Chapitre 3

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[TW mention de viol - TRES EXPLICITE]


Quand nous sortons il pleut. Les pavés humides sont embrasés par les réverbères comme des flaques de pétrole. En ville l'obscurité n'existe pas. C'est une nuit factice qui tombe chaque fois. Ça nous permet de voir où nous allons et ne jamais nous perdre. La rue est quasiment déserte parce qu'il est bien trop tard pour ne pas dormir. Berry est encore haletante de sa dernière danse, et contre mes tympans pulse toujours la musique. Je me sens légère. Je pourrais continuer encore longtemps. Je pourrais ne jamais me coucher. Berry n'est pas fatiguée non plus. Elle s'écrie :

– C'était génial !

– Tu voudras y retourner ?

– Oui !

Je souris. Je sors de mon sac des cigarettes et en allume une. Berry me jette un regard moralisateur. Je lui dis que j'arrêterai cet été. J'espère que c'est vrai. Je n'aime pas être aussi dépendante de quelque chose – j'aime bien offrir du feu à une fumeuse en détresse. L'allure que ça me donne aussi, chaque pause cigarette est cinématographique. Mais bientôt ça sera fini. Je trouverai autre chose. Je souffle ma fumée loin de Berry, parce qu'elle y est très sensible. Je laisse échapper, dans l'étrange silence laissé par l'heure tardive :

– J'ai encore envie de danser.

– Moi aussi ! Mon appartement est plus proche, on...

Elle s'interrompt en plein milieu de sa phrase, et se détourne vivement. Elle hèle un homme qui vient de nous dépasser :

– Attends mais tu te crois où là ? hurle-t-elle. D'où tu me mets la main au cul comme ça ?

Il s'arrête, pour répondre sans la regarder dans les yeux :

– J'ai rien fait, c'est pas moi.

Elle se rapproche de lui en quelques enjambées.

– Mais bien sûr que si la rue est vide ! Tu me prends pour une conne ?

– Mais t'es belle.

Elle crie :
– Non je suis pas belle putain ! Je suis moche, j'aurais dû me faire un shampoing hier et j'ai un appareil dentaire à vingt-et-un ans. D'où je suis belle ?

Elle l'attrape par le col. Il proteste, apeuré.

– Tu fais moins le malin hein, t'es pas habitué à ce que les meufs répliquent on dirait ? Pas habitué à ce qu'on te la rende, ta main au cul ?

Elle le plaque contre le mur. Il suffoque. Quelques personnes autour se sont arrêtées et regardent la scène, mais personne n'intervient. Moi non plus. Je reste figée.

– Tu vas voir ce que c'est. D'être traité comme un objet. Toi ça va être un putain de punching-ball.

Et sans attendre elle le frappe au visage, puis lui enfonce son genou dans le ventre. Elle le jette à terre, et pendant qu'il cherche à retrouver son souffle elle lui écrase la tête contre les pavés. C'est le craquement sourd qui me sort de ma torpeur. Je me précipite vers elle et la saisis par le bras pour l'arrêter.

– Bérénice !

Elle lève les yeux vers moi et un instant je ne la reconnais pas tant elle est en colère. Elle clôt ses paupières. Je l'éloigne de l'homme, qui s'enfuit aussitôt, en murmurant qu'elle est folle. Je lui crie qu'il est stupide. J'entraîne Berry vers la bouche de métro.

– On rentre. Je te ramène chez toi.

Elle acquiesce. Elle se cramponne à moi. Nous attendons en silence sur le quai, et une chanson trop joyeuse nous parvient en écho. Les éclairages crus nous crachent un voile bleuté sur le visage. Le métro arrive vite, nous montons aussitôt. Nous revenons vite dans la résidence de Berry. Elle tremble contre moi dans la rue. Au portail elle me tend ses clés et je les rattrape quand elle les fait tomber. Nous marchons jusqu'à son bâtiment, prenons l'ascenseur seules, et entrons chez elle. Son appartement est beaucoup plus grand que le mien, et de jour beaucoup plus lumineux. Je la fais asseoir dans le canapé. Ce n'est pas très bien rangé mais ça n'est pas grave. D'habitude ça la gêne mais elle ne s'en préoccupe pas. Elle s'est assombrie. Elle a à nouveau une expression furieuse. Nous ne danserons sûrement pas. Je lui demande si elle a soif, elle fait signe que non.

BrûleWhere stories live. Discover now