Chapitre 6. Inconnu connu

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Iris, pour sa part, se sentit très gênée. Un sentiment puissant de déjà-vu l'envahit quand elle croisa le regard ambré du garçon. Elle s'entendit murmurer :

– Avant ou après m'avoir assommée ?

   Il prit la même expression contrite que son père et Iris pensa que la ressemblance était frappante. Cela paraissait irréel, elle se sentait irrésistiblement attirée par lui et avait en même temps envie de le fuir à toutes jambes.

  – Est-ce qu'on se connait ? demanda-t-elle confuse.

   Le garçon fronça les sourcils. Il se rapprocha d'elle et Iris ne sut si elle devait avancer ou reculer.

  – C'est une blague ? Tu ne te souviens vraiment pas ?

  – Non. Je suis désolée. Mais j'ai l'impression de te connaître, es-tu acteur ou peut-être mannequin ?

   Félix parut tomber des nues, il donna l'impression de se dégonfler comme un ballon puis, contre toute attente, éclata de rire. Une fossette se creusa sur sa joue gauche. Iris ne put s'empêcher de s'imaginer en train d'embrasser cet endroit précis. Non, mais que lui arrivait-il ? Jamais encore elle n'avait eu ce genre de vision pour un inconnu. Elle n'était même pas certaine d'avoir éprouvé cela pour quiconque.

  – Mannequin ? Tu es sérieuse ? Je suis bien trop classe pour ça.

   Quelle modestie, pensa-t-elle, sans parvenir à savoir s'il plaisantait.

  – Navrée, mais je pense que tu t'es fourvoyé. Mon nom de famille n'est pas Alva, mais Castel. Il est possible que tu m'aies connue sous le nom d'Iris Alva ? Si c'est le cas, dis-le-moi, s'exclama-t-elle soudain remplie d'espoir.

   La jeune femme s'apprêtait à lui raconter son histoire, mais l'expression qui se dessina sur le visage du jeune homme l'en dissuada. Il paraissait sincèrement déçu et presque amer.

  – Non, je sais que c'est toi, appuya-t-il. Tu as honte et tu fais comme si tu ne me connaissais pas, finit-il entre ses dents.

   Iris resta un moment muette. Pour qui se prenait-il ? La colère lui chauffa les joues.

  – Félix c'est ça ? D'une part je ne me souviens pas t'avoir entendu t'excuser pour m'avoir assommée et deuxièmement je ne vois absolument pas de quoi tu parles, alors soit tu m'expliques soit je m'en vais immédiatement ! O-K ?

   Bien qu'étonnée de son aplombs tout neuf, Iris s'en félicita. Ce n'était pas du tout dans ses habitudes de se comporter ainsi. Félix la dévisagea avec des yeux ronds. Il faillit dire quelque chose puis se ravisa. Le jeune homme secoua ensuite la tête de gauche à droite en proie au doute.

  – Je suis désolé qu'on t'ait blessée. Nous n'avions aucunement l'intention de te faire du mal, lâcha-t-il précipitamment. Nous... j'ai dû me tromper sur la personne. Laisse-moi te raccompagner.

  – Nous sommes nous déjà vus, oui ou non ?

   Il la dévisagea longuement avant de répondre d'un ton sec :

  – Apparemment pas.

   Iris en fut monstrueusement déçue. Ce ne serait pas ce garçon qui éclaircirait le mystère de son existence.

  – Suis-moi, lui ordonna-t-il froidement.

   Elle acquiesça et pour une raison qu'elle ne connaissait pas, se sentit terriblement mal de penser que, bientôt, elle devrait lui dire au revoir. Fixant le sol,  la jeune femme lui emboîta le pas dans un tunnel, lui aussi creusé dans la roche. Le plafond bas et humide retint son attention. Dans quel endroit de Paris pouvaient-ils bien se trouver ? Iris suivit son guide dans un enchevêtrement de galeries souterraines et passa une main sur la pierre. Celle-ci était humide. Ils se trouvaient donc sous terre.

    Félix avait réquisitionné une des torches accrochées au mur et paraissait savoir exactement comment et où se diriger parmi tous ces couloirs. Malgré la pénombre, Iris distinguait son dos puissant et musclé, taillé en « V » qui finissait sur des hanches étroites et dut se retenir de le toucher.

   Le garçon se stoppa net. La jeune femme le percuta de plein fouet, ce qui la fit tomber à la renverse. Félix la scruta de ses yeux espiègles avant de lui tendre une main qu'elle saisit et qui la remit sur pied d'un mouvement énergique. Un coup d'électricité l'obligea à lâcher les doigts de Félix précipitamment. Elle secoua sa main endolorie par réflexe.

  – Merci, marmonna-t-elle.

   Figée, elle remarqua que le garçon continuait de la scruter dans l'obscurité. Il fit un pas dans sa direction et Iris eut l'envie irrépressible de s'approcher de lui à son tour. S'il la touchait maintenant,  elle ne répondrait plus de rien, mais celui-ci se contenta de mordre sa lèvre inférieure, une expression douloureuse affligeait ses traits. Il finit par détourner les yeux et ouvrit une porte. C'était la première ouverture de ce genre qu'Iris entrevoyait dans cet endroit singulier. Celle-ci donnait sur des escaliers en colimaçon.

  – C'est la sortie, passe devant ! lui ordonna-t-il en indiquant l'escalier de pierres.

   Iris ne discuta pas. D'ici, elle n'en distinguait pas le bout. Elle entreprit de monter cet escalier d'un pas énergique. Tout en continuant son ascension, elle sentit le regard de Félix peser derrière elle. Ses joues virèrent au rouge derechef et elle remercia le ciel qu'il ne puisse pas voir son visage.

   Cela faisait plusieurs longues minutes qu'ils montaient cet escalier de malheur quand les premiers signes de fatigue se firent ressentir. La jeune femme prit un élastique qu'elle laissait toujours sur son poignet pour des occasions pareilles, puis noua ses cheveux en chignon.

   Il leur fallut quelques minutes supplémentaires pour atteindre la porte de sortie. Félix se pencha pour l'ouvrir et la frôla. Iris sursauta et dut plisser les yeux, tant la lumière du jour l'aveugla. Un vent frigorifiant s'engouffra dans ses cheveux. Elle se retourna pour faire face au garçon et fut assaillie d'une irrésistible envie de lui crier qu'elle était cette personne qu'il cherchait, qu'elle irait où il irait, mais il la coupa dans sa rêverie.

– C'est une grosse cicatrice que tu as dans le dos.

La jeune femme ouvrit de grands yeux, sourcils levés, bouche pincée.

– Je l'ai vue quand tu t'attachais les cheveux, s'expliqua-t-il en réponse à son regard outré.

   Il ne paraissait pas gêné le moins du monde. Iris le dévisagea longuement et éprouva soudain l'envie pressante de mettre le plus de distance possible entre lui et elle.

   Une cicatrice lui barrait l'intégralité du dos, prenant naissance sur sa nuque, rayant une partie de sa colonne vertébrale et se terminant sur sa hanche droite. Avec le temps, la jeune femme n'y prêtait quasiment plus attention. Cette entaille faisait partie d'elle et Iris avait fini par l'accepter. Pour autant, en parler à un inconnu, ce même inconnu qui l'avait assommée et emmenée dans un souterrain contre son gré, la mettait dans une colère noire qu'elle n'était pas certaine d'identifier.

   ­– Oui, je me suis faite faucher par un Floater après être tombée d'un pont. Pas banal, hein ? cracha-t-elle en se détournant de lui.

Elle s'éloigna d'un pas déterminé. Voilà qui ne manquera pas de lui rabattre le caquet, se félicita-t-elle. Elle n'eut pas le temps de constater l'expression ahurie du garçon.

Amnésia : l'Enfant de la Lune (Sous contrat d'édition)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant