Marchandage avec un théorème

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       Un vacarme d'enfer régnait dans les rues. L'agitation était telle que personne n'osait sortir, tout le monde avait fermé ses volets. Les propriétés, ayant été appelées en renfort, combattaient furieusement les rebelles. Les émeutes dues aux dérivées se faisaient de plus en plus violentes. La situation devenait intenable, et la capitale avait été bloquée.

       -2 était atterré, malgré tout le savoir faire des frères Logarithmes, il doutait qu'ils puissent faire quelque chose face à ce qui se déroulait sous ses yeux. La rue entière était remplie de nombres et de fonctions en colère qui protestaient à grand cris. -2 était en panique :

« Mais qu'est ce qu'on va faire ?? Mais qu'est ce qu'on va faire ?? »

Les deux frères continuaient de sourire. Ils firent demi-tour, marchant à pas rapides vers la rue où ils habitaient, suivi de près par le petit chiffre qui devenait de plus en plus négatif :

« C'est impossible, on y arrivera jamais, on ne sait même pas où est 0, on est fichus, il est fichu ! »

Népérien commençait à atteindre ses limites, sa patience n'était pas extrêmement développée... -2 continuait son monologue pessimiste sans même prendre le temps de respirer, tant et si bien que Népérien craqua :

« Mais tu vas la boucler oui ? Nom d'un binôme de Newton, ça suffit ! Tu pourrais faire carrière dans les irrationnels en continuant comme ça ! »

Ses paroles eurent l'effet d'un gifle sur -2 qui à présent le regardait d'un air vague (voir idiot). Il bégaya une tentative d'excuse relativement passable pour sa perte de sang froid. Népérien souffla bruyamment avant de reprendre sa marche.

       Arrivés dans la ruelle , Les frères Logarithme firent quelques pas puis s'arrêtèrent brusquement. -2 regarda autour de lui, encore un peu timide, se demandant pourquoi ils étaient revenus à leur point de départ. Il n'osait pas vraiment poser la question. Décimal s'agenouilla, suivit de Népérien. Un bruit soudain détourna l'attention de -2, qui lorsqu'il se retourna vers les deux frères se rendit compte qu'il était seul. Il s'approcha puis remarqua la bouche d'égout qu'il n'avait alors pas vu. Il se pencha au dessus du trou noir, hésitant. La voix familière de Décimal l'appela des profondeurs, le pressant de descendre. Le nombre relatif suivi ses compagnons dans les entrailles de la ville. Prudemment il descendit les barreaux de l'échelle murale et rejoint Décimal. Une odeur nauséabonde flottait dans l'air, et une étrange atmosphère de démence rendait l'endroit fondamentalement inquiétant. Allumant une lampe torche, Décimal pris la tête de la petite troupe qui reprit sa progression.

       -2 n'avait jamais penser qu'un tel monde souterrain puisque exister sous la Capitale, ou du moins il ne s'était jamais vraiment questionné sur le sujet. Dans le noir, d'étranges lueurs s'allumaient. Des yeux. Ils appartenaient à de sinistres théorèmes boiteux, à des propriétés folles et de lois qui ne tenaient tout simplement pas de bout, et qui erraient là sans vraiment avoir de but précis. Une étrange règle générale à l'air tordu clamait haut et fort à un auditoire en grande partie invisible que « le monde est entièrement rationnel ! », ce à quoi répondait un vieux théorème en toge « Et tout est division de l'unité ! ». -2 était perplexe. Il était à mille lieues de se douter que pareil cortège puisse exister, d'autant que nombre des lois et théorèmes gâteux qui erraient là lui étaient totalement inconnus. Décimal répondit à sa question muette :

« Ce sont d'anciennes règles qui existent depuis des milliers d'années et qui sont dépassées maintenant. Elle ont perdu de leurs sens, mais c'est grâce à elles que s'est bâtie notre société moderne. On les a alors laissées, là, livrées à elles même. On préfère les oublier ou en rire désormais... »

L'enlèvement calculéDonde viven las historias. Descúbrelo ahora