je t'en prie : il faut confier Hikira à Frei...

L'homme frappa soudain la table du poing, si fort que le bruit évoqua un coup de tonnerre. Ce geste brutal fit sursauter, crier, et reculer la femme près de la fenêtre, une main posée sur sa gorge.

— Non ! Et tu sais très bien pourquoi ! Il ne comprendra pas plus que mes frères ! C'est un homme de science, Carole ! Il voudra la tuer ! C'est dans la nature humaine !

— Tu sais que j'ai raison, rabâcha-t-elle d'un ton glacial en le toisant de haut, l'écrasant cette fois de toute son assurance. Éric Freinet protégera Hikira parce que c'est son travail !

Ludovic s'emporta un peu plus, ses traits se durcirent, ses yeux la transpercèrent et sa voix explosa :

— Son travail c'est de sauver des vies ! Pas d'en risquer à cause d'un pouvoir qu'il n'acceptera pas ! La protéger, c'est ton devoir, Carole Kerhervé ! Tu es la vassale !

Carole tiqua et porta la main à son nez tout en foudroyant Ludovic des yeux.

— Inutile de me le rappeler ! C'est pour cela que je te dis qu'il faut confier Hikira à Freinet ! Tu ne peux pas changer le destin de ta fille ! Je sais qu'il choisira de la protéger !

— Que sais-tu de lui ? questionna le père qui se leva pour s'étirer cette fois de toute sa taille, dominant à son tour la femme sous ses yeux.

— Il a été médecin légiste à Rennes. Des horreurs, il en a plus vues causées par des hommes de chair et de sang que par des chimères ! Son travail lui déplaisait et il l'a quitté. Ludo, il aime Brocéliande bien plus que la ville. Il souhaite rêver à nouveau, alors crois-moi quand je te dis qu'il préférera protéger Hikira des humains.

Ludovic la dévisagea, puis posa ses mains lourdes sur les épaules de l'avocate. Ils se regardèrent un instant dans les yeux.

— Protège bien ma fille, Carole, protège bien la fille de Kanoko, souffla-t-il.

Carole baissa la tête en signe d'assentiment, mais elle sentait le regard de son interlocuteur sur elle comme une épée plantée dans son cœur.

*

Les élèves étaient de plus en plus dissipés dans la salle de classe, bien que l'on soit encore séparé des vacances de Noël par cinq jours de cours.

La louve de BrocéliandeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant