Le joueur de piano.

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La nuit est tombée depuis un certain moment maintenant, la nuit et la pluie. Tout est tombé d'une façon brutale, aucun présage, juste une chute ; simple, rapide et imprévisible. J'ai pour habitude de marcher, je marche tout le temps, toutes les nuits à toutes les chutes. Mais ce soir la nuit n'est pas comme d'habitude ; elle est tombée avant l'heure, avant mon départ du banc. Ce vieux banc en bois vert, un banc ayant presque tout connu, un simple banc en bois où reposent mes fesses pendant la tombée de la nuit. Mais aujourd'hui la pluie est tombée aussi. D'abord une simple goûte solitaire, une seconde et encore une. La chute s'intensifiait encore et encore. Les ploc incessants se faisaient de plus en plus rapides. La pluie s'abattait sur la ville, sur ce banc et sous ce piteux réverbère. La rue est calme, comme chaque jour de pluie, car ici à chaque seconde sans soleil les rues sont pratiquement vides, vides d'histoires captivantes, vides de personnes vivants réellement ; c'est à croire à l'existence des créatures fantastiques. Les gens ne sortent jamais, la pluie semble les effrayer, les brusquer et les hypnotiser.

Pourtant elle n'a rien de méchant. La pluie apaise, camoufle et ensorcelle. Et ce soir en marchant en ville, en observant la rue peu éclairée, en avançant lentement de réverbère en réverbère, de bâtiment en bâtiment et de flaque en flaque. Je fais continuellement le même trajet, mais cette nuit quelque chose change. Je sais que quelque chose a changé, quelque chose perturbe la nuit, quelque chose provoque la pluie.

Quelque chose ou bien quelqu'un.

Il y a un bruit plus fort que les ploc de la pluie, plus puissant que mes pas et plus triste que mon cœur. Un bruit constant, des sons en continu, des sons envoûtants qui déchirent mon cœur. Il y a cette douleur qui me compresse, cette douleur et des larmes. Des larmes me brûlent les yeux et se camouflent avec la pluie.

Mes pas s'intensifient ; ma marche s'accélère et petit à petit je me retrouve à courir dans cette rue déserte. Je cours à en perdre mon souffle, je cours là où mon âme m'emmène, là où mon cœur me guide. Les sons continuent de fendre l'air, de plus en plus rapidement, de plus en plus tristement mais de manière poétique. Je cours dans les flaques, sous la pluie, sous les larmes, jusqu'à ce grand bâtiment. Je ne sais pas pourquoi mon corps s'arrête ici, je ne comprends pas pourquoi mais je sais que tout mon être est attiré par ce lieu.

C'est un grand bâtiment en pierre avec d'immenses fenêtres et une porte en bois. Une simple porte en vieux bois, une porte contrastant avec la beauté du lieu. Une porte légère que je n'hésite pas à pousser.

Un grincement, de la chaleur et un magnifique spectacle.

L'intérieur est chaleureux, l'allée centrale coupe les rangées de sièges en velours. Il y a des sièges partout, en hauteur et au sol, des sièges et cette allée vide et rouge. Mon cœur se compresse à chaque pas dans cette allée, mes larmes reprennent au même rythme que les goûtes d'eau qui tombent de ma personne. Et en face de cette allée rouge, une grande scène prend place. Une scène illuminée par la lune, une scène laissant apercevoir l'art. Et sur cette scène il y a un grand piano noir, un grand piano noir et un homme qui joue. Et cette vision des plus hypnotisante me fait pleurer.

L'homme qui joue est si pâle, si jeune et si triste. La vision de lui pleurant en laissant ses doigts parcourir le clavier me donne envie de l'arrêter mais j'en suis incapable. Sa tristesse englobe tout le théâtre, sa peine me transperce le cœur et son désespoir me donne envie de l'aider. Je ne sais pas depuis combien de temps je suis là, au milieu de l'allée en train de le regarder, en train de l'écouter, en train de l'admirer, mais je sais que ses notes résonnantes vont toucher à leur fin, alors d'un pas confiant je m'avance encore un peu plus de lui, j'avance jusqu'à pouvoir sentir son aura sur ma peau. Et lorsque sa dernière note disparaît dans l'air et que ses sanglots deviennent de plus en plus audibles, des bras encerclent ma taille et une douce voix fend l'air.

le joueur de piano - YOONMINWhere stories live. Discover now