KIP

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Ce pays avait ses coutumes, mais vous ne pourrez pas les comprendre. Vous ne venez pas du même monde que moi, ni de la même Terre. Considérez moi comme habitant d'une Terre parallèle.

Enfin, je vais tout de même tout vous expliquer.

Depuis toujours, nous kipiens étions passionnés de musique, nos notes de musique différaient avec celles des autres, ce qui rendait notre pays très particulier, connu pour sa musique si originale.

Mais c'est cette même musique qui plus tard, fit couler ici le sang de tout un peuple.

À une époque, le kipien Bridain était considéré comme le plus grand musicien jamais connu, de notre pays comme ailleurs. Il était des nôtres, et mes ancêtres allaient presque jusqu'à le vénérer, lui qui jouait gratuitement partout ici et qui travaillait dans la boulangerie de mon village.

C'est son petit fils qui la détient aujourd'hui, il est mon aîné de deux ans et figure parmi mes meilleurs amis.
Enfin, il figurait.

Il y a cinquante ans, la politique de notre pays changea. Conscients que seuls, nous commencions à manquer d'argent, nous décidions alors de nous ouvrir au reste du monde.

Enfin, je parle bien-sûr de mes grands-parents, mes parents eux-mêmes n'étaient que naissants à ce moment-là.

Conservateurs de nos valeurs depuis toujours, notre peau violette assez différente de celle des autres pays nous faisait souvent souffrir de discrimination. Cependant, ces autres peuples disaient que c'était nous qui étions discriminants, et les médias allaient dans leur sens.

Après tout, ils ne risquaient rien, nous avions besoin d'eux pour enrichir notre pays, le pays de la musique, qui devint ainsi très touristique.

Les années passèrent, ma famille devint de plus en plus mal vue, les idées révolutionnaires et progressistes se développant de plus en plus.

Conservateurs jusqu'au bout, mes parents décidèrent de ne toujours pas se plier face au nouvel ordre établi, mais les médias influençaient trop l'opinion publique, et mes parents devinrent vite considérés comme des intolérants, des conservateurs.

Car oui, depuis ce jour, le conservatisme est un crime.

Notre musique nous avait toujours fait l'effet d'une religion, et les pays avoisinant qui ne cessaient de s'accaparer nos terres, voulurent vite y faire régner leurs musiques, mettant ainsi fin aux principes fondateurs de notre aussi beau pays.

Bien-sûr, l'état ne s'y opposa pas, les dirigeants depuis ce jour se contentent de plusieurs chemises, ils ne changent cependant jamais de cravate.

Et là, je naquit.

Durant mes premières années d'existence, je ne compte pas le nombre de manifestations auxquelles j'ai assisté, avec mon père notamment.

Des manifestations dans notre pays, des manifestations anti-kipiens, dont les acteurs principaux étaient eux-mêmes kipiens. Je n'avais jamais vu mon père aussi triste. Ça m'a brisé le cœur, mes frères de musique m'ont profondément déçu.

Voyant la peine de mon père, qu'elle partagea d'ailleurs, ma mère se décida alors à créer une association dans l'anonymat le plus total, pour la gloire patriotique de notre pays, de ses valeurs et de sa musique.

Cette association n'apporta à elle seule aucun combat et aucun engagement, juste notre foi, notre patriotisme et notre amour pour notre patrie, en ce poème qu'elle avait elle-même écrit :

"Lorsque média fera de toi l'ombre d'un poids,
Tu tendras l'oreille, ainsi tu l'écouteras.
Et ses monts et merveilles, ce qu'il te promettra,
Feront de toi un rat, sans l'ombre d'un choix.

Pourtant tu te battras, et tu les défendras.
Tu défendras leurs droits, de vider ton chez toi.
De tes valeurs tes lois, aussi de toute ta foi.
Tu leur vendras ton sabre, et tu crieras macabre."

Très vite, l'association recueillit à elle seule la majorité des kipiens encore fiers de leur ancien pays, ceux qui ne se laissaient pas amadouer par l'opinion médiatique.

Mais un jour, constatant ce mouvement de rébellion qui se mit lui aussi à manifester, le kredon Adru (du royaume de kred), le nouveau chef d'État de notre pays, organisa un mouvement, un mouvement agressif et meurtrier dont seraient victimes les kipiens conservateurs.

Ainsi, une guerre civile démarra très vite. Les kipiens conservateurs et quelques immigrés, contre les kipiens progressistes et la majorité des immigrés.

Dans la bataille, je perdis mon plus brave ami, Kora, le petit fils de Bridain dont les médias étaient parvenus à conquérir l'esprit.

Jamais je ne les pardonnerai.

C'est mon père, qui dut le tuer, lorsque Kora lui-même tenta de me faire la peau. Moi qui ne voulais qu'une paix durable, une paix qui ne se ferait pas au détriment de valeurs ni de l'histoire. Me voilà être devenu l'ennemi de mon ami, foutu progrès.

Très vite, ce fut au tour de mes parents, qui moururent en tentant de me défendre de la colère de l'envahisseur. Enfin, de l'envahisseur bien-pensant tout de même.

Aujourd'hui, il n'y a plus âme qui puisse vivre en paix dans ce pays. Les terres ne sont plus que désolation, flammes et sang.

Maintenant, les kipiens même progressistes sont chassés, torturés, condamnés ou alors forcés de devenir des inférieurs. Des sous-races.

Est-ce ça, le progrès, aux yeux de ce monde qui ne demande qu'à dépendre d'une quelconque influence ?

Je suis réfugie dans ce village campagnard dans lequel j'ai grandis, et je me demande ce que dirait Bridain, s'il vivait encore.

Lui qui aimait son pays, sa musique, et qui a donné vie à un homme, à un homme mort lui aussi, pour un progrès reniant l'histoire de son père.

Enfin, vivre avec cette peau violette qui me colle aux os me répugne moi-même, moi qui aime tant mon pays, mes parents et mes ancêtres.

Sommes-nous en tort ? Honnêtement, je ne sais plus quoi penser, mais ce que je vois moi, c'est que l'envahisseur m'accuse d'être raciste, d'être patriote, et aujourd'hui il me prend mon pays, mon histoire, et il m'envoie croupir avec lui.

Je m'appelle Kip, mes parents m'ont nommé ainsi afin de m'aimer du même amour qu'ils aimaient mon pays, je vous prie de ne pas parler de moi au passé.

Même mort, mon âme et celle de mon pays vivront encore, et nous danserons des siècles durant, en musique.

À quelques pas de la peur.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant