4.7 : Les pièces sur l'échiquier

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Brynhild regardait par la fenêtre, plongée dans ses pensées tourbillonnantes comme de la neige en plein vent.

— Ma Dame...

Brynhild se retourna vers Freyja qui froissait la liste dans son poing serré. Elle soupira et regarda à nouveau à travers le carreau pour repenser à la discussion houleuse qu'elle avait eu avec le prisonnier.

Le soleil n'allait pas tarder à se lever. Elle n'avait pourtant pas rejoint son lit comme elle en avait eu l'intention avant de le rencontrer.
En songeant à sa couche, la première image qui lui vint à l'esprit fut le corps du roi, entièrement nu, dégoulinant d'eau.

Elle secoua la tête pour chasser ses pensées inconvenantes, qui pourtant, ne lui semblaient pas si inconvenantes que cela. Elle ferma les yeux.

Quelque chose s'était passé, cette nuit. Une chose qu'elle n'avait pas anticipé.
Ou plutôt, plusieurs.

Tout d'abord, aussi fou que cela puisse paraître, il avait refusé sa proposition. Elle n'arrivait pas à comprendre pourquoi. C'était un homme traqué qui avait tout perdu, il semblait usé par ses mois de fuite. Elle lui offrait une chose qu'il ne retrouverait sans doute jamais.

Pourtant, il avait refusé.

Il préférait sa liberté — aussi courte soit-elle, puisqu'il serait pendu dès que le conseil aurait eu vent de sa présence sur l'île — à la couronne qu'elle lui offrait.

Contrairement à Balder, cet homme avait les épaules pour ce rôle. Il était né pour ça, avait été élevé dans cette optique. Il avait été roi.
Elle avait menti quelques peu quand elle avait affirmé qu'elle ne savait rien de ce qu'il se passait sur le continent.

Depuis longtemps déjà, des hommes qu'elles avaient recrutés arpentaient les terres pour lui rapporter ce qu'il se passait.
L'île avait beau être éloignée, et difficile d'accès, rien n'était plus menaçant qu'un royaume en pleine sédition.

Brynhild soupira.

Elle ne savait de lui que ce que l'on racontait : il avait été un roi bon, mais trop préoccupé par des broutilles sans importances pour se méfier de ses nobles qui commençaient à comploter contre lui.

La prise de Kairn avait fait grand bruit, beaucoup d'hommes étaient morts ce jour-là. Depuis, personne ne savait ce qu'il était advenu du roi, mais des bruits couraient : il levait une armée pour reprendre le trône.

Les rumeurs n'étaient que des rumeurs sans fondement, Brynhild en avait maintenant la preuve.
La personne qui s'était tenue devant elle hier soir était certes le roi, mais c'était un roi qui avait tout perdu, et qui était encore loin d'avoir repris son trône.

C'était juste un homme en fuite qui faisait ce qu'il pouvait pour rester en vie.
Et c'était un homme qu'elle voulait.

Freyja s'approcha, mais elle leva la main pour l'arrêter.

— Ma Dame, vous devez...

Brynhild la regarda.

— ... choisir. Je sais, Freyja, répondit-elle d'une voix lasse.

Mais elle n'en fit rien.

— Cet homme, Ayava... Êtes-vous sûre que vous pouvez vous fier à lui ? s'enquit la vieille femme, inquiète.

Brynhild poussa un long soupir.

— Non, Freyja, je ne suis sûre de rien, répondit-elle avec un soupir triste. Mais j'ai bien plus confiance en lui qu'en Alvis...

Freyja hocha la tête et reposa la liste sur la coiffeuse, à côté de la porte.

— Il a refusé votre offre, Ma Dame, fit remarquer Freyja sans se retourner.

Brynhild senti le rapproche dans sa voix, mais elle ne savait pas si ce reproche lui était destiné ou si elle pensait au prisonnier.

— Oui, il a refusé...

Brynhild regarda à nouveau par la fenêtre. Le paysage avait quelque chose de magnifique qu'on ne pouvait voir que sur une île : ses plateaux verts côtoyaient la mer et les falaises. Un paysage grandiose si ce n'était la verdoyance des plateaux qui s'affadissait de semaines en semaines.

Elle secoua la tête.

— Que pourrais-je lui offrir de plus que cette île ? murmura-t-elle presque désespérée.
— Quelque chose de bien plus important que votre royaume, sydän.

Brynhild sursauta en entendant la voix masculine et se retourna.
Freyja ouvrit de grand yeux devant Balder, toujours aussi impressionnée par le guerrier, puis elle tourna les talons et sortit de la chambre en fermant la porte.
Balder s'approcha lentement, ses yeux bleu profond plantés dans ceux de Brynhild.

— Je ne comprends pas, Balder. Que peut-il y avoir de plus grand qu'un royaume ?
Son royaume.

Brynhild ouvrit la bouche de surprise, mais aucun mot ne franchit ses lèvres. Elle secoua la tête.

— Comment pourrais-je lui offrir son royaume ? demanda-t-elle, une lueur d'incompréhension dans le regard.

Balder resta silencieux et se contenta de la fixer, mais Brynhild avait beau former des équations dans sa tête, aucune solution ne s'offrait à elle.

— Offrez à un homme une chose qu'il a perdu, la chose qu'il chérit le plus, et il vous en sera redevable le restant de ses jours.
— Mais, c'est son trône qu'il veut retrouver ! Je ne peux pas lui donner une chose que je ne possède pas !
— Vous ne l'avez pas... encore.

Brynhild sursauta.

— Il y a différents moyens pour obtenir une chose comme celle-ci. Je fais partie de ces moyens.

Brynhild s'éloigna de lui pour marcher de long en large, l'esprit en ébullition.
Les implications de ce que proposait Balder seraient terribles.
Elle s'arrêta brusquement devant lui.

— Te rends-tu compte de ce que tu proposes ?

Balder ne répondit pas. Bien sûr, qu'il savait.

Le Roi en Exil, tome 2 : Niall [EN PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant