Chapitre XIX

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Je marchais au milieu de la foule, mon capuchon sur le visage. Targen marchait juste derrière moi, sur ses gardes.

J'aurais préféré que ce soit le prince Legolas qui m'accompagne, car il connaissait déjà mon amour des mots et la manière dont je les maniais, mais j'avais besoin qu'il aide Nessimelle, qui ne savait pas encore comment bien les utiliser. La présence de Targen m'intimidait, même si ce n'était pas du tout de sa faute.

Depuis deux jours, nous avions élaboré un plan. Un plan dangereux, hasardeux. Nous n'en contrôlions pas les variables, et cela ne me plaisait pas. Surtout lorsque c'était à moi d'influencer ces variables.

Dès le lendemain de notre arrivée, le réseau de résistants avait commencé à répandre la rumeur de notre retour. Du bouche à oreille. On murmurait sous cape, chuchotait dans l'ombre. Les princesses étaient vivantes, les princesses étaient de retour. La citée frémissait d'espoir.

Et moi de terreur. Nous nous apprêtions à faire la chose que je détestais peut-être le plus. Et en même temps, alors que je faisais tourner mes mots dans ma tête depuis deux jours, je sentais l'excitation monter sous ma peau.

Nous marchions sans un mot, Targen et moi, imitant des passants, nous dirigeant vers l'emplacement précis que nous avions choisi. J'étais propre, lavée, décrotée, et, bien que toujours laide, je ne semblais pas au moins sortir d'un fourré. Derrière moi, Targen m'impressionnait, si silencieux et indétectable qu'il en semblait presque invisible.

Il m'attrapa le bras.

- Par ici, dit-il en désignant une rue.

- Non, protestai-je. Ce n'est pas cette rue là.

Une lueur amusée dansa ses yeux.

- Si, insista-t-il.

- Non, répliquai-je en tirant la carte de ma poche et l'ouvrant pour prouver mon point.

Je l'entendis presque rire.

- Vous la tenez à l'envers.

En effet, je m'en rendis compte à cet instant. Voyant qu'il ne semblait pas fâché, je la repliai grossièrement avant de la lui lancer à la figure, puis m'éloignai dans la direction qu'il m'avait indiqué. Il rit doucement, et je dus m'empêcher de crier à la victoire. C'était un tel progrès !

Nous avançâmes dans les rues, je continuai à contester chacune de ses indications dans l'espoir de le faire rire, mais en vérité, j'avais un très mauvais sens de l'orientation. Dans mon auberge, j'avais l'impression de me rappeler de la citée par cœur, or, j'étais à présent incapable de me repérer.

Nous arrivâmes enfin sur la place que nous avions décidé, et ma nervosité monta d'un cran. Je dus me retenir de me mordre la lèvre à m'en faire saigner. Une fontaine se tenait en son milieu, l'eau n'y coulant pas afin de faire des économies inutiles. Elle était triste, ainsi. Les gens se pressaient un peu partout, silencieux.

Targen et moi nous frayâmes un passage parmi la foule, nous dirigeant vers la fontaine.

Elle représentait Luthien et un des Aunts, et le mouvement des cheveux de la jeune femme et celui des feuilles étaient à jamais figé dans la pierre.

Je pris une profonde inspiration tremblante.

- Vous pouvez le faire, Laurelin, chuchota Targen. Vous pouvez le faire.

Je n'en avais pas le choix, de toute manière, et il le savait.

Répétant une dernière fois les mots dans mon esprit, je fis naître l'excitation dans mon cœur. Il le fallait. Tout allait bien. J'étais juste ici, avec un ami, pour libérer mon trône. Tout. Allait. Bien.

Je bondis sur le rebord de la fontaine, me dressait de toute ma hauteur et lançait de toute ma voix :

- Peuple d'Erith !

Et je rabattis mon capuchon derrière moi. Mes cheveux se prirent aussitôt dans le vent. Il y eu des exclamations de surprises, des murmures, des chuchotis. Mes yeux, ils reconnaissaient mes yeux.

- Je suis Laurelin, fille d'Alcarohtar et de Sarie ! J'ai survécu à l'assassinat de mes parents.

Au loin, autour de la place, je voyais des gardes au service de l'Intendant qui m'avaient remarquée, mais je ne m'en occupais pas. C'était le travail de Targen.

- Ceci est un message pour tous, et pour chacun. Pour ceux qui croient, et ceux qui ont perdus espoir. Pour ceux qui ont vus, et ceux qui ont écouté. Je suis Laurelin, fille d'Alcarohtar et de Sarie, et aujourd'hui, je suis revenue reprendre mon trône.

On m'entendait. On m'écoutait. Des gens arrivaient pour m'écouter de toutes les rues, voulant vérifier les rumeurs.

- Comme vous, j'ai souffert, dis-je, tournant sur moi-même. Comme vous, j'ai vécu dans la misère et la faim et le désespoir. Comme vous, j'ai dû faire face à des horreurs et des temps durs. Mais j'en suis ressortie plus forte.

Chaque visage semblait si détaillé, si unique. Si magnifique ! Les mots sortaient de ma bouche comme des couleurs, ils m'étaient venus instinctivement.

- Vous avez souffert de la tyrannie d'un homme qui a trahi la confiance de mon père, ma confiance, la vôtre ! Criai-je. Vous avez souffert de ce qui n'aurait jamais dû y arriver ! Mais cela vous a rendu plus fort.

Les gardes tentaient de s'approcher de moi, de m'atteindre en traversant la foule. Mon cœur battait dans ma poitrine.

- Vous êtes plus forts qu'eux. Vous avez connu la faim, le froid, le désespoir. Mais il est temps de le réveiller ! Il est temps de se réveiller ! Peuple d'Erith ! Moi, Laurelin, je reviens éveiller votre espoir en l'avenir.

Targen me lança un regard d'avertissement alors que les gardes s'approchaient. J'allais manquer de temps.

- Ce soir, nous nous battrons ! Criai-je, dressant le poing. Ce soir, je me battrais ! Ce soir, il ne sera plus question de peur et de douleur. Vous avez connu mille fois pire ! Avec vous, je ferais revenir la splendeur d'autrefois.

- Laurelin, l'appela Targen.

Les gardes n'étaient plus qu'à quelques mètres. La foule s'agitait.

- Ce soir, ce ne sera pas nous qui auront peur !

Je pointais un doigt vers le château qui surplombait la ville.

- Et ils prieront pour que nous les pardonnons ! M'époumonai-je.

Une flèche fut tirée. Mon sang se glaça dans mes veines alors que des cris déchiraient la foule. Mais, avant même qu'elle n'ait eut le temps de m'atteindre, Targen l'avait déviée. Ses yeux noirs brûlaient si fort que je crus qu'il allait réduire les gardes en pièces.

Au lieu de quoi, il me tendit le bras, et je m'y agrippai en sautant du rebord de la fontaine.

Avec une synchronisation parfaite, le sol sous ses pieds se déroba, et il m'entraina avec lui dans sa chute. Avant de disparaître sous terre, je me concentrai et envoyai comme une vague une vision dans l'esprit de toutes les personnes présentes.

Plutôt que de nous voir tomber dans une trappe dérobée, il semblait aux témoins que nous avions disparu dans un nuage de fumée verte.

Trois paires d'yeux... bleues -Le royaume du NordWhere stories live. Discover now