Jour 1 ou la pire journée de ma vie

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12 h 05. J'ouvre les yeux avec difficulté et je sens une lourde masse puante appuyée contre mon côté droit. Je sursaute et la repousse violemment.

— Eh ! Oh ! Qui es-tu ? Que fais-tu dans mon lit ? Que fais-tu chez moi ? je l'interroge en me relevant et en fustigeant du regard mon adversaire avant de m'apercevoir que je suis complètement nue. Je me réprimande intérieurement et attrape le premier vêtement venu dans ma penderie : mon pyjama « Hello Kitty ».

— Salut toi, répond-il avec sourire coquin, on ne m'avait encore jamais fait ce coup-là, mais si ça peut nous permettre de reprendre à zéro, rien ne me ferait plus plaisir.

— Quoi ? Comment ? Arg ! je dis en manquant de m'étouffer. Comment oses-tu ? Est-ce que toi et moi, on a... ? Habille-toi, s'il te plait, j'ajoute en lui lançant ce que je crois deviner être son caleçon.

Je récupère mes lunettes de vue posées sur la table de nuit et dévisage de plus près l'intrus. Malgré ma colère, je ne peux m'empêcher d'admirer son corps musclé, svelte et ferme, invitant à la caresse, ainsi que sa gueule d'ange. Mais qui est cet homme ? On dirait un mannequin sorti tout droit du magazine « Têtu ». Depuis quand je me tape des mecs comme ça, moi ? Mes yeux encore écarquillés par la surprise ne peuvent s'empêcher de dévisager son visage fin et avenant, ses cheveux décoiffés par le sommeil, et sa barbe naissante... Il me fixe de ses yeux ébène avec intensité. Le battement de mon cœur s'accélère tandis que mes yeux s'attardent sur son corps... J'admire sa nuque dégagée et légèrement tannée, ses épaules carrées et protectrices, son torse bombé où l'on devine un tatouage tribal, ses abdos fermes et contractés... Son sexe... lui aussi bien réveillé ! Oh mon dieu ! Avais-je vraiment passé la nuit avec cette bête ? Qu'avait-il bien pu me trouver ? Je n'étais franchement pas ce qu'on pourrait appeler une bombe sexuelle... Je faisais une taille moyenne — 1m62 — j'avais quelques kilos en trop habilement dissimulés, des cheveux longs blonds, mais ternes et cassants, car je n'avais pas le temps de m'en occuper, un visage rond et joufflu, et une mine certainement affreuse après la nuit que j'avais passée... Seuls peut-être mes yeux verts pour lesquels on me complimente à temps à autre sont susceptibles d'égayer mon look morose.

— C'est une caméra cachée ? Je m'exclame vivement, me forçant à l'éviter du regard.

— Ha ha ! Toi, tu n'es pas du matin, ma belle, c'est le moins qu'on puisse dire ! Reviens contre moi, je vais prendre soin de toi, dit-il en se rapprochant dangereusement de moi.

— Ne t'avise pas de me toucher ! Je ne sais pas ce qui s'est passé, mais c'était une grosse erreur !

— Il n'y a pas de mal à se faire du bien, me répondit-il avec un sourire satisfait. Quel goujat !

— Tais-toi, je t'en prie, je veux t'effacer de ma mémoire et ne plus jamais te revoir. Cette nuit n'a jamais eu lieu, et nous allons nous séparer immédiatement pour reprendre notre vie, comme si rien n'était arrivé. D'ailleurs comment es-tu entré chez moi ?

— Tu m'as invitée à rentrer, tout simplement... Tu m'as ouvert la porte, et tu t'es jetée sur moi comme une folle furieuse. Il faut dire que tu étais déjà bien éméchée...

— Stop ! Tais-toi ! Je ne veux plus rien entendre.

— OK, OK, comme tu voudras. Calme-toi s'il te plait, dit-il en se rhabillant enfin. Quelle heure est-il ? Est-ce que je peux prendre un café au moins ?

— Il est 12 h 14 exactement. Un café, oui, je te l'accorde, mais pas plus. Et ensuite, tu t'en vas, c'est promis ?

— OK, OK, ma belle, tout ce que tu voudras, Capucine.

Je rougis me rendant compte que je ne connaissais absolument pas son prénom. J'étais complètement prise au dépourvu, cela ne m'arrivait jamais à moi, des situations comme ça. C'était la faute à cette foutue application, j'en étais sûre, je n'aurais jamais dû m'inscrire ! Qu'est-ce que j'ai été stupide d'accepter de m'inscrire sur une application de rencontres... Tout ce que je peux y trouver, c'est des problèmes ! Je n'aurais jamais dû écouter Cindy ! Cindy, c'était ma meilleure amie depuis le collège, et elle avait le don de toujours vous pousser à essayer de nouveaux challenges, de nouveaux jeux, de nouveaux amusements... « Oh le dernier pop up store, on va y faire un tour ? Ou encore, le nouveau restaurant le plus branché de Paris, ça te dit d'essayer ? Et cette application de rencontres, elle est phénoménale, rien de tel pour oublier un mec ! » Si je n'avais toujours pas fait de rencontres un an après ma séparation avec Quentin, je devais m'inscrire à l'application miracle de son choix. Les douze mois se sont écoulées plus vite que prévu et je me suis retrouvée à créer un compte sur Tinder. Et maintenant je me retrouve coincée avec ce type dans la maison de mes parents, qui pouvaient d'ailleurs très bien revenir d'un moment à l'autre ! Pourquoi ça n'existait pas un guide du « Comment faire quand on se réveille au lit avec un inconnu ? » ou « Comment virer un mec de chez soi en moins de 5 minutes ? ». Ah là là... Je pensais à mon Quentin et mon cœur se serrait. Que penserait-il de moi s'il savait que j'avais fait ça ? Comment me pardonnerait-il ? Il ne devait jamais rien savoir ou jamais je n'aurais une chance de le récupérer.

J'arrive dans le salon et le contemple, impuissante devant ce qui avait sans doute été la pire soirée de ma vie. Au sol, mon string en dentelle rouge, le préféré de Quentin, une bouteille de vodka complètement vidée, des verres à shots avec des restes de zeste de citron, du sirop à la fraise, la jupe en similicuir moulante que je n'osais jamais porter, un marcel taille L échancré, un jean slim, pas le mien non plus, des cartes de jeux dispersées sur le sol, des boîtes de carton de pizza, et mon téléphone — sans batterie — que je mis à charger immédiatement. Qu'avait-il bien pu se passer ? À ton avis ma cocotte, tu es passée sur le grill, cela ne fait aucun doute ! Je grimaçais. Moi, avec cet espèce de mec surfait ? Impossible. Et pourtant... Cela ne faisait aucun doute. Je n'ose même pas imaginer ce qui a pu se passer. Il fallait que je range tout avant que mes parents soient rentrés de leurs vacances... En attendant, je mis tout dans un gros sac poubelle et m'empressai d'aller lui préparer un café pour me débarrasser de lui.

– Truc ? je l'appelle.

— ...

– Machin ? j'insiste.

– C'est mon prénom que tu cherches ? il répond enfin en souriant.

— ... en effet, dis-je en soupirant.

— C'est Kevin.

Kevin. Soudain, à l'écoute de ce prénom, ma mémoire s'éclaircit. Kevin, c'était cet inconnu avec qui je parlais — enfin plutôt je sexotais — depuis 1 mois déjà. J'avais flashé sur le profil de Kevin dès mon inscription sur le site — et il faut bien avouer était encore plus beau en vrai. Mon plan était de rencontrer Kevin pour enfin mettre fin à ce foutu pari et montrer par la même occasion à ma meilleure amie que j'étais très bien toute seule. On peut dire que c'était à présent chose faite, et je regrette désormais mon enthousiasme ! J'avais choisi exprès un mec avec qui je n'avais rien en commun. Nous habitions trop loin de l'autre pour envisager une quelconque relation : il habitait à Calbris, un petit village du sud de la France, et j'habitais à Rambouillet en région Parisienne. Il pouvait concourir pour le calendrier des dieux du stade tandis que je ne cochais les cases des critères d'inscription à aucun concours de beauté, sauf peut-être Miss Bien-en-Chair. Je faisais de longues études supérieures dans le but de devenir pédopsychiatre — mon rêve depuis toute petite, et Kevin cherchait encore un sens à son avenir. En attendant, il proposait ses services de coach sportif à ses heures perdues. Il était sociable, drôle, détendu tandis que j'étais une boule de nerfs préférant rester à l'écart du troupeau. Je m'étais d'ailleurs fait passer pour une tout autre fille que moi : légère, sans prise de tête, à la recherche d'une aventure sans lendemain, chose que je n'étais pas du tout ! Je m'étais prêtée au jeu pour mieux attirer Kevin, et petit à petit, nous nous étions mis à échanger des messages instantanés coquins. Il était venu de Marseille pour me rencontrer, ce fou ! Les bars et les restaurants étant fermés depuis le week-end dernier, je l'avais invité chez moi. 

Je n'en revenais toujours pas de ce que j'avais fait quand j'entendis le bip de mon portable, ce dernier était enfin chargé. Je me jetais dessus comme un ivrogne sur sa bouteille et c'est une armée de notifications que je reçus : 45 appels manqués, 23 sms, 182 messages whatsapp, 62 alertes infos et 177 notifications Facebook, qu'avait-il bien pu se passer ?

Confinée avec un inconnuWhere stories live. Discover now