Première partie

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Paris, Décembre 1868

La pluie coulait à flot sur la capitale. Les gens, le visage caché par leur parapluie, se dépêchèrent de rentrer chez eux. Tous se croisèrent sans un sourire ni même un regard.

Georges, lui, n'était pas si pressé. Il n'avait nulle part où se mettre à l'abri. Aucun foyer ne l'attendait. Alors, tenant Marie, sa petite fille de dix-huit mois, dans les bras, il marchait doucement le long de la rue, la tête baissée et le regard vide.

Il laissa le bruit des pas des passants et de la pluie sur le sol froid de Paris lui transpercer les oreilles. En parallèle, la population silencieuse donnait une atmosphère presque sinistre à la ville lumière. Tout était si calme et si bruyant à la fois... Mais Georges était bien trop habitué à cela pour s'en préoccuper. Pensif, il se rappela comment il en était arrivé là.

Tout avait commencé le jour où son père s'était fait licencier. Georges n'avait alors que huit ans. Sa famille vivant déjà dans la précarité, elle s'était très rapidement retrouvée incapable de payer le loyer. Tous ses membres s'étaient alors retrouvés à la rue, plongée dans la misère parisienne. Il ne fut pas longtemps aux parents et au petit frère de Georges pour succomber au froid et à la faim. Lui, réussit à survivre, par chance ou malchance, il ne saurait le dire. Quoi qu'il en soit, depuis cet évènement, le jeune homme vivait seul dans la rue, sans jamais parvenir à remonter la pente. Désormais quinze ans se sont passés depuis le licenciement de son père.

« 'apa, pluie ! »

Ce fut Marie qui le libéra de ses pensées.

« Oui, il pleut, répondit le jeune père d'un ton calme et bienveillant. »

Il pleuvait à verse même. Georges pouvait sentir l'eau pénétrer dans chaque partie de son corps, du haut de ses cheveux d'un noir ténébreux jusqu'au creux de ses orteils. Le ciel menaçant rendait la rue encore plus grise et terne qu'elle ne pouvait l'être. Un instant, il regarda sa fille qu'il tenait toujours dans ses bras. A quoi pouvait-elle bien penser ? Son corps si petit et si frêle parvenait-il à supporter le froid glacial en ce mois de décembre ?

Quoi qu'il en soit, la petite Marie semblait admirer avec fascination chaque goutte de pluie qui tombait de ciel, agitant ses mains pour espérer en attraper. Elle souriait.

Le temps passait et Georges marchait toujours sous la pluie. Il se faisait tard. Les parapluies sans couleurs commençaient à se faire plus rare, les gens s'étant abrités chez eux. Lorsqu'il aperçut soudain une étroite ruelle vide de monde, Georges décida de s'y installer pour la nuit qui commençait à tomber. Epuisé, le jeune homme s'affala sur le sol, le dos face à un mur sombre et délabré. Voulant se dégourdir les jambes, Marie quitta les bras de son père et marcha d'un pas chancelant. Georges adorait la voir se déplacer chaque jour de mieux en mieux. Il s'étonnait même de la vitesse d'apprentissage fulgurante de sa fille. Pensant qu'elle pourrait avoir faim, il lui tendit un morceau de pain qu'il avait réussi à voler dans la journée. Marie l'attrapa avec envie. Georges aussi, son estomac criait famine, mais il n'avait rien d'autre à se mettre sous la dent.

A défaut de manger, le jeune homme se mit à regarder Marie, toujours occupée par son morceau de pain. C'était une très belle petite fille, très calme et curieuse de tout. Quand elle eut fini son repas, elle se mit à jouer avec quelques mèches de ses cheveux noir ébène, semblables à ceux de son père. Ce dernier voulut alors observer plus attentivement les yeux de sa petite Marie. Ses yeux bleu azur qui lui faisait tant penser à la mère de son enfant.

Il l'avait rencontré par hasard, un soir, quelque part dans Paris. Elle non plus n'avait pas de maison. Ensemble, il avait eu une aventure, rien de sérieux. Juste deux jeunes adultes qui voulurent passer de bons moments ensemble et oublier tous leurs problèmes.

Ce ne fut qu'après avoir appris que la jeune femme était tombée enceinte que Georges s'était réellement senti amoureux, et avait décidé de rester auprès d'elle. Seulement, lorsqu'arriva le jour de l'accouchement, son amante n'y survit pas, laissant Georges seul avec son nouveau-né.

« 'apa, 'alin !

— Tu veux un calin ? »

Georges ouvrit ses bras et laissa la petite Maire s'y blottir. Il se mit alors à avoir une idée : il pensait emmener sa fille dans les rues plus bourgeoises de Paris le lendemain. Il s'imaginait déjà son regard émerveillé devant tous les immenses monuments qu'il s'y trouvait. Elle pourrait même observer Notre-Dame si Georges parvenait à aller jusque-là. Il savait que le surnom de « clochard » ne lui permettait pas d'être le bienvenu dans ce Paris grandiose et animé, mais il voulait s'y rendre. Il savait que Marie apprécierait surement bien davantage les immeubles illuminés que les quartiers ouvriers précaires.

Le jeune père tenta maladroitement de bercer sa fille dont les yeux papillonnaient. Mais Marie, toujours pleine de vie, dormait très peu pour un bébé de son âge.

« Tu devrais l'abandonner, ce serait plus simple pour toi. » « Ce n'est pas le rôle d'un homme de s'occuper des enfants », ...

Combien de fois avait-il entendu ces remarques ? Mais il ne les écoutait pas. Il ne les écoutait plus. Marie était devenu pour lui sa seule raison de vivre, sa lueur s'espoir. Elle était sa seule famille, le seul être cher à ses yeux. Son seul objectif était désormais de protéger ce petit être, si naïf et fragile.

Mais combien de temps encore supporterait-elle cette situation ? Le froid, la pluie, la faim, les maladies ? Georges était fort et robuste. Il était affamé et épuisé, mais il savait qu'il tiendrait. Cependant Marie, si jeune et si petite, allait-elle réussir à survivre ?

« 'apa, 't'aime !

— Oui Marie, moi aussi je t'aime. »

Adieu, sois heureuseWhere stories live. Discover now